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Les Origines du capitalisme moderne/7

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Chapitre VII


LES ORIGINES DU CAPITALISME INDUSTRIEL
ET DE LA GRANDE INDUSTRIE


1. La « révolution industrielle » procède de l’expansion commerciale. — Les précédents chapitres ont mis en lumière le rôle essentiel joué par le capitalisme commercial. Partout, c’est l’essor de la puissance commerciale qui a permis la grande transformation industrielle que l’on voit se produire, en Angleterre, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et plus tard en France. L’Angleterre s’est d’abord enrichie par le grand commerce maritime ; elle a suivi l’exemple de la Hollande, dont le commerce de commission avait fait la fortune. L’évolution de la France a été bien plus tardive et moins intense ; aussi la révolution industrielle ne s’y produira-t-elle que longtemps après la transformation de l’Angleterre. M. Paul Mantoux, dans sa Révolution industrielle au XVIIIe siècle, montre que la fortune industrielle du Lancashire fut provoquée surtout par les progrès du port de Liverpool, qui d’abord se livrait presque exclusivement au commerce des produits coloniaux ; c’est parce qu’il importait du coton que la région de Manchester est devenue le grand centre de l’industrie cotonnière. Le même auteur insiste avec raison sur l’action exercée par le progrès des voies de communication (canaux et routes). En France aussi, la construction du réseau routier, au XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle, contribua à transformer toute la vie économique du pays. Mais la supériorité du commerce maritime de l’Angleterre nous donne sans doute la raison pour laquelle la révolution industrielle en ce pays a été spontanée, tandis qu’en France l’introduction du machinisme et la création de la grande industrie sous l’ancien régime ont été surtout l’œuvre du gouvernement[1].

Le commerce est si bien la source de l’activité industrielle qu’au XVIIe et au XVIIIe siècle, le mot commerce désigne autant l’industrie que le commerce proprement dit. Même observation en ce qui concerne le mot anglais trade. — Remarquons encore qu’à cette époque ce n’est pas le producteur industriel qui va au devant des commandes, qui s’efforce de se plier au goût de la clientèle. C’est l’office du négociant en gros, de l’exportateur. L’armateur malouin Magon de la Balue fait ses commandes de soieries aux commissionnaires de Lyon ; il ne cesse de se plaindre de la fabrication défectueuse, des « infidélités » des fabricants, de leur peu d’application à satisfaire la clientèle ; et cependant à Lyon, ce sont déjà des maîtres marchands qui « contrôlent » la fabrication.

Toutefois, il ne faut pas oublier que l’industrie elle-même a, dans une certaine mesure, contribué à l’accumulation des capitaux. En Angleterre, on l’a vu, c’est le progrès de l’industrie drapière qui a déclenché le mouvement d’exportation, grâce auquel ce pays est devenu une si grande puissance maritime. Dans beaucoup de métiers, un certain nombre de maîtres s’enrichissent assez pour se différencier de leurs confrères et devenir des sortes d’entrepreneurs capitalistes ; c’est un fait que l’on peut constater dans tous les pays, mais que M. Unwin a mis particulièrement en lumière pour l’Angleterre dans son Industrial organisation in the XVI and XVII century.


2. La phase de l’industrie rurale et domestique. — C’est d’abord l’industrie rurale et domestique qui a permis au capitalisme commercial d’exercer son emprise sur la fabrication.

Il y a là une phase de l’évolution que l’on retrouve dans toutes les contrées. Aux Pays-Bas, dès le XVIe siècle, comme l’a si bien montré M. Henri Pirenne dans le tome III de son Histoire de Belgique, apparaît une extension remarquable de l’industrie rurale ; elle se manifeste dans beaucoup de fabrications, qui précédemment étaient confinées dans les villes. Dans les campagnes de la Flandre wallonne et du Hainaut, dans les environs de Lille, de Bailleul et surtout d’Armentières et de Hondsehoote, on fabrique, avec la laine d’Espagne, des tissus légers et à bon marché, des worsted, contre lesquels la draperie anglaise ne peut entrer en concurrence. L’industrie de la toile se répand aussi dans les campagnes, ainsi que l’industrie de la dentelle. Mais l’exemple le plus typique est peut-être celui de la tapisserie, qui alimente l’important marché d’exportation d’Anvers. Il s’agit de la tapisserie bon marché, car la tapisserie d’art reste le monopole des villes. Dans les Pays-Bas, au XVIe siècle, se marque nettement l’emprise du capitalisme commercial sur l’industrie rurale ; ce sont des marchands-fabricants, des entrepreneurs capitalistes qui concentrent entre leurs mains, à destination des marchés lointains, les étoffes fabriquées par les artisans des campagnes. Remarquons, avec M. Pirenne, que l’industrie houillère n’affecte pas encore la forme capitaliste.

