Les Origines du germanisme/02

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Les Origines du germanisme
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 97 (p. 96-122).
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LES
ORIGINES DU GERMANISME

II.
LA GERMANIE DE TACITE. — LA RELIGION ODINIQUE SELON LES ROMAINS.[1].

On pourrait dire de la première page du livre de Tacite qu’elle est épique, si elle n’offrait, en même temps que l’étendue et l’élévation du regard, un caractère de précision presque scientifique. En quelques lignes, il décrit d’abord la vaste contrée occupée par les Germains, après quoi il s’explique immédiatement sur ce qu’il pense de leur première origine, et dit leurs éponymes religieux, leurs plus antiques héros, leurs dieux, leurs légendes nationales. Quelle autre méthode suivrait de nos jours l’historien le plus familier avec les procédés de la critique moderne ? Il invoquerait ce que nous appelons la science ethnographique, la philologie et la mythologie comparées. D’instinct et sans longue recherche, Tacite a deviné et pratiqué nos méthodes. Il a vu du premier coup d’œil que, dans l’histoire primitive des grands peuples, les deux questions de la descendance ethnique et des origines religieuses sont connexes. La religion des Germains l’a visiblement préoccupé. Rome n’avait encore rencontré devant elle que des religions vieillies dont elle avait eu le tort d’adopter docilement les superstitions corruptrices ; elle se trouvait cette fois en présence d’un dogme ardent et jeune qui poussait des peuples nombreux à la conquête. Tacite comprit tout au moins qu’il y avait là, chez l’ennemi, une force considérable, non moins puissante que les institutions politiques à donner la victoire. Ses lumières sur de tels problèmes sont toutefois nécessairement bornées ; la science antique était, pour ainsi dire, trop près de ces difficultés pour les embrasser du regard, les mesurer et les pénétrer ; il lui manquait la variété de connaissances et l’expérience multiple que nous avons acquises. Ce que nous dit Tacite sur la religion des Germains n’en est pas moins précieux pour nous, parce que sur cette même religion, dont les origines et les plus anciens dogmes nous sont inconnus, nous avons cependant des informations ultérieures. Ces informations et les commentaires de l’historien romain se prêtent un mutuel appui, et de tels rapprochemens font jaillir quelquefois une lumière inattendue. En groupant avec soin mille antiques souvenirs qui survivent encore aujourd’hui dans la langue et dans les traditions populaires de l’Allemagne, en interrogeant les chroniques du moyen âge, particulièrement les sagas scandinaves, en compulsant les lois rédigées après l’invasion pour les peuples d’origine germanique établis dans l’empire, — en relisant surtout les vieilles poésