Les Mystères du peuple/II/9

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Les Mystères du peuple — Tome II
CHERS LECTEURS...


Chers Lecteurs,

Nous voici arrivés à l’ère chrétienne : j’ai tâché de vous donner une idée de cette monstrueuse société romaine qui asservissait, corrompait et épouvantait le monde.

Dans le récit de la vie des deux descendants de notre famille gauloise, Sylvest et Siomara, je vous ai présenté les conséquences les plus communes de l’esclavage où gémissaient nos pères et nos mères asservis sous l’oppression de Rome. Siomara, c’est l’effrayante dépravation qu’engendre souvent et forcément la servitude. Sylvest, c’est l’esclave martyr qui ne songe qu’à briser ses fers par la révolte, c’est le Gaulois conquis attendant le jour et l’heure d’exercer de légitimes et terribles représailles sur le conquérant, et de revendiquer, les armes à la main, le sol, la patrie, les droits, la nationalité, la religion, que la violence lui a ravis.

Cette sourde et menaçante ardeur d’insurrection contre la domination romaine couvait chez tous les peuples lorsque Jésus de Nazareth se révéla.

J’ai essayé, dans l’épisode suivant, où se trouve mêlée une des descendantes de notre famille gauloise, de mettre en action les principaux événements de la vie sublime de Jésus, de vous montrer ce Christ, si divinement adorable, parlant, agissant ainsi qu’il a parlé et agi, puisque, dans les scènes où il paraît, il ne prononce pas un mot, il n’accomplit pas un acte qui ne lui ait été attribué par ses disciples Jean, Marc, Luc ou Matthieu, autrement dit les quatre évangélistes, qui, vous le savez, chers lecteurs, ont écrit chacun de leur côté, mais avec de graves et nombreuses contradictions, la vie, les actes et les paroles de Jésus, leur jeune maître, bien longtemps après sa mort ; de sorte que tout ce que nous savons de lui ne nous est parvenu que par les récits de ses quatre disciples, auteurs des Évangiles, à l’affirmation desquels, bien que souvent contradictoire, on a dû se rendre.

Si j’ai mis, comme on dit, Jésus en scène, je n’ai fait que suivre en cela l’exemple donné par un grand nombre d’écrivains depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours ; usage qui a pris surtout racine dans les pays les plus catholiques du monde, tels que l’Italie et l’Espagne, au temps le plus formidable de l’inquisition, tels encore que la France, la fille aînée de l’Église, ainsi que l’appellent les catholiques[1].

Si large, si absolu, si légal que soit pour chaque citoyen le droit de libre pensée, de libre examen, de libre conscience sur toutes les questions religieuses, en tant que la discussion reste convenable et mesurée, nous n’approfondirons pas ici cette thèse, discutée, controversée depuis la mort de Jésus : d’un côté, par les savants, les historiens ou les philosophes ; de l’autre, par les théologiens les plus habiles, les plus éloquents et les plus convaincus.

« Jésus est-il un être surhumain, surnaturel, le Fils de Dieu, conçu par la sainte Vierge, grâce à l’intervention du Saint-Esprit, et envoyé momentanément sur la terre par Dieu le Père, dans le but d’y accomplir, en faveur de la rédemption de l’humanité, des prodiges, des miracles, et de ressusciter visiblement trois jours après sa mort pour remonter aux cieux ? »

Ou bien :

« Jésus est-il un des plus hardis réformateurs, un des plus grands philosophes dont puisse s’enorgueillir l’espèce humaine, un génie véritablement divin par l’âme, céleste par le cœur, qui, joignant à de rares et profondes connaissances dans l’art de guérir, à l’aide desquelles il opérait des cures vraiment miraculeuses, une tendresse inépuisable pour tout ce qui était pauvre, opprimé, souffrant ou dégradé par une vicieuse organisation sociale, a, par des doctrines, porté une mortelle atteinte à la monstrueuse tyrannie de la société romaine, jeté les fondements d’un monde nouveau, et pris place au-dessus de Moïse, de Platon, de Socrate, et de tous les sublimes génies de l’Asie et de la Gaule druidique ? »

Nous honorons toutes les convictions sincères et pieuses, depuis la croyance des juifs, des chrétiens rationalistes ou protestants, jusqu’à celle des catholiques romains les plus orthodoxes en matière religieuse. Chacun pense, croit, pratique, examine, apprécie comme il veut ou comme il peut, à la condition, nous le répétons, de respecter les croyances de tous, comme tous doivent respecter la croyance de chacun, pourvu qu’elle se formule avec mesure et convenance.

Ceci posé, nous trouvons fort logiques à son point de vue, l’opinion émise dans le livre du célèbre docteur Straüs sur la vie de Jésus-Christ[2].

Cette opinion, la voici :

« La réflexion place Jésus dans la catégorie des individus doués de hautes facultés, dont la vocation, dans les différents domaines de la vie, est d’élever le développement de l’esprit à des degrés supérieurs ; individus que nous signalons d’ordinaire par le titre de génies dans les branches extra-religieuses, et particulièrement dans celles de l’art et de la science. Ce n’est pas sans doute encore ramener le Christ dans ce qui est, à proprement parler, le sanctuaire chrétien, ce n’est que le placer dans la chapelle d’Alexandre Sévère, à côté d’Orphée, d’Homère, où il se trouve, non-seulement à côté de Moïse, mais encore à côté de Mahomet, et où même il ne doit pas dédaigner la compagnie d’Alexandre, et de César, de Raphaël et de Mozart. Ce rapprochement inquiétant disparaît cependant par deux raisons : la première, c’est qu’entre les différents domaines où peut se développer la force créatrice du génie, fille de la Divinité, le domaine de la religion est placé d’une manière générale en tête de tous les autres… aussi peut-on dire du fondateur d’une religion, dans un tout autre sens que du poëte, du philosophe, que Dieu se manifeste en lui ; la seconde raison, c’est que, même dans le domaine religieux, le Christ, étant l’auteur de la plus haute religion, dépasse les autres fondateurs de religion[3].

» Mais, en admettant que le Christ, au point culminant de la vie spirituelle sur le terrain de la communion la plus intime de l’Être divin et humain, est le plus grand parmi tous ceux dont le génie créateur s’est développé sur le même théâtre, cela, dira-t-on, n’est valable que pour les temps qui se sont écoulés ; quant à l’a&venir, nous n’avons, ce me semble, rien qui nous garantisse qu’il ne viendra pas un autre génie qui, bien que non attendu par la chrétienté, n’égale ou même ne surpasse le Christ, de même que Thalès et Parménide ont été suivi de Socrate et de Platon, et que, sur le terrain même de la religion, Moïse a été suivi du Christ. »

Maintenant, chers lecteurs, ceux d’entre vous qui voudraient s’édifier sur les questions si délicates de la naissance, des miracles et de la résurrection de Jésus, faits en apparence fort surnaturels, les trouveront expliqués ou ramenées à des proportions humaines et possibles dans l’ouvrage du célèbre docteur Straüs, ouvre toute moderne et d’une immense érudition, à laquelle la clarté du raisonnement, jointe à l’irrécusable citation des faits, semble donner une autorité incontestable.

Quelques mots maintenant pour préciser l’état des choses en Judée au moment où Jésus de Nazareth sortit pour la première fois de l’obscurité où il avait jusqu’alors vécu.

Ainsi que vous le savez, Jésus, fils de Marie et du charpentier Joseph, était Juif et professait la religion juive ; vous n’ignorez pas non plus que l’Ancien Testament, autrement dit la Bible, livre sacré des Hébreux, annonçait depuis des siècles, par la voix des prophètes, la venue d’un Messie, génie à la fois libérateur et réformateur, dont la mission serait d’affranchir le pays des Hébreux de l’oppression étrangère et de changer cette terre de misères et de larmes en terre promise, en paradis terrestre. Les mêmes livres saints décrivaient à l’avance quels seraient les actes et même quelques particularités de la vie de ce Messie ; aussi devait-il arriver et il arriva que, trouvant ainsi leur conduite tracée d’avance par les prédictions séculaires, tantôt des imposteurs, tantôt des hommes consciencieusement fanatisés par la lecture des livres saints, et se croyant véritablement le Messie promis, tantôt des hommes d’un sens politique profond, comprenant toute l’autorité que donnerait à leurs plans de réformes cette origine quasi-divine, se donnèrent, de siècle en siècle, pour le véritable libérateur et le réformateur tant annoncé par les saintes Écritures, tâchant et parvenant, chose assez peu difficile, à faire parfois à peu près coïncider leur vie, leurs actes, leurs paroles avec quelques-uns des prophéties écrites dans la Bible ; en d’autres termes, ces prophéties disant : Le Messie, fera, dira, accomplira telle chose, ces messies s’efforçaient, par tous les moyens possibles (et ils étaient de beaucoup de sortes

