Les Mystères du peuple/IX/5

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Les Mystères du peuple — Tome IX
LE COUTEAU DE BOUCHER — Chapitre V.

CHAPITRE V.


Orléans.


La semaine de Jeanne Darc. — Arrivée de Jeanne à Orléans le vendredi soir 29 avril. — Levée du siége dans la nuit du samedi 7 mai 1429. — En huit jours la ville est délivrée. — Les Anglais sont battus et chassés des positions qu’ils occupaient en Touraine. — Jeanne part pour Loches afin d’annoncer sa victoire à Charles VII et le conduire à Reims, où il doit être sacré.

En une semaine la vierge guerrière, inspirée par le saint amour de la patrie, a vaincu les Anglais, triomphants depuis la bataille de Poitiers ! En une semaine la vaillante fille du peuple accomplit ce que n’avaient pu accomplir, depuis plus d’un demi-siècle, tant de nobles et illustres capitaines ! Voici, fils de Joel, voici, jour par jour, le récit de la semaine de Jeanne Darc :


soirée du vendredi 29 avril 1429.


La nuit est venue, tiède nuit printanière, mais l’on se croirait en plein jour dans la rue qui conduit à la porte Banier, l’une des portes d’Orléans. Toutes les fenêtres, où se pressent les habitants, sont garnies de lumières ; à ces vives clartés se joignent les lueurs des torches dont se sont munis un grand nombre de bourgeois et d’artisans armés, formant une double haie dans toute la longueur de la voie publique, afin de contenir la foule. Le courage de ces soldats citadins a été rudement éprouvé par les périls du siége, que, seuls pendant longtemps, ils ont soutenu, se refusant à admettre dans leur cité les compagnies des chefs de guerre, composées de soudards insolents, voleurs et féroces ; mais la bourgeoisie d’Orléans, après maints efforts de bravoure, voyant son nombre diminuer de jour en jour sous les coups des assiégeants, s’était vue forcée d’accepter et de solder le concours des bandes mercenaires des Lahire, des Dunois, des Xaintrailles et autres capitaines de métier qui se louaient à beaux deniers comptants, eux et leurs hommes, à qui les payait. Dangereux auxiliaires, traînant toujours à leur suite une troupe de femmes de mauvaise vie et non moins pillards que les Anglais. Aussi, plusieurs fois, les échevins d’Orléans, citoyens résolus, qui conduisaient vaillamment leur milice sur les remparts, lors des assauts, ou hors la ville, lors des sorties, avaient eu de vives altercations avec les capitaines à propos des excès de leurs gens ou de leur mollesse à la bataille. Ces hommes d’armes de métier, n’ayant pas, comme les habitants, à défendre leur famille, leurs biens, leur foyer, se souciaient peu de la prompte levée du siége, hébergés, soldés qu’ils étaient par la cité. Les Orléanais attendaient donc avec une impatience inexprimable la venue de Jeanne Darc ; ils espéraient, grâce à elle, chasser les Anglais de leurs redoutes et pouvoir se délivrer de l’onéreux concours des capitaines français. Une foule compacte d’hommes, de femmes, d’enfants, contenus par la haie des militaires, occupent les doux côtés de la rue, à l’extrémité de laquelle est située la demeure de maître Jacques Boucher, trésorier, maison encore plus brillamment illuminée que les autres. Le bourdonnement de la multitude est dominé, tantôt par le tintement précipité du beffroi de l’Hôtel de ville, sonnant à toute volée, tantôt par les détonations des bombardes d’artillerie annonçant l’arrivée de la Pucelle ; les figures des citadins, naguère assombries ou abattues, respirent la joie, l’espérance ; chacun répète que la vierge lorraine, prophétisée par Merlin, vient secourir Orléans ; elle est belle à éblouir et inspirée de Dieu, elle est vaillante et douce d’un instinct militaire dont Dunois, Lahire, Xaintrailles, capitaines de renom, défenseurs soldés de la ville, ont été eux-mêmes frappés la veille lors de leur entrevue à Blois avec la guerrière. Deux de leurs écuyers, arrivés durant le jour à Orléans, ont raconté cette merveille qui circule de bouche en bouche, et annoncé pour le soir même l’entrée de Jeanne Darc. Partout sur son passage depuis Chinon jusqu’à Blois, ont ajouté les écuyers, sa marche a été une ovation continuelle, saluée par les cris d’allégresse des populations rustiques, exposées depuis si longtemps aux ravages de l’ennemi, et acclamant leur ange sauveur envoyé de par Dieu ! Ces récits et d’autres encore font, comme par enchantement, renaître à la confiance les habitants de la ville. La foule se presse surtout aux abords de la maison de Jacques Boucher, où l’héroïne est attendue. Neuf heures sonnent à la tour de l’église de Sainte-Croix. Presque au même instant l’on entend résonner au loin des clairons ; ce bruit se rapproche de plus en plus, bientôt l’on voit à la lueur ardente des torches apparaître une chevauchée. Le petit page Imerguet et l’écuyer Daulon marchent des premiers, portant l’un le pennon, l’autre le blanc étendard de la guerrière, où sont peints deux anges aux ailes d’azur, tenant à leur main des rameaux de lis fleuris ; Jeanne Darc vient ensuite, montée sur un cheval blanc caparaçonné de bleu, revêtue d’une légère armure de fer étamé, pareil à de l’argent mat, armure complète, jambards, cuissards et cotte de mailles, brassards et cuirasse bombée, protégeant le sein virginal de la jeune fille ; la visière de son casque, entièrement relevée, découvre son doux et beau visage, encadré de cheveux noirs, coupés en rond à la naissance du cou. Profondément émue des acclamations dont les bonnes gens d’Orléans la saluent et dont elle fait honneur à ses saintes, une larme roule dans ses yeux noirs et double leur éclat. Déjà familiarisée avec le maniement du cheval, elle guide gracieusement sa monture d’une main, et de l’autre tient un mince bâton blanc, seule arme dont elle veut, dans son horreur du sang, se servir pour conduire les soldats au combat. Près d’elle chevauche Dunois, couvert d’une brillante armure rehaussée d’ornements dorés ; puis s’avancent, mêlés aux échevins d’Orléans, le maréchal de Retz, Lahire, Xaintrailles et autres capitaines, parmi lesquels se trouve le sire de Gaucourt amenant à Orléans un renfort de troupes royales, et chargé du commandement de la ville ; le regard sinistre, la haine et l’envie au cœur, il médite ses ténébreux projets. Des écuyers, des bourgeois d’Orléans armés ferment la marche du cortège, bientôt confondu dans une foule si compacte que pendant un moment le cheval de Jeanne Darc ne peut faire un pas. Des hommes, des femmes, des enfants, ravis de sa beauté, de son maintien à la fois modeste et guerrier, la contemplent avec ivresse, la comblent de bénédictions ; quelques-uns même, dans leur enthousiasme, veulent baiser ses bottines éperonnées, à demi recouvertes par les écailles de ses jambards. Aussi touchée que confuse de cet accueil, elle dit naïvement à Dunois en se tournant vers lui :

— En vérité je ne saurais avoir le courage de me défendre de ces empressements, si Dieu ne m’en défend pas lui-même[1].

En ce moment un milicien, porteur d’une torche, s’approche si près de la Pucelle pour mieux la voir, qu’il met involontairement le feu à l’extrémité de l’étendard que portait l’écuyer Daulon ; Jeanne, craignant qu’il courût quelque danger, pousse un cri d’effroi, attaque de l’éperon son cheval devant qui la foule reflue, et se rapprochant ainsi d’un seul bond de l’écuyer, elle saisit la bannière enflammée ; puis, après avoir étouffé le feu entre ses gantelets, elle la fait gracieusement flotter en l’agitant au-dessus de son casque[2], comme si elle eût voulu rassurer les gens d’Orléans sur un accident qui pouvait leur paraître de mauvais augure. Jeanne, en cette circonstance, témoigna tant de présence d’esprit et d’aisance cavalière, que la foule charmée redoubla ses acclamations. Les soldats des compagnies eux-mêmes qui, n’étant pas cette nuit-là de garde aux remparts, avaient pu se joindre à la foule, croyant voir dans la Pucelle l’ange de la guerre, se sentaient réconfortés ; il leur semblait, ainsi qu’aux archers de Vaucouleurs, que, menés hardiment à la bataille par un si gentil capitaine, ils devaient vaincre l’ennemi et venger leurs défaites. Dunois, Lahire, Xaintrailles, le maréchal de Retz, capitaines expérimentés, remarquaient l’exaltation de leurs soudards, la veille encore si découragés. Le sire de Gaucourt, observant l’influence exercée par la Pucelle, non-seulement sur les miliciens d’Orléans, mais encore sur une soldatesque farouche, devenait de plus en plus sombre et secrètement courroucé. Jeanne continuait de s’avancer lentement vers la maison de Jacques Boucher à travers une foule idolâtre, lorsque le cortège fut un moment arrêté par un détachement d’hommes d’armes, sortant des rues latérales à la voie de la porte Banier ; ils conduisaient deux prisonniers anglais et marchaient de compagnie avec un grand et gros homme d’une figure aussi joviale que résolue ; Lorrain de naissance, mais depuis longtemps citoyen d’Orléans, il se nommait maître Jean, et passait, à bon droit, pour le meilleur canonnier-coulevrinier de la ville. Ses deux énormes bombardes, baptisées par lui Riflard et Montargis, placées au dedans des piliers du pont, sur la redoute de Belle-Croix, et qu’il pointait sans jamais manquer son coup, causaient de nombreux dommages aux Anglais : ils le redoutaient et l’abhorraient. Notre gai coulevrinier n’ignorait pas cette haine, car ses canons servaient toujours de point de mire aux archers anglais ; aussi parfois s’amusait-il à feindre d’être tué ; soudain il s’affaissait à côté de l’une, de ses bombardes. Les canonniers, citadins comme lui, le relevaient, l’emportaient, en poussant des gémissements lamentables ; les Anglais triomphaient de ce deuil ; mais le lendemain ils revoyaient maître Jean plus joyeux, plus dispos que jamais[3], pointer encore contre eux, et à leur grand désastre, Riflard et Montargis. Quelques jours après, il contrefaisait de nouveau le mort et ressuscitait à miracle. Donc maître Jean marchait de compagnie avec les soudards qui amenaient deux prisonniers anglais ; à la vue de la guerrière, il s’approcha d’elle, la contempla pendant un moment, ému de respect et d’admiration ; puis il lui tendit sa large main en disant non sans une sorte d’orgueil :

— Vaillante Pucelle, voyez en moi un pays ! je suis, comme vous, né en Lorraine… et à votre service, ainsi que Riflard et Montargis, mes deux gros canons.

Dunois, se penchant vers Jeanne, lui dit à demi-voix :

— Ce brave homme est maître Jean… le meilleur et le plus hardi coulevrinier qui soit ici ; il est de plus très-expert en ce qui touche le siége d’une ville.

— Je suis contente de rencontrer ici un pays… — répondit la Pucelle en souriant et tendant cordialement son gantelet au canonnier. — J’irai voir demain matin manœuvrer Riflard et Montargis ; nous examinerons ensemble les retranchements de l’ennemi, vous serez mon maître en artillerie, et nous chasserons les Anglais à coups de canon… Dieu aidant !

— Payse ! — s’écria maître Jean transporté d’aise, — rien qu’à vous voir mes bombardes partiraient toutes seules et leur boulet irait droit au but…

Le coulevrinier prononçait ces mots, lorsque Jeanne entendit un cri douloureux et, du haut de son cheval, vit l’un des deux prisonniers anglais emmenés par les soldats tomber soudain à la renverse, sanglant, le crâne ouvert par un coup de manche de pique, que l’un de ces soudards venait de lui asséner sur la tête en s’écriant :

— Regarde bien Jeanne-la-Pucelle… chien de goddon[4] ! aussi vrai que je t’assomme, elle vous boutera tous hors de France !

La guerrière, à l’aspect du sang dont elle avait horreur, pâlit et, par un mouvement plus prompt que la pensée, sauta en bas de son cheval, navrée de la brutalité du soldat, courut à l’Anglais, s’agenouilla près de lui, et soulevant la tête ensanglantée de ce malheureux, s’écria les larmes aux yeux en s’adressant à ceux qui l’entouraient : 


— Prenez-le à merci, il est désarmé… venez à son secours[5].

À cet appel miséricordieux quelques femmes, émues de pitié, entourèrent le blessé, déchirèrent leurs mouchoirs et bandèrent sa plaie, tandis que la guerrière, toujours agenouillée, soutenait la tête de l’Anglais. Il reprit ses sens, et à l’aspect du beau visage de la jeune fille, empreint de compassion, il joignit les mains avec adoration et pleura…

— Va, pauvre soldat ! ne crains rien, l’on ne te fera plus de mal ! — lui dit Jeanne en se relevant ; et elle mit le pied à l’étrier que lui présentait son petit page Imerguet.

— Fille de Dieu, vous êtes une sainte ! — s’écria une jeune femme exaltée par l’acte si charitable dont elle venait d’être témoin ; et se jetant à genoux devant la guerrière au moment où elle allait enfourcher sa monture : — Par grâce, daignez toucher mon anneau ? — Et elle élevait sa main vers Jeanne. — Ainsi bénie par vous, je conserverai cette bague comme une pieuse relique.

— Je ne suis pas une sainte, — répondit la guerrière avec un sourire ingénu. — Vous êtes sans doute bonne et digne femme, vous valez autant que moi[6].

Ce disant, Jeanne, remontant à cheval, fut saluée des nouvelles acclamations de la foule. Charmés de tant de modestie, les soldats les plus endurcis furent touchés des sentiments de commisération dont elle venait de faire preuve en faveur d’un ennemi désarmé. Loin de la taxer de faiblesse, ils admiraient malgré eux sa générosité.

Maître Jean acclamait sa payse avec frénésie, les cris de Noël à Jeanne ! Noël à la libératrice d’Orléans ! éclatèrent comme un tonnerre ; et presque soulevée, elle et son cheval, par le flot populaire, Jeanne arriva devant la maison de maître Jacques Boucher. Debout, au seuil de sa porte, ayant près de lui sa femme et sa fille Madeleine, il attendait sa jeune hôtesse, et l’introduisit, ainsi que les échevins et les capitaines, dans une grande salle, où était préparé un somptueux souper pour la brillante chevauchée ; mais, timide et réservée, la Pucelle dit à maître Jacques Boucher :

— Merci à vous, messire, je ne souperai pas… s’il plaisait à votre damoiselle de me mener dans la chambre où je dois coucher et de m’aider à me désarmer, je lui serais reconnaissante. Vous m’enverriez seulement, messire, un peu de pain coupé en tranches dans de l’eau et du vin… cela me suffira[7], je dormirai ensuite ; il faut que demain matin je sois éveillée au petit jour, afin d’aller visiter les retranchements ennemis avec maître Jean-le-Coulevrinier.

La Pucelle, selon son désir, se retira conduite par Madeleine, fille de Jacques Boucher. Celle-ci, d’abord saisie d’un respect craintif à la vue de la guerrière inspirée, fut bientôt tellement enchantée de sa douceur, de sa simplicité, qu’elle lui proposa naïvement de partager sa chambre durant son séjour à Orléans. Jeanne accepta cette offre avec joie, toute heureuse de rencontrer une compagne qui déjà lui agréait beaucoup ; Madeleine l’aida gentiment à se désarmer, lui apporta sa frugale réfection, et au moment de se mettre au lit, Jeanne lui dit :

— Maintenant que je vous connais, vous et vos parents, Madeleine, je suis bien plus aise encore que Dieu m’ait envoyée pour secourir la bonne ville d’Orléans[8].

La Pucelle s’agenouilla au chevet de son lit, fit sa prière du soir, invoqua ses chères saintes, appelant avec un soupir de regret leurs bénédictions sur sa mère, sur son père, sur ses frères, et s’endormit d’un paisible sommeil, tandis que Madeleine resta longtemps éveillée, contemplant avec une muette et tendre admiration la douce héroïne.




journée du samedi 30 avril 1429.


Un peu avant le point du jour, maître Jean le coulevrinier, exact au rendez-vous de la veille, se trouvait devant la porte du logis de Jacques Boucher ; au bout d’un instant, Jeanne, déjà levée, entr’ouvrit la fenêtre de sa chambre, située au premier étage, regarda dans la rue, encore assez obscure, et à demi-voix cria :

— Hé ! maître Jean, êtes-vous là ?

— Oui, ma vaillante payse, — répondit le Lorrain ; — je vous attends depuis un moment.

Bientôt Jeanne sortit de la maison et vint rejoindre le coulevrinier. Elle n’avait pas revêtu son armure de bataille ; mais une légère maille de fer ou jaseran, qu’elle portait par-dessus sa tunique ; sa capeline remplaçait son casque. Elle tenait son bâton à la main et portait sur son épaule un court manteau, dont elle voulait s’envelopper à son retour, afin de n’être pas reconnue et de se soustraire ainsi aux ovations populaires. Elle pria maître Jean de faire avec elle le tour de la ville en dehors des remparts, afin de se rendre compte de la position et de la force des retranchements ennemis ; elle partit avec son guide, traversa les rues, encore désertes, et, sortant par la porte Banier, commença son excursion. Douze formidables redoutes (ou bastilles) entouraient la ville du côté de la Beauce et du côté de la Sologne, à petite portée de bombarde ; les plus considérables de ces ouvrages d’attaque se nommaient la bastille Saint-Laurent, à l’ouest ; celle de Saint-Pouaire, au nord ; celle de Saint-Loup, à l’est, et celles de Saint-Privé, des Augustins et de Saint-Jean-le-Blanc, au sud et de l’autre côté de la Loire. Puis, en face de la tête du pont, protégé du côté des assiégés par un boulevard fortifié, les Anglais avaient élevé un formidable château-fort flanqué de tours en charpentes, qu’ils appelaient les Tournelles. Toutes ces redoutes, munies de nombreuses garnisons, étaient entourées de fossés larges, profonds, et d’une ceinture de palissades plantées au pied d’épais remparts de terre, couronnées de plates-formes aux embrasures armées de bombardes et de balistes destinées à lancer des traits. Ces bastilles, distantes les unes des autres de deux ou trois cents toises, cernaient complétement Orléans, coupaient ou dominaient les routes et la rivière en amont.

Jeanne Darc interrogea longuement le coulevrinier sur la manière de combattre des Anglais logés dans les redoutes, dont elle s’approcha plusieurs fois avec une tranquille audace, afin de juger par elle-même des moyens de défense des assiégeants ; durant cet examen, elle faillit être atteinte par une volée de traits lancés de la bastille Saint-Laurent. Elle ne s’émut pas, sourit en voyant les flèches tomber à quelques pas d’elle, et étonna non moins maître Jean par le calme de sa bravoure que par la netteté de ses observations ; elles révélaient une surprenante aptitude militaire, un coup d’œil rapide et sûr. Entre autres choses, elle dit au coulevrinier, après s’être enquis de lui de la façon dont on avait jusqu’alors guerroyé, qu’il lui semblait qu’au lieu d’attaquer, ainsi que par le passé, plusieurs redoutes à la fois dans des sorties générales, il vaudrait mieux concentrer les troupes sur un seul point, attaquer ainsi successivement les bastilles les unes après les autres, avec certitude de les emporter, puisqu’elles ne pouvaient contenir dans leur enceinte qu’un nombre limité de défenseurs, tandis qu’en rase campagne rien ne bornait le nombre des assaillants, leur masse réunie pouvant être trois à quatre fois supérieure en force à la garnison de chaque redoute prise isolément. Jeanne témoignait enfin, par une foule de remarques, de cette intuition extraordinaire dont sont doués les grands capitaines ; le coulevrinier, de plus en plus surpris d’une pareille vocation guerrière, s’écriait :

— Hé, payse ! dans quel livre avez-vous donc appris tout cela ?

— Dans le livre où me fait lire le Seigneur Dieu en m’inspirant[9], — répondait naïvement Jeanne.


Pendant que la Pucelle, examinant ainsi les retranchements ennemis, méditait, mûrissait son plan de bataille, le sire de Gaucourt, nommé chef des troupes royales envoyées à Orléans, méditait, mûrissait son œuvre de ténèbres et de trahison, dès longtemps machinée avec ses deux complices du conseil du roi, La Trémouille et l’évêque de Chartres. Au point du jour, Gaucourt alla visiter les capitaines les plus influents ; l’envie, la méchanceté, suppléèrent à la finesse dont il manquait. Soigneusement endoctriné, d’ailleurs, par La Trémouille, il s’adressa aux plus mauvaises passions de ces gens d’épée, leur rappela le délirant enthousiasme avec lequel Jeanne avait été reçue la veille par la population, par la milice urbaine, par leur propre soldatesque ; n’avaient-ils pas, eux guerriers célèbres, été humiliés du triomphe de cette paysanne, de cette gardeuse de bétail ? Le fol espoir que l’on mettait en cette visionnaire n’était-il pas un sanglant outrage à leur renommée ? Ne se sentaient-ils pas blessés, courroucés de cette pensée, que leurs compagnies, jusqu’alors abattues, découragées, semblaient s’enflammer d’ardeur au seul aspect de cette fille de dix-sept ans, même avant qu’elle eût livré son premier combat ? Ces insidieuses paroles trouvèrent un écho dans l’âme perverse de plusieurs de ces capitaines ; et, ainsi que cela s’est déjà rencontré, se rencontrera toujours chez les chefs de guerre assez dévorés d’envie pour sacrifier le salut de la patrie à leur exécrable orgueil, pour préférer la perte de la bataille au succès d’un rival, les hommes à qui s’adressait Gaucourt ouvrirent l’oreille à ses insinuations perfides. Ils se souvinrent avec amertume de l’ovation dont la Pucelle s’était vue l’objet, tandis qu’il n’y avait eu pour eux ni une acclamation, ni un regard de la foule ; ils convinrent, sinon de refuser ouvertement leur concours à la Pucelle, refus dangereux pour leur vie peut-être, en l’état d’exaltation où se trouvaient le populaire et la milice d’Orléans, mais d’entraver souterrainement les projets de Jeanne, d’empêcher leur réussite et de lui opposer toujours, contrairement au sien, l’avis du conseil de guerre, Seuls, Dunois et Lahire, sans cependant rompre ouvertement, loyalement, avec ces traîtres en les dénonçant à la vindicte publique, soutinrent qu’il était politique de mettre promptement à profit l’exaltation, inspirée à la population et à la soldatesque par la présence de la Pucelle, qu’il fallait la seconder si elle faisait preuve d’un véritable génie militaire. Malgré ces observations, la majorité des chefs de guerre persévéra dans son mauvais vouloir contre la jeune fille de Domrémy, qu’ils jalousaient vilainement ; Gaucourt augura bien de ses noirs projets, sans pourtant oser encore s’ouvrir à ses complices sur cette machination infâme : « Faire tomber la Pucelle entre les mains des Anglais, en l’abandonnant dans une sortie et relevant le pont-levis derrière elle… » ainsi que cela devait, hélas ! arriver un jour, fils de Joel…


Jeanne, après sa longue excursion au dehors d’Orléans en compagnie de maître Jean, qui retourna tôt et vite à ses deux chères couleuvrines, Riflard et Montargis, afin de fêter à sa façon la bienvenue de sa payse, en envoyant aux Anglais force boulets meurtriers ; Jeanne dit à Gaucourt et à d’autres, qui vinrent la voir, qu’elle s’était recueillie, que ses voix lui conseillaient d’attaquer le lendemain dimanche matin, avec toutes les forces de l’armée réunies, la bastille des Tournelles, afin de dégager d’abord la tête du pont d’Orléans ; l’on assurerait ainsi du côté de la Beauce le ravitaillement de la ville, où les vivres commençaient à manquer, et l’on faciliterait l’entrée des renforts que l’on pourrait recevoir de Tours ou de Blois. Les capitaines, religieux hommes s’il en fut, se signèrent en entendant la Pucelle, fille de Dieu, proposer cette énormité : combattre un dimanche ! Ne serait-ce pas, objectaient-ils à Jeanne, inaugurer ses armes par un sacrilége ? Quant à eux, leur main se sécherait plutôt que de tirer l’épée en ce jour, dévolu au repos de par les commandements de leur sainte mère l’Église catholique, apostolique et romaine. En vain Jeanne s’écria : — Eh ! messires ! celui-là prie… qui combat pour le salut de la Gaule !… — les capitaines demeurèrent inébranlables dans leur foi orthodoxe à la pieuse observance du repos dominical. Jeanne se vit obligée, bien à regret, de remettre le combat au lundi ; mais, voulant tenter encore, grâce à ce retard, d’éviter l’effusion du sang, qu’elle abhorrait, elle pria Daulon, son écuyer, d’écrire sous sa dictée une nouvelle lettre de quelques lignes ; elle voulait l’adresser aux Anglais, la première leur ayant été envoyée de Blois par un héraut. La missive écrite et signée de son nom, Jeanne y apposa, en manière de contre-seing, sa croix en Dieu ; mit le parchemin dans sa pochette, et engagea les capitaines à l’accompagner sur le boulevard ou retranchement élevé vers le milieu de la Loire, en face de la grande bastille des Tournelles, occupée par les Anglais ; la guerrière voulait examiner de nouveau cette importante position, en prévision de l’assaut du lundi. Son désir fut obéi ; elle se rendit avec plusieurs chefs de guerre à la porte du châtelet de la rivière, au milieu d’un grand concours de peuple et de soldats des bandes mercenaires non moins enthousiastes que la veille, demandant à grands cris la bataille, certains, disaient-ils, de vaincre sous les ordres de la Pucelle. Gaucourt et les capitaines affirmèrent que l’attaque aurait lieu le lundi ; cette réponse apaisa les clameurs. Ils arrivèrent avec Jeanne au boulevard du pont, si voisin des Tournelles, que la voix des assiégés pouvait être entendue des assiégeants. Bon nombre de miliciens d’Orléans se trouvaient de garde sur la plate-forme crénelée de leur retranchement, garni de balistes, engins de guerre destinés à lancer des traits et de grosses pierres ; ces bonnes gens, transportés de joie de voir la Pucelle parmi eux, l’entourèrent, s’écriant avec une valeureuse impatience : « À quand l’assaut ? » Elle le promit pour le lendemain et ordonna de hisser un drapeau blanc, afin de proposer ainsi une trève d’une heure aux Anglais des Tournelles, à qui elle voulait, disait-elle, parler. Le pavillon de paix s’éleva dans les airs, les assiégeants répondirent par un signal pareil qu’ils acceptaient momentanément une suspension d’armes, plusieurs d’entre eux parurent aux embrasures de leur bastille, ignorant encore le voisinage de Jeanne. Elle prit une grosse flèche appelée carreau dans l’une des trousses suspendues à chaque baliste, fit pénétrer le fer du trait à travers le parchemin sur lequel était écrite la missive apportée par elle dans sa pochette, et l’ayant ainsi assujettie, elle remit la flèche à l’un des balistiers, le priant de la lancer dans les Tournelles, au moyen de la machine de guerre ; puis, montant debout et bien en vue sur le parapet, Jeanne cria aux Anglais :

— Écartez-vous, afin de n’être pas blessés par la flèche où est attachée la lettre que moi, Jeanne, je vous écris. Lisez… c’est du nouveau[10].

La baliste joua, le trait siffla et porta dans le retranchement ennemi la missive de Jeanne, ainsi conçue :

« Vous tous, gens d’Angleterre, qui n’avez aucun droit sur le royaume de France, moi, Jeanne, je vous mande ceci, de par Dieu : Abandonnez vos bastilles et retournez dans votre pays, sinon je vous ferai un tel dommage, que vous vous en souviendrez éternellement. Voici la seconde fois que je vous écris… c’est assez…

» Jeanne[11]. »...............................

Les soldats anglais, instruits par leurs espions de l’enthousiasme incroyable et menaçant excité dans Orléans par l’arrivée de la Pucelle, commençaient à la croire non point inspirée de Dieu, mais du diable ; déjà leurs chefs ne combattaient pas sans efforts cette dangereuse superstition. Aussi, apprenant par sa missive que la Pucelle se trouvait si près d’eux, les plus timides pâlirent, les autres poussèrent des imprécations furieuses. L’un de ces forcenés, capitaine anglais de grand renom, appelé Gladescal, homme d’une taille colossale, tenait encore à la main la lettre de la Pucelle, il lui montrait le poing en écumant de rage.


— Toi et tes hommes, abandonnez votre bastille, — lui cria Jeanne de sa voix douce et grave, — rendez-vous tous à merci, vous aurez la vie sauve, à condition de vous en aller dans votre pays[12].

À ces paroles de paix, Gladescal et ses soldats répondirent par une nouvelle explosion de huées, de malédictions, de menaces. La voix de stentor de Gladescal dominant toutes les autres, il criait à tue-tête : — Je te ferai rôtir, sorcière endiablée !

— Si tu peux me prendre ! — répondit Jeanne avec son courage tranquille. — Mais moi, si je peux te vaincre, et je le pourrai, de par Dieu ! je te bouterai hors de France, toi et tous les tiens, à grand renfort de horions, puisque tu refuses de te rendre à merci[13].

— Retourne garder tes vaches, vile serve ! — hurla Gladescal ; — va-t’en, triple paillarde ! tu n’es que la p… des Armagnacs[14] !

— Oui, oui, — répétèrent les Anglais en redoublant de huées, — va-t’en garder tes vaches ! va-t’en, ribaude ! infernale sorcière ! tu es la p… des Armagnacs !

Ces immondes et obscènes injures, à elle adressées à la face de tous, ne pouvaient atteindre la vierge guerrière, forte de la conscience de son irréprochable pureté ; mais elles blessèrent cruellement cette pudeur exquise, l’un des traits les plus saillants de son naturel, et la pauvre fille se prit à pleurer[15].

Plusieurs des capitaines qui accompagnaient Jeanne souriaient méchamment, espérant que les ignobles invectives des Anglais la flétriraient aux yeux des miliciens d’Orléans et des soldats témoins de ces outrages ; il n’en fut rien : émus de sa beauté virginale, de son regard céleste, de ses larmes touchantes, éprouvant enfin ce religieux respect que sa personne inspirait à tous ceux qui l’approchaient, ils ne purent contenir leur indignation ; enflammés de courroux, ils se précipitent aux créneaux et, menaçant du poing les Anglais, leur rendent injure pour injure, criant avec exaltation :

— Noël ! Noël à Jeanne-la-Pucelle !…


— Nous vous écharperons, truands ! pourceaux d’Angleterre ! — Jeanne vous boutera hors d’ici, goddons que vous êtes !

Quelques balistiers même, dans leur exaspération, oubliant la trève, firent jouer leurs machines de guerre, chargées de traits ; l’ennemi répondit à cette agression par une volée de flèches. La vierge guerrière, insoucieuse du danger, ne bougea du parapet, semblant défier la mort d’un regard serein ; deux hommes furent blessés à ses côtés, le hasard l’épargna. Les miliciens, la couvrant de leurs corps, la forcèrent de descendre du parapet, la suppliant de ménager ses jours pour le grand assaut du lundi ; tandis que la plupart des Anglais, attribuant à une cause surnaturelle le hasard qui venait de protéger la Pucelle contre une décharge meurtrière, se persuadèrent de plus en plus qu’elle était sorcière, et éprouvèrent un redoublement de crainte superstitieuse.


journée du dimanche 1er mai 1429.


Jeanne, n’ayant pu vaincre le mauvais vouloir des capitaines, qu’elle ne soupçonnait pas encore, et les déterminer à attaquer le dimanche matin les retranchements, s’en alla au point du jour examiner de nouveau les positions de l’ennemi en compagnie de maître Jean le coulevrinier ; elle l’affectionna bientôt singulièrement ; plus tard, il l’accompagna dans presque toutes ses autres batailles, chargé par elle du commandement de l’artillerie. Le canonnier devait à sa longue expérience du siége d’Orléans des connaissances approfondies en ce qui touche l’attaque et la défense des places fortes ; Jeanne, douée d’un esprit incroyablement pénétrant en ce qui touchait les choses de la guerre, tira en peu de temps grand profit du savoir pratique de maître Jean. De retour de son excursion matinale, la Pucelle se rendit à la cathédrale de Sainte-Croix, elle y entendit la messe et communia, au milieu d’un immense concours de peuple, frappé de sa modestie et de sa piété. À son retour chez Jacques Boucher, elle se plut à aider, durant l’après-midi, dans leurs travaux d’aiguille, Madeleine et sa mère, qui, surprises et charmées de voir cette guerrière dont on attendait le salut de la ville… du royaume ! se montrer si ingénue, si avenante et si habile dans les travaux de son sexe, la chérissaient d’heure en heure davantage ; plus d’une fois elle fut obligée d’interrompre l’ouvrage de couture dont elle s’occupait, afin d’apparaître à l’une des croisées du logis, appelée à grands cris par les clameurs de la multitude idolâtre assemblée aux abords de la demeure du trésorier.

