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Les Oiseaux de passage (Ségalas)/02/02

La bibliothèque libre.
Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 85-93).
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LA JEUNE FILLE.

Chaque bout de ruban, chaque fleur était fée :
Tout ce qui la touchait devenait précieux.
Théophile Gautier.

Jeunesse, nom divin, nom de fleurs et de miel,
Nom brillant comme l’or, nom pur comme le ciel !
Ernest Legouvé.


Que je suis heureuse ! Oh ! l’ivresse !
J’ai, dans mes tiroirs parfumés,
Tous mes atours les plus aimés :
J’ai des éventails de princesse,
Mieux peints que ceux des paons ; des fleurs
Aussi roses que mes pensées,

Et puis des gazes nuancées
Qui font des robes de vapeurs.


Certes, toutes les jeunes filles
M’envîraient ! j’ai, les soirs d’hiver,
Des bals, où la joie est dans l’air :
Des bals avec les vifs quadrilles,
La foule qu’on voit resplendir,
L’orchestre, l’âme de la danse,
Qui fait bondir quand on y pense,
Et semble une voix du plaisir ;


Des bals, avec des fleurs vermeilles
Sur les marches des escaliers,

Au fond de tous les noirs foyers
Devenus de fraîches corbeilles ;
Avec le salon large et beau,
La banquette où l’on s’assied lasse,
Et le lustre qui dans la glace
Reluit comme un soleil dans l’eau.


Dans ces fêtes, je suis l’idole,
Tous ils me dressent un autel ;
Ils ont des paroles de miel :
C’est un charme à me rendre folle.
L’un me dit : « Comme à vos côtés
La fête se métamorphose !
C’est à vous, fée en robe rose,
Qu’on doit les salons enchantés. »



Un autre me dit : « Jeune fille,
La plus brillante ici c’est vous ;
Les autres ont plus de bijoux,
D’émeraudes leur col scintille,
Et leur front est diamanté ;
Mais, sur votre front si limpide,
Dieu mit un joyau plus splendide,
Un brillant qu’on nomme beauté.


« Un roi vous dirait : Sois ma reine.
Sur son trône il vous placerait ;
Puis à vos pieds il jetterait
Mille rubis, ô souveraine.
Des poëtes vous chanteraient,
Vous, à l’œil noir d’Andalousie ;
Les rubis de leur poésie,
À vos pieds ils les jetteraient. »



Tout cela c’est bien doux ! mais les ans sont rapides,
Et, comme ma grand’mère, un jour j’aurai des rides ;
Mon corps est mince et droit, mais il doit se voûter ;
J’aurai des cheveux gris, et puis un vieux visage.
Pourquoi donc, ô mon Dieu, créer un frais ouvrage,
Quand c’est pour le gâter ?


Oh ! s’asseoir dans un bal vieille et découronnée,
Avoir été la reine et se voir détrônée !
La veille, avoir été divinité, puis voir
S’éteindre sur son front l’étoile et l’auréole,
Renverser cet autel, où vous étiez l’idole,
Et briser l’encensoir !…

La jeunesse est semblable à nos magiques fêtes :
D’abord, des rires fous, des guirlandes aux têtes :

Après que reste-t-il ? souvenirs et débris :
Quelques sons affaiblis, qui vibrent dans l’oreille,
Écho triste et lointain des plaisirs de la veille,
Quelques bouquets flétris.


Oh ! puisque la jeunesse est une ombre qui passe,
Le jour qu’elle apparaît dans un étroit espace,
Jouissons, traversons le chemin en dansant !
Nous le verrons subir bien des métamorphoses ;
Tandis qu’il est fleuri, cueillons toutes ses roses,
Et chantons en passant !


Dansons, dansons, pendant que nos pieds ont des ailes !
Et pendant que nos corps sont sveltes, de dentelles,

De gazes, parons-les : hâtons-nous, ô mes sœurs ;
Car des groupes d’enfans pressent leurs pas agiles,
Pour nous ravir bientôt nos couronnes fragiles
Et nos sceptres de fleurs.