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Les Origines de la France contemporaine/Volume 5/Livre II/Chapitre 2

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CHAPITRE II

I. Composition de l’Assemblée législative. — Rang social des députés. — Leur inexpérience, leur insuffisance, leurs préjugés. — II. Degré de leur intelligence et qualité de leur culture. — III. Aspect de leurs séances. — Scènes et parades de club. — Coopération des spectateurs. — IV. Les partis. — Le côté droit. — Le centre. — Le côté gauche. — Opinions et sentiments des Girondins. — Leurs alliés de l’extrême gauche. — V. Leurs moyens d’action. — Dispersion du club des Feuillants. — Pression des tribunes sur l’Assemblée. — Attroupements au dehors. — VI. Manœuvres parlementaires. — Abus de l’urgence. — Vote du principe. — Appel nominal. — Intimidation du centre. — Abstention des opposants. — Oppression définitive de la majorité.

I

S’il est vrai qu’une nation doit être représentée par son élite, la France a été singulièrement représentée pendant la Révolution. D’assemblée en assemblée, on voit baisser le niveau politique ; surtout de la Constituante à la Législative, la chute est profonde. Les acteurs en titre se sont retirés au moment où ils commençaient à comprendre leurs rôles ; bien mieux, ils se sont exclus eux-mêmes du théâtre, et la scène est maintenant livrée aux doublures. « L’Assemblée précédente, écrit un ambasadeur[1], renfermait dans son sein de grands talents, de grandes fortunes, de grands noms ; par cette réunion, elle imposait au peuple, quoiqu’il fût acharné contre toute distinction personnelle. L’Assemblée actuelle n’est presque que le conseil des avocats de toutes les villes et villages de France. » — En effet, sur 745 députés, on y compte « 400 avocats, pris pour la plupart dans les derniers rangs du barreau », une vingtaine de prêtres constitutionnels, « autant de poètes et littérateurs de fort petite renommée, tout cela à peu près sans patrimoine », le plus grand nombre ayant moins de trente ans, soixante ayant moins de vingt-six ans[2], « presque tous formés dans les clubs et assemblées populaires ». Pas un noble ou prélat de l’ancien régime, pas un grand propriétaire[3], pas un chef de service, pas un homme éminent et spécial en fait de diplomatie, de finance, d’administration ou d’art militaire. On n’y trouve que trois officiers généraux et du dernier rang[4], dont l’un nommé depuis trois mois et les deux autres tout à fait inconnus. — Pour chef du comité diplomatique, on a Brissot, journaliste ambulant, qui, ayant roulé en Angleterre et aux États-Unis, semble compétent dans les affaires des deux mondes ; effectivement, c’est un de ces bavards outrecuidants et râpés, qui, du fond de leur mansarde, régentent les cabinets et remanient l’Europe ; les choses leur semblent aussi faciles à combiner que les phrases : un jour[5], pour attirer les Anglais dans l’alliance française, Brissot propose de mettre entre leurs mains deux places de sûreté, Dunkerque et Calais ; un autre jour, il veut « tenter une descente en Espagne » et en même temps envoyer une flotte pour conquérir le Mexique. — Au comité des finances, le principal personnage est Cambon, négociant de Montpellier, bon comptable, qui plus tard simplifiera les écritures et fera le Grand Livre de la dette, c’est-à-dire de la banqueroute publique ; en attendant, il y pousse de toute sa force, encourageant l’Assemblée à entreprendre la ruineuse et terrible guerre qui va durer vingt-trois ans ; selon lui, on a « plus d’argent qu’il n’en faut[6] ». À la vérité, le gage des assignats est mangé, les impôts ne rentrent pas, on ne vit que du papier qu’on émet, les assignats perdent 40 pour 100, le déficit prévu pour 1792 est de 400 millions[7] ; mais le financier révolutionnaire compte sur les confiscations qu’il provoque en France et qu’il va instituer en Belgique : voilà toute son invention, le vol systématique pratiqué en grand, à l’intérieur et à l’étranger. — En fait de législateurs et de fabricants de constitutions, on trouve Condorcet, fanatique à froid, niveleur par système, persuadé que la méthode des mathématiques convient aux sciences sociales, nourri d’abstractions, aveuglé par ses formules, le plus chimérique des esprits faux. Jamais homme plus versé dans les livres n’a moins connu les hommes ; jamais amateur de l’exactitude scientifique n’a mieux réussi à dénaturer le caractère des faits. C’est lui qui, deux jours avant le 20 juin, au milieu de la plus brutale effervescence, admirait « le calme » et le bon raisonnement de la multitude : « À la façon dont le peuple se rend compte des événements, on serait tenté de croire qu’il consacre chaque jour quelques heures à L’étude de l’analyse ». C’est lui qui, deux jours après le 20 juin, célébrait le bonnet rouge dont on avait affublé Louis XVI : « Cette couronne en vaut bien une autre, et Marc Aurèle ne l’eût pas dédaignée[8] ». — Tel est le discernement et le sens pratique des conducteurs ; d’après eux on peut juger du troupeau ; il se compose de novices qui arrivent de province avec des principes et des préjugés de gazette. Si éloignés du centre, n’ayant jamais pu voir les affaires générales et l’ensemble, ils sont en retard de deux ans sur leurs pareils de la Constituante. « La plupart, dit Malouet[9], sans être prononcés contre la monarchie, l’étaient contre la cour, contre l’aristocratie, contre le clergé, ne rêvaient que conspirations, et ne croyaient pouvoir se défendre qu’en attaquant. Il y avait là encore des talents, mais sans expérience ; ils manquaient même de celle que nous avions acquise. Nos députés patriotes avaient, en grande partie, la conviction de leurs fautes ; ceux-ci ne l’avaient pas, ils étaient prêts à recommencer. » — D’ailleurs, chez eux le pli politique est pris ; car ils sont presque tous des parvenus du nouveau régime. On compte dans leurs rangs 264 administrateurs de département, 109 administrateurs de district, 125 juges de paix et accusateurs publics, 68 maires et officiers municipaux, outre une vingtaine d’officiers de la garde nationale, évêques et curés constitutionnels, en tout 556 de ces fonctionnaires élus qui, depuis vingt mois, administrent sous la main de leurs électeurs ; on a vu de quelle manière et à quelles conditions, par quelles complaisances et quelles complicités, avec quelle déférence pour l’opinion bruyante, avec quelle docilité en face de l’émeute, avec quel déluge de phrases sentimentales et de lieux communs abstraits. Députés à Paris par le choix ou par la tolérance des clubs, ils emportent avec eux leur politique et leur rhétorique : cela fait un assemblage d’esprits bornés, faussés, précipités, emphatiques et faibles ; à chaque séance, vingt moulins à paroles tournent à vide, et tout de suite le premier des pouvoirs publics devient une fabrique de sottises, une école d’extravagances et un théâtre de déclamations.