Vers le soir, les capitaines jaloux ou ennemis de la Pucelle, réunis en conseil, décidèrent que l’attaque projetée pour le lundi matin n’aurait pas lieu ; il était indispensable, selon eux, d’attendre un renfort amené de Blois par le maréchal de Saint-Sever, et qui devait tâcher d’entrer dans Orléans durant la nuit du mardi. Ce nouveau retard, dont elle fut instruite par l’un des chefs de guerre, affligea profondément Jeanne ; guidée par son excellent bon sens, elle trouvait ces lenteurs désastreuses ; c’était, selon elle, risquer de laisser refroidir l’ardeur des troupes, ranimées par sa présence, et donner aux Anglais le temps de se remettre de leur stupeur. Car, de plus en plus consternés de ce que l’on racontait de prodigieux sur la Pucelle, ils n’avaient pas osé, depuis son arrivée à Orléans, sortir de leurs bastilles pour venir, selon leur habitude, escarmoucher contre la ville. Mais Jeanne, obligée d’en référer à la volonté des chefs de guerre, contre qui elle ne songeait pas encore à lutter, dut se résigner à ce nouveau retard. Elle pleura beaucoup ; puis, à force de réfléchir, commença d’ouvrir les yeux aux empêchements calculés qu’on lui suscitait, et ses voix, échos de sa conscience et de ses pensées, lui dirent :

« — On te trompe… ces capitaines veulent s’opposer traîtreusement aux vues que le ciel a sur toi pour la délivrance d’Orléans et le salut de la Gaule… Courage, Dieu te protège ; ne compte que sur toi pour accomplir la sainte mission qu’il t’a donnée ! »


journée du lundi 2 mai 1429.


Jeanne, le jour venu, réconfortée par ses voix, envoie son écuyer Daulon chez les chefs de guerre, les convoquant à midi dans la maison de son hôte ; la plupart d’entre eux se rendent à cet appel. Lorsqu’ils sont rassemblés, la vierge guerrière, nullement intimidée, leur déclare avec douceur et fermeté que si le lendemain, mardi, ils ne règlent pas définitivement, de concert avec elle, le plan d’attaque pour le mercredi matin, sans nul autre délai, elle montera à cheval ce jour-là, prendra son étendard, et, précédée de son écuyer sonnant du clairon, de son page portant son pennon, elle parcourra les rues de la cité, appelant aux armes les bonnes gens d’Orléans, voire même les soldats des compagnies ; et que, seule, elle les conduira au combat, certaine de vaincre à leur tête, avec l’aide de Dieu.

Ce langage résolu, la crainte de voir la Pucelle accomplir sa menace, impressionnèrent vivement les capitaines ; quelques signes de mécontentement populaire s’étaient d’ailleurs déjà manifestés au sujet du retard inexplicable que l’on mettait à user du secours inattendu apporté par Jeanne, l’envoyée du ciel. Les échevins, rappelant avec dignité leurs nombreuses preuves de bravoure, leur dévouement à la chose publique, se plaignaient amèrement d’être à peine écoutés dans les conseils où l’ont décidait du sort de la cité ; ils blâmaient non moins hautement que Jeanne des temporisations funestes, peut-être irréparables. Cédant malgré eux à cette pression de l’opinion générale, les chefs de guerre promirent à la Pucelle de se réunir le lendemain, afin d’aviser avec elle à un plan de bataille. Sans la conscience de son génie militaire, qui se révélait chaque jour à ses propres yeux, sans son invincible patriotisme, sans sa foi profonde dans l’appui de Dieu, Jeanne eût déjà renoncé à la pénible et glorieuse tâche qu’elle s’imposait. L’insouciant et lâche égoïsme de Charles VII, ses injurieuses défiances, l’infâme examen qu’elle avait dû subir, l’évident mauvais vouloir des capitaines à son égard depuis son arrivée à Orléans, avaient profondément navré son âme simple et loyale ; mais inexorablement résolue de délivrer la Gaule de ses ennemis séculaires et de sauver le roi, malgré lui, parce qu’elle voyait le salut du pays dans le salut du trône, l’héroïne, oubliant ses souffrances, ne songeait qu’à poursuivre jusqu’à la fin son œuvre libératrice ! 



journée du mardi 3 mai 1429.


Le mardi, le conseil de guerre s’assembla dans la maison de Jacques Boucher, en présence de Jeanne. Elle exposa clairement, brièvement, son plan d’attaque, mûri, modifié à la suite des nombreuses reconnaissances faites par elle depuis trois jours en visitant les retranchements ennemis ; au lieu d’attaquer de prime abord les Tournelles, elle proposait de réunir toutes les forces disponibles, d’enlever la formidable redoute de Saint-Loup, située sur la rive gauche de la Loire, et l’un des ouvrages les plus importants des assiégeants, car, commandant la route du Berry et de la Sologne, il rendait très-difficiles le ravitaillement de la ville et l’entrée des renforts. Cette bastille emportée, l’on marcherait successivement contre les autres ; Jeanne distrayait seulement des troupes de l’expédition un corps de réserve prêt à sortir de la ville afin de pouvoir au besoin protéger les assaillants de la bastille de Saint-Loup contre les garnisons des autres redoutes, dans le cas où les Anglais, venant au secours des leurs, tenteraient ainsi une diversion. Quelques hommes de guet, placés d’avance dans la tour du beffroi de l’hôtel de ville d’Orléans, seraient chargés d’observer les mouvements des Anglais, et s’ils quittaient leurs retranchements afin d’opérer la jonction prévue par Jeanne, les gens de guet, sonnant à toute volée le beffroi, donneraient de la sorte au corps de réserve le signal d’aller à l’ennemi, afin de lui couper la route de Saint-Loup, de le repousser et de l’empêcher de prendre les Français à revers. Ce plan, développé avec une entente de la guerre dont les capitaines jaloux et rivaux de la Pucelle restèrent eux-mêmes confondus, fut adopté ; l’on convint que les troupes seraient prêtes à marcher au point du jour.


journée du mercredi 4 mai 1429.


Jeanne, assurée de combattre le lendemain, dormit, durent la nuit du mardi au mercredi, d’un sommeil paisible comme celui d’un enfant, tandis que Madeleine demeura presque constamment éveillée, en proie à une douloureuse inquiétude, pensant, non sans effroi, que sa compagne devait, au point du jour, livrer une bataille meurtrière. L’aube venue, Jeanne s’éveilla, fit sa prière du matin, invoqua ses bonnes saintes, puis Madeleine l’assista pour s’armer. Tableau touchant et charmant ! l’une de ces deux jeunes filles, délicate et blonde, soulevait péniblement les pièces de l’armure de fer dont elle aidait sa virile amie à se revêtir, lui rendant ce service avec une inexpérience dont elle souriait elle-même à travers ses larmes, qu’elle contenait de son mieux, songeant aux dangers prochains qui menaçaient la guerrière !

— Il faut m’excuser, Jeanne, j’ai plus l’habitude de lacer ma gorgerette de lin qu’un gorgerin de fer, — disait Madeleine ; — mais avec le temps, je saurai, je l’espère, vous armer aussi promptement que le ferait votre écuyer. Vous armer !… mon Dieu ! je ne puis prononcer ce redoutable mot sans pleurer !… Il est donc vrai, vous allez ce matin à l’assaut ?

— Oui ; et s’il plaît à Dieu, Madeleine, nous chasserons d’ici ces Anglais qui ont causé tant de dommages à votre bonne ville d’Orléans et au pauvre peuple de France !

La guerrière, ce disant, venait de boucler les courroies de ses jambards par-dessus ses chausses en peau de daim, dont la ceinture dessinait sa taille flexible et robuste. Elle avait alors les épaules et le sein demi-nus, elle se hâta de croiser sa camise entr’ouverte, rougissant d’un chaste embarras, quoiqu’elle fût en présence d’une jeune fille de son âge ; mais telle était la pudeur de Jeanne, qu’en une pareille occurrence elle eût rougi devant sa mère !… Endossant ensuite un justaucorps de buffle légèrement rembourré de crin et déjà noirci par le frottement de l’armure, elle ajusta son corselet de fer ; Madeleine le laça de son mieux, soupirant et ne pouvant retenir ses pleurs.

— Puisse cette cuirasse vous protéger, Jeanne, contre l’épée des ennemis ! Hélas ! hélas ! une jeune fille guerroyer ! affronter tant de périls !

— Ah ! chère Madeleine, avant de quitter Vaucouleurs, je disais au sire de Baudricourt, grâce à qui j’ai pu parvenir jusqu’au dauphin de France : « J’aimerais mieux rester à coudre et à filer auprès de ma pauvre mère ; mais il faut que j’accomplisse ce pour quoi Dieu m’envoie… »

— Cette mission, pour l’accomplir, que de dangers vous avez courus ! vous allez courir encore !

— Le danger m’inquiète peu ; je m’en remets à la volonté du ciel… Ce qui me navre, c’est que l’on ne se hâte pas de m’employer ; ces lenteurs sont funestes à la Gaule… il me semble que je ne dois pas vivre longtemps[16]

La vierge guerrière prononça ces derniers mots avec une mélancolie si douce, que les pleurs de Madeleine redoublèrent ; laissant sur un meuble le casque qu’elle s’apprêtait d’offrir à sa compagne, elle se jeta dans ses bras sans prononcer une parole et l’embrassa en sanglotant, comme elle eût embrassé sa sœur à l’heure suprême d’une séparation éternelle. Dame Boucher entra en ce moment, et dit précipitamment : 


— Jeanne, Jeanne, le sire de Villars et Jamet du Tilloy, échevins, sont en bas dans la salle ; ils désirent vous parler à l’instant. Votre page vient d’amener votre cheval ; il paraît qu’il se passe quelque chose de nouveau.

— Adieu ! à revoir, chère Madeleine ! — dit la guerrière à la jeune fille éplorée. — Rassurez-vous ; mes saintes et le Seigneur me sauvegarderont, sinon des blessures, du moins de la mort, jusqu’à ce que j’aie terminé la mission qu’ils m’ont donnée !… — Puis, prenant à, la hâte son casque, son épée, ainsi que le léger bâton qu’elle avait coutume de porter à la main, la Pucelle descendit en hâte dans la grand’ salle.

— Jeanne, — lui dit l’échevin Jamet du Tilloy, honnête et courageux citoyen, — tout était prêt, selon le conseil d’hier, pour attaquer ce matin la bastille de Saint-Loup ; mais, au point du jour, un messager est venu nous annoncer l’arrivée d’un grand convoi de vivres et de munitions que nous envoient, par le chemin de la Sologne, les gens de Blois, de Tours et d’Angers, sous la conduite du maréchal de Saint-Sever. L’escorte du convoi n’est pas assez nombreuse pour passer sans péril à portée de la bastille de Saint-Loup, qui domine la seule route praticable aux charrois ; les Anglais peuvent sortir de leur redoute, assaillir ce ravitaillement, impatiemment attendu par la ville, bientôt sur le point de manquer de vivres et de munitions d’artillerie. Les capitaines, encore assemblés en conseil à cette heure, débattent la question de savoir s’il vaut mieux attaquer la bastille de Saint-Loup que d’aller au devant du maréchal de Saint-Sever, qui attend un renfort pour continuer sa marche vers Orléans.

— À quelle distance ce convoi est-il d’ici, messire ?

— À deux lieues environ ; il devra forcément passer devant le front de la redoute de Saint-Loup.

Jeanne, après un moment de réflexion, répondit avec assurance :

— Songeons avant tout au ravitaillement de la ville et aux munitions ; l’on ne se bat sans poudre, ni sans vivres. Faisons entrer ce matin le convoi dans Orléans ; tantôt, nous attaquerons et prendrons la bastille, avec l’aide de Dieu.

L’avis de la Pucelle parut sage. Elle monte à cheval, et, accompagnée du sire de Villars, se dirige vers l’hôtel de ville, où l’échevin Jamet du Tilloy l’a précédée en hâte, faisant sur sa route appeler la milice aux armes, lui donnant rendez-vous à la porte de Bourgogne, sous la conduite des dizainiers et des quarteniers ; les chefs de guerre se rendent cette fois, sans conteste, à la volonté de Jeanne, fortement appuyée par les échevins. Bientôt elle sort par la porte de Bourgogne, à la tête d’environ deux mille hommes demandant à grands cris le combat, impatients de venger leurs défaites, transportés d’ardeur à la vue de la guerrière chevauchant avec une grâce militaire sur son blanc coursier, tenant à la main sa bannière. À peu de distance de la bastille de Saint-Loup, véritable forteresse, renfermant une garnison de plus trois mille hommes, Jeanne avait pris le commandement de l’avant-garde, chargée d’éclairer la marche de la colonne ; mais, soit terreur superstitieuse causée par la présence de la Pucelle, qu’ils reconnaissaient de loin à sa blanche armure et à son étendard, soit qu’ils attendissent le convoi pour sortir de leurs retranchements et l’attaquer, les Anglais se tinrent à l’abri de la redoute, se bornant à envoyer aux gens d’Orléans quelques volées de traits, quelques boulets d’artillerie, qui blessèrent peu de monde. Cette hésitation de l’ennemi, ordinairement si audacieux, augmente la confiance des Français ; ils laissent la bastille derrière eux, rencontrent vers Saint-Laurent un poste avancé chargé de couvrir le convoi stationnaire ; les soldats de son escorte, à la vue d’un renfort venu d’Orléans sans obstacle de la part des Anglais retranchés dans leur bastille, attribuent ce succès à la divine influence de la Pucelle ; leur espoir redouble. Le maréchal de Saint-Sever, frappé de la réussite de l’entreprise, due à la prompte décision de Jeanne, craignait cependant, non sans vraisemblance, que l’ennemi eût à dessein laissé passer les Français sans les inquiéter afin de les assaillir avantageusement à leur retour, gênés qu’ils seraient dans leur manœuvre, dans leur marche, par les charrois considérables et les bestiaux du convoi dont ils formaient l’escorte.

— Allons hardiment ! — répliqua Jeanne, — notre assurance imposera aux Anglais ; s’ils sortent de leur redoute, nous les combattrons ; s’ils ne sortent pas, nous conduirons le convoi à Orléans. Après quoi nous reviendrons tantôt attaquer leur bastille, et nous les vaincrons, de par Dieu !

Ces paroles, prononcées d’une voix ferme, entendues par quelques soldats, redites par eux de rang en rang, exaltent l’enthousiasme de la troupe ; l’on se met en route pour Orléans, les charrettes et le bétail placés au centre de la colonne, Jeanne à la tête d’une forte avant-garde, résolue de soutenir le premier choc de l’ennemi ; mais il ne parut pas. L’on sut plus tard, de l’aveu de plusieurs prisonniers anglais, que leurs chefs, comprenant quelle influence décisive le bon ou mauvais résultat du premier combat livré à la Pucelle devait avoir sur le moral de leurs troupes, déjà fort ébranlé par les merveilleux récits dont elle était l’objet, voulaient la vaincre à tout prix, et lui offriraient la bataille dans de telles conditions, qu’ils auraient presque la certitude du triomphe ; de là leur inertie lors du passage du convoi, qui entra sans coup férir dans Orléans, au grand réconfort des habitants et des miliciens, fanatisés par ce premier succès de la Pucelle. Voulant mettre à profit leur élan, elle se proposait de repartit à l’instant, afin d’aller attaquer la bastille de Saint-Loup ; les capitaines lui firent observer que leurs hommes avaient besoin de manger, mais qu’elle serait prévenue du moment de l’assaut. Elle se rendit à ces raisons, retourna chez Jacques Boucher, se réfectionna, selon son habitude, avec un peu de pain et de vin trempé d’eau, fit délacer sa cuirasse, se jeta sur son lit, à demi armée, afin de se reposer en attendant le moment de l’assaut, et s’endormit ; l’imagination frappée des événements du jour, elle rêva bientôt que les troupes marchaient sans elle à l’ennemi. La pénible impression de ce songe la réveille, le bruit sourd de quelques détonations lointaines d’artillerie la fait bondir sur son lit ; son rêve ne la trompait pas, l’on commençait l’attaque de la redoute[17]. Le sire de Gaucourt, chargé d’avertir la Pucelle de l’heure du combat, ne l’avait point, à perfide dessein, instruite du départ des troupes ; elle court à la fenêtre, l’ouvre, voit le petit page Imerguet tenant son cheval en bride et causant sur le seuil de la porte avec dame Boucher et sa fille. Ni le page, ni l’écuyer de Jeanne n’étaient non plus prévenus de la sortie[18] ; mais ignorant cette circonstance, la guerrière s’écrie, penchée à la fenêtre et s’adressant à Imerguet d’un ton de reproche :

— Ah ! méchant garçon ! on assaille les retranchements sans moi ! Vous ne me disiez pas que le sang français coulait[19]  !… — Et elle ajoute : — Madeleine, venez en hâte, je vous prie, m’aider à lacer ma cuirasse.

À cet appel, Madeleine et sa mère remontent précipitamment auprès de Jeanne. Elle s’arme complétement, descend dans la rue, s’élance sur le cheval de son page ; mais s’apercevant qu’elle a oublié sa bannière auprès de son lit, où elle la plaçait toujours, elle dit à Imerguet :

— Vite, mon étendard ! allez le chercher dans ma chambre ; vous me le donnerez par la fenêtre, afin de perdre moins de temps[20].

Le page se hâte d’obéir, tandis que dame Boucher et sa fille adressent à la Pucelle de navrants adieux. Elle se dresse debout sur ses étriers, reçoit des mains d’Imerguet l’étendard, qu’il lui remet à travers la croisée du premier étage ; puis, enfonçant ses éperons dans le ventre de son cheval, la guerrière fait de la main un signe affectueux à Madeleine et part avec une telle rapidité que les étincelles jaillissent des pavés sous les fers de sa monture[21].

Le sire de Gaucourt, en cachant à Jeanne l’heure de l’assaut, afin de l’empêcher de s’y trouver, espérait ainsi la perdre dans l’esprit des soldats, son absence au moment du danger pouvant s’attribuer à un manque de courage ; Gaucourt, placé à la porte de Bourgogne à la tête des compagnies de réserve, vit donc avec autant de surprise que de colère accourir Jeanne au grand galop, revêtue de sa blanche armure, son blanc étendard à la main. Elle passa devant le traître comme une apparition, et disparut bientôt à ses yeux dans un nuage de poussière soulevé par l’allure rapide de son cheval, qu’elle poussait à toute bride sur la route de Sologne, entendant avec désespoir les détonations d’artillerie devenir de plus en plus fréquentes ; à mesure qu’elle s’approchait du lieu du combat, les cris des soldats, le choc des armes, les formidables rumeurs de la bataille, arrivaient distinctement à l’oreille de la guerrière. Enfin elle aperçoit la bastille de Saint Loup, coupant la route de Sologne, dominant la rive de la Loire, et élevée au pied d’une antique église puissamment fortifiée ; cette église formait une seconde redoute au milieu de la première, dont les parapets étaient en ce moment à demi voilés par la fumée des bombardes. Leur feu redoublait, les derniers rangs des Français descendaient, par une pente presque à pic, dans un fossé profond, première défense du retranchement, lorsque Jeanne, abandonnant son cheval ruisselant de sueur, courut, sa bannière à la main, se joindre aux combattants ; soudain ceux-ci, au lieu de continuer à descendre le talus, font volte-face, le gravissent en désordre, s’écriant :

— La bastille est imprenable !

— Les Anglais sont endiablés !

— La Pucelle n’est plus avec nous !

— Dieu nous abandonne !

Les capitaines avaient espéré profiter de l’enthousiasme inspiré par l’héroïne pour conduire sans elle les troupes à l’assaut, leur promettant qu’elle viendrait bientôt les guider. Confiants dans cette promesse, le premier élan des assaillants, composés en majorité de miliciens d’Orléans, bourgeois et artisans, fut valeureux ; mais les Anglais, ne voyant pas la Pucelle parmi les Français, les crurent ainsi privés d’un appui que beaucoup d’entre eux regardaient comme surnaturel, sentirent renaître leur audace, repoussèrent brillamment l’attaque et foudroyèrent l’ennemi qui se découragea ; la panique se mit dans quelques rangs, les moins braves s’efforçaient de regagner le revers du fossé lorsque Jeanne parut, accourant à eux le regard inspiré, le visage rayonnant d’une ardeur guerrière… Ils s’arrêtent ; il leur semble qu’une puissance surhumaine les réconforte, la honte de la défaite leur monte au front, ils rougissent de fuir aux yeux de cette belle jeune fille, qui, faisant flotter sa bannière, s’élance vers le fossé, s’écriant d’une voix vibrante :

— Hardi ! suivez-moi !… la bastille est à nous, de par Dieu[22] !…

Les fuyards, entraînés par la magie de la vaillance et de la beauté de l’héroïne, se précipitent sur ses pas, aux cris mille fois répétés de :

— Noël ! Noël à Jeanne !…

— Jeanne est avec nous !…

Ces clameurs, annonçant la présence de la Pucelle, redoublent l’énergie des intrépides qui tenaient encore au fond du fossé, décimés par les pierres, par les boulets, par les traits, lancés sur eux du haut des boulevards de la redoute ; Jeanne, leste, souple et forte, s’appuyant parfois sur les épaules de ceux qui l’entourent, descend avec eux dans le fossé, criant :

— À l’assaut ! à l’assaut ! marchons hardiment ! Dieu sera pour nous !…

Les rangs s’ouvrent devant l’héroïne et se referment sur son passage. Sa bravoure entraîne les moins courageux ; arrivant au pied du talus qu’il faut gravir, sous une grêle de projectiles, pour atteindre un retranchement palissadé protégeant le boulevard, elle avise maître Jean : ni lui ni ses coulevriniers, bonnes gens d’Orléans, n’avaient reculé d’une semelle depuis le commencement de l’assaut ; ils se disposaient à franchir la douve du fossé du côté de l’ennemi.


— Hé ! mon bon pays ! — dit gaiement Jeanne au canonnier, — montons vite là-haut, la redoute est à nous !…

Et la Pucelle, s’appuyant sur la lance de son étendard pour escalader la pente escarpée, a bientôt devancé de quelques pas la ligne des assaillants ; enlevés par son exemple, ils atteignent le faîte du talus. Plusieurs tombent morts ou blessés aux côtés de l’héroïne sous une pluie de balles et de traits ; la première elle met le pied dans un étroit chemin de ronde au delà duquel se trouve le retranchement palissadé ; se tournant alors vers ceux qui la suivent, elle s’écrie :

— Aux palissades ! aux palissades !… bon courage !… Les Anglais sont forcés !… je vous le dis, de par Dieu[23] !

Maître Jean et ses hommes abattent les pieux à coups de hache, la brèche est pratiquée, le flot des assaillants fait irruption par cette trouée comme un torrent par la porte d’une écluse ; une mêlée furieuse s’engage corps à corps avec les Anglais défenseurs de cette enceinte.

— En avant ! — crie Jeanne, conservant son épée au fourreau dans son horreur du sang, et agitant seulement sa bannière ; — le ciel nous protège ! hardi… en avant !

— Voyons si le ciel te protège, damnée sorcière ! — s’écrie un chef anglais, et il assène un furieux coup d’épée sur la tête de la Pucelle ; mais son casque la préserve ; elle reçoit en même temps un coup de masse d’armes qui fausse son armure à l’épaule droite. Un moment étourdie de ces rudes atteintes, elle chancelle, maître Jean la soutient, deux de ses canonniers la couvrent de leur corps ; mais bientôt elle reprend ses esprits, se redresse, se précipite au plus fort de l’action. L’élan des miliciens est irrésistible, le boulevard est jonché de cadavres des deux partis ; les Anglais, refoulés, cédant de nouveau à la terreur superstitieuse que leur inspire la Pucelle, se retranchent dans les nombreux bâtiments de charpente servant de caserne à la garnison de la bastille et de logement à ses capitaines. La lutte continue acharnée, sans merci ni pitié, à travers les espèces de rues qui séparent ces vastes constructions de bois ; chaque demeure des chefs, chaque caserne, devient une redoute qu’il faut emporter. Les Français, enflammés par la présence de la Pucelle, les attaquent, les enlèvent ; les Anglais survivants à la furie de ce premier assaut défendent le terrain pied à pied, parviennent à se retirer en bon ordre dans l’église qui couronne la redoute, église aux murailles épaisses surmontée d’un haut clocher. Retranchés dans ce fort, dont ils barricadent intérieurement la porte, leurs excellents archers, abrités par les murs de l’édifice, visant à travers d’étroites meurtrières, criblent les assaillants de leurs traits ; d’autres Anglais, postés sur la plate-forme du clocher, font rouler sur l’ennemi des pierres énormes dont provision a été faite à l’avance. Les Français, réunis en masse sous les contre-forts de l’église et complétement découverts, sont écrasés, décimés, par des ennemis invisibles dont pas une flèche ne manque son but. La Pucelle voit l’hésitation succéder à l’entraînement des siens ; elle s’élance sa bannière à la main.

— Enfoncez la porte ! entrons hardiment dans l’église ; elle est à nous, de par Dieu !…

Maître Jean et quelques hommes déterminés attaquent, mais en vain, à coups de hache la porte revêtue d’une armature de fer, tandis qu’une grêle de traits, lancés par d’étroites ouvertures pratiquées dans un bâtiment en retour, pleuvent sur le coulevrinier et ses compagnons ; plusieurs d’entre eux tombent à ses côtés, un vireton lui perce le bras. Les Anglais retranchés au sommet de la tour de l’église scient la charpente de la toiture du clocher, puis, à l’aide de leviers, la renversent sur les assaillants ; grand nombre d’entre eux sont ensevelis sous cette avalanche de pierres, d’ardoises, de chaîneaux de plomb et de poutres ; les survivants vont céder à la panique.

— En avant ! — s’écrie Jeanne ; — nous manquions de poutres, les goddons nous en envoient !… Prenez le plus gros de ces madriers, il vous servira de bélier, la porte cédera, nous aurons ces Anglais, fussent-ils cachés dans les nues[24] !

Les soldats, ranimés par ces paroles, obéissent à la Pucelle ; maître Jean, malgré sa blessure, dirige la manœuvre. On dégage des décombres une poutre énorme, vingt hommes la soulèvent ; ils l’emploient en guise de bélier pour enfoncer la porte de l’église. Soudain des soldats qui, du haut du parapet de la redoute, dominaient au loin la plaine, s’écrient :

— Nous sommes perdus ! l’ennemi sort en grand nombre de la bastille de Saint-Pouaire !

— Il va nous prendre à revers !

— Nous allons nous trouver entre ces troupes fraîches et les Anglais retranchés dans l’Église !

Ce mouvement, habilement prévu par Jeanne, qui avait donné les ordres nécessaires pour le neutraliser, s’opérait en effet.

— Ne craignez rien ! — dit la guerrière à ceux qui l’entouraient, atterrés de cette nouvelle ; — une troupe de réserve va sortir de la ville et couper le chemin aux Anglais. Ne regardez pas derrière vous, mais devant vous !… Hardi ! enlevons l’église !…

À peine Jeanne achevait-elle ces paroles, que les tintements précipités du beffroi de la cité se font entendre. Bientôt un corps de cavalerie, suivi de près par une des compagnies d’infanterie, débouchant d’Orléans à grands pas et en bon ordre, se met en bataille sur le chemin de la Sologne, tracé entre la bastille de Saint-Loup et celle de Saint-Pouaire, dont la garnison venait d’effectuer une sortie ; mais ces Anglais, intimidés par l’attitude résolue du corps de réserve, commandé par le maréchal de Saint-Sever, s’arrêtent, puis rentrent dans leurs retranchements. Les soldats de Jeanne, voyant ainsi ses paroles réalisées, croient à sa prescience divine ; désormais certains de n’être pas attaqués à revers, enflammés par leur premier succès, ils redoublent d’efforts pour s’emparer de l’église. Deux madriers énormes, manœuvrés comme des béliers par vingt hommes à la fois, ébranlent la porte massive bardée de fer, malgré les traits des Anglais ; les mourants, les blessés, sont à l’instant remplacés par leurs compagnons. Jeanne, intrépide, debout près d’eux, sa bannière à la main, les encourage de la voix et du geste, échappant à la mort, grâce à l’excellence de la trempe de son armure. Enfin la porte cède sous les coups réitérés des poutres, elle tombe au dedans de l’église ; mais une bombarde intérieurement placée en face du portail vomit, avec une détonation terrible, une décharge de balles d’artillerie et de morceaux de fer sur les assaillants. Bon nombre sont mortellement atteints ; les autres se précipitent dans la vaste et sombre basilique, où s’engage de nouveau un combat opiniâtre, sanglant. Il se poursuit de marche en marche, dans l’escalier de la tour, jusque sur la plateforme découronnée de sa toiture, du haut de laquelle les Anglais sont précipités dans l’espace ; enfin, au moment où le soleil rougissait de ses derniers rayons les eaux paisibles de la Loire, l’étendard de Jeanne flottait au sommet de l’église, aux cris mille fois répétés des vainqueurs :

— Noël ! Noël à la Pucelle !

La victoire gagnée, l’ivresse de la bataille dissipée, l’héroïne redevint la jeune fille remplie de tendre commisération pour les vaincus. En descendant du clocher, où sa valeur l’avait pour ainsi dire emportée à son insu, elle pleura[25], voyant les marches, rougies de sang, disparaître à demi sous les cadavres ; elle supplia les soldats de cesser le carnage, d’épargner les prisonniers. Parmi ceux-ci se trouvaient trois capitaines ; espérant échapper à la mort, ils avaient, pendant l’assaut du clocher, endossé des habits sacerdotaux oubliés dans un coin de la sacristie depuis que les Anglais s’étaient emparés de l’église de Saint-Loup. On trouva ces trois faux clercs réfugiés au fond d’une chapelle obscure, les vainqueurs voulaient les massacrer, Jeanne s’y opposa, disant que la vie des prêtres était sauve[26] ; d’autres encore, épargnés à sa prière, furent emmenés captifs. Les casernes, les logements de la redoute, construits en charpente et recouverts de planchettes, furent livrés aux flammes ; cet immense incendie, luttant contre les premières ombres de la nuit, jeta la consternation dans les autres redoutes anglaises et éclaira le départ des Français.

Lorsque Jeanne, à la lueur des torches, rentra le soir dans Orléans à la tête des citoyens de la ville, le beffroi de la maison commune, toutes les cloches des églises, sonnèrent à grande volée, les canons retentirent, tout dans la ville était joie, espérance, enthousiasme ; la Pucelle, par son premier triomphe, venait de donner le signe (ainsi qu’elle disait) qu’elle était véritablement envoyée de par Dieu. Elle fut accueillie comme une libératrice par la foule idolâtre.

Jeanne à son retour chez maître Jacques Boucher, dont la femme et la fille la couvrirent de caresses, Jeanne assembla les capitaines et leur dit :

— Dieu nous a soutenus jusqu’ici, messires ; mais nous ne sommes qu’au commencement de notre tâche, achevons-la promptement… Aide-toi, le ciel t’aidera !… Il faut demain, au point du jour, profiter du découragement que notre victoire d’aujourd’hui aura jeté parmi les Anglais, retourner hardiment à l’attaque et enlever les autres bastilles[27]. »

Mais, hélas ! la fin de cette journée si glorieuse pour la guerrière devait remplir son âme d’amertume. Dunois, Lahire, Xaintrailles, beaucoup moins malveillants pour Jeanne que les autres capitaines, reculèrent devant sa courageuse résolution et la taxèrent de témérité ; profitant de cette indécision funeste, Gaucourt et le parti ouvertement hostile à la Pucelle firent déclarer par le conseil de guerre « qu’en raison de la solennité religieuse du lendemain jeudi, fête de l’Ascension, il serait outrageusement impie d’aller au combat, et que le conseil se réunirait seulement vers le milieu du jour, afin d’aviser aux déterminations à prendre[28]. »

Cette décision déplorable donnait aux Anglais le temps de se remettre de leur défaite et risquait de perdre les fruits de la première victoire de Jeanne. L’aveuglement, la perfidie ou la couardise de ces gens de guerre l’indignèrent ; navrée, elle se retira dans sa chambre, où, pleurant, elle s’agenouilla, suppliant ses bonnes saintes de la conseiller. Puis, les yeux encore mouillés de larmes, que Madeleine, sa compagne, essayait, triste et surprise, ne pouvant comprendre la cause des chagrins de son amie après une si glorieuse journée, Jeanne s’endormit, évoquant dans sa pensée, afin de se réconforter, ce passage de la prophétie de Merlin déjà si miraculeusement accomplie :

« — Oh ! que je vois de sang ! que je vois de sang !… Il fume ! sa vapeur monte, monte, comme un brouillard d’automne, vers le ciel, où gronde la foudre, où luit l’éclair !...

» — À travers ce brouillard sanglant, je vois une vierge guerrière ; blanc est son coursier, blanche est son armure…

» — Elle bataille, bataille et bataille encore, au milieu d’une forêt de lances, et semble chevaucher sur le dos des archers ennemis ! »


journée du jeudi 5 mai 1429.


Jeanne, malgré l’ingénuité de son caractère loyal, ne pouvait plus douter du méchant vouloir ou de la jalousie des chefs de guerre à son égard ; ils invoquaient hypocritement la sainteté du jour de l’Ascension, afin de paralyser, grâce à leur inertie calculée, les desseins de la guerrière. En cette extrémité, elle demanda conseil à ses voix mystérieuses ; plus que jamais elles furent celles de son excellent jugement, de son patriotisme et de son génie militaire. Ces voix mystérieuses lui répondirent : 


— Ces capitaines, ainsi que presque tous les nobles qui font de la guerre un métier, sont dévorés d’envie. Leur haine jalouse s’irrite contre toi, pauvre fille des champs, parce que ton génie les écrase ; ils aimeraient mieux voir les Anglais s’emparer d’Orléans que de voir ce siége levé par ta vaillance. Peut-être n’oseront-ils pas ouvertement refuser de te seconder, de peur d’exciter l’indignation de leurs propres soldats, et surtout des milices bourgeoises et du populaire d’Orléans ; mais ces chevaliers s’opposeront traîtreusement à tous tes projets, jusqu’au jour où, l’exaspération générale les forçant de te suivre avec leurs bandes mercenaires, ils batailleront enfin, non pour t’aider à vaincre, mais pour défendre leur peau. Tu ne peux donc compter pour accomplir ta mission libératrice que sur toi, sur les échevins, sur les milices urbaines d’Orléans, elles t’ont déjà vaillamment secondée. Ceux-là ne se battent pas par vaine gloire, par métier, ils se battent pour défendre leur foyer, leur famille, leur cité ; ceux-là, loin de te jalouser, loin de chercher à traverser tes projets, les seconderont corps et âme ; ils te chérissent, ils te respectent. Tu es leur ange sauveur ; leur confiance en toi, encore augmentée par la victoire d’hier, est aujourd’hui sans bornes ; appuie-toi hardiment sur ces braves gens, tu triompheras des envieux et de l’ennemi avec l’aide de Dieu !

Ce conseil, dicté par cette haute raison, par cette profonde sagacité dont Jeanne, dans le trouble de son esprit frappé par l’hallucination, faisait honneur à ses saintes, la rassura. Elle apprit d’ailleurs dès le matin que la prise de la bastille de Saint-Loup avait déjà un immense résultat. Cette bastille, commandant à la fois la route de Sologne, du Berry, et le passage de la Loire, en amont d’Orléans, empêchait ainsi l’arrivage des approvisionnements ou des renforts ; mais les paysans des environs, instruits ou témoins de la destruction de cette formidable redoute, et sachant le passage libre, amenaient déjà des vivres à la ville comme en un jour de marché. Grâce à ces provisions et à l’entrée du convoi de la veille, l’abondance succédait à la disette, et de cette heureuse fortune les habitants glorifiaient Jeanne. Ce n’est pas tout, de nombreuses bandes rustiques, armées de leur mieux, fanatisées par les récits que l’on faisait de la Pucelle, entraient dans la cité du côté de la Sologne, offrant leur concours pour marcher contre les Anglais avec la milice urbaine. L’héroïne sentit, dès lors quel puissant contre-poids elle pouvait opposer au mauvais vouloir des capitaines ; elle résolut d’agir en conséquence, chargea Daulon, son écuyer, de convoquer pour l’heure de midi, chez maître Boucher, après la grand’messe, les chefs de guerre et les échevins, insistant beaucoup auprès de son hôte pour que nul de ces magistrats ne manquât au conseil ; puis voulant mettre la matinée à profit, elle pria Madeleine de lui procurer les habits de l’une des servantes de la maison et une mante à capuchon, quitta ses vêtements d’homme, reprit le costume de son sexe, s’encapa soigneusement afin de n’être pas reconnue dans la ville, gagna les bords de la Loire et prit un batelet, disant au batelier de traverser le fleuve pour aborder à une assez grande distance de la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, située sur la rive opposée à celle où fumaient encore les débris de la redoute de Saint-Loup. Jeanne débarqua afin d’examiner, selon son habitude, les retranchements qu’elle se proposait d’assaillir. Non loin de la bastille de Saint-Jean-le-Blanc s’élevait le couvent des Augustins, bâtiments massifs puissamment fortifiés. Au delà, les Tournelles, véritable citadelle flanquée de hautes tours de charpente, étendaient leur front du côté de la Beauce et de la Touraine, en face du pont d’Orléans, depuis longtemps coupé par l’ennemi. Une autre formidable redoute, celle de Saint-Privé, située à gauche, non loin des Tournelles, complétait les ouvrages de siége des Anglais au midi de la ville. La guerrière se proposait d’enlever successivement ces quatre positions redoutables, après quoi les Anglais devraient abandonner la place, les autres bastilles de peu d’importance qu’ils occupaient à l’ouest de la ville étant hors d’état de résister après la destruction de leurs principaux travaux de siége. Jeanne observa longuement et à loisir les abords de ces ouvrages, méditant son plan d’attaque, ses habits de femme n’inspiraient aucune défiance aux sentinelles anglaises ; ces divers renseignements pris d’un coup d’œil intelligent et sûr, elle regagna son batelet, rentra chez maître Boucher, si bien encapée dans sa mante qu’elle put échapper à tous les yeux. Elle revêtit ses habits d’homme afin de se rendre à la grand’messe, où elle communia. Les acclamations enthousiastes qui éclataient sur son passage à sa sortie de l’église, lui prouvant qu’elle pouvait fermement compter sur l’appui du bon peuple d’Orléans, elle rentra chez maître Jacques Boucher, où étaient convoqués les chefs de guerre et les échevins. Le conseil se réunit, mais Jeanne n’y fut pas tout d’abord mandée.

À ce conseil assistaient les magistrats de la cité, ainsi que Xaintrailles, Dunois, les maréchaux de Retz et de Saint-Sever, le sire de Graville, Ambroise de Loré, Lahire et autres chevaliers. Le sire de Gaucourt présidait l’assemblée en sa qualité de capitaine royal[29]. La précédente victoire de la Pucelle, victoire où plusieurs de ceux des capitaines qui lui étaient le moins hostiles avaient joué un rôle secondaire, leur inspirait une secrète et amère envie ; d’abord ils avaient compté se servir de cette fille des champs comme de l’instrument passif de leurs volontés, utiliser à leur profit son influence et commander par sa voix ; il n’en allait point ainsi. Forcés de reconnaître, surtout depuis le combat de la veille, que Jeanne les primait dans le métier des armes, jaloux de la voir vaincre un ennemi jusqu’alors invincible, irrités de cette irréparable atteinte à leur renommée militaire, persuadés que si sincère que fût le concours qu’ils prêteraient désormais à l’héroïne, les succès seraient reportés, attribués à elle seule, ils s’allièrent à ses ennemis, tacitement, bassement, dans ce conseil, et adoptèrent unanimement pour le lendemain le plan de bataille que voici : 


« — L’on feindrait de vouloir attaquer la forteresse des Tournelles afin de tromper l’ennemi, de le faire sortir des redoutes situées de l’autre côté de la Loire, pour aller au secours des positions menacées ; il serait dupe sans doute de cette ruse de guerre, et pendant que quelques détachements continueraient d’escarmoucher du côté des Tournelles, les troupes royales et les compagnies, renforcées de la plus grande partie des milices urbaines, iraient attaquer et prendraient facilement les bastilles où les Anglais n’auraient laissé que de très-faibles garnisons, dans leur empressement de courir à la défense d’un poste très-important[30]. »

Ce plan de bataille, plus ou moins bon au point de vue stratégique, cachait une lâche perfidie, un piége infâme, horrible, tendu à Jeanne… Maître Jacques Boucher, parlant au nom des échevins et répondant au sire de Gaucourt qui venait d’exposer le plan adopté par les chevaliers, fit observer que, puisque tel était leur avis, il fallait mander la Pucelle, afin de lui soumettre les projets du conseil.

À ceci, le sire de Gaucourt se hâta d’objecter, au nom de tous les capitaines :

« — Que l’on n’était pas certain que cette fille saurait garder le secret sur un sujet si délicat. Ce doute existant, elle devait seulement être instruite du projet d’attaque contre les Tournelles, sans être prévenue que cette manœuvre était une feinte, une ruse de guerre ; de sorte que pendant cette escarmouche, commandée par la Pucelle en personne, le gros des troupes irait mettre à exécution le véritable plan de bataille, dont Jeanne n’avait pas connaissance[31]. »

Ce piége infernal était habilement tendu ; les capitaines, comptant sur l’intrépidité de la guerrière, certains qu’elle marcherait sans hésiter, à la tête de peu de soldats, contre les formidables Tournelles, ne doutaient pas que, dans cet assaut aussi meurtrier qu’inégal, elle ne fût tuée ou prise, pendant que les chefs de guerre, sortant d’Orléans par le côté opposé, à la tête du gros des troupes, iraient attaquer les autres bastilles, presque entièrement abandonnées des Anglais, venus à l’aide des défenseurs des Tournelles. Enfin, Jeanne ayant hautement déclaré la veille, contre l’opinion des chevaliers, « que la levée du siége d’Orléans dépendant presque entièrement de la prise des Tournelles, il fallait sans retard attaquer cet ouvrage important, » elle croirait son avis enfin adopté par le conseil de guerre après mûres réflexions, et, emportée par son courage, peu soucieuse du petit nombre de soldats qu’on lui donnait, marcherait témérairement à un combat où elle devait trouver sa perte. Ainsi s’accomplirait le complot tramé de longue main par La Trémouille, Gaucourt et l’évêque de Chartres.

Les échevins, malgré leur défiance des capitaines, ne soupçonnèrent pas l’abominable guet-apens que l’on tendait à la guerrière. Elle fut introduite ; Gaucourt lui fit connaître la décision du conseil, omettant surtout d’ajouter : — « que l’attaque des Tournelles ne serait qu’une feinte. » — La Pucelle, douée d’un rare bon sens et d’une extrême sagacité, avait eu trop de preuves de l’opposition constante apportée jusqu’alors à ses desseins par les capitaines pour ne pas fort s’étonner de les voir soudainement adhérer à un projet si vivement blâmé la veille ; aussi, pressentant quelque embûche, elle écouta silencieusement Gaucourt, allant et venant dans la salle d’un air pensif, puis s’arrêta, attacha son loyal et beau regard sur le traître et lui dit fièrement :

— Messire Gaucourt, ne me cachez rien de ce qui a été ici résolu ; j’ai su et je saurai bien garder d’autre secret que le vôtre[32].

Ces paroles, où se révélait la méfiance de la Pucelle envers ces chevaliers, les confondirent ; ils s’entre-regardèrent muets, troublés. Dunois, le moins mauvais d’entre eux, éprouva un remords, il ne put se résoudre à demeurer complice de cette exécrable trahison ; mais, sans toutefois la dévoiler, il reprit :

— Jeanne, ne vous courroucez pas, l’on ne peut tout vous dire à la fois… l’on vous a fait connaître la première partie de notre plan de bataille ; maintenant, je dois ajouter que l’attaque des Tournelles sera une feinte, et pendant que les Anglais se hâteront de venir au secours des leurs en traversant la Loire, nous irons attaquer du côté de la Sologne leurs bastilles, qu’ils auront laissées à peu près dégarnies de combattants[33].

Malgré ces tardives explications, l’héroïne ne douta plus de la perfidie de ces hommes de guerre, mais leur cacha sa douloureuse indignation ; et, forte de sa supériorité militaire, leur déclara net, avec sa franchise rustique, que le plan de bataille du conseil était détestable et, qui pis est… honteux. Ne se réduisait-il pas à une ruse de guerre, non-seulement couarde à l’excès, mais des plus funestes en des circonstances ? Ne fallait-il pas, en continuant d’exalter leur bravoure par des entreprises hardies, au besoin téméraires, relever le moral des défenseurs de la ville, si longtemps abattu ? les convaincre que rien ne pouvait plus résister à leur vaillance ? Or, en supposant la réussite de cette piteuse feinte, quelle misérable victoire ! aller attaquer un ennemi que l’on sait absent, et, grâce à des forces cinq ou six fois supérieures en nombre, écraser une poignée d’hommes ! Quoi ! exposer ainsi les vainqueurs à un lâche triomphe ! alors qu’avait sonné l’heure des résolutions héroïques ! mieux vaudrait cent fois une glorieuse défaite !… Enfin, admettant toujours le succès de cette ruse de guerre, que détruisait-on ? Quelques redoutes à peine défendues ; mais sans importance depuis la prise de la grande bastille de Saint-Loup, qui seule coupait les communications de la Sologne et du Berry avec Orléans. Ce plan de bataille était donc de tous points mauvais et inopportun ; il fallait, au contraire, le lendemain matin, non pas feindre d’attaquer, mais attaquer réellement, audacieusement, les Tournelles, en passant la Loire un peu au-dessus de Saint-Jean-le-Blanc, première redoute à enlever, ensuite on marcherait contre le couvent fortifié des Augustins. puis contre les Tournelles. Ces positions emportées, les Anglais, hors d’état de tenir un jour de plus dans leurs autres bastilles, seraient forcés de lever le siége d’Orléans.

Tel était son plan de bataille à elle, Jeanne, et rien au monde ne la ferait dévier de sa résolution, ses voix l’ayant inspirée de par Dieu ! Elle était donc décidée, dans le cas où les chefs de guerre s’opposeraient à son projet, de le mener malgré eux à bonne fin, réclamant seulement l’aide des échevins et des milices de la bonne ville d’Orléans, que le Seigneur prendrait sous sa protection, parce que ceux-là défendaient leur cité, la France et le roi contre les Anglais. Elle ferait donc, le jour même, convoquer la milice pour le lendemain à l’aube ; et, suivie ou non des capitaines et de leurs bandes, elle irait droit à l’ennemi.

Le projet de Jeanne, exposé d’une voix ferme, complétement approuvé par les échevins, souleva les plus violentes objections de la part des chevaliers ; ils le déclarèrent aussi hasardeux qu’impraticable. Le sire de Gaucourt résuma les avis de ses complices en s’écriant avec une hauteur méprisante, « qu’après tout, le conseil des chefs de guerre avait pris une décision, qu’elle serait maintenue et qu’ils s’opposeraient par la force, s’il le fallait, à ce que les gens d’Orléans tentassent le lendemain une attaque[34]. »

— Votre conseil a décidé, dites-vous ? — reprit Jeanne avec une assurance sereine. — Mon conseil, à moi, a aussi décidé… c’est celui de Dieu ; je lui obéirai malgré vous[35] !…

Et la Pucelle sortit, pénétrée d’une profonde douleur causée par la perfidie et la méchanceté de ces gens de guerre ; mais fermement résolue de mettre un terme à tant de funestes retards, et d’accord avec les échevins de ne demander, au besoin, le salut de la cité qu’à la bravoure de ses citoyens, Jeanne s’occupa des préparatifs de l’attaque du lendemain, entre autres de rassembler bon nombre de grands bateaux destinés à transporter les combattants, à la tête desquels elle devait, à l’aube, attaquer les Anglais du côté des Tournelles.


journée du vendredi 6 mai 1429.


Le sire de Gaucourt était venu, avant le point du jour, avec une troupe de soudards des compagnies, largement abreuvés à l’avance, prendre le commandement de la porte de Bourgogne ; là devait passer Jeanne afin de se rendre au bord de la Loire pour y effectuer l’embarquement de ses troupes. Gaucourt ordonna aux soldats, qu’il posta sous la voûte, de ne laisser sortir personne de la ville, d’user de leurs armes contre quiconque voudrait violer leur consigne ; puis, se retirant à quelques pas, enveloppé dans sa cape et prêtant l’oreille de temps à autre du côté de l’intérieur de la ville, le traître attendit.

L’aube ne tarda pas à paraître ; ses premières lueurs blanchirent l’horizon, sur lequel se dessinaient les tours crénelées de la porte de Bourgogne. Bientôt une rumeur lointaine attira l’attention de Gaucourt embusqué comme un larron ; cette rumeur augmentait en s’approchant, il reconnut le bourdonnement d’une foule considérable et le cliquetis des armes ; il réitéra ses ordres à ses soldats, et se tint dans l’ombre de la voûte qui reliait les deux tours élevées à cette entrée de la ville. Au bout de peu d’instants déboucha dans la rue conduisant à la porte de Bourgogne une colonne compacte, marchant en bon ordre, composée de la milice urbaine et de paysans des environs, entrés dans Orléans depuis la prise de la bastille de Saint-Loup ; maître Jean et une vingtaine de ses coulevriniers citadins marchaient aux premiers rangs, traînant sur un chariot deux petites couleuvrines portatives, baptisées Jeannette et Jeanneton par maître Jean, en l’honneur de sa payse ; un autre chariot, aussi traîné à bras, contenait les munitions de ces machines d’artillerie. À la tête de la colonne s’avançait la guerrière à cheval, escortée de plusieurs échevins armés qui jusqu’alors avaient vaillamment pris part à la défense de la cité. L’un d’eux, pour ne pas retarder la sortie des troupes, hâta le pas de sa monture et se dirigea vers la porte, afin de la faire ouvrir ; un sergent d’armes, brute à moitié ivre, saisit la bride du cheval de l’édile, et s’écria grossièrement :

— Tourne les talons ; on ne passe pas, il est défendu de sortir de la ville !

— Prends garde !… songe à ce que tu fais… Les portes de la ville doivent s’ouvrir ou se fermer par l’ordre des échevins… je suis échevin…

— J’ai ma consigne, — reprit le soudard en dégaînant ; — obéis, sinon, je t’écharpe !