dans ces temps d’ignorance grossière) de réaliser plus ou moins certaines prophéties qu’ils connaissaient d’avance.

Beaucoup de ces messies précédèrent Jésus, d’autres le suivirent ; les uns furent reconnus pour des fourbes et échouèrent misérablement ; d’autres eurent une puissante influence sur le peuple hébreu, le soulevèrent contre les Romains, qui déjà dominaient la Judée ; mais, comme Jésus de Nazareth, ils payèrent de leur vie cette influence. Néanmoins, presque tous les messies agitèrent profondément les masses souffrantes et opprimées en leur promettant le royaume de Dieu sur la terre, c’est-à-dire le bonheur de tous et l’extermination des conquérants étrangers. Sous le siècle d’Auguste, époque que nous venons de traverser historiquement, la Judée fut incorporée à la Syrie, depuis longtemps province romaine. Cette incorporation, qui portait une dernière et suprême atteinte à la nationalité juive, fut favorablement accueillie par les classes supérieures de la Judée (ainsi que nous avons vu dans les Gaules beaucoup de riches Gaulois accueillir avec joie la conquête romaine) ; mais le peuple, écrasé par le redoublement des impôts dont il payait la protection romaine, s’irrita profondément, et plusieurs révoltes éclatèrent, soulevées par les derniers messies qui précédèrent Jésus.

Ce fut donc en ces temps d’effervescence populaire que se produisit publiquement et politiquement Jésus de Nazareth, se proclamant, après tant d’autres et comme tant d’autres avant lui, le véritable Messie.

Nous citerons ici, à ce sujet, quelques lignes d’un excellent ouvrage sur Jésus et sa doctrine[4], ouvrage écrit à un tout autre point de vue que celui du docteur Straüs, et qui arrive cependant à une conclusion presque identique.

« Dans le besoin commun de délivrance, la population moyenne et supérieure (de Judée), souvent avertie par tous les malheurs auxquels les soulèvements partiels avaient donné lieu, exigeait, pour reconnaître son libérateur (ou messie) que le conseil national eût proclamé préalablement son opportunité et les pouvoirs extraordinaires que l’opinion presque unanime ajoutait à sa venue. (Mais le conseil national des Juifs n’avait pas, si cela se peut dire, accrédité Jésus-Christ comme véritable messie.) Les classes inférieures, au contraire, plus souffrantes et moins arrêtées par la prudence et les intérêts personnels, se précipitaient au-devant de tout homme qui annonçait au nom de Dieu le salut de la nation.

» Une seconde cause, quoique fondée sur l’un des principes les plus brillants, les plus moraux de la doctrine de Jésus, éloignait de lui toutes les personnes attachées dans leur condition sociale à un certain honneur, et devait réveiller chez les magistrats une méfiance grande et involontaire. Les errements de l’école essénienne, qui, par amour pour la paix et la pureté de l’âme, dictait à ses adeptes de ne rechercher que la société des gens de bien, n’avaient point paru d’une nature assez féconde aux yeux de Jésus… Comme le secours du médecin n’appartient point, disait-il, aux individus en santé, mais aux malades, de même tous ses soins devaient aplanir aux méchants les voies du royaume de Dieu. En conséquence, beaucoup de femmes jusqu’alors prostituées, beaucoup d’hommes méprisés pour leur conduite, paraissaient en premier ordre sur ses traces et étaient admis à ses repas.

» Enfin, l’image flatteuse d’un monde prochain où les pauvres, les derniers, obtiendraient la place des premiers, la possession éternelle de la terre recomposée, reconstituée, exerçaient beaucoup plutôt leur action sur une multitude qui, ne possédant rien, ne livrait rien aux chances du hasard, que sur des hommes qui avaient à compromettre leur famille, leur existence, leur avenir. »

Telle était donc la position des hommes et des choses lorsque Jésus de Nazareth se produisit en Judée comme le véritable Messie réformateur et libérateur ; mais, s’il devint aussitôt l’idole des pauvres, des opprimés, des êtres dégradés, auxquels il faisait entendre pour la première fois de tendres paroles d’amour, de consolation, de pardon et d’espérance, il fut bientôt l’objet de la haine passionnée, aveugle, féroce, des gens qui, ainsi que le dit M. Salvador, craignaient de voir compromettre, par les doctrines réformatrices de Jésus, leur famille, leur existence, leur avenir.

Cette classe de citoyens de Jérusalem, composée des sénateurs, des banquiers, des docteurs de la loi et des princes des prêtres, appartenait généralement à l’école ou à l’opinion pharisienne, opinion dont le principe reposait sur le respect de la religion et de l’autorité.

Or, ainsi que vous le verrez, chers lecteurs, par les citations irrécusables des Évangiles, Jésus de Nazareth n’était pas seulement un admirable réformateur social et politique, mais encore un réformateur religieux, et quoiqu’il professât la religion juive, il blâmait et, méconnaissait certaines observances, certaines pratiques religieuses, considérées par les prêtres comme indispensables au salut. Il fut donc incessamment attaqué, exécré par les pharisiens, et finalement mis à mort à leur demande, pour avoir voulu, selon eux, renverser la religion, dissoudre la famille et attenter à la richesse et à la propriété individuelle.

Le sujet est trop grave pour que je cherche la moindre allusion aux événements et aux idées de notre temps ; vous vous en convaincrez vous-mêmes, car vous trouverez toutes mes affirmations appuyées de l’irrécusable autorité des Évangiles ; non, je ne cherche pas ici de puériles allusions, je constate des faits. Et, d’ailleurs, les temps ne sont plus les mêmes : l’humanité a marché. La sublime doctrine de Jésus se résume par ces principes : l’amour du prochain, l’égalité parmi les hommes, la charité.

L’amour du prochain et l’égalité avaient été déjà prêchés par différents philosophes antérieurs à Jésus[5] ; mais personne, avant lui, n’avait plus admirablement cherché et n’était arrivé à faire naître, à développer, à exalter chez l’homme la charité, le devoir impérieux de l’aumône ; de là ses attaques violentes, incessantes contre les riches, pour les engager et les forcer à l’aumône ; nul autre que lui n’avait tenté de relever, de réhabiliter par le repentir, ces coupables de qui les fautes sont moins imputables à leurs mauvaises passions qu’aux iniquités sociales.

Mais, nous l’avons dit, l’humanité, éternellement en progrès, a marché : l’aumône et la charité, qui étaient pour ainsi dire le côté économique de la doctrine de Jésus, et qui ont produit d’excellents résultats durant des siècles où la société se composait uniquement de maîtres et d’esclaves, de conquérante et de conquis, de seigneurs et de serfs, l’aumône et la charité ont, comme économie sociale, accompli leur temps ; elles resteront toujours profondément vénérables comme vertus privées, mais elles seraient aujourd’hui plus que jamais impuissantes à résoudre le redoutable problème de la misère. Une des conséquences de l’égalité de tous devant la souveraineté populaire est : quant à l’impôt, que celui qui possède beaucoup paye beaucoup, que celui qui possède peu paye peu ; quant à l’économie sociale, il est non moins conséquent que l’instrument de travail fût accessible à tous, afin que tous trouvent dans les fruits de leur travail, désormais constant et à l’abri de toutes les vicissitudes, indépendance, moralisation, éducation, bien-être. Lors même qu’elle ne dégrade pas celui qui la reçoit, l’aumône est stérile… aussi stérile, dirions-nous, que le serait le pillage, que des méchants ou des insensés nous accusent de prêcher : il ne s’agit pas de dépouiller ceux qui possèdent, mais de rendre, moyennant labeur, intelligence et probité, la propriété accessible, facile, fructueuse à tous ceux qui ne possèdent pas.

Permettez-moi, chers lecteurs, afin de bien vous préciser, selon moi, la différence des résultats de l’aumône et du travail, de terminer par une parabole, ainsi que l’on disait au temps de Jésus de Nazareth. Cette parabole ne sera autre chose que le récit d’un fait dont j’ai été témoin.

« Il y a quelques années de cela ; le pain était hors de prix, l’hiver rigoureux : deux bons riches, possédant des terres exactement semblables en nature, voulurent venir au secours des journaliers sans ouvrage qui habitaient la commune voisine. L’un des riches donna cinq cents francs, qui furent distribués aux journaliers qui manquaient de pain et d’ouvrage. L’autre riche, au lieu de distribuer cinq cents francs en aumône, les consacra au défrichement d’un champ inculte depuis des siècles, donna ainsi du travail, et conséquemment du pain, à bon nombre de journaliers pendant la rude saison, et mit en valeur une terre jusqu’alors stérile. L’an d’après, il concéda aux mêmes journaliers la possession du champ, la semence et l’engrais nécessaires à la culture, sans se réserver d’autre prélèvement qu’une part des produits, qui le mettait à même de rentrer dans les avances qu’il avait faites ainsi que dans le prix d’acquisition du sol, mais sans aucune stipulation d’intérêt ; les journaliers s’acquittèrent ainsi des avances reçues, et, plus tard, profitèrent de l’intégralité de leurs travaux.

» Or, de ces deux riches voulant employer cinq cents francs à donner du pain à leur prochain, lequel a le mieux réussi : celui qui a procédé par aumône ou celui qui a mis l’instrument de travail à la portée des journaliers ? La stérile aumône, bientôt absorbée sans rien produire, n’a donné que pendant quelques mois du pain à ceux qui en manquaient ; le second travail a non-seulement assuré pendant un grand nombre d’années à venir une occupation lucrative aux journaliers, premiers défricheurs de ce champ, mais augmenté par cette production infinie la richesse générale du pays. »

Un dernier mot, chers lecteurs ; permettez-moi de remercier publiquement ici ceux d’entre vous, et ils sont en grand nombre, qui m’ont fait l’honneur de m’écrire qu’ils ont voté pour moi lors de la dernière élection de Paris. La mission de représentant du peuple, jointe aux travaux incessants, indispensables à la continuation des Mystères du peuple, que vous accueillez avec une si constante bienveillance, m’impose de nouveaux devoirs ; mais je trouverai la force de suffire à ma double tâche dans vos encouragements, et dans mon dévouement inaltérable à l’opinion démocratique et sociale qui m’a honoré de sa confiance.

Paris, 6 mai 1850.
Eugène Sue.

P. S. — Pour le seul épisode de la Croix d’Argent, et en raison de la gravité du sujet, les citations évangéliques seront mises au bas des pages.


  1. Il faudrait un volume pour énumérer l’énorme quantité de romans mystiques, de poëmes religieux, de compositions poético-romanesques dans lesquels figure Jésus comme personnage principal, depuis la Divine Comédie du Dante et la Christiade de Vida jusqu’au Génie du Christianisme de Chateaubriand et à l’Ahasverus de mon honorable ami Edgard Quinet, il serait non moins difficile d’énumérer la prodigieuse quantité de pièces dramatiques dont la naissance, la vie ou la mort de Jésus ont été le sujet.

    MM. de Montmerqué et Michel ont publié, en 1839, sous le titre de Théâtre français au moyen âge, un recueil d’une immense érudition qui renferme toute une série de Mystères et de Miracles jouée du XIe au XIVe siècle, et dans lesquels Dieu ou Jésus sont constamment l’un des interlocuteurs. Nous citerons entre autres :

    Le Mystère de la Conception et Nativité de la glorieuse Vierge Marie, la Nativité, Passim, Résurrection de Jésus-Christ, joué à Paris l’an 1567. In folio.

    Le Mystère de la Passion de Jésus Christ, joué à Paris cet an 1490. In-folio.

    Le premier et le second volume du Triomphant Mystère des Actes des Apôtres translaté fidèlement à la vérité historique, joué à Bourges et imprimé à Paris, 1540 In-folio.

    M. Onésyme Leroy, savant et littérateur des plus distingués, dans ses études sur les Mystères (1835, Paris), dit que l’usage de représenter des pièces sur des sujets religieux s’est conservé jusqu’à nos jours dans certaines villes de l’Artois. Dernièrement encore, on lisait dans un journal étranger l’annonce d’une représentation en plein champ, dans le Tyrol, du Mystère de la Passion.

    Enfin, d’après le recueil des Affiches de Boudet, il est prouvé que, vers le milieu du siècle passé, on allait voir la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, en figures mouvantes comme le naturel, sur le pont de l’Hôtel-Dieu, où de tout temps (ajoute le journaliste), est représentée la Crèche.

    L’oratorio, composition du même genre, mais de plus courte dimension, est une invention attribuée à saint Philippe de Néri, qui l’introduisit dans son oratoire pour servir de passe-temps et de distraction après ses sermons. Les oratorios sont ainsi devenus des opéras religieux ; on les compterait par centaines. Tous les musiciens connaissent le Christ aux Oliviers, dédié par l’immortel Beethoven à la reine de Bavière, et dans lequel se trouve le magnifique air de TÉNOR chanté par Jésus-Christ. Dans cette œuvre célèbre, le grand compositeur a suivi les principes d’esthétique musicale posés par le savant Doui, qui veut qu’on fasse chanter le Christ en voix de TÉNOR, Dieu le Père en voix de BARYTON et le Diable en voix de BASSE.

    En Espagne même, cette terre classique des spectacles pieux, l’on trouve l’auto sacramental, drame allégorique. Les plus célèbres écrivains dramatique de l’Espagne : Mira de Mescua, Valez de Guevara, Perez de Montalvan, Fr. de rozas, Tirso de Molina ont composé des drames religieux ; Calderon en a laissé cinq, entre autres les Mystères de la Messe ; Le Christ en est le personnage principal. Lope de Vega a écrit le Nom de Jésus et la Fuite en Égypte. Dans le premier de ces drames figure Jésus enfant ; dans le second, Jésus, Marie et Joseph.

    Enfin, voici les titres de quatre tragédies françaises en cinq actes et en vers composées par des écrivains contemporains :

    Jésus-Christ ou la véritable religion, par M. de Bohaire, Paris, 1792.

    (Ma tragédie, dit l’auteur aux comédiens, n’est qu’un extrait de l’Évangile.)

    La Mort de Jésus-Christ, tragédie sainte, par M. D. Moyse, dédiée à monseigneur le duc d’Angoulême, Carpentras, 1820.

    La Passion de Jésus-Christ, par M. François Cristal, avocat à la cour royale de Paris, 1833.

    La Mort de Jésus-Christ, tragédie sociale, par le citoyen Sauriac, Paris, 1849.

  2. Vie de Jésus, ou examen critique de son histoire, par le docteur David Frédérik Straüs, traduit de l’allemand par E. Littré, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 4 vol. in-octavo, Paris, 1840.
  3. Vie de Jésus, par Straüs, vol. II, p. 767 et suiv.
  4. Jésus-Christ et sa doctrine, vol. I, p. 318 et suiv., par M. Salvador, 2 vol. in-octavo.
  5. Nous citerons, entre autres, ces belles paroles d’un philosophe juif vivait environ cinquante ans avant Jésus-Christ :

    « Quoi ! tu as de l’orgueil, et tu te crois au-dessus des autres hommes ? Mais ne sont-ils pas tes parents, faits et composés du même limon que toi ? Qu’as tu apporté en ce monde ? Tu es arrivé nu, tu t’en iras de même, n’ayant reçu de Dieu, à ton usage, que le temps qui s’écoule entre ta naissance et ta mort, fin de l’employer pour la société, pour la concorde, pour la justice, pour l’humanité. » (Philo, De victim, efferent ib. in med.)

    « La vie la plus longue d’un homme ne suffirait pas pour raconter les bienfaits de l’égalité ; elle est la source d’un bien qui à lui seul, mérite beaucoup de louanges : la bonne volonté et l’amitié que les hommes se portent les uns aux autres. Dans l’univers, elle produit l’ensemble ; dans les villes, la démocratie bien réglée. » Philo, De creatione principis et de cultura alegoria)