II

Se peut-il que des hommes sérieux aient écouté jusqu’au bout des fadaises aussi saugrenues ? — « Je suis laboureur, dit un député[10] ; j’ose maintenant vanter l’antique noblesse de ma charrue. Quelques bœufs ont été les purs et incorruptibles tabellions par-devant lesquels mes bons ancêtres en ont passé les contrats ; leur authenticité, mieux tracée sur la terre que sur de frêles parchemins, est à l’abri de toutes les révolutions possibles. » — Conçoit-on que le rapporteur d’une loi qui va exiler ou emprisonner quarante mille prêtres apporte en manière d’arguments des niaiseries aussi boursouflées que celles-ci[11] ? « J’ai vu dans les campagnes les flambeaux de l’hyménée ne jeter plus qu’une lueur pâle et sombre, ou changés en torches des furies, le squelette hideux de la superstition s’asseoir jusque dans la couche nuptiale, se placer entre la nature et les époux, et arrêter le plus impérieux des penchants… Ô Rome, es-tu contente ? Es-tu donc comme Saturne, à qui il faut tous les jours des holocaustes nouveaux ?… Partez, artisans de discordes ; le sol de la liberté est fatigué de vous porter. Voulez-vous aller respirer l’air du mont Aventin ? Le vaisseau de la patrie est déjà prêt ; j’entends sur le rivage les cris impatients des matelots, le vent de la liberté enflera les voiles ; vous irez, comme Télémaque, chercher votre père sur les mers ; mais vous n’aurez pas à redouter les écueils de Sicile ni les séductions d’une Eucharis. » Gentillesses de cuistre, prosopopées de rhéteur, invectives d’énergumène, c’est ici le ton régnant. Dans les meilleurs discours perce toujours le même défaut, l’échauffement de la cervelle, la manie des grands mots, l’habitude des échasses, l’incapacité de voir les choses qui sont et de les dire comme elles sont. Les hommes de talent, Isnard, Guadet, Vergniaud lui-même, sont emportés par la phrase ronflante et creuse, comme une barque sans lest par une voile trop large. Ils s’exaltent avec leurs souvenirs de classe, et le monde moderne ne leur apparaît qu’à travers des réminiscences latines. — Français de Nantes s’irrite contre le pape « qui tient dans la servitude la postérité des Caton et des Scévola ». — Isnard propose d’imiter le sénat romain, qui, pour apaiser la discorde au dedans, portait la guerre au dehors : en effet, entre la vieille Rome et la France de 1792, la ressemblance est frappante. — Roux veut que l’Empereur donne satisfaction avant le 1er mars : « En pareil cas, le peuple romain aurait fixé un délai ; pourquoi le peuple français n’en fixerait-il pas un ?… » Autour des petits princes allemands qui hésitent, il faut tracer le « cercle de Popilius ». — Quand l’argent manque pour établir des camps autour de Paris et des grandes villes, La Source propose d’aliéner les forêts nationales, et s’étonne des objections : « Les soldats de César ; dit-il, croyant sacrée une antique forêt des Gaules, n’osaient y porter la cognée ; est-ce que nous partagerions ce respect superstitieux[12] ? » — À cette érudition de collège, joignez le résidu philosophique déposé dans les esprits par le grand sophiste en vogue. Larivière lit à la tribune[13] la page du Contrat social où Rousseau prononce que le souverain peut bannir les membres « d’une religion insociable », et punir de mort « celui qui, ayant reconnu publiquement les dogmes de la religion civile, se conduit comme ne les croyant pas ». Sur quoi, un autre perroquet sifflé, M. Filassier, s’écrie : « Je convertis en motion la proposition de J. J. Rousseau, et je demande qu’elle soit mise aux voix ». — Pareillement on propose d’accorder aux filles le droit de se marier toutes jeunes malgré leurs parents, en remarquant, d’après la Nouvelle Héloïse, « qu’une jeune fille de treize à quatorze ans commence à soupirer pour une union qui est dans la nature, qu’elle lutte entre ses passions et le devoir, que, si elle triomphe, elle est martyre, que rarement on en impose à la nature, et qu’il peut arriver qu’une jeune personne préfère la honte paisible d’une défaite aux fatigues d’une lutte de huit ans ». — On institue le divorce pour « conserver dans le mariage cette quiétude heureuse qui rend les sentiments plus vifs[14] Désormais il ne sera plus une chaîne, mais l’acquit d’une dette agréable que tout citoyen doit à la patrie… Le divorce est le dieu tutélaire de l’hymen[15]. » — Des gravelures et des gazes mythologiques, un arrière-fond de pédanterie classique, les notions écourtées et vagues de l’éducation moyenne, nulle information solide et précise, les banalités vides et coulantes de l’amplificateur qui développe en longues tirades les adages de son manuel révolutionnaire, bref la culture superficielle et le raisonnement verbal, c’est de ces ingrédients vulgaires et dangereux que se compose l’intelligence des nouveaux législateurs[16].

III

D’après cela, on peut se figurer leurs séances. « Plus incohérentes et surtout plus passionnées que celles de l’Assemblée constituante[17] », elles présentent les mêmes traits, mais grossis. L’argumentation y est plus faible, l’invective plus violente, le dogmatisme plus intempérant. La raideur y a dégénéré en insolence, le préjugé en fanatisme, la myopie en aveuglement. Le désordre s’y exagère jusqu’au tumulte, et le bruit jusqu’au vacarme. Figurez-vous, dit un témoin oculaire et habituel, « une salle de collège, où des centaines d’écoliers se querellent et sont, à chaque instant, sur le point de se prendre aux cheveux. Leur costume plus que négligé, leurs mouvements emportés ; leur brusque passage des clameurs aux huées…, sont un spectacle qu’on ne peut comparer ni peindre ». Rien n’y manque pour en faire un club de basse espèce. On y pratique d’avance les procédés de la future inquisition révolutionnaire ; on y accueille des dénonciations burlesques : on y fait des interrogatoires de petite police ; on y pèse des cancans de portiers et des commérages de servantes ; on emploie une séance de nuit à recevoir les confidences d’un ivrogne[18]. On inscrit au procès-verbal et sans improbation la pétition de « M. Huré, habitant de Pont-sur-Yonne, qui, par un écrit signé de lui, offre 100 francs et son bras pour être tyrannicide ». On consacre, par des bravos, par des applaudissements répétés et multipliés, par les félicitations du président, le scandale ou le ridicule des folies privées qui viennent s’étaler sous le couvert de l’autorité publique. On remercie et on fait asseoir sur les bancs de l’Assemblée Anacharsis Clootz, « Mascarille timbré, » qui propose la guerre universelle et colporte des cartes de l’Europe divisée d’avance en départements, en commençant par la Savoie, la Belgique, la Hollande, « et ainsi de suite jusqu’à la mer Glaciale[19] ». On complimente et l’on fait asseoir avec sa femme sur les bancs de l’Assemblée un vicaire de Sainte-Marguerite qui présente « sa nouvelle famille », et tonne contre le célibat du clergé[20]. On souffre que des attroupements d’hommes et de femmes traversent la salle en poussant des cris politiques. On admet à la barre toutes les parades indécentes, puériles ou séditieuses[21]. Aujourd’hui, ce sont « des citoyennes de Paris » qui demandent à s’exercer aux manœuvres militaires et à prendre pour commandants « des ci-devant gardes-françaises » ; le lendemain, arrivent des enfants qui expriment leur patriotisme « avec une naïveté touchante », et regrettent que « leurs pieds chancelants ne leur permettent pas de marcher, que dis-je ? de voler contre les tyrans » ; ensuite viennent les galériens de Châteauvieux, escortés d’une foule qui vocifère ; une autre fois, les artilleurs de Paris, au nombre de mille, avec leurs tambours ; incessamment des délégués, de la province, des faubourgs, des clubs, avec leurs déclamations furibondes, leurs remontrances impérieuses, leurs exigences, leurs sommations et leurs menaces. — sous ces intermèdes de tapage plus fort, roule un brouhaha continu, le tintamarre des tribunes[22] : à chaque séance, « les représentants sont gourmandés par les spectateurs ; la nation des galeries juge la nation du bas de la salle », intervient dans les délibérations, fait taire les orateurs, insulte le président, ordonne au rapporteur de quitter la tribune. Ce n’est pas une fois qu’elle interrompt ou par un simple murmure, mais vingt, trente, cinquante fois en une heure, par des clameurs, des trépignements, des hurlements et des injures personnelles. Après des centaines de réclamations inutiles, après d’innombrables rappels à l’ordre « reçus par des huées », après dix « règlements faits, refaits, rappelés, affichés », comme pour mieux prouver l’impuissance de la loi, des autorités et de l’Assemblée elle-même, l’usurpation de ces intrus va croissant. Pendant dix mois, ils ont crié : À bas la liste civile ! À bas les ministériels ! À bas les mâtins ! Silence, esclaves ! » Le 26 juillet, Brissot lui-même leur paraîtra tiède et recevra deux prunes au visage. « Trois ou quatre cents individus sans titre, sans propriété, sans existence… sont devenus les auxiliaires, les suppléants, les arbitres de la législature, » et leur fureur soldée achève de détruire ce que l’Assemblée a pu garder encore de sa raisons[23].

IV

Dans une assemblée ainsi composée et entourée, on prévoit de quel côté penchera la balance. — À travers les mailles du filet électoral que les Jacobins ont tendu sur tout le territoire, une centaine d’honnêtes gens, de mérite ordinaire, à peu près sensés et assez résolus, Mathieu Dumas, Dumolard, Becquet, Gorguereau, Vaublanc, Beugnot, Girardin, Ramond, Jaucourt, ont pu passer, et forment le côté droit[24]. Ils résistent de leur mieux, et il semble que la majorité leur soit acquise. — Car des 400 députés qui siègent au centre, 164 sont inscrits avec eux aux Feuillants, et le reste, sous le nom d’Indépendants, prétend n’être d’aucun parti[25] ; d’ailleurs, par tradition monarchique, tous ces quatre cents respectent le roi ; leur timidité et leur bon sens répugnent aux violences ; ils se défient des Jacobins, ils ont peur de l’inconnu, ils voudraient bien faire observer la Constitution et vivre tranquilles. Mais les dogmes pompeux du catéchisme révolutionnaire exercent encore sur eux tout leur prestige ; ils ne comprennent pas que la Constitution qu’ils aiment produit l’anarchie qu’ils détestent ; ils ont « la sottise de gémir des effets en jurant de maintenir les causes ; avec un défaut total de caractère, d’union et de hardiesse », ils flottent entre des désirs contradictoires, et leurs velléités d’ordre n’attendent pour se tourner en sens contraire que l’impulsion fixe d’une volonté forte. — Sur cette matière docile, le côté gauche peut travailler efficacement ; À la vérité, il ne comprend que 136 Jacobins inscrits et une centaine d’autres qui, dans presque tous les cas, votent avec le parti[26] ; mais la raideur des opinions compense l’insuffisance du nombre. En première ligne sont Guadet, Brissot, Gensonné, Vergniaud, Ducos, Condorcet, les futurs chefs de la Gironde, tous avocats, ou écrivains, épris de politique déductive, absolus dans leurs convictions et fiers de leur foi : selon eux, puisque les principes sont vrais, on est tenu de les appliquer sans réserve[27] ; quiconque s’arrête en chemin manque de cœur ou d’intelligence. Pour eux, ils entendent bien aller jusqu’au bout : avec une confiance de jeunes gens et de théoriciens, ils tirent leurs conséquences et se savent bon gré d’y croire si fort. « Ces Messieurs, dit un observateur pénétrant[28], faisaient profession d’un profond dédain pour leurs devanciers les Constituants ; ils les traitaient de gens à petites vues, à préjugés, et qui n’avaient pas su profiter des circonstances. » — « Aux observations de la sagesse et de la sagesse désintéressée[29], ils répondaient par un sourire moqueur, symptôme de l’aridité qui résulte de l’amour-propre. On s’épuisait à leur rappeler les circonstances et à leur en déduire les causes ; on passait tour à tour de la théorie à l’expérience et de l’expérience à la théorie pour leur en démontrer l’identité, et, s’ils consentaient à répondre, ils niaient les faits les plus authentiques et combattaient les observations les plus évidentes en leur opposant quelques maximes communes, bien qu’exprimées avec éloquence. Ils se regardaient entre eux comme s’ils eussent été seuls dignes de s’entendre, et s’encourageaient par l’idée que tout était pusillanimité dans la résistance à leur manière de voir. » — À leurs propres yeux ; ils sont les seuls capables et les seuls patriotes. Parce qu’ils ont lu Rousseau et Mably, parce qu’ils ont la langue déliée et la plume courante, parce qu’ils savent manier des formules de livre et aligner un raisonnement abstrait, ils se croient des hommes d’État[30]. Parce qu’ils ont lu Plutarque et le Jeune Anacharsis, parce que, sur des conceptions métaphysiques, ils veulent fonder une société parfaite, parce qu’ils s’exaltent à propos du millénium prochain, ils se croient de grandes âmes. Sur ces deux articles, ils n’auront jamais le moindre doute, même après que tout aura croulé sur eux par leur faute, même après que leurs mains complaisantes auront été souillées par les mains sales des bandits dont ils ont été les premiers instigateurs, par les mains ensanglantées des bourreaux dont ils sont les demi-complices[31]. À ce degré extrême, l’amour-propre est le pire sophiste. Persuadés de la supériorité de leurs lumières et de la pureté de leurs sentiments, ils posent en principe que le gouvernement doit être entre leurs mains. En conséquence, ils s’en saisissent dans la Législative par les procédés qu’on retournera contre eux dans la Convention. Ils acceptent pour alliés les pires démagogues de l’extrême gauche, Chabot, Couthon, Merlin de Thionville, Basire, Thuriot, Lecointre, au dehors Danton, Robespierre, Marat lui-même, tous les démolisseurs et niveleurs dont ils croient se servir et dont ils sont les instruments. À tout prix, il faut que leurs motions passent, et, pour les faire passer, ils lâchent contre leurs adversaires la plèbe aboyante et grossière que d’autres, plus factieux encore, lanceront demain contre eux.

V

Ainsi, pour la seconde fois, les prétendus zélateurs de la liberté marchent au pouvoir par les coups de main de la force. — Pour commencer, défense aux Feuillants de se réunir : on ameute contre eux les attroupements ordinaires ; là-dessus, tumulte, vociférations, gourmades ; le maire Pétion se plaint d’être placé « entre l’opinion et la loi », et laisse faire : à la fin, les Feuillants sont contraints d’évacuer leur salle. — Au dedans de l’Assemblée, ils sont livrés à l’insolence des galeries. En vain ils s’indignent et protestent. Ducastel, rappelant le décrets de la Constituante qui, interdit toute marque d’approbation ou d’improbation, est accueilli par des murmures ; il insiste pour que le décret soit lu à l’ouverture de chaque séance : « les murmures recommencent[32] ». — « N’est-il pas scandaleux, dit Vaublanc, que les représentants de la nation, parlant à la tribune, soient sujets à des huées, comme des histrions déclamant sur un théâtre ? » Et les tribunes le huent à trois reprises. — « La postérité croira-t-elle, dit Quatremère, que des actes où il s’agit de l’honneur, de la vie, de la fortune des citoyens aient été assujettis, comme des jeux de spectacles, aux applaudissements, aux sifflets des spectateurs ? » — « Au fait ! » lui crient les tribunes. « Si jamais, reprend Quatremère, l’acte judiciaire le plus important (un acte d’accusation capitale) peut être livré à cette scandaleuse prostitution d’applaudissements et de menaces… » Les murmures redoublent. — Toutes les fois qu’il s’agit d’emporter une mesure sanguinaire ou incendiaire, des clameurs forcenées et prolongées brisent la voix des opposants : « À bas l’orateur ! À l’Abbaye le rapporteur ! À bas, à bas ! » Parfois il n’y a qu’une vingtaine de députés pour applaudir ou huer avec les galeries, et c’est l’Assemblée presque entière qui est insultée. On porte le poing au visage du président ; il ne reste plus qu’à « faire descendre les tribunes dans la salle pour rendre les décrets », et un membre de la droite en fait ironiquement la proposition expresse[33]. — Mais si énorme que soit l’usurpation, pour dompter la majorité, la minorité s’en accommode, et les Jacobins de la salle font cause commune avec les Jacobins des galeries. On n’a pas le droit d’expulser les perturbateurs : « ce serait, dit Grangeneuve, exclure de nos délibérations ce qui est essentiellement peuple ». Un député ayant réclamé des mesures pour réduire les criards au silence, « Torné demande le renvoi de la proposition à l’inquisition de Portugal » : Choudieu « déclare qu’elle ne peut venir que de députés qui oublient le respect du peuple, leur souverain juge[34] ». — « Les mouvements des tribunes, s’écrie Lecointe-Puyraveau, sont l’élan du patriotisme. » À la fin, le même Choudieu, transposant tous les droits avec une incomparable audace, veut conférer aux assistants les privilèges de la législature, et réclame un décret contre les députés qui, coupables de lèse-majesté populaire, osent se plaindre de leurs insulteurs.