— Misérable ivrogne ! oser me menacer, moi… magistrat de la ville !…

— Je… crache sur les magistrats ! je ne connais que mon capitaine ; et puisque tu veux passer malgré ma consigne, tiens !… — ajouta-t-il en portant à l’échevin un coup d’épée qui glissa sur son armure. En même temps, le sergent s’écria : — À moi mes hommes !…

Une vingtaine de soldats accoururent. Déjà ces soudards avinés entouraient, huaient, menaçaient l’édile de la cité, lorsque Jeanne, son écuyer Daulon, son page et les autres échevins, formant la tête de la colonne, arrivèrent sur le lieu de la lutte ; alors apparut brusquement le sire de Gaucourt, les traits enflammés de colère ; il fit signe à ses soldats de s’écarter, s’avança vers l’héroïne et lui dit insolemment :

— Jeanne, hier le conseil de guerre s’est opposé à ton entreprise d’aujourd’hui… tu ne sortiras pas de la ville[36]…


— Vous êtes un mauvais homme ! — s’écria la guerrière indignée, — je passerai, que vous le vouliez ou non ! Les bonnes gens d’Orléans me suivront… et nous vaincrons comme nous avons déjà vaincu[37].

Cette fière réponse de la Pucelle aux imprudentes paroles du capitaine royal, entendues par maître Jean et ses coulevriniers, répétées de rang en rang parmi les miliciens, causèrent une telle exaspération contre Gaucourt, que de toutes parts éclatèrent des cris furieux :

— À mort le traître !

— Il ose s’opposer au passage de la Pucelle !…

— À mort le traître !… à mort ses soldats, pires que les Anglais !…

Et maître Jean, ses coulevriniers, ainsi qu’une foule de citoyens armés, d’assaillir le Gaucourt et ses soudards. Ils furent d’abord roués de coups de manches de piques ; après quoi les plus animés des miliciens, non contents d’avoir à demi assommé le capitaine et sa bande, s’opiniâtraient à vouloir les pendre. Jeanne et les échevins obtinrent à grand’peine la grâce de Gaucourt et des siens. Il avoua, depuis, n’avoir jamais vu la mort de plus près qu’en ce jour-là.

La porte de Bourgogne ouverte, la troupe continue sa marche vers les bords de la Loire, dont les premières lueurs du jour rougissaient les eaux paisibles. Jeanne avait la veille, plusieurs fois, instamment recommandé aux échevins de veiller à ce qu’une vingtaine des grands bateaux de la Loire, appelés chalans, capables de contenir cinquante ou soixante hommes chacun, fussent dès le soir amarrés au rivage et prêts au point du jour à l’embarquement des troupes. De plus, comme elle n’oubliait rien, cinquante soldats devaient rester de guet, durant la nuit, à bord de cette flottille, afin de la défendre au besoin contre un coup de main des Anglais. Les échevins s’étaient eux-mêmes occupés de l’exécution des ordres de la Pucelle ; cependant, sentant s’augmenter sa méfiance des chefs de guerre, surtout depuis la récente tentative de Gaucourt, et désirant s’assurer que ses moyens de transports étaient prêts, elle donne de l’éperon à son cheval, devance la colonne, se dirige au galop vers la grève du fleuve, qu’une berge assez élevée dérobait à ses yeux. Quelle est la stupeur douloureuse de la guerrière ! elle ne voit sur la rive que cinq ou six grands bateaux et quelques batelets ; elle pousse son cheval à mi-corps dans la Loire, afin d’interroger un vieux marinier assis à l’arrière de l’un des chalans ; elle apprend que, vers minuit, un capitaine est venu requérir les bateaux pour le service de l’armée royale. Le vent étant favorable, ce capitaine avait ordre, disait-il, de faire remonter la flottille devers Blois pour y prendre des renforts. Plusieurs patrons mariniers, entre autres celui qui parlait à Jeanne, avaient répondu qu’ils ne bougeraient de leur ancrage sans un contre-ordre des échevins ; mais le capitaine menaçant les nautonniers de les mettre à mal s’ils refusaient de lui obéir, le plus grand nombre d’entre eux, cédant à l’intimidation, croyant d’ailleurs qu’il s’agissait réellement d’aller chercher des renforts à Blois, avaient orienté leurs voiles dans cette direction. Six chalans, sans compter quelques petites embarcations, restaient seuls ancrés près de la rive. Cette nouvelle machination des chevaliers poigna le cœur de la guerrière, sans abattre son courage, sans troubler sa présence d’esprit ; ses troupes, grâce au nombre de bateaux sur qui elle comptait, devaient être mises en terre en deux ou trois voyages, et il en faudrait effectuer huit ou dix, afin d’opérer ce débarquement, les moyens de transport étant réduits de plus des deux tiers. Elle perdait ainsi un temps précieux ; les Anglais épiant sans doute ses mouvements du haut de leur redoute, remarquant le petit nombre de bateaux dont elle disposait, pouvaient tenter une sortie, victorieusement repousser cette descente en se portant sur le rivage avant que toutes les troupes eussent eu le temps de prendre terre ou de se former en bataille. Jeanne, appréciant le péril extrême de sa position, loin de se décourager, sentit qu’il lui fallait, au contraire, redoubler d’audace, de sang-froid, de prévoyance ; aussi, pleine de foi dans sa mission divine, elle se dit, selon son proverbe favori : Aide-toi… le ciel t’aidera.

Le soleil se levait derrière les coteaux boisés de la Loire et les rideaux de peupliers qui ombragent ses bords lorsque les premiers rangs des miliciens arrivèrent sur le rivage. Leur déconvenue fut d’abord profonde à la vue du petit nombre de bateaux qui les attendaient ; mais Jeanne, ne leur laissant pas le temps de la réflexion, s’écria :

— Que les plus hardis me suivent ! les autres viendront ensuite !…

Ce fut alors à qui se précipiterait dans les chalans, afin d’être compté par l’héroïne au nombre des plus hardis ; elle abandonne sa monture à un valet chargé de la reconduire à la ville, se jette dans un batelet, seulement accompagnée de son écuyer, de son page et d’un marinier chargé de ramer ; puis elle circule plusieurs fois autour des bateaux, veillant à ce qu’ils ne soient pas encombrés outre mesure ; chacun des miliciens ayant à grand cœur d’être nombré parmi les intrépides, ils luttaient d’empressement à s’embarquer. Enfin, les chalans remplis, leurs voiles se déploient, le vent, favorable, soufflant alors vers la rive gauche du fleuve, ils s’éloignent de la grève, précédés de plusieurs batelets où se trouvent les échevins, maître Jean et quelques-uns de ses coulevriniers, les autres étant montés à bord des bateaux avec Jeannette et Jeanneton, les deux gentilles couleuvrines, placées sur leurs petits chariots. Le premier des batelets d’avant-garde porte la Pucelle, revêtue de sa blanche armure dorée par les premiers feux du soleil ; debout, immobile à la proue du léger esquif, appuyée sur la lance de son étendard, dont la brise matinale soulève les plis, la guerrière se dessine sur l’azur du ciel comme l’ange de la patrie.

À peine le batelet a-t-il touché l’autre bord de la Loire, que Jeanne s’élance sur la grève, range ses hommes en bataille à mesure qu’ils débarquent ; maître Jean et ses canonniers mettent à terre les deux couleuvrines transportées par l’un des grands bateaux, qui retournent chercher à plusieurs reprises les soldats restés sur le rivage opposé. Ces voyages durèrent plus d’une heure, heure d’impatience, heure d’angoisse inexprimable pour l’héroïne. À chaque instant elle craignait de voir les Anglais sortir de leurs retranchements afin d’écraser le petit nombre de braves qu’elle commandait ; mais ses craintes furent vaines, la prise héroïque de la bastille de Saint-Loup, tombée la surveille au pouvoir des Français, consternait les Anglais ; attribuant à des sorcelleries le triomphe de la Pucelle, ils n’osèrent la combattre à découvert, et l’attendirent à l’abri de leurs retranchements. Elle augura bien de cette timidité pour l’heureux succès de ses armes. Lorsque sa dernière phalange eut opéré son débarquement, Jeanne, à la tête de deux mille hommes, miliciens et paysans, marche droit à la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, fortifiée de la même façon que la bastille de Saint-Loup. Maître Jean, afin de protéger la descente des assaillants dans le fossé d’enceinte, établit Jeannette et Jeanneton sur le revers de la douve, et les pointe contre les parapets de la redoute, dont les bombardes, les machines de traits commençaient de lancer leurs projectiles sur les Français ; mais grâce à la précision du tir du coulevrinier, plusieurs de ces engins de guerre sont renversés. L’assaut devenu ainsi moins meurtrier, la Pucelle et sa troupe traversent le fossé, laissent morts ou blessés bon nombre des leurs, gravissent le revers de l’escarpement, arrivent aux palissades, les forcent ; le blanc étendard flotte bientôt sur le boulevard des retranchements, et après une résistance désespérée, les Anglais, cédant soudain à la panique, plus que jamais persuadés que la Pucelle est endiablée, tournent casaque, traversent la Loire à un passage guéable, et se retirent en désordre dans une petite île voisine de Saint-Aignan. L’attaque, rude, sanglante, dura plus de deux heures ; Jeanne, avant d’accorder un moment de repos à ses gens, ordonne que les casernes de la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, construites en charpentes, soient livrées aux flammes, afin de ruiner ces ouvrages et de signaler sa nouvelle victoire aux bonnes gens d’Orléans. Après une courte halte, les combattant, exaltés par le triomphe, suivent la guerrière à l’attaque du couvent des Augustins, fortifié puissamment ; il fallait l’enlever avant de commencer le siége de Tournelles, véritable forteresse élevée à l’entrée du pont de la ville. Jeanne, grâce à un hasard attribué par ses croyants à une protection divine, n’avait pas été jusqu’alors blessée, bien qu’elle eût toujours marché à la tête des siens ; mais grand nombre d’entre eux étaient tombés à ses côtés. Malgré cette réduction notable de ses forces, elle laisse derrière elle la redoute incendiée pour livrer assaut au couvent des Augustins, défendu par plus de deux mille hommes de garnison, auxquels venaient de se joindre un millier de soldats accourus des Tournelles ; grâce à ce renfort, les chefs anglais, au lieu d’attendre l’ennemi à l’abri des fortifications du couvent, se décident à tenter un coup décisif, à livrer bataille en plaine, comptant sur l’avantage du nombre, soutenus qu’ils sont par une partie des troupes de la redoute de Saint-Privé (élevée à droite et à quelque distance des Tournelles), aussi sorties de leurs retranchements afin de prendre à revers les Français. Jeanne, commandant environ quatorze cents hommes, se trouvait donc en face de plus de trois mille hommes, et menacée sur son flanc droit par un autre corps considérable.

À la vue de la supériorité numérique de l’ennemi, s’avançant, en masses compactes couvertes de fer, le rouge étendard de Saint-Georges, flottant au vent, la guerrière se recueille un instant, croise ses mains sur son sein cuirassé, lève vers le ciel son regard inspiré ; soudain elle croit entendre la voix mystérieuse de ses saintes murmurer à son oreille :

« — Va, fille de Dieu ! attaque audacieusement l’ennemi ; quelle que soit sa force, tu vaincras !… »

La Pucelle tire pour la première fois son épée, s’en sert pour désigner l’ennemi, se retourne vers ses troupes, saisit son étendard de la main gauche, et s’écrie d’une voix éclatante : 


— Hardi ! en avant ! Dieu est avec nous !

Ces mots, accompagnés d’un geste héroïque, la sublime expression des beaux traits de la guerrière, entraînent les soldats sur ses pas, tous les cœurs sont embrasés de patriotisme qui l’enflamme ; ces hommes ne sont plus eux, mais elle-même ! toutes les volontés semblent concentrées dans une seule volonté, la sienne ! toutes les âmes fondues en une seule, la sienne ! Et comme la sienne, en cette heure suprême, elles atteignent à ce superbe dédain de la mort dont étaient transportés les Gaulois nos pères lorsque, demi-nus, ils s’élançaient sur les légions romaines bardées de fer, les terrifiant, les ébranlant par leur seule outre-vaillance. Il en est d’abord ainsi de l’attaque intrépide de la vierge des Gaules : loin de céder au nombre, selon l’espoir des Anglais, elle fond sur eux à la tête de sa troupe ; stupéfaits, épouvantés de tant d’audace, ils l’attribuent à des sorcelleries. Il fallait, pensaient-ils, que la Pucelle et les siens se sentissent invulnérables ou protégés par une puissance surhumaine, diabolique, pour faire preuve d’un courage dont la témérité touchait à la folie. Tel fut l’empire de cette superstitieuse impression sur les soldats d’Angleterre, qu’au lieu d’affronter avec leur bravoure habituelle le choc impétueux de la guerrière, ils mollissent, se rompent, ouvrent leurs rangs, malgré les ordres, les menaces, les imprécations, les efforts désespérés de leurs capitaines ; une large trouée est faite au centre de l’ennemi. Ce premier succès exalte les gens d’Orléans jusqu’au délire de l’héroïsme, ils font rage à coups d’épées, de piques, de masses d’armes ; la trouée s’élargit, sanglante, profonde, le blanc étendard de la Pucelle avance… le rouge étendard de Saint-Georges recule… Les bras des Anglais, pendant un moment paralysés comme leur valeur, frappent des coups incertains ; quelques Français seulement sont tués ou blessés, mais enfin leur sang coule. Le comte de Suffolk, qui se comportait intrépidement, s’écrie en montrant à ses hommes, égarés par la panique, son épée rougie :

— Voyez ce sang, misérables lâches !… croyez-vous maintenant ces ribauds invulnérables ? vous laisserez-vous vaincre par une vachère ?… Si elle est sorcière, prenons-la, mort-Dieu ! et brûlons-la… le charme cessera !… Mais pour la prendre, cette p… des Armagnacs, combattons ou mourons en soldats de la vieille Angleterre !…

Cet énergique et grossier langage, l’exemple de l’opiniâtre résolution de leurs chefs, la certitude de l’infériorité numérique des troupes de la Pucelle, le son retentissant des clairons de la garnison de Saint-Privé accourant au secours des Anglais engagés, raniment leur courage, la honte, la colère de la défaite, changent leur panique en une exaltation furieuse. Ils reforment leurs rangs, reprennent l’offensive ; malgré les prodiges de vaillance de leurs adversaires, ils les forcent à leur tour de reculer en désordre. Au milieu de cette lutte acharnée, Jeanne eût été tuée sans le dévouement de maître Jean et d’une vingtaine d’hommes déterminés ; ils lui font, malgré elle, un rempart de leurs corps, voulant préserver sa vie, si chère, si précieuse à tous. Ils défendent le terrain pied à pied, à chaque instant cette poignée de braves s’éclaircit ; une centaine des leurs, combattant à l’aile gauche refluent, écrasés par le nombre. Dans ce mouvement de retraite et de confusion, Jeanne est entraînée malgré elle vers le rivage de la Loire, quelques voix éperdues crient déjà :

— Aux bateaux !… sauve qui peut !… Aux bateaux !…

Les Anglais, triomphants, poursuivent la Pucelle de leurs huées, de leurs injures accoutumées :

— Ribaude ! vachère ! paillarde !

— Nous allons te prendre et te brûler, sorcière !

La panique cette fois a gagné les rangs des Français. Ils se débandent, fuient en plein désarroi vers la Loire ; la Pucelle s’efforce en vain de les rallier. Soudain, cédant à une inspiration de son génie, au lieu de résister au courant qui l’emporte, elle le devance, gagne de vitesse les plus agiles des fuyards, en agitant son étendard ; ils la suivent, se joignent à elle, et ainsi forcément se reforment à peu près en ordre. Les huées, les imprécations méprisantes des Anglais redoublent contre la guerrière, surtout lorsqu’ils voient les mariniers, témoins de la défaite, partager la panique générale, hisser en hâte les voiles des bateaux, seul moyen de retraite des Français, et s’éloigner du rivage, de crainte d’être abordés par les vainqueurs ; ceux-ci, dès lors certains du succès de la journée, dédaignent même de précipiter la déroute des fuyards. Acculés à la Loire, ils vont être noyés ou pris, et Jeanne des premières ; le gros de la troupe des Anglais s’arrête pour pousser trois hurras de triomphe, quelques compagnies s’avancent seules, avec une lenteur dérisoire, afin d’opérer une capture si facile.

— Allons, Jeanne, allons ! — crient de loin les chefs, — allons, ribaude ! rends-toi !… Tu seras brûlée, sorcière ! c’est ton destin !… tu n’y saurais échapper maintenant !…

Cette présomptueuse confiance de l’ennemi donne le temps à l’héroïne de réunir et de reformer en bataille ses gens accourus vers la Loire.

— Prisonniers ou noyés ! — leur dit-elle, en leur montrant les bateaux éloignés du rivage. — Encore un effort… et, de par Dieu, nous vaincrons, comme nous avons déjà vaincu !… Attaquons d’abord l’avant-garde des Anglais, qui croit déjà nous tenir… Hardi ! en avant !…

Et, faisant volte-face, elle court à l’ennemi.

— Hardi ! en avant ! en avant !… — répètent maître Jean et les plus déterminés des citadins d’Orléans en suivant la guerrière.

— Hardi ! en avant ! — répètent leurs compagnons.

Ce n’est plus du courage, ce n’est plus de l’héroïsme, c’est une frénésie surhumaine qui transporte cette poignée de Français et décuple leurs forces. Les compagnies ennemies détachées en avant-garde pour s’assurer d’une capture qu’ils croyaient assurée, stupéfaites de ce mouvement offensif, ne peuvent tenir contre l’irrésistible choc de ce suprême élan du désespoir et du patriotisme ; ramenées en désordre, l’épée dans les reins, vers le corps de bataille, elles culbutent ses premiers rangs, y jettent l’épouvante ; la confusion en criant :

— Le diable est avec cette sorcière !… les démons combattent pour elle !…

Les craintes superstitieuses des Anglais, portées à leur comble par le premier avantage de Jeanne et quelque peu calmées par son échec momentané, reprennent sur eux un nouvel empire, justifié par l’audace inouïe de ces hommes qui, naguère en fuite, retournent à l’attaque avec une si folle intrépidité. Les premiers rangs de l’ennemi enfoncés, l’alarme se propage d’autant plus vive, qu’en la partageant ceux qui se trouvent éloignés du centre de l’action ignorent la cause de cette brusque déroute. On se heurte, on se foule, on s’écrase, les ordres des chefs se perdent au milieu de cet effroyable tumulte, leurs efforts sont impuissants à conjurer cette défaite ; les cris des premiers fuyards : — « La sorcière a déchaîné sur nous ses démons ! » — se répètent de bouche en bouche. Pour comble d’effroi, les Anglais de la bastille de Saint-Privé, arrivant au secours des leurs, aperçoivent les bateaux, d’abord éloignés de la rive, y revenir encombrés de soldats, après avoir touché à l’autre bord, où étaient enfin arrivées les compagnies des chefs de guerre, ceux-ci, cédant non moins à un tardif point d’honneur qu’à l’exaspération des habitants d’Orléans, furieux de voir leurs milices seules au combat, se décidaient à opérer leur jonction avec la Pucelle[38]. À la vue de ce renfort, les Anglais regagnent à toutes jambes le couvent des Augustins, ceux de Saint-Privé pareillement, ceux des tournelles également ; aussi, lorsque les troupes amenées par le maréchal de Saint-Sever et autres chevaliers débarquaient sur la plage, la guerrière se préparait à attaquer le couvent des Augustins, sachant les vaillants qu’elle commandait capables de tout entreprendre, de tout oser, depuis leur prodigieux succès ; et ne voulant pas donner à l’ennemi le temps de se remettre de sa panique. Jeanne, soutenue par les renforts des capitaines, s’élance à l’assaut du couvent ; au moment où, la première, elle mettait le pied dans un étroit passage conduisant aux palissades qu’elle voulait forcer, elle pousse un grand cri, sentant des dents de fer la saisir, la mordre un peu au-dessus de la cheville, broyer le fer de son jambard et ne s’arrêter qu’à l’os de sa jambe ; elle avait mis le pied dans l’une des chausse-trappes disposées à l’avance par les Anglais en cet endroit[39]. La douleur fut si vive, que Jeanne, déjà épuisée par les fatigues de la journée, s’évanouit et tomba entre les bras de Daulon, son écuyer ; lorsqu’elle revint à elle, le jour finissait, les retranchements étaient emportés, leurs défenseurs tués ou prisonniers. On avait transporté l’héroïne dans le logement de l’un des capitaines anglais tués pendant le combat ; elle se vit entourée des chefs de guerre. Son écuyer s’apprêtait à déboucler son jambard, afin de panser sa blessure ; mais, rougissant de pudeur à l’idée d’exposer sa jambe nue aux regards de ces hommes, Jeanne refusa obstinément ses soins, et ne songeant qu’à profiter de la prise du couvent des Augustins, elle défend de l’incendier, ordonne d’y loger pendant la nuit une forte garnison qu’elle conduira le lendemain matin à l’attaque des Tournelles. Après ces ordres et d’autres encore, donnés particulièrement à maître Jean avec cette sagacité militaire su remarquable en elle, la guerrière demanda d’être reconduite en bateau à Orléans, se sentant incapable de marcher, à cause des douleurs que lui causait sa blessure. Le couvent des Augustins s’élevait presque sur les bords de la Loire ; Daulon, maître Jean, quelques-uns de ses coulevriniers, portèrent Jeanne jusqu’à la rive du fleuve sur un brancard improvisé avec des bois de lances, la placèrent dans un bateau, où quelques-uns entrèrent, ainsi que son page et son écuyer ; puis l’on fit force de rames vers Orléans, où la guerrière put débarquer à la nuit. Jeanne pria Daulon d’étendre son manteau sur le brancard où elle fût replacée au sortir du bateau, désirant, par modestie, n’être pas reconnue durant le trajet du quai au logis de son hôte ; car toutes les fenêtres étaient illuminées. Mais, invisible à tous, elle fut témoin de la joie délirante qu’inspirait son dernier triomphe à la population répandue dans les rues ; on eût dit une soirée de fête, l’espérance épanouissait tous les visages. La Pucelle avait, en deux jours, détruit ou enlevé trois des plus redoutables fortifications des Anglais, délivré grand nombre de prisonniers (il s’en trouvait plus de huit cents dans le seul couvent des Augustins) ; en vertu de la confiance qu’elle inspirait l’on ne doutait plus du bon succès de l’assaut du lendemain, les Tournelles seraient enlevées, et, ainsi qu’elle l’avait promis de par Dieu, l’ennemi lèverait le siége d’Orléans.

La Pucelle, cachée sous le manteau qui la couvrait, fut transportée chez Jacques Boucher. Sa femme et sa fille, aussi instruites de la victoire du jour par la clameur publique, mais pleines d’anxiété sur le sort de la victorieuse, la voyant apporter étendue sur un brancard, furent d’abord saisies d’effroi ; mais bientôt Jeanne les rassura, les assurant qu’avec leur aide elle pourrait monter à sa chambre. Là, elle reçut de ses hôtesses les soins empressés dont sa chasteté n’avait pas à s’offenser ; Madeleine et sa mère, ainsi que toutes les femmes de ce temps-ci, possédaient quelques notions du pansement des plaies ; elles appliquèrent l’huile, le baume, le lin, sur la blessure de l’héroïne, après l’avoir désarmée, remarquant avec inquiétude son armure faussée, éraillée, ou même fortement entamée en vingt endroits par des coups de lance ou d’épée. De nombreuses contusions, bleuâtres, douloureuses, résultant de tant de chocs, amortis grâce à sa cuirasse et à ses brassards, meurtrissaient çà et là le corps de Jeanne, ressentant seulement alors les souffrances, les fatigues, auxquelles sa vaillante énergie l’avait rendue insensible durant l’acharnement du combat. Elle prit un peu de nourriture, fit sa prière du soir, remercia Dieu et ses saintes de l’avoir soutenue dans ces luttes sanglantes, implorant leur aide pour la bataille du lendemain. La guerrière se préparait à demander au sommeil un repos réparateur, lorsque maître Boucher, ayant frappé à la porte, demanda d’être introduit près de Jeanne, pour un motif aussi urgent qu’important. Elle s’enveloppa en hâte de l’une des robes de Madeleine afin de recevoir la visite de son hôte, et fut tout d’abord frappée de l’indignation, du courroux, dont ses traits étaient empreints ; car, en entrant, il s’écria devant sa femme et sa fille, non moins inquiètes que la guerrière :

— Quelle impudence ! j’ai peine à la concevoir ! Savez-vous, Jeanne, qui je viens de voir à l’instant ?… Le sire de Gaucourt… — Et à un mouvement interrogatif que fit la guerrière, son hôte ajouta : — Croiriez-vous que cet homme a déjà oublié la rude leçon de ce matin ? Croiriez-vous qu’à son instigation les capitaines, réunis ce soir après souper, ont décidé (je vous répète textuellement les paroles de ce Gaucourt), ont décidé que : vu le petit nombre des compagnies d’hommes d’armes réunies dans Orléans, le conseil de guerre s’oppose à la bataille de demain, déclarant que l’on doit se tenir satisfait des succès remportés jusqu’ici, attendre des renforts… et, jusqu’à leur arrivée, ne rien tenter contre les Anglais[40]. Je suis chargé, Jeanne, de vous faire connaître cette détermination, afin que vous vous y conformiez…

— C’est une odieuse trahison ! — s’écria dame Boucher, fort étrangère au métier des armes, mais frappée de l’indignité de la décision des chevaliers. — Quoi ! rester dans nos murs à la veille d’un dernier triomphe qui doit délivrer la cité !

— J’ai nettement parlé en ce sens au sire de Gaucourt, — poursuivit Jacques Boucher. — J’ai consenti à communiquer à Jeanne le résultat du conseil des capitaines, déclarant d’avance que j’étais certain qu’elle refuserait de leur obéir, et qu’en ce cas, l’appui des échevins et des bonnes gens d’Orléans ne lui manquerait pas…

— Vous avez répondu, messire, ce que j’aurais répondu moi-même, — reprit la guerrière avec un sourire d’une amertume navrante, provoqué par cette nouvelle preuve de la perfidie de ces gens de guerre. — Rassurez-vous… Vos vaillantes milices occupent cette nuit le couvent des Augustins ; dès demain, au point du jour, j’irai les rejoindre afin de les conduire à l’assaut, et, avec l’aide du ciel et leur courage, nous enlèverons les Tournelles. Quant au méchant vouloir des capitaines, j’ai un moyen certain d’en triompher ; c’est pourquoi je vous ai demandé de me faire escorter demain à l’aube par les trompettes de la cité. Bonsoir, messire, ayez confiance et courage : la bonne ville d’Orléans sera délivrée de par Dieu !…

Jacques Boucher se retira, suivi de sa femme. Madeleine resta seule auprès de la guerrière ; elle se mit au lit. Cédant cependant à un vague pressentiment, Jeanne pria sa compagne, à qui elle avait ingénuement avoué sa complète ignorance de l’écriture et de la lecture, d’écrire à Isabelle Darc, sa mère, une lettre qu’elle dicta, lettre simple, touchante, respectueuse, où perçait à chaque mot son amour pour sa famille et le souvenir de ses jours heureux passés à Domrémy ; dans cette missive, elle n’oubliait ni ses amies du village, ni même le bon vieux sacristain qui pour la satisfaire, au temps de son enfance, alors qu’elle aimait si passionnément le son des cloches, prolongeait à dessein la sonnerie des matines ou de l’Angelus. Cette lettre, empreinte de sentiments graves, religieux et doux, témoignait d’une appréhension confuse au sujet des chances meurtrières de la bataille du lendemain. Madeleine, qui, plus d’une fois, avait essuyé des larmes en écrivant sous la dictée de la guerrière, fut frappée de cette appréhension, et dit d’une voix tremblante :

— Hélas ! Jeanne, l’on croirait que vous craignez qu’il vous arrive malheur !

— Que la volonté du ciel soit faite ! chère Madeleine ; mais je ne sais pourquoi, il me semble que je dois être encore blessée demain[41]. Ah ! je le disais bien, on a eu tort de tant tarder à m’employer… je ne dois pas vivre longtemps !… — Et après un moment de silence pensif, Jeanne ajouta : — Dieu vous garde ! chère compagne, je vais m’endormir… je ressens une grande fatigue, il faut pourtant que demain je sois sur pied avant l’aube !


journée du samedi 7 mai 1429.


Au point du jour, Jeanne s’arma, aidée par Madeleine, la blessure qu’elle avait reçue à la jambe lui causait une vive douleur ; aussi, quoique le trajet fût court depuis Orléans jusqu’au couvent des Augustins, elle avait demandé son cheval. Madeleine, après avoir tendrement embrassé sa compagne, la soutint pour l’aider à descendre les degrés jusqu’au seuil du logis. Là se trouvaient Jacques Boucher, sa femme et une de leurs amies, nommée Colette, épouse du greffier Millet ; tous trois, déjà levés, attendaient la guerrière pour lui adresser leurs adieux. La tristesse se peignait sur leurs traits en songeant aux nouveaux périls que l’héroïne allait braver ; elle calma de son mieux ces appréhensions, recommanda très-instamment à maître Jacques Boucher de faire proclamer que, pour le bon succès de l’assaut des Tournelles, ce fort (selon ses ordres à elle, Jeanne) devait être assailli du côté du pont, par les chefs de guerre, au moment où elle commencerait l’attaque du côté du couvent des Augustins. Les capitaines, ainsi forcés de céder à la clameur publique, n’oseraient persister dans leur coupable résolution de la veille ; il prêteraient, bon gré, mal gré, leur concours à la guerrière. Elle achevait de donner ces instructions à son hôte, lorsqu’un pêcheur vint proposer à dame Boucher une énorme alose qu’il venait de prendre dans la Loire ; Jeanne, afin de ne pas laisser ses hôtes sous une impression de tristesse, dit gaiement à Jacques Boucher :

— Messire, achetez cette alose et gardez-la pour ce soir ; je reviendrai par le pont d’Orléans lorsque nous aurons pris les Tournelles, et je vous ramènerai un goddon (un Anglais) prisonnier, qui prendra sa part de notre souper[42].

Jeanne, montant à cheval, précédée de son écuyer, de son page et des trompettes de la ville, sonnant par son ordre le réveil et l’appel aux armes, traversa ainsi toute la cité, afin de se rendre à la porte de Bourgogne, où l’attendaient maître Jean le canonnier, le syndic des charpentiers, nommé Champeaux, et le syndic des pêcheurs, nommé Poitevin, tous deux aussi intelligents que résolus. La Pucelle, en parcourant ainsi les rues au bruit retentissant des clairons sonnant l’appel aux armes, voulait mettre les citadins en éveil et leur faire savoir qu’elle partait pour l’assaut, espérant ainsi contraindre les capitaines à la seconder dans un combat d’où dépendait la délivrance d’Orléans ; sinon, couverts cette fois d’une honte ineffaçable, exposés à l’indignation populaire par un refus de concours, ils risquaient leur vie. Jeanne en arrivant à la porte de Bourgogne y trouva maître Jean le canonnier, accompagné de ses deux amis, Champeaux le charpentier, Poitevin. le marinier. Au premier, elle commanda de façonner promptement, à grand renfort d’ouvriers, un pont volant destiné à être jeté sur la rivière ; il remplacerait les deux arches de l’ancien pont de pierre, depuis longtemps coupées par les Anglais, afin d’isoler les Tournelles du boulevard de la ville, en leur donnant la Loire pour fossé ; mais cette communication rétablie, selon que le voulait la guerrière, permettrait aux capitaines restés dans Orléans de s’avancer jusqu’au pied de la forteresse et de l’assaillir. La pose du pont et le commencement de cette attaque seraient annoncés par le tintement du beffroi ; à ce signal, Jeanne marcherait à l’assaut de son côté. Le charpentier promit que tout serait prêt en deux heures. L’écuyer Daulon fut chargé par Jeanne d’aller instruire de ces dispositions les chefs de guerre ; puis, prévoyant qu’ils pourraient ne pas exécuter ses ordres, ou combattre mollement, elle commanda au marinier Poitevin de remplir de fagots arrosés de goudron deux grands bateaux de la Loire, et, dans le cas où l’attaque par le pont volant n’aurait pas lieu ou serait repoussée, le marinier, assisté de quelques hommes intrépides, devait attacher les deux brûlots à la charpente et aux pilotis des Tournelles, afin de les embraser. Les Anglais auraient ainsi derrière eux l’incendie, et de front, les assaillants.

Maître Jean, selon les instructions de la guerrière à lui données après le combat de la veille, s’était occupé durant la nuit de faire transporter sur des chariots grand nombre d’échelles d’escalade devers le couvent des Augustins ; puis, à l’aide de ses bons compères, le marinier Poitevin, le charpentier Champeaux, et de leurs artisans, il avait établi deux ponts de bateaux, le premier jeté de la rive droite de la Loire à la petite île de-Saint-Aignan, le second jeté de cette île à une chaussée pratiquée sur la rive gauche du fleuve presque en face de la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, détruite précédemment. En ouvrant cette voie aux gens de pied, aux chevaux, aux machines d’artillerie, la Pucelle voulait faciliter le passage des troupes et des canons de maître Jean, ainsi amenés aisément d’Orléans aux abords des Tournelles et assurer la retraite des combattants en cas d’échec.

Jeanne allait atteindre le pont de bateaux, lorsqu’elle fut rejointe par Dunois et Lahire. Ces capitaines, cédant non moins au point d’honneur qu’au cri public de la cité, avertie du départ de Jeanne pour l’assaut, venaient, à la tête de leurs compagnies, prendre part au combat ; le commandeur de Girême, le maréchal de Saint-Sever et autres chefs de guerre, devaient, conformément aux ordres de la Pucelle, assaillir de leur côté les Tournelles au premier tocsin du beffroi, signal convenu pour annoncer la pose du pont volant et le commencement de l’attaque sur les deux points à la fois. L’héroïne, suivie de Lahire et de Dunois, arriva devant le couvent des Augustins ; là, les héros miliciens de la veille, formés en bataille dès le point du jour, attendaient avec une valeureuse impatience le moment de marcher à l’ennemi ; leurs acclamations accueillirent la venue de Jeanne. Elle voulut, en attendant le moment de l’assaut général, visiter les abords des Tournelles, s’approcha de cette forteresse, défendue par un large fossé, au-delà duquel s’élevait un retranchement palissadé, puis un rempart bien muni d’artillerie, flanqué de tourelles en charpente ; ces ouvrages présentaient un front formidable. Déjà les engins d’artillerie de grande portée lançaient à toute volée leurs balles contre maître Jean et ses coulevriniers, alors en train d’asseoir leurs canons, afin de les pointer contre les remparts et d’y pratiquer une brèche pour l’assaut. La guerrière, insoucieuse des boulets qui venaient parfois labourer le sol aux pieds de son cheval, examina très-attentivement l’assoiement des bombardes de maître Jean ; puis, avec une précision de coup d’œil dont fut confondu le vieux coulevrinier, elle l’engagea de rectifier la position de quelques engins d’artillerie ; il reconnut la justesse des observations de Jeanne, fit selon qu’elle désirait. Soudain le son du beffroi retentit au loin ; il devait signaler l’attaque générale, il n’en fut rien : au lieu de commencer l’action de leur côté, les chefs de guerre gagnèrent du temps par de fausses manœuvres, laissèrent Jeanne s’engager d’abord avec ses troupes contre les Anglais, et espéraient que ceux-ci, n’étant pas obligés de diviser leurs forces ainsi qu’elle s’y attendait, l’écraseraient en les concentrant. Ignorant cette nouvelle trahison des chevaliers, la Pucelle donna ordre à maître Jean d’ouvrir son feu contre les remparts, pour protéger la descente des troupes dans le fossé ; elles s’ébranlèrent ; mais ne pouvant supporter l’idée de rester clouée sur son cheval au lieu de prendre une part active à ce combat décisif, la guerrière, malgré sa blessure de la veille, mit pied à terre, surmonta des souffrances aiguës, oubliées bientôt dans l’effervescence du combat, et, son étendard à la main, marcha la première à l’assaut.

Les Anglais étaient commandés par leurs plus illustres chefs renfermés dans les Tournelles : le sire de Talbot, le comte de Suffolk, Gladescal et d’autres encore. Ces capitaines, désespérés de leur défaites récentes, voulaient les venger à tout prix. Cette journée suprême allait décider du sort d’Orléans, peut-être de la puissance anglaise en Gaule ; il fallait, par une éclatante victoire, relever le moral des troupes découragées. Les chefs, rassemblant leurs soldats d’élite, vainqueurs dans vingt batailles, leur rappellent leurs succès passés, surexcitent leur orgueil national, raniment leur ardeur martiale ! et parviennent à effacer encore une fois de l’esprit de leurs hommes la terreur superstitieuse dont les a frappés la Pucelle. Les Français éprouvent une résistance furieuse, acharnée ; trois fois ils montent à l’assaut, trois fois ils sont repoussés, les échelles culbutées, rompues sous le poids de ceux qui les gravissent ; une grêle de balles, de traits, de carreaux, de viretons, crible les Français, le fond des fossés se pave de morts, de mourants. Maître Jean, la brèche ouverte, était parvenu à rejoindre la Pucelle au moment où elle s’élançait sur une échelle que des intrépides appliquaient pour la quatrième fois au pied d’une tour élevée ; maître Jean suit la guerrière, elle avait déjà gravi quelques échelons, lorsqu’elle est frappée au défaut de son gorgerin et de sa cuirasse par un vireton, long trait acéré, lancé par une baliste avec une telle force, que, traversant le part en part l’armure de la Pucelle, il entre à la naissance de son sein, ressort à demi vers la partie inférieure de son épaule, et reste engagé dans cette profonde blessure[43]. L’héroïne, renversée en arrière par la violence du coup, tombe dans les bras du canonnier, qui montait derrière elle ; il parvient, à l’aide de quelques miliciens, à la transporter défaillante en dehors du fossé. Elle est déposée sur le gazon au pied d’un grand arbre, à peu près à l’abri des projectiles ennemis. Devenant très-pâle, elle se sentait, disait-elle, mourir… mais conservait toute sa présence d’esprit et déplorait amèrement l’inertie des capitaines, qui, n’ayant pas attaqué les Tournelles du côté de la ville, compromettaient une victoire certaine sans leur trahison. Soudain l’écuyer Daulon, instruit de la blessure de la guerrière par des rumeurs répandues de proche en proche, accourt, et, la voyant si grièvement atteinte, s’écrie que, pour l’empêcher d’être étouffée par le sang, il faut à l’instant délacer sa cuirasse et arracher le fer de la plaie… À ces mots, le pâle visage de Jeanne s’empourpre de confusion, sa pudeur se révolte à la pensée d’exposer ses épaules et son sein nus aux regards des hommes dont elle est entourée, appréhension si pénible, qu’elle ne peut retenir ses larmes[44], larmes touchantes, arrachées non par la douleur du corps, mais par la chasteté de l’âme !… Maître Jean, maintes fois blessé lui-même, affirme aussi que laisser quelques moments de plus le fer dans la plaie, c’est exposer les jours de l’héroïne ; en effet, de plus en plus oppressée, elle croyait toucher à son agonie, cependant elle ne voulait pas mourir encore : sa mission n’était pas accomplie. Elle invoque ses saintes, se réconforte par cette prière mentale, y puise le courage de se résigner à une nécessité cruelle pour sa pudeur ; mais avant de permettre que l’on s’occupât du pansement de sa plaie, Jeanne ordonne de suspendre l’assaut, les troupes ayant besoin de repos. Elle charge Dunois, qui accourt auprès d’elle avec Lahire et Xaintrailles, d’envoyer à l’instant à Orléans l’un des capitaines s’enquérir des causes de la fatale inaction des autres chefs de guerre et de leur enjoindre de commencer dans une heure l’attaque du côté du pont, sinon de faire du moins approcher des Tournelles les brulôts de Poitevin le marinier ; le beffroi donnerait le signal de ces opérations. Les trompettes sonnent la retraite, aux acclamations triomphantes des Anglais, enivrés de ce premier succès ; mais grâce à la vaillante exaltation inspirée par l’héroïne à ses soldats, ils demandent à grands cris de retourner bientôt à l’assaut, afin de la venger. Un cercle de sentinelles, placées à quelque distance de l’arbre au pied duquel on l’avait étendue, contient la foule inquiète, frémissante et désolée. La guerrière, rougissant de confusion, permet enfin à son écuyer de délacer sa cuirasse, et d’une main ferme arrache elle-même le fer de son sein, sans pouvoir étouffer un cri de douleur atroce. Dunois et les autres chevaliers voulaient obstinément la faire transporter à Orléans, où elle recevrait, disaient-ils, de meilleurs soins, lui proposant aussi de remettre le combat au lendemain ; elle s’y oppose de toutes les forces qui lui restent, affirme que si les chefs de guerre la soutiennent, quoique tardivement, du côté d’Orléans, lorsque l’attaque recommencera, le succès est certain, et termine en disant à Dunois :

— Que nos gens prennent quelque nourriture et se reposent, nous retournerons à l’assaut ; les Tournelles seront à nous, de par Dieu[45] !

Le fer extirpé de la blessure, la guerrière consentit à se laisser panser ; ce que sa chasteté souffrit en ce moment surpassa les plus grandes douleurs physiques… Lorsque, après avoir quitté sa cuirasse et son buffle, elle sentit sa camise de lin, trempée de sang, qui seule voilait encore ses épaules et son sein, écartée par les mains de son écuyer, ému de respect, Jeanne, frissonnant de tout son corps, ferma involontairement les yeux ; l’on eût dit qu’elle espérait clore aussi sous ses paupières les regards qu’elle redoutait… Mais la vierge de la patrie était si sacrée pour tous, que l’ombre même d’une mauvaise pensée ne troubla pas la pureté du pieux attendrissement de ceux-là qui virent ainsi la belle guerrière demi-nue[46].

Daulon, ainsi que tous les écuyers de profession, était expert en chirurgie ; il portait avec lui, dans une pochette de cuir suspendue à son côté, du linge, de la charpie, un flacon de baume. Il posa le premier appareil sur la blessure, si dangereuse, selon lui, que Jeanne commettrait une imprudence mortelle en retournant au combat ; elle fut inflexible à ce sujet. Elle éprouvait déjà tant de soulagement, disait-elle, qu’elle ressentait à peine sa plaie ; son gorgerin, étroitement relacé, maintiendrait l’appareil ; elle demanda seulement, pour apaiser sa soif brûlante, quelques gouttes de breuvage. Maître Jean alla remplir à un ruisseau voisin une gourde à moitié pleine de vin, qu’il offrit à la guerrière ; elle se désaltéra, revêtit son armure, se leva debout et fit quelques pas, afin d’essayer ses forces. Ses traits célestes, pâlis par la perte de son sang, reprirent bientôt leur expression sereine et résolue ; elle engagea ceux qui l’entouraient à s’écarter pendant un moment, s’agenouilla près du vieux chêne, joignit les mains, se recueillit, pria, remercia ses bonnes saintes de l’avoir délivrée d’un péril mortel, les supplia de la soutenir, de la protéger encore. Presque aussitôt il lui sembla entendre les voix mystérieuses murmurer à son oreille :

— Va, fille de Dieu !… courage ! combats avec ton audace accoutumée… le ciel te donnera la victoire !…

L’héroïne, inspirée, se relève, coiffe son casque, saisit sa bannière, appuyée au tronc de l’arbre, et s’écrie d’une voix vibrante :

— Maintenant, à l’assaut !… les Tournelles seront à nous de par Dieu !… Aux armes !… hardi !… en avant[47] !…

Ce cri de guerre est répété de proche en proche avec un frémissement de bravoure impatiente. Soudain les sons précipités du beffroi, les détonations des bombardes éclatant du côté de la ville, annoncent enfin à Jeanne la tardive exécution de ses ordres ; les chefs de guerre assaillaient les Tournelles par le pont au moment où elle allait de nouveau les attaquer de front. Cette heureuse diversion redouble l’ardeur des soldats de la Pucelle ; guidés par elle, ils recommencent l’assaut avec un élan irrésistible… Oui, irrésistible, fils de Joel ; car, après une lutte opiniâtre, sanglante, prolongée jusqu’à la tombée de la nuit, les Tournelles furent emportées. Oui, comme la veille, lors de la prise du couvent des Augustins, les derniers rayons du soleil enveloppèrent de leur vermeille auréole les plis flottants de l’étendard de Jeanne Darc, planté sur les créneaux démantelés de la forteresse anglaise…

Gladescal, qui avait si outrageusement injurié Jeanne, fut tué pendant le combat, ainsi que le seigneur de Moulin, le seigneur de Pommiers, le bailli de Trente, et grand nombre de nobles ou bannerets d’Angleterre ; presque tous leurs hommes furent prisonniers, noyés ou brûlés en voulant fuir, après leur défaite, par le pont volant, au-dessous duquel Poitevin le mariner lança ses brûlots enflammés. Le pont s’embrasa, s’effondra sous le poids des fuyards ; ils périrent dans les flammes ou dans les flots.

Selon les prévisions de Jeanne, les garnisons des autres bastilles, au nombre de huit à dix mille hommes, délogeant en hâte pendant la nuit qui suivit la prise des Tournelles, se retirèrent, frappées d’épouvante et de consternation. La guerrière, au point du jour, monte à cheval, rassemble les milices urbaines, quelques compagnies des capitaines, sort en bon ordre de la ville, et va offrir le combat aux Anglais ; mais ils battent précipitamment en retraite devers Meung et Beaugency, places fortes qu’ils tenaient encore. Ce jour-là, le dimanche 8 mai 1429, Jeanne rentra dans Orléans, à la tête des troupes, et alla entendre la messe de midi à l’église de Sainte-Croix, au milieu d’un concours immense de peuple, ivre de joie et de reconnaissance pour la guerrière, l’ange sauveur d’Orléans !

Telle fut la semaine de Jeanne Darc, fils de Joel !… En huit jours et en trois combats, elle fit lever un siége qui durait depuis près d’un an… et ainsi porta un coup mortel à la domination anglaise dans les Gaules.


Écoutez, fils de Joel, cette légende de la plébéienne catholique et royaliste : — Charles VII devait sa couronne à Jeanne Darc… il l’a honteusement reniée, lâchement délaissée ! — Chaque jour elle s’agenouillait pieusement devant les prêtres… leurs évêques l’ont brûlée vive ! — La couardise de la chevalerie avait donné la Gaule aux Anglais, — le patriotisme de Jeanne Darc, son génie militaire, triomphent enfin de l’étranger… elle est poursuivie, trahie, livrée par la haineuse envie des chevaliers ! — Pauvre plébéienne, l’implacable jalousie des capitaines et des courtisans, l’ingratitude royale, la férocité cléricale, ont fait ton martyre ! — Sois bénie à travers les âges, ô vierge guerrière ! sainte fille de la mère-patrie !… — Écoutez, fils de Joel, écoutez cette légende, — et jugez à l’œuvre : gens de cour, gens de guerre, gens d’Église et royauté !…


  1. Procès de rév., t. III, p. 84.
  2. Ibid., p. 80.
  3. Journal du siége d’Orléans, vol. IV, p. 105.
  4. Procès, t, III, p, 71.
  5. Déposit. de Louis Leconte, t. III, p. 72.
  6. Procès de réhab., t. III, p. 87
  7. Procès de réhab., t. III, p. 124.
  8. Ibid.
  9. Procès de rev., t III., p. 410.
  10. Procès de rév., t. III, p. 408 et 409.
  11. Ibid.
  12. Procès de rév., t. III, p. 408 et 409.
  13. Ibid., p. 410.
  14. Ibid.
  15. Ibid.
  16. Procès, t. I, p. 30.
  17. Procès de révis., t, III, p. 69 à 70.
  18. Ibid.
  19. Ibid.
  20. Ibid.
  21. Ibid.
  22. Journal du siége d’Orléans, t. III, p. 171.
  23. Journal du siége d’Orléans, t. III, p. 172.
  24. Procès de cond., t. I, p. 49.
  25. Voir pour ce fait et les précédents, Chronique de la Pucelle, p. 220-224 ; ap. J. Quicherat, t. IV, et le Journal du siége déjà cité.
  26. Chronique de la Pucelle, p. 220.224 ; ap. J. Quicherat, t. IV, et le Journal du siége déjà cité.
  27. Ibid., p. 225.
  28. Chronique de la Pucelle, p. 225.
  29. Jean Chartier, vol. IV, p. 57 ; ap. J. Quicherat.
  30. Jean Chartier, Vol. IV, p. 58 ; ap. Quicherat. — La délibération du conseil est textuelle. Il ne peut rester aucun doute sur cette abominable tentative de trahison.
  31. Jean Chartier, vol. IV, p, 58.
  32. Jean Chartier, vol. IV, p. 59 ; ap. Quicherat.
  33. Jean Chartier, vol. IV, p. 59 ; ap. Quicherat.
  34. Jean Chartier, t. IV, p. 60.
  35. Ibid.
  36. Déposition de Simon Charles, maître des requêtes, Procès de révision, t. III, p. 117. — Chronique de la Pucelle, p. 227. — Ap. Quicherat, t. IV. Jean Chartier, t. IV, p. 50. Tous les chroniqueurs sont d’accord sur ce fait si capital. Voir la Lettre aux abonnés.
  37. Ibid.
  38. Perceval de Cagny, ap. J. Quicherat, t. IV, p. 474.
  39. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 479.
  40. Textuel. Déposition de frère Jean Pasquerel, confesseur de Jeanne, qui la confessa le jour même. Procès de rev., t. III, p. 108-109.
  41. Procès de condamnation, t. I, p. 79.
  42. Déposition de Colette, épouse de Millet, t. III, p. 124. Procès de révision.
  43. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 460 ; ap. J. Quicherat.
  44. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 460 ; ap. J. Quicherat
  45. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 466 ; ap. J. Quicherat.
  46. Ibid.
  47. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 467 ; ap. J. Quicherat