Les Oiseaux de passage (Ségalas)/02/11

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Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 175-184).

LA JEUNE FILLE MOURANTE.

 L’horloge s’est trompée ;
Elle a sonné la mort, pour l’heure de l’hymen.
Mme Desbordes-Valmore.

C’est vraiment dommage, car elle était bien jolie.
La duchesse d’Abrantès.

J’ai froid, et je voudrais m’attacher à la vie.
Élisa Mercœur.


Comment me délivrer de cette fièvre ardente ?
Mon sang court plus rapide et ma main est brûlante ;
Je souffre ! dites-moi, je suis mal, n’est-ce pas ?
Souvent, le front penché, l’œil baissé vers la terre,

On rêve tristement ; puis, d’un air de mystère,
On se parle bien bas.


Et si je fais un bruit léger, si je respire,
Des larmes dans les yeux on essaie un sourire ;
On se rend bien joyeux, mais j’entends soupirer :
Sur les fronts tout rians passe une idée amère ;
Et ma petite sœur, qui voit pleurer ma mère,
Près du lit vient pleurer.


Ces larmes me l’ont dit, votre secret terrible
Je vais mourir. Déjà !… mourir !… oh ! c’est horrible !
Mon Dieu ! pour fuir la mort, n’est-il aucun moyen ?
Quoi ! dans un jour peut-être une fosse profonde !

Aujourd’hui l’avenir, la jeunesse, le monde !…
Et puis demain, plus rien !


Comme une frêle plante un souffle m’a brisée :
Vous, mes sœurs, vous avez cette teinte rosée
De bonheur et de vie ; oh ! votre sort est beau !
Et j’ai les yeux ternis, je suis pâle, abattue :
On dirait, à me voir, une blanche statue
Pour orner un tombeau !


On m’admirait pourtant, moi, fantôme, ombre vaine ;
La foule m’entourait comme une jeune reine ;
Mon pouvoir tout nouveau semblait encor bien long :
Quelques bijoux formaient ma parure suprême,

Et puis mes dix-huit ans, comme un beau diadème
Rayonnaient sur mon front.


La robe que j’avais dans mes fêtes de gloire
Est toute fraîche encor ; mon long ruban de moire,
À la couleur si tendre, à l’éclat passager,
A gardé ses reflets que j’aimais à l’extase ;
Et moi, je vivrai moins que ma robe de gaze
Et mon ruban léger !


À vous, sœurs, bals bruyans, plaisirs de jeune fille,
Fiancé qu’on admet au cercle de famille,
Puis l’alliance au doigt, le oui dit en tremblant,
Et les grains d’oranger, couronne virginale ;

Moi, pour voile de noce et robe nuptiale
J’aurai mon, linceul blanc ;


Lugubre, vêtement qu’on porte sous sa pierre,
Qui tient ensevelis, dans une étroite bière,
Bien des illusions, bien du bonheur rêvé ;
Qui tombe par lambeaux sous la terre jalouse,
Et que les battemens d’un cœur de jeune épouse
N’ont jamais soulevé !


Moi, dans un long cercueil étendue, insensible,
Morte ! Quoi je mourrais !… oh ! non, c’est impossible !
Quand on a devant soi tout un large avenir,
Quand les jours sont joyeux, quand la vie est légère,

Quand on a dix-huit ans ; n’est-ce pas, bonne mère,
On ne peut point mourir ?


Je veux jouir encor de la nature entière,
Des fleurs, des chemins frais au bord de la rivière,
Du ciel bleu, de l’oiseau chantant sur l’arbre vert :
Je vais aimer la vie, et de toute mon âme ;
La voir dans le soleil briller en jets de flamme,
La respirer dans l’air !…



Et la petite sœur, au muet cimetière,
Allait le lendemain porter des fleurs ; la mère
Priait sur une tombe, et disait : Pour toujours !

Et l’enfant demandait si la sœur grande et belle
Qu’elle aimait et pleurait, dans sa maison nouvelle
Resterait bien des jours.