En Angleterre, dès le XVe siècle, nous voyons le marchand-manufacturier « contrôler » la fabrication drapière, soumettre à sa domination économique l’artisan campagnard, auquel il fournit la matière première, parfois même les métiers, et dont il concentre les produits pour les revendre sur des marchés lointains[2] ; rien ne le montre mieux que les pénalités édictées par la législation contre les artisans qui se rendraient coupables de détourner des matières premières[3].

Comme le dit si justement le professeur W. Ashley, dans son Évolution économique de l’Angleterre, ce ne sont pas les instruments de production qui font défaut aux artisans des campagnes, mais bien les marchés : ils sont obligés de subir l’intermédiaire des négociants. Seul, le Yorkshire fait exception. En cette région, comme le montre le Rapport du Comité de la Chambre des Communes, de 1806, l’ouvrier rural achetait lui-même la laine, la faisait filer, fabriquait et teignait le drap, qu’il allait vendre ensuite aux halles des villes voisines (Bradford, Leeds, Halifax, Wakefield, etc.) ; c’était un maître indépendant, mais peu à peu, au cours du XVIIIe siècle, même dans cette région, les commandes se font en dehors des marchés ; le moment n’est pas éloigné où le marchand va exercer son emprise sur le processus industriel lui-même.

En Irlande, dans l’industrie de la toile, qui se cantonne de plus en plus dans l’Ulster, c’est la même évolution qui se produit. Les tisserands ne sont que des tenanciers agricoles, pour lesquels la fabrication de la toile, absolument comme dans la Bretagne française, n’est qu’une occupation accessoire ; ils vont vendre leurs étoffes aux marchés locaux, aux halles de Belfast et de Dublin, ou bien les cèdent à des courtiers, qui la vendent, à leur tour, aux marchands. Puis, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ils tombent peu à peu dans la dépendance économique des marchands, qui souvent vont vendre les étoffes directement en Angleterre. Le marchand-fabricant a une situation de plus en plus importante. Vers la fin du siècle, les blanchisseurs, qui d’abord n’étaient que de petits entrepreneurs, deviennent souvent de grands patrons industriels, qui concentrent entre leurs mains tout le produit de la fabrication. Ce sont eux surtout qui introduisent le machinisme dans l’industrie de la toile et vont assurer le triomphe, en cette partie, du capitalisme industriel. Tels sont les faits qui se dégagent du récent ouvrage de M. Conrad Gill sur l’industrie de la toile en Irlande.

En France, on distingue nettement deux types d’industrie rurale. Le premier type s’applique aux régions dont les ressources agricoles sont insuffisantes et où la vie urbaine est peu active, comme la Bretagne et le Bas-Maine. Dans ces provinces, l’industrie campagnarde de la toile ne fait nullement concurrence aux métiers urbains, très peu nombreux. Les marchands se livrent exclusivement à des transactions commerciales, ne dirigent pas la production, ne distribuent pas la matière première, que le paysan récolte sur place ; tout au plus, s’occupent-ils de faire opérer le blanchiment et le finissage des toiles. C’est tout à fait par exception qu’ils deviennent entrepreneurs de manufactures. En Bretagne et dans le Maine, l’industrie rurale ne donnera pas naissance à l’industrie capitaliste. Elle vivait surtout des exportations à Cadix ; la perte de ce marché, pendant les guerres de la Révolution, doit la ruiner. Quand elle tombera en décadence à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe la fabrication des toiles disparaîtra définitivement du pays.

Au contraire, dans des provinces comme la Flandre, la Picardie, la Haute-Normandie, où l’agriculture est prospère, où l’industrie urbaine a essaimé dans les campagnes environnantes, où l’industrie rurale s’est développée surtout parce que beaucoup de, paysans sont dépourvus de propriété, l’artisan rural dépend souvent de véritables manufacturiers, qui lui font des commandes et donnent des directions à son travail. En tout cas, les négociants distribuent aux travailleurs de la campagne la matière première, leur fournissent même les métiers. Ce sont eux qui soutiennent la fabrication rurale au point de ruiner les métiers urbains, comme s’en plaignent les fabricants et les compagnons de Troyes ; ce sont eux qui, à la fin de l’Ancien Régime, dans la bonneterie et dans la filature du coton, introduisent les métiers mécaniques, ce qui rend plus désastreuse encore pour l’ancienne industrie urbaine la concurrence des campagnes. Il suffira que les métiers soient concentrés dans des usines pour que naisse la grande industrie, pour que le négociant-entrepreneur se transforme en patron industriel[4].


3. Le rôle de la concentration commerciale. — Dans les métiers urbains de l’industrie textile, on voit souvent S’exercer la même emprise du capitalisme commercial, qui a pour effet de faire tomber les artisans, autrefois indépendants, au rang de salariés. L’exemple le plus frappant nous est fourni par l’industrie lyonnaise de la soie, comme nous le, montre l’excellent ouvrage de M. Justin Godart sur L’Ouvrier en soie de Lyon. Déjà au XVIIe siècle, la distinction s’était faite entre maîtres marchands et maîtres ouvriers, ainsi qu’en témoigne le règlement de 1667. Le règlement de 1744 consacre la dépendance économique des maîtres ouvriers, qui deviennent les salariés des marchands. Leur dépendance est d’autant plus grande que le marchand fournit la matière première, ainsi que les dessins, et leur avance souvent les sommes nécessaires pour l’achat de l’outillage. Enfin, le prix de la façon est fixé par le marchand ; le salaire n’est établi que quand l’ouvrage est terminé. On comprend bien les causes de la transformation : les marchands, disposant de capitaux, devaient, à mesure que la production et les marchés s’étendaient, faire la loi aux ouvriers qui n’avaient pas d’avances. Dans cette industrie de luxe, leur rôle est d’autant plus considérable que les fluctuations de la mode, qu’ils sont seuls à pouvoir surveiller, pèsent à tout moment sur la fabrication[5]. L’évolution est achevée avant l’introduction du machinisme.

Dans l’industrie drapière, on perçoit une évolution analogue, mais moins générale. L’emprise du capitalisme commercial sur le travail s’explique surtout par des raisons techniques, par la multiplicité des opérations auxquelles donne lieu la fabrication. La laine doit être lavée et dégraissée. On la soumet au battage, au cardage ou an peignage, puis ou la remet aux fileurs et surtout aux fileuses. Après le filage, c’est le dévidage, le bobinage et l’ourdissage. La pièce passe ensuite à la teinture, puis, s’il s’agit d’une laine cardée, au feutrage. Viennent ensuite les apprêts définitifs : le lainage, le tondage et le ratissage. On s’explique ainsi l’intervention du marchand, qui se charge de diriger tout le processus de la fabrication, et cette intervention devient encore plus nécessaire lorsque l’industrie se répand dans les campagnes. M. Ballot, dans son beau livre sur l’Introduction du machinisme dans l’industrie française, nous décrit de la façon la plus nette le rôle du marchand-fabricant de drap :

« Le marchand achète la laine brute, la fait laver, dégraisser, teindre par ses ouvriers. Puis il la confie parfois directement aux cardeuses ou fileuses, plus souvent à un petit entrepreneur, travailleur lui-même, qui l’emporte et la distribue dans son village. Lorsqu’on lui rapporte les fils, le marchand fait généralement ourdir la chaîne, puis il la remet avec le fil de la trame à un second entrepreneur chargé du tissage, tisserand lui-même en général. La pièce tissée, le marchand lui fait donner les différents apprêts par les maîtres tondeurs et laineurs ; quant au foulage, il n’est pas rare que le marchand soit lui-même propriétaire d’un moulin. »

Cette concentration commerciale, qui, à la fin du XVIIIe siècle, est complète dans les plus grands centres (Sedan, Reims, Rouen, Elbeuf, etc.), ne se manifeste pas partout. Parfois, comme à Amiens, le travail est réparti entre plusieurs entrepreneurs successifs, indépendants les uns des autres ; dans le Midi, les petits fabricants sont encore nombreux.

Là où la concentration commerciale est parfaite, comme à Reims, elle entraîne parfois la concentration industrielle, c’est-à-dire la réunion dans le même bâtiment de tous les ateliers coopérant à la fabrication. Les marchands ont intérêt à grouper les ouvriers sous le même toit pour surveiller leur travail et éviter les frais de transport. Tel est le cas, par exemple, d’un certain nombre de manufactures du midi, comme celles de la Trivalle, près Carcassonne, de Villeneuvette, près Clermont-de-l’Hérault ; à Montauban, un manufacturier fait construire un bâtiment qui lui coûte 125 000 livres. À Reims, plus de la moitié des métiers sont groupés dans de grandes manufactures. À Louviers, la concentration est plus forte encore quinze entrepreneurs groupent des milliers d’ouvriers l’un d’eux fait construire, pour 200 000 livres, une énorme manufacture abritant cinq ateliers. Cependant, même en ce cas, il subsiste bien des travailleurs qui travaillent isolément. On voit donc que, dans la draperie, la concentration industrielle, quand elle se produit, ne procède pas du machinisme, qui n’apparaîtra que sous le Premier Empire.

Dans la bonneterie, l’emprise du capitalisme commercial sur la fabrication provient surtout de l’usage des métiers, qu’on a employés de bonne heure, et dont le prix est assez élevé (3 à 400 livres). Partout, ce sont quelques gros marchands-fabricants qui tiennent dans leur dépendance les maîtres ouvriers : à la fin de l’ancien régime, à Lyon, 48 marchands font travailler 819 maîtres-ouvriers ; à Orléans, 55 marchands occupent 260 maîtres.