Plus énergique encore, une autre machine d’oppression opère aux abords de l’Assemblée. Comme leurs prédécesseurs de la Constituante, les membres du côté droit « ne peuvent sortir sans traverser les imprécations et les menaces de groupes furibonds. Les cris À la lanterne ! retentissaient aussi souvent aux oreilles de Dumolard, de Vaublanc, de Jaucourt, de Lacretelle qu’à celles de Cazalès, de l’abbé Maury et de Montlosier[35] ». Après avoir apostrophé le président Mathieu Dumas, on insulte sa femme, qu’on a reconnue dans une tribune réservée[36]. Dans les Tuileries, des groupes permanents écoutent les braillards qui dénoncent par leurs noms les députés suspects, et malheur à celui d’entre eux qui prend ce chemin pour venir aux séances ! il est salué au passage par une bordée d’injures. Si c’est un député cultivateur : « Regardez, dit on, ce drôle d’aristocrate ; c’est un mâtin de paysan qui gardait les vaches dans son pays. » Un jour, Hua, montant la terrasse des Tuileries, est saisi aux cheveux par une mégère qui lui crie : « Baisse la tête, j… f… de député, c’est le peuple qui est ton souverain. » Le 20 juin, un des patriotes qui traversent la salle lui dit à l’oreille : « Grand gueux de député, tu ne périras que de ma main. » Une autre fois, ayant défendu le juge de paix Larivière, il est attendu à la porte, sur le minuit « par un tas de gueux qui dirigent vers lui leurs poings et leurs bâtons » ; par bonheur, ses amis Dumas et Daverhoult, deux militaires, ont prévu le danger, et, présentant leurs pistolets, le dégagent, « quoique avec peine ». — À mesure qu’on approche du 10 août, l’agression devient plus ouverte. Pour avoir défendu La Fayette, Vaublanc, au sortir de l’Assemblée, manque trois fois d’être écharpé ; soixante députés sont traités de même, frappés, couverts de boue et menacés de mort s’ils osent revenir aux séances[37]. — Avec de tels alliés, une minorité est bien forte ; grâce à ses deux instruments de contrainte, elle va détacher de la majorité les voix qui lui manquent, et presque toujours, par terreur ou par ruse, elle fera voter les décrets dont elle a besoin.

VI

Tantôt elle les escamote en les brusquant. Comme « il n’y a point d’ordre du jour distribué d’avance et qu’en tout cas on n’est pas astreint à le suivre[38] », l’Assemblée est à la merci des surprises. « Le premier gredin du côté gauche (je n’efface pas cette expression, dit Hua, parce qu’il y en avait plusieurs parmi ces messieurs) venait avec une motion toute faite qui avait été préparée la veille dans une coterie. On n’était point préparé ; nous demandions le renvoi à un comité. Point de renvoi ; on faisait décréter l’urgence, et, bon gré mal gré, il fallait délibérer, séance tenante[39]. » — Autre tactique aussi perfide, celle-ci surtout à l’usage de Thuriot. Ce grand drôle venait proposer, non pas un projet de loi, mais ce qu’il appelait un principe ; par exemple il fallait décréter que les biens des émigrés seraient mis sous le séquestre,… ou que les prêtres insermentés seraient soumis à une surveillance spéciale… On lui répondait : Mais votre principe, c’est l’âme de la loi, c’est toute la loi ; laissez donc délibérer ; renvoi au comité pour faire son rapport. — Pas du tout, il y a urgence ; le comité arrangera comme il pourra les articles qui ne vaudront rien, si le principe n’a pas le sens commun. » Par cette méthode expéditive, la discussion est étranglée : de parti pris, les Jacobins ôtent à l’Assemblée la réflexion : ils comptent sur son étourdissement ; autant qu’ils le peuvent, ils abolissent la raison au nom de la raison, et ils précipitent le vote, parce que leurs décrets ne supportent pas l’examen. D’autres fois, et notamment dans les grandes occasions, ils les extorquent. À l’ordinaire, on vote par assis et levé, et, pour les quatre cents députés du centre, sous le grondement des tribunes exaspérées, l’épreuve est déjà rude. « Une partie d’entre eux ne se lève pas ou se lève avec le côté gauche[40] » ; si, par hasard, le côté droit a la majorité, « on la conteste avec mauvaise foi, et l’on demande l’appel nominal ». Or, « par un abus intolérable, les appels nominaux étaient toujours imprimés : il est bon, disaient les Jacobins, que le peuple connaisse ses amis et ses ennemis ». Cela signifie que la liste des opposants pourra bientôt devenir une liste de proscription, et les timides ne sont pas tentés de s’y inscrire. Effectivement, la défection s’introduit aussitôt dans le gros bataillon du centre. « C’est un fait certain, dit Hua, et dont nous avons tous été témoins : nous perdions toujours cent voix à l’appel nominal. » — Vers la fin, ils s’abandonnent et ne protestent plus qu’en s’abstenant : le 14 juin, quand il s’agit d’abolir, sans indemnité, toute la créance féodale, il n’y a de remplie que l’extrémité gauche ; le reste de « la salle est presque vide » ; sur 497 députés présents, 200 ont quitté la séance[41]. — Redressés un instant par l’apparence d’une protection possible, ils absolvent à deux reprises le général La Fayette derrière lequel ils voient son armée[42], et ils résistent en face aux despotes de l’Assemblée, des clubs et de la rue. Mais à deux reprises, faute d’un chef et d’un point d’appui militaire, la majorité visible doit plier, se taire, fuir, ou se rétracter, sous la dictature de la faction victorieuse qui a faussé et forcé la machine législative jusqu’à la détraquer et à la casser.

  1. Correspondance (manuscrite) du baron de Staël avec sa cour, 6 octobre 1791.
  2. Souvenirs inédits du chancelier Pasquier. — Dumouriez, Mémoires, III, chapitre v : « La société des Jacobins, étendant partout ses nombreuses ramifications, se servit des clubs de province pour se rendre maîtresse des élections. Toutes les mauvaises têtes, tous les écrivailleurs séditieux, tous les agitateurs furent nommés… Très peu d’hommes éclairés ou sages, encore moins de nobles furent choisis. » — Moniteur, XII, 199, séance du 23 avril 1792. Discours de M. Lecointe-Puyraveau : « Il ne faut point le dissimuler, nous devons même le dire avec orgueil : cette législature est composée de personnes qui ne sont point riches. »
  3. Mathieu Dumas, Mémoires, I, 521 : « L’agitation était extrême dans les assemblées électorales ; les aristocrates, grands propriétaires, s’étaient abstenus d’y paraître. » — Correspondance de Mirabeau et du comte de la Marck, III, 246, 10 octobre 1791 : « Les dix-neuf vingtièmes des membres de cette législature n’ont d’autre équipage que des galoches et des parapluies. On a calculé que tous ces nouveaux députés ensemble n’ont pas en biens-fonds 300 000 livres de revenu… La généralité des personnes qui composent cette assemblée n’a reçu aucune éducation. »
  4. Ils sont maréchaux de camp, grade qui correspond à peu près à celui de général de brigade. Ce sont : Dupuy-Montbrun (mort en mars 1792), Descrots d’Estrées, vieillard faible et usé que ses enfants ont poussé à l’Assemblée législative, et enfin Mathieu Dumas, celui-ci modéré et le seul notable.
  5. Correspondance du baron de Staël, 19 janvier 1792. — Gouverneur Morris à Washington, II, 162, 4 février : « M. de Warville proposa, dans le comité diplomatique, la cession de Dunkerque et Calais à l’Angleterre comme gages de la fidélité de la France aux engagements qu’elle pourrait prendre. Vous jugerez par ce spécimen de la sagesse et de la vertu de la faction à laquelle il appartient ; » — Buchez et Roux, XXX, 89. Défense de Brissot. Comme tous les ambitieux étourdis et bruyants, Brissot a commencé par des paradoxes scandaleux, à grand orchestre. En 1780, dans ses Recherches philosophiques sur le droit de propriété, il écrivait : « Si quarante écus sont suffisants pour conserver notre existence, posséder 200 000 écus est un vol évident, une injustice… La propriété exclusive est un véritable délit dans la nature… Nos institutions punissent le vol, action vertueuse commandée par la nature même. »
  6. Moniteur. Discours de Cambon, séances du 2 février et du 20 avril 1792.
  7. Ib., séance du 3 avril. Discours de M. Cailhasson : les biens nationaux « vendus et à vendre sont évalués à 2195 millions, et les assignats émis s’élèvent déjà à 2100 millions ». — Cf. Mercure de France, nos du 17 décembre 1791, 201, du 28 janvier 1792, 215, du 19 mai 1792, 205. — Dumouriez, Mémoires, III, 296 ; 339, 340, 344 et 346 : « Cambon, un fou furieux, sans éducation, sans aucun principe d’humanité et de probité (publiques) ; brouillon, ignorant et très étourdi… Il me dit qu’il ne lui restait qu’un seul moyen, c’est de s’emparer de tout le numéraire de la Belgique, de toute l’argenterie des églises et de toutes les caisses… ; que, quand on aurait ruiné les Belges, quand on les aurait mis au même point de détresse que les Français, ils s’associeraient nécessairement à leur sort ; qu’alors en les admettrait comme membres de la République, avec l’espérance de conquérir toujours devant soi par le même genre de politique ; que le décret du 15 décembre 1792 était excellent pour arriver à ce but, parce qu’il tendait à tout désorganiser, et que c’était ce qui pouvait arriver de plus heureux à la France que de désorganiser tous ses voisins pour les mettre au même point d’anarchie. » (Cette conversation de Cambon et de Dumouriez est du milieu de janvier 1793.) — Moniteur, XIV, 758 ; séance du 15 décembre 1792. Rapport de Cambon.
  8. Chronique de Paris, no du 4 septembre 1792 : « Malheureuse et terrible situation, que celle où le caractère d’un peuple naturellement bon et généreux est contraint de se livrer à de pareilles vengeances ! » — Cf. La très pénétrante étude de Sainte-Beuve sur Condorcet, Causeries du Lundi, III, 245. — Hua (collègue de Condorcet à la Législative), Mémoires, 89 : « Dans son journal, Condorcet mentait périodiquement avec une effronterie qui depuis n’a pas été surpassée. Les opinions du côté droit étaient mutilées, travesties au point que ceux d’entre nous qui les avaient émises ne les reconnaissaient plus le lendemain dans son journal. On lui en faisait des reproches, on l’accusait de perfidie, et le philosophe souriait. »
  9. Malouet, II, 115. — Dumouriez, III, chapitre v : « Ils furent nommés pour aller représenter la nation, pour défendre, disait-on, ses intérêts contre une cour perfide. »
  10. Moniteur, X, 223, séance du 26 octobre 1791. Discours de M. François Duval. — Dès la première séance, l’emphase était à l’ordre du jour. Le 1er octobre 1791, les douze vieillards de l’Assemblée vont en procession chercher l’acte constitutionnel. « M. Camus, archiviste, l’air recueilli, les yeux baissés, arrive à pas lents, » portant des deux mains le livre sacré qu’il tient appuyé sur sa poitrine, et tous les députés sont debout, la tête nue. « Peuple français, dit un orateur, citoyens de Paris, Français généreux, et vous, citoyennes vertueuses et savantes qui apportez dans le sanctuaire des lois la plus douce influence, voici le gage de paix que la législature vous présente. » — Il semble qu’on assiste à un final d’opéra.
  11. Moniteur, XII, 230, séances du 26 avril et du 5 mai. Rapport et discours de Français de Nantes. Il faudrait citer le discours entier, qui est un trésor de comique. « Dis-moi, pontife de Rome, quels sentiments t’agiteront quand tu recevras tes dignes et fidèles coopérateurs ?… Je vois tes doigts sacrés préparer aussitôt ces foudres pontificales qui, etc… Qu’on apporte ici le réchaud de Scévola, et, les mains tendues sur le brasier, nous prouverons qu’il n’est sorte de tourments ni de supplices qui puissent faire froncer le sourcil de celui que l’amour de la patrie élève au-dessus de l’humanité ! » — Si, à ce moment, on lui eût mis sous la main une bougie allumée !
  12. Moniteur, XI. 179, séance du 20 janvier 1799. — Ib., 216, séance du 24 janvier. — Ib., XII, 426, séance du 9 mai.
  13. Ib., XII, 479, séance du 24 mai. — XIII, 71, séance du 7 juillet, discours de La Source. — Cf. XIV, 301, séance du 31 juillet. Une citation de Voltaire est alléguée pour faire supprimer les couvents.
  14. Moniteur, séance du 30 août, discours d’Aubert-Dubayet.
  15. Discours de Chaumette, procureur de la Commune, aux nouveaux mariés (Mortimer-Ternaux, IV, 408).
  16. La classe à laquelle ils appartenaient a été peinte au vif par M. Royer-Collard (Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, IV, 263) : « Jeune avocat à Paris, reçu d’abord dans quelques maisons de l’île Saint-Louis, il se retira vite de ce monde secondaire de robins et de procureurs dont le ton l’avait suffoqué. L’impression de cette médiocrité galante et précieusement vulgaire lui inspirait encore, rien qu’à y penser, un geste de dégoût. Il aimait mieux au besoin causer avec les bateliers du port qu’avec ces robins musqués. »
  17. Étienne Dumont, Mémoires, 40. — Mercure de France, nos du 19 novembre 1791, du 11 février et du 3 mars 1792, articles de Mallet du Pan.
  18. Mercure de France, no du 17 décembre. Interrogatoire à la barre de Rauch, prétendu embaucheur qu’on est obligé de renvoyer absous. Rauch leur dit : « Je n’ai pas d’argent et ne puis coucher à moins de 6 sous, parce que je pisse au lit. » — Moniteur, XII, 574, séance du 4 juin. Rapport de Chabot : « Un mercier de Mortagne dit qu’un domestique venant de Coblentz lui a dit qu’une troupe va enlever le roi ou l’empoisonner, pour en rejeter l’odieux sur l’Assemblée nationale. » Bernazais, de Poitiers, écrit : « Un brave citoyen m’a dit hier soir : J’ai été voir une fille, domestique chez un noble ; elle m’a assuré que son maître partait cette nuit pour Paris, pour se réunir aux 30 000 qui doivent, sous un mois, égorger l’Assemblée nationale et mettre le feu aux quatre coins de Paris. » — « M. Gérard, sellier à Amiens, nous écrit que l’on parle de la fuite de Louis XVI à l’aide de 5000 relais ; on doit ensuite tirer à boulets rouges sur l’Assemblée nationale. »
  19. Mercure de France, no du 5 novembre 1791. séance du 24 octobre. — Ib., no du 23 décembre. — Moniteur, XII, 192, séance du 21 avril 1792 ; XII, 447. Adresse de Clootz aux Français : « Dieu débrouilla le chaos primitif ; les Français débrouilleront le chaos féodal. Dieu est puissant et a voulu ; nous sommes puissants et nous voulons… Plus le théâtre de la guerre sera grand, plus le procès des plébéiens contre les nobles sera terminé promptement et heureusement… Il nous faut des ennemis… la Savoie, la Toscane, et vite, vite ! »
  20. Cf. Moniteur, XI, 192, séance du 22 janvier 1792. « M. Burnet, aumônier de la garde nationale, se présente à la barre avec une Anglaise nommée Lydda Kirkam et trois petits enfants, dont l’un est dans ses bras. M. Burnet annonce que cette femme est la sienne, et que l’enfant qu’elle porte dans ses bras est le fruit de leur amour. Après avoir rappelé la force des sentiments de la nature auxquels il n’a pu résister, le pétitionnaire continue ainsi : « Un jour, je rencontrai un de ces examinateurs sacrés. — Malheureux, me dit-il, qu’avez-vous fait ? — Un enfant, monsieur, et j’ai épousé cette femme, qui est protestante, et sa religion ne fait rien à la mienne »… « Ou la mort, ou ma femme ! Tel est le cri que m’inspire et que m’inspirera toujours la nature. » — Le pétitionnaire reçoit les honneurs de la séance. Ib., XII, 369.)
  21. Parfois le grotesque est celui d’une farce : « M. Piorry, au nom de citoyens pauvres mais vertueux, dépose deux paires de boucles avec cette devise : « Elles ont servi à contenir les tirants de mes souliers sur mes pieds ; elles serviront à réduire sous eux, avec l’empreinte et le caractère de la vérité, tous les tyrans ligués contre la Constitution. » (Moniteur, XII, 457, séance du 21 mai.) — Ib., XIII, 249, séance du 25 juillet : « Une jeune citoyenne offre de combattre en personne contre les ennemis de la patrie », et le président lui répond d’un air galant : « Plus faite pour adoucir les tyrans que pour les combattre, vous offrez, » etc.
  22. Moniteur, XI, 576, séance du 6 mars ; XII, 237, 314, 368, séance du 27 avril, du 5 mai, du 14 mai.
  23. Mercure de France, nos du 19 septembre 1791, du 11 février et du 3 mars 1792. — Buchez et Roux, XVI, 185, séance du 26 juillet 1792.
  24. Mémoires de Mallet du Pan, I, 433. Tableau des trois partis, avec renseignements intimes.
  25. Buchez et Roux, XII, 348. Lettre du député Chéron, président des Feuillants. Le nombre des députés de la Législative inscrits aux Feuillants est de 264, outre un très grand nombre de députés de la Constituante. Selon Mallet du Pan, les prétendus indépendants sont au nombre de 250.
  26. Ce chiffre est constaté par les scrutins décisifs (Mortimer-Ternaux, II, 205, 348).
