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Les Opalines/Si j’étais femme et que je fusse belle…

La bibliothèque libre.
L. Vanier (p. 54-55).

SI J’ÉTAIS FEMME ET QUE JE FUSSE BELLE…

Si j’étais femme et que je fusse belle
Et que je tinsse à moi, jeune, élégante et frêle,
Très aimable en somme,
J’ordonnerais qu’à peine dans la mort,
Pour qu’il ne devînt pas ce qui fait peur aux hommes,
On brûlât mon corps.

Ainsi dans l’air tout bleu d’une aurore, humée,
Mon âme s’en irait d’un vol rajeunissant,
Et mon tout petit moi s’en irait en fumée
Comme un léger encens.


De ce rien voltigeant maintenant dans l’espace,
Les fleurs auraient leur part et m’ouvriraient leur cœur
Pour qu’un peu de ma cendre, en tombant, y prît place
Et s’endormît sans peur.

Et le soleil qui naît et qui monte d’un geste,
En voyant du brouillard qui sent bon, le boirait,
Et dirait : « Qu’a-t-il donc ce matin ! ». — Quant au reste,
Le vent l’emporterait.

Ainsi, petites mains, aux doigts tout pleins d’ivresses,
Et vous, lèvres d’extase, et mes yeux qui trompiez,
Et vous, petits seins blancs, qu’on couvrait de caresses,
Et vous aussi, mes pieds,

En vous éparpillant dans le Grand Tout énorme,
Vous ne feriez jamais, mes chers, quoique défunts,
Que de redevenir, mais sous une autre forme,
Clarté, fleur et parfum !