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Les Opalines/L’offrande à Bruges

La bibliothèque libre.
L. Vanier (p. 36-38).

L’OFFRANDE À BRUGES

J’ai vu sous le voile fragile et pâle
Dont l’enveloppait le ciel bleu tantôt
Dame Bruges en sa robe ogivale,
La dame Bruges au très vieux manteau.

Je la vis, dont le geste se signe,
Accoudée au bord de canaux dormants,
Où glissent, hiératiques, des cygnes,
Qu’on dirait issus d’un enchantement.

Je la vis et crus reconnaître Ursule
Dont la légende d’un esprit touchant,
Très naïve et magnifique, circule
Tout autour de la châsse de saint Jean,


Je la vis et la trouvai si belle,
Si grande dame aux si jolis atours,
Et si simple en même temps que pour elle
Mon cœur s’alluma d’un fervent amour.

Non point de cet amour qui bat aux tempes,
Brutal et bref, mais d’un autre immortel
Qui brûle doucement comme une lampe
En prière humble devant un autel.

Il eût dû toujours garder le silence,
Cet amour trop fou rien que d’être né.
Il le fut soudain jusqu’à la démence ;
Savez-vous le conseil qu’il m’a donné ?

« Il te faut parler, il te faut tout dire,
L’amour ignoré n’est pas de l’amour,
Et quel sentiment te pourrait interdire
À dame Bruges de faire la cour.»

Vite j’acceptai — c’est à reconnaître —
« Dame Bruges, dis-je, aux longs doigts si fins,
Vous qui, seule, vous ennuyez peut-être,
Dame Bruges, voudriez-vous ma main ? »


J’attendis. — Mais Bruges, où tout repose,
Ne me parut pas avoir entendu.
Toujours est-il qu’hermétiquement close,
Dame Bruges ne m’a pas répondu.

(Bruges, juillet 1907.)