  27. Moniteur, XII, 393, séance du 15 mai. Discours d’Isnard : « L’Assemblée constituante, pouvant tout, n’a osé qu’à demi. Elle a laissé dans le champ de la liberté, au milieu même des racines du jeune arbre de la Constitution, les vieilles racines du despotisme et de l’aristocratie… Elle nous a attachés au tronc de l’arbre constitutionnel comme des victimes impuissantes et dévouées à la rage de leurs ennemis. » — Étienne Dumont a très bien vu le défaut d’éducation qui est le propre du parti : il dit à propos de Mme Roland : « Je lui trouvais trop de cette disposition défiante qui tient à l’ignorance du monde… Il a manqué à son développement intellectuel une plus grande connaissance du monde, et des liaisons avec des hommes d’un jugement plus fort que le sien. Roland avait peu d’étendue d’esprit, et tous ceux qui la fréquentaient ne s’élevaient point au-dessus des préjugés vulgaires. »
  28. Souvenirs inédits du chancelier Pasquier.
  29. Mme de Staël, Considérations sur la Révolution française, IIIe partie, chapitre III. — Mme de Staël a causé avec eux, et les juge avec sa finesse de femme du monde.
  30. Louvet, Mémoires, 32 : « J’étais de ces philosophes hardis qui, avant la fin de 1791, avaient déploré le sort d’une grande nation obligée de s’arrêter à mi-chemin dans la carrière de la liberté. » — Ib., 38 : « Il fallait un ministre de la justice. Les quatre ministres (Roland, Serran, etc.) jetèrent les yeux sur moi… Duranthon me fut préféré. Ce fut la première faute du parti républicain ; il l’a payée bien cher, elle a coûté bien du sang et des larmes à mon pays. » Un peu plus tard, il se croit capable d’être ambassadeur à Constantinople.
  31. Buzot, Mémoires (édit. Dauban), 31, 39 : « Né avec un caractère d’indépendance et de fierté qui ne plia jamais sous le commandement de personne, comment pouvais-je supporter l’idée d’un homme inviolable ? La tête et le cœur remplis de mon histoire grecque et romaine et des grands personnages qui, dans les anciennes républiques, honorèrent le plus l’espèce humaine, je professai, dès mon plus jeune âge, leurs maximes, je me nourris de l’étude de leurs vertus… La prétendue nécessité de la monarchie… ne pouvait se fondre dans ma pensée avec les grandes et nobles images que j’avais formées de la dignité de l’espèce humaine. L’expérience m’a désabusé, je l’avoue ; mais mon erreur était trop belle pour que je pusse m’en repentir. » — L’admiration de soi-même est aussi le fond de Mme Roland, de Roland, de Pétion, de Barbaroux, de Louvet, etc. (voyez leurs écrits). Mallet du Pan dit très bien : « En lisant les Mémoires de Mme Roland, on aperçoit l’actrice qui travaille pour la scène. » — Pour Roland, ce n’est qu’un mannequin administratif et phraseur, dont le ressort est poussé par sa femme ; en propre, il a un coin de chimérique grotesque et plat. Par exemple, en 1787 (Guillon de Montléon, Histoire de la ville de Lyon pendant la Révolution, I, 58), il proposait à l’académie de Lyon, pour utiliser les morts, d’en faire de l’huile et de l’acide phosphorique. En 1788, il proposait à l’académie de Villefranche de faire examiner « s’il ne convenait pas au bien public d’établir des tribunaux pour juger les morts », à l’instar des Égyptiens. — Dans son compte rendu du 5 janvier 1793, il donne un plan pour l’établissement de fêtes publiques « à l’instar des Spartiates », et prend pour épigraphe : Non onmis moriar (Baron de Girardot, Roland et Mme Roland, I, 83, 185).
  32. Moniteur, XI, 61, séance du 7 janvier 1792. — Ib., 204 (24 janvier) ; 281 (1er février) ; 310 (4 février) ; 318 (6 février) ; 343 (9 février) ; 487 (26 février). — Ib., XII, 22 (2 avril). Il faut lire toutes ces séances pour sentir l’excès de cette pression. Voyez notamment les séances des 9 et 16 avril, des 15 et 29 mai, des 8, 9, 15, 24, 25 juin, des 1er, 2, 5, 9, 11, 17, 18, 21 juillet, et, à partir de cette dernière date, toutes les séances. — Lacretelle, Dix ans d’épreuves, 78-31 : « L’Assemblée législative servait sous le club des Jacobins, en se ménageant quelques faux airs d’indépendance. La peur avait fait des progrès immenses dans le caractère français, alors que tout se montait sur le ton de la fierté la plus exaltée… La majorité intentionnelle était pour les conservateurs, la majorité de fait pour les républicains. »
  33. Moniteur, XIII, 212, séance du 22 juillet.
  34. Moniteur, XII, 22, séance du 2 avril. — Mortimer-Ternaux, II, 95. — Moniteur, XIII, 222, Séance du 22 juillet.
  35. Lacretelle, Dix ans d’épreuves, 80.
  36. Mathieu Dumas, Mémoires, II, 88 (23 février). — Hua, Mémoires d’un avocat au Parlement de Paris, 106, 121, 134, 154. — Moniteur, XIII, 212, séance du 21 juillet : Discours de M… « Tous les jours, les avenues de cette salle sont obstruées par une horde de gens qui insultent les représentants de la nation. »
  37. Vaublanc, Mémoires, 334. — Moniteur, XIII, 368, séance du 9 août. Lettres et discours de députés.
  38. Hua, 115. — Ib., 90. Sur 14 députés de Seine-et-Oise, 3 étaient Jacobins. « Nous nous réunissions une fois par semaine pour parler des affaires du département. Nous fûmes obligés de chasser ces gueux, qui ne parlaient que de tuer, même à table. »
  39. Moniteur, XII, 702. Par exemple, le 19 juin 1792, motion imprévue de Condorcet, pour que « tous les départements soient autorisés à brûler les titres (de noblesse) qui se trouveront dans les divers dépôts. » — Adopté d’urgence et à l’unanimité.
  40. Hua, 114.
  41. Moniteur, XII, 664. — Mercure de France, n° du 23 juin 1792.
  42. Hua, 141 — Mathieu Dumas, II, 399 : « : Il est remarquable que Laffon de Ladébat, l’un de nos plus fidèles amis, fut nommé président, le 23 juillet 1792 ; c’est que la majorité de cette assemblée était saine encore ; mais elle ne se produisait que par le vote secret sur le choix des individus. Les mêmes hommes qui obéissaient à la voix de leur conscience par un sentiment de justice et de pudeur ne pouvaient soutenir l’épreuve des dangers personnels dont les entouraient les menaces des factieux, quand il fallait voter, à découvert, par assis et levé. »