Un fait significatif, c’est que les marchands-fabricants, même lorsque la fabrication est dispersée, peuvent à bon droit s’intituler manufacturiers. Le mot manufacture est souvent synonyme du mot actuel d’industrie, qui n’est encore que rarement employé, au XVIIIe siècle, dans le sens qu’il a pris au XIXe siècle[6]. On dira, par exemple, la manufacture de toiles de Rennes, et, quand il s’agit du travail des artisans, on se sert du terme d’arts et métiers.


4. Les manufactures. — Aussi semble-t-il que les manufactures n’aient pas joué le rôle clé premier plan qu’on leur a souvent attribué, et dont Karl Marx, dans le Capital, fait si grand état.

Sans doute, en France, les manufactures royales et les manufactures privilégiées, à la création desquelles Colbert a attaché son nom, n’ont pas été sans influence sur la genèse de la grande industrie, qui devait se produire beaucoup plus tard. Encouragées par des primes et des subventions officielles, elles disposaient de capitaux plus considérables que la plupart des autres entreprises de l’époque ; elles pouvaient ainsi, tout au moins pour le finissage, se procurer un outillage relativement perfectionné. Les monopoles qu’on leur attribuait favorisaient aussi leur développement. L’œuvre de Colbert est donc loin de n’avoir aucune portée pour l’avenir : de nombreux îlots industriels ont émergé, de nouvelles industries ont été implantées en France et quelques-unes d’entre elles connaîtront un véritable succès. Mais, le plus souvent, les manufactures n’ont nullement le caractère d’établissements concentrés ; elles emploient sur une grande échelle la main-d’œuvre de l’industrie rurale ou domestique. Et, à cet égard, on ne peut signaler aucune transformation notable au XVIIIe siècle.

Cependant, en France, les manufactures ont constitué un facteur important de l’évolution industrielle ; la naissance de la grande industrie et du machinisme, comme l’a justement remarqué Ch. Ballot, a été, en grande partie, l’œuvre de l’État.

En Angleterre, au contraire, la grande industrie procède d’un effort spontané. Aussi les manufactures y ont-elles joué un rôle encore bien moins important qu’en France. Les Stuarts, il est vrai, les ont favorisées, lorsque, surtout dans un but fiscal, ils ont développé le système des monopoles ; ils en ont créé un certain nombre, par exemple, pour la fabrication du savon, du fil de fer, des cartes à jouer. Mais la nation s’éleva vigoureusement contre ces monopoles. Le mercantilisme, soutenu, créé même par la monarchie des Stuarts, disparut avec elle, et c’est la politique du laissez-faire qui l’emporta. La Révolution de 1688, à ce point de vue aussi, exerça une influence de premier ordre ; elle favorisa la cause de la liberté commerciale et économique. On s’explique donc qu’au XVIIIe siècle les essais de manufactures, tentés dans l’industrie textile, aient été peu nombreux et n’aient pas obtenu grand succès[7].


5. La technique et la concentration industrielle. — La concentration industrielle, sans laquelle il ne saurait y avoir de grande industrie, est née surtout de nécessités techniques. Un exemple typique nous est fourni par l’impression sur toile. Dans les manufactures d’indiennes, on voit la concentration industrielle S’opérer de bonne heure sur la plus vaste échelle, sans qu’il y ait eu intervention du machinisme proprement dit. On se l’explique si l’on songe, comme le dit Ch. Ballot, que « les conditions techniques de la fabrication nécessitaient l’immobilisation d’importants capitaux, la réunion des ouvriers en ateliers et la division du travail entre eux ». Il faut des terrains étendus pour le blanchiment des toiles, de vastes bâtiments pour les ateliers, de grandes pièces pour le séchage. L’outillage est compliqué et coûteux ; on a besoin de stocks importants (toiles et matières colorantes). En outre, la diversité des manipulations, qui doivent se faire dans le même local, exige la division du travail entre de nombreuses catégories d’ouvriers spécialisés, et qui doivent travailler sous le même toit. Rien d’étonnant que, vers la fin de l’ancien régime, cette industrie comprenne plus d’une centaine de, manufactures, produisant pour plus de 12 millions de livres de toiles peintes. La plupart appartiennent à des compagnies de plusieurs associés ; beaucoup sont des sociétés par actions, fort riches. La société du célèbre Oberkampf, en 1789, a un capital social de près de 9 millions et ses bénéfices, en 1792, atteignent 1 581 000 livres. Et cependant l’impression mécanique ne commence à fonctionner qu’en 1797.


