Les Oiseaux de passage (Ségalas)/02/03

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Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 95-104).

LE PRÊTRE.

Ne vous amassez point des trésors sur la terre, où la rouille gâte tout, et où les larrons dérobent ; mais amassez-vous des trésors au ciel, où la rouille ne gâte rien, et où les larrons ne dérobent pas.
Évangile selon saint Matthieu. —


Regardez-le ce prêtre ; il passe grave et seul.
Jeune encore, il jeta sur sa vie un linceul :
Jeûner, prier, bénir de ses mains qui délient,
Voilà son existence. Ô brillant cavalier,

Il n’a pas comme vous des genoux en acier,
Qui devant Dieu jamais ne plient.


À vous, jamais à lui, les théâtres joyeux,
Les femmes à la taille élancée, aux longs yeux,
Les bals avec leur danse, avec leur fol orchestre :
Il a pris, dédaigneux de ce monde enchanté,
Les clefs du paradis du ciel, puis a jeté
Celles du paradis terrestre


Qu’il voudrait nous quitter pour le monde des saints,
Voir les martyrs avec les palmes dans leurs mains !
Pourtant, pour habiter ces villes de lumière
Que peuplent les élus, il lui faut traverser

La mort, il faut risquer le néant, et laisser
Son cadavre sur la frontière !


Qu’importe, il sait qu’il peut s’endormir dans sa foi ;
Qu’il se réveillera pour saluer son roi ;
Qu’il verra près de Dieu, près des astres, des mondes,
Luire un jour de bonheur qui ne finira plus ;
Qu’il regardera l’heure au cadran des élus,
Dont nos siècles sont les secondes.


Mais il rentre à l’église, et son œil a relui ;
Son cœur bat, car l’église est son épouse, à lui.
Oh ! ne le raillez pas du divin sacerdoce !
L’épouse est belle, allez ; son front est parfumé

Des senteurs de l’encens elle offre au bien-aimé
Tout un ciel pour présent de noce.


D’autres ont des écrins ; des brillans radieux,
Étoiles des salons, qui scintillent aux yeux ;
Des perles, qui sont sœurs des gouttes de rosée :
Un calice, une croix où l’on ne voit briller
Que des taches de sang avec des clous d’acier,
Sont les joyaux de l’épousée.


D’autres dorment la nuit dans un lit de duvet,
Et posent leur front las sur un moelleux chevet :
Elle étend sur des morts son large corps de pierre ;
Fait sortir les pécheurs, lorsque viennent les nuits,

Fait taire l’orgue saint, cesser les psaumes, puis
S’endort sur son lit de poussière.


Le prêtre va s’asseoir au confessionnal ;
Toute âme y parait nue, et lui montre son mal :
L’une est infirme, l’autre a des fièvres de flammes,
L’autre est pestiférée et pleine de venin ;
Il est là, le pieux, le zélé médecin,
Comme dans un hôpital d’âmes.


Il dit : « Priez, pleurez sur vos fautes, pécheurs ;
« Vos crimes les plus noirs sont lavés par vos pleurs.
« Allez, le repentir vaut presque l’innocence ;
« Purs et purifiés, vont ensemble là-haut.

« Quand Dieu vit le péché sur la terre, aussitôt,
« Dans le ciel, il mit l’indulgence.


« Frappez il ouvrira sa cité, le Dieu bon,
« Car sur la porte ardente il écrivit : Pardon. »
Et tous les pénitens ont lavé leurs souillures,
Et le Seigneur descend dans leur cœur plus léger ;
Il trouve, pour mirer sa face et se loger,
Des miroirs clairs, des maisons pures.


Le prêtre met l’étole aux effilés dorés ;
Il dit la messe, et boit dans les vases sacrés ;
Tout s’incline : le Dieu des astres, des tempêtes,
Est sur l’autel, dans l’air ; il est visible aux cœurs ;

Et, pour faire bien bas courber tous les pécheurs,
Il étend ses bras sur les têtes.


Le prêtre a dit sa messe, il sort : où va-t-il donc ?
Chez ceux dont la souffrance a fait pâlir le front ;
Il s’en va consoler, comme faisait le maître.
Les greniers, les prisons, tous les lieux de malheur,
Où l’on jette des cris de faim ou de douleur,
Sont aussi les temples du prêtre.