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Les Opalines/J’aime le crapaud

La bibliothèque libre.
L. Vanier (p. 52-53).

J’AIME LE CRAPAUD

J’aime le crapaud, le crapaud que l’on déteste,
Humble déshérité que tout le monde fuit,
J’aime le crapaud flasque aux bobos indigestes
Qui se plaint dans la nuit.

Conscient de ta disgrâce, et craignant la lumière,
Tu ne sors qu’à la brune, en allongeant tes pas.
Tu rôdes, maladroit, dans le creux des ornières,
Pour qu’on ne te voie pas.

Tes goûts sont délicats : et quand dans le soir chante
Un violon, sa voix, comme un étrange son
Surgi de la nature, ô mon crapaud, t’enchante,
Et tu pleures, dit-on.


Hélas, dès que paraît l’aube trop élégante,
Tu vas vers ton trou, si fort que tu peux marcher,
Le jour n’est pas pour toi, splendeur trop aveuglante :
Tu rentres te cacher.

Je t’aime, mon crapaud, toi dont la laideur choque,
Humble déshérité que tout le monde fuit,
J’aime ta voix si douce, éclatement de cloque,
Qui pleure dans la nuit.