6. L’introduction du machinisme ; ses conséquences. — Toutefois la concentration ouvrière et industrielle, condition nécessaire de la grande industrie capitaliste, ne pouvait devenir un phénomène vraiment général que grâce au triomphe du machinisme.

C’est dans le moulinage de la soie que le machinisme s’est introduit en premier lieu ; dès la première moitié du XVIIIe siècle, les Jubié ont déjà des machines assez perfectionnées ; puis, dans la seconde moitié de ce siècle, ce sont les inventions de Vaucanson, que les Deydier, à Aubenas, cherchent à mettre en pratique. Tous ces progrès techniques nous expliquent que, dans le moulinage, il se soit créé beaucoup de grands établissements (tels, les ateliers clés Jubié à la Sône), tandis que la filature de la soie reste une industrie domestique et rurale et ne connaîtra la concentration que dans le courant du XIXe siècle[8].

Mais c’est dans la fabrication du coton, industrie nouvelle, que le machinisme se développe de la façon la plus intense au XVIIIe siècle. Les inventions techniques ont vu le jour d’abord en Angleterre, où cette industrie s’est implantée plus tôt que partout ailleurs. C’est d’abord l’invention de la navette volante, par Kay, en 1733, laquelle rend le tissage beaucoup plus rapide. Puis, comme on a besoin d’une plus grande quantité de fil, il s’agit de rendre plus intense sa production c’est donc la filature du coton que visent la plupart des inventions : la spinning-jenny (en 1765), le water- frame, d’Arkwright, deux ans plus tard, puis la mule-jenny de Crompton. La France, dans le domaine du machinisme, est très en retard ; il faut faire venir d’Angleterre ouvriers et machines.

La jenny était un petit métier à bras, que pouvaient employer les fileurs ou fileuses isolés ; elle ne nuisait donc nullement à l’industrie rurale. Au contraire, les mule- jennies et les machines continues favorisaient la concentration. En France, comme en Angleterre, le fait apparaît incontestable ; déjà avant la Révolution, un certain nombre de manufactures concentrées ont été créées : celles de Lecler, à Brives, de Martin et Flesselles, à Amiens, les fabriques fondées par le duc d’Orléans à Orléans et à Montargis, la manufacture de Louviers. Dans les premières années de la Révolution, le mouvement s’accélère encore. Mais c’est surtout à l’époque de l’Empire que la filature du coton devient une grande industrie, grâce à l’esprit d’organisation et aux ressources en capitaux d’hommes comme Bauwens et Richard-Lenoir.

En France comme en Angleterre, le machinisme ne gagna que plus tard l’industrie lainière, malgré l’invention de Cartwright. En France, c’est à l’époque napoléonienne que la transformation s’opéra, principalement grâce au prodigieux industriel que fut Ternaux, « qui couvrit la France d’usines et l’Europe de comptoirs ».

D’ailleurs, ne considérât-on que l’industrie textile, l’évolution est loin d’être achevée, même en Angleterre, au début du XIXe siècle. Le tissage mécanique est lent à s’établir, même dans la fabrication cotonnière. Dans l’industrie de la toile, le machinisme n’apparaît que tard ; en France, c’est seulement sous la monarchie de juillet qu’il la transformera.

Dans les industries secondaires, comme la verrerie et la papeterie, de grands perfectionnements techniques ont été réalisés avant la Révolution ; mais, si l’on trouve déjà quelques grands établissements, comme la papeterie de Montgolfier à Annonay, l’immense majorité des entreprises continuent à rester de petites exploitations, ne comprenant qu’un nombre restreint d’ouvriers.

Quant à la métallurgie, comme le remarque justement M. Mantoux, au début, « les machines n’ont joué qu’un rôle secondaire dans sa transformation là plus décisive », c’est-à-dire dans la substitution du coke au bois pour la fonte. C’est cette innovation qui a déterminé la création de grands établissements, comme l’usine du Creusot, entreprise capitaliste au premier chef. Mais la transformation ne s’opérera que lentement, surtout en France, où elle ne sera achevée que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Au moment de la Révolution, l’immense majorité des entreprises métallurgiques sont de petits établissements, n’employant qu’un nombre restreint d’ouvriers ; l’industrie reste longtemps dispersée, et, comme on continue souvent à se servir du bois pour la fonte, c’est encore dans les régions forestières qu’elle se cantonne de préférence. Le machinisme a gagné plus rapidement les industries travaillant le fer, comme les laminages, les fabriques de machines-outils, les ateliers de construction, que favorisent précisément les progrès du machinisme textile.

L’introduction des moteurs mécaniques ne s’est faite aussi que lentement. Ce furent d’abord les moteurs hydrauliques, en France comme en Angleterre. En ce dernier pays, la machine à vapeur tend partout à prendre leur place, dès la fin du XVIIIe siècle. Mais, en France, les machines à vapeur sont encore peu nombreuses en 1789, exception faite pour les pompes à feu des mines et quelques machines élévatoires. Il faut attendre plus d’un demi-siècle, pour qu’elles pénètrent dans toutes les industries.

Les machines à vapeur ont été l’une des premières applications de la science à l’industrie, applications qui ont suivi de loin les inventions techniques, fruits d’une intuition de génie ou de longs tâtonnements. Parmi les sciences, c’est, tout d’abord, la chimie qui suscite le plus grand nombre de perfectionnements industriels, comme on peut s’en rendre compte dès le, début du XIXe siècle.

De ce qui précède, on peut conclure que, si, Seule, l’extension du machinisme pouvait assurer le triomphe de la grande industrie, par contre, à considérer les origines, la concentration industrielle est encore moins le résultat de l’introduction du machinisme que, de la multiplicité des opérations techniques requises par telle ou telle fabrication : dans l’industrie drapière, la concentration provient de la complexité du processus industriel, qui a rendu indispensable l’intervention du capitalisme commercial ; dans l’impression de la toile, elle est le résultat des conditions toutes particulières de cette fabrication. Le machinisme ne fera que renforcer une transformation déjà accomplie ou en voie de se réaliser.


7. Caractère du capitalisme industriel. — Si l’on considère le XVIIIe siècle, on voit clairement que ce n’est pas dans les industries où le machinisme est le plus développé, mais dans celles qui par leur nature même sont le Plus coûteuses, que les entreprises affectent le plus nettement la forme capitaliste. Un exemple bien saisissant nous est fourni par l’industrie minière et surtout par l’industrie houillère. Les mines avaient d’abord été exploitées souvent par leurs propriétaires ou par de petits entrepreneurs, mais d’une façon si défectueuse que le gouvernement, par l’arrêt de 1744, se décida à établir qu’aucune mine ne pourrait être mise en valeur qu’en vertu d’une concession royale. Les propriétaires et les petits entrepreneurs sont souvent dépossédés au profit d’étrangers, au profit surtout de grandes compagnies, comme la compagnie d’Anzin. C’est que ces sociétés sont seules capables d’accomplir les perfectionnements techniques nécessaires : sondages, ouvertures des galeries et des puits, aérage, épuisement de l’eau au moyen de pompes (et on emploie de plus en plus les « Pompe à feu ») exigent, pour être menés scientifiquement, des capitaux considérables. Ces compagnies, sociétés par actions (surtout en nom collectif ou en commandite), ont bien l’aspect de grandes entreprises capitalistes, qu’il s’agisse d’Alais, de Carmaux ou d’Anzin. La société d’Anzin, en 1756, emploie déjà mille mineurs et, dans ses ateliers, 500 ouvriers ; en 1789, elle compte 4 000 ouvriers ; elle a ouvert 300 à 400 toises de galeries et elle emploie 12 machines à vapeur ; en 1789, elle extrait 3 750 000 quintaux de charbon, et ses bénéfices commerciaux s’élèvent à 1 200 000 livres, dépassant de 100 % ses dépenses[9]. Dans les autres exploitations minières, ce caractère est moins accentué ; mais on a toujours affaire à des sociétés par actions, qui ont été formées le plus souvent par des riches financiers ou des négociants, des armateurs, et, parmi leurs actionnaires, figurent, comme dans les sociétés houillères, des nobles, des magistrats[10].

Au contraire, dans l’industrie cotonnière, même quand le machinisme y eut triomphé, les sociétés par actions sont rares ; les sociétés en commandite, il est vrai, apparaissent fréquemment, mais « le plus grand nombre des manufactures sont la propriété de simples industriels », qui ont recours aux emprunts, aux bons offices des banquiers, « sans qu’on puisse dire avec exactitude d’où viennent les capitaux »[11].

Dans l’impression de la toile, dès le XVIIIe siècle, les sociétés par actions ou tout au moins les compagnies en commandite apparaissent fort nombreuses[12]. C’est que, dès cette époque, l’intégration se manifeste en cette industrie, dont le caractère capitaliste est si fortement marqué.

M. Ballot nous décrit très nettement cet état de choses :

« Très souvent les fabricants joignent à l’impression le filage et le tissage ; ils le font d’autant plus volontiers que cette extension de leurs opérations n’exige pas un grand accroissement de capital ; ils font faire ce travail dans les campagnes ; patrons d’usines ou peu s’en faut pour l’impression, ils sont marchands-fabricants pour la fabrication des toiles[13]. »

Sous l’Empire, la plupart des grandes filatures de coton appartiennent à de gros industriels, qui font du tissage et même de l’impression[14].

Par contre, le développement industriel, les progrès du machinisme ont parfois pour conséquence la spécialisation ; les diverses opérations de la fabrication donnent naissance à des établissements spéciaux. C’est le cas notamment des filatures : des industriels, comme Boyer-Fonfrède, qui avaient à la fois des tissages et des Matures, se consacrent maintenant exclusivement à la filature, tandis qu’avant le machinisme la filature était subordonnée au tissage[15].

Autre conséquence, qui s’affirme à l’époque napoléonienne : certains industriels, particulièrement entreprenants, multiplient leurs établissements ; tel, Bauwens en Belgique, tel, Richard-Lenoir, qui crée des filatures et des tissages en Picardie et dans toutes les parties de la Normandie. Un exemple plus frappant encore est fourni par Ternaux, qui couvre la France d’usines drapières ; en dehors des grands centres de sa fabrication (Sedan, Reims, Louviers), il ne cesse de fonder de nouveaux ateliers.

Arrivée à ce point de développement, la concentration industrielle a pour conséquence de soumettre à l’industrie l’activité commerciale. Le grand industriel s’efforce de devenir un grand commerçant, se préoccupe lui-même de trouver des débouchés pour ses produits. Ternaux fonde partout, à l’étranger comme en France, des comptoirs pour la vente et pour l’achat des matières premières. Sa maison de Paris est « comme le cœur qui reçoit et renvoie le sang dans les veines et les artères » : elle sert pour tous ses établissements de magasin de vente ou d’approvisionnement, de maison de commission. Ternaux cherche même à se passer tout à fait des intermédiaires, à entreprendre la vente au détail. Dès le XVIIIe siècle, dans l’impression sur toile, les fabricants se livrent aux opérations commerciales ; M. Ballot caractérise ainsi leur activité :

« Ils envoient des agents acheter directement, soit des toiles blanches à Lorient, port de la Compagnie des Indes, soit des matières tinctoriales dans les autres ports ; les plus importants s’occupent de la vente aux marchands, ou même directement au public ; plusieurs manufactures ont des boutiques à Paris, d’autres ont des relations étendues, exportant en Allemagne, dans les pays du nord, aux colonies. »

On dit souvent que la concentration industrielle a eu pour conséquence la division du travail. Mais il conviendrait de bien définir le mot. La division du travail est antérieure à la concentration, si l’on entend par ce terme la multiplicité des opérations techniques et des métiers, ce qu’on peut appeler plus justement la répartition de la fabrication entre un grand nombre de métiers. Dans ce cas, la division du travail provoque parfois le désir d’opérer la concentration, qui diminuerait les frais de la production. Mais le plus souvent, elle se maintient longtemps sans aboutir à la concentration. Ainsi, pour citer un exemple, la coutellerie de Thiers a conservé son caractère de dispersion à outrance, de spécialisation extrême des métiers jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle[16]. Mais la concentration, ou, peur mieux dire, la réunion sous un même toit d’un grand nombre d’ouvriers produit forcément ce que Bücher appelle la décomposition du travail, c’est-à-dire la répartition des tâches : dans un atelier concentré, chaque ouvrier a sa fonction déterminée, réalise une petite fraction de la fabrication totale ; d’où une économie de temps et une réduction des frais[17].

Une conséquence non moins importante de l’avènement de la grande industrie, ce fut un notable accroissement de la population et un déplacement de son centre de gravité. Le phénomène a atteint toute son amplitude en Angleterre, où non seulement la population a augmenté dans d’énormes proportions, mais où toute une Angleterre nouvelle, — celle des pays du nord et de l’ouest —, a relégué au second rang la vieille Angleterre des comtés du midi. En France, rien de semblable : la transformation industrielle a aussi pour conséquence d’augmenter la population urbaine aux dépens de la population rurale, mais dans des proportions bien plus faibles qu’en Angleterre, et, à considérer l’ensemble du pays, l’ancien équilibre s’est maintenu. C’est que la France est restée, en grande partie, un pays agricole ; la « révolution industrielle » n’y a pas été intense. Elle s’est produite aussi beaucoup plus tardivement qu’en Angleterre, où nous la voyons triompher, tout au moins dans l’industrie du coton, dans les vingt dernières années du XVIIIe siècle. Souvent les mêmes personnages (tel, Samuel Oldknow), qui faisaient encore fonction, vers 1780, de marchands-fabricants, fondent quelques années plus tard de grandes filatures contenant des centaines d’ouvriers[18].

Cependant les pages précédentes donneront au lecteur, nous le pensons, l’impression que la grande transformation industrielle qui se produit est moins une révolution, selon l’expression mise à la mode par Toynbee, qu’une « rapide et irrésistible évolution », selon l’heureuse formule de Sir William Ashley. Sur le vaste théâtre de l’histoire économique, il ne se produit pas de changements de décors à vue. De même que, de bonne heure, dès le XVIe siècle tout au moins, certaines industries, comme les exploitations minières, affectent déjà la forme d’entreprises capitalistes, l’ancienne organisation du travail, l’artisanat n’ont pas brusquement disparu partout de la scène ; on les verra survivre même à l’époque où triomphera le capitalisme industriel.

Ouvrages à consulter.


Outre les ouvrages de P. Mantoux et H. Sée :

Th. Southcliffe Ashton, Iron and steel in the industrial revolution, 1924.

Ch. Ballot, L’introduction du machinisme dans l’industrie française, publ. par Cl. Gével, 1923 (Comité des Travaux historiques, section d’Histoire moderne et contemporaine).

Conrad Gill, The rise of the irish linen industry, Oxford,. 1925.

Justin Godart, L’ouvrier en soie de Lyon, 1901.

Henry Hamilton, The coyper and brass industries of England to 1800, Londres, 1926,

Herbert Heaton, Yorkshire woolen and worsted industry, 1920.

Emile Levasseur, Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France avant 1789, 2e éd., 1901, 2 vol. in-8o.

Robert Lévy, Histoire économique de l’industrie cotonnière en Alsace, Paris, 1912 (thèse de. Droit).

Lipson, History of the woolen and worsted industries, 1921.

Germain Martin, La grande industrie en France sous le règne de Louis XIV, Paris, 1899 ; — La grande industrie sous le règne de Louis XV, Paris, 1900.

Louis Moffit, England on the eve of the industrial revolution (1740-1760) with special référence to Lanscashire, Londres, 1925.

Arnold Toynbee, Lectures on the industrial revolution, 1884 ; 2e éd., 1908.

George Unwin, The industrial organisation in the XVI and XVII centuries, 1904 ; — Samuel Oldhnow and the Arkwrights, Londres, 1924 (Publ. de l’Université de Manchester).


  1. Voy. à cet égard les excellentes observations de Ch. Ballot, surtout en ce qui concerne l’industrie de la soie (L’introduction du machinisme, p. 300 et suiv.).
  2. Voy. W. Ashley, L’évolution économique de l’Anglelerre, p. 136 et suiv. ; Lipson, History of the woolen and worsted industry, 1921 ; Herbert Heaton, Yorkshire worsted and woolen industry, 1920.
  3. Postlethwait, Universal dictionary of trade and commerce, 1755, art. Manufacturers.
  4. Voy. Tarlé, L’industrie rurale en France au XVIIIe siècle, Paris, 1910. — Fr. Bourdais et B. Durand, L’industrie et le commerce de la toile en Bretagne, 1922 (Comité des travaux historiques ; section d’histoire moderne et contemporaine, fasc. VII). — Demangeon, La plaine picarde, 1905. — Sion, Les paysans de la Normandie orientale, Paris, 1909. — R. Musset, Le Bas-Maine, Paris, 1917. — Robert Lévy, Histoire économique de l’industrie cotonnière en Alsace, 1912.
  5. Voy. Pierre Clerget, Les industries de la soie en France, 1925 (Col]. Armand Colin).
  6. Voy. H. Sée, À propos du mot « industrie » (Revue historique, mai 1925) ; H. Hauser, Le mot « industrie » chez Roland de la Matière (lbid., nov. 1925).
  7. Voy. G. Unwin, The industrial organisation, p. 172 et suiv.
  8. Voy. Ch. Ballot, ouv. cit., p. 297 et suiv., et Élie Reynier, La soie en Vivarais, 1921.
  9. Cf. Grar, Histoire de la recherche, de la découverte et de l’exploitation de la houille dans le Hainaut français, la Flandre française et l’Artois, Valenciennes, 1847, et surtout Marcel Rouff, Les mines de charbon en France au XVIIIe siècle, Paris, 1922.
  10. Voy., par exemple, H. Sée, Les origines de la société minière de Pontpéan (Mém. de la Société d’Histoire de Bretagne, an. 1924).
  11. Ch. Ballot, ouv. cité, pp. 133-134.
  12. Ibid., p. 284.
  13. Ibid., p. 282.
  14. Ibid., p. 132.
  15. Ibid., pp. 132-133.
  16. Voy. Paul Combe, La coutellerie de Thiers et la vallée industrielle de la Duriolle (Annales de géographie, an. 1922, pp. 360-365).
  17. Bücher, Études d’Économie politique, trad. fr., 1901, p. 248 et suiv. Pour tout ce qui précède, voyez aussi l’étude si suggestive de C. Bouglé, Revue générale des théories récentes sur la division du travail (Année Sociologique, 6e année, 1901-1902, pp. 73-133). Cf. Dechesne, La spécialisation et ses conséquences (Revue d’Économie politique, année 1901).
  18. Voy. le très intéressant ouvrage de G. Unwin, Samuel Oldknow and the Arkwrights, Manchester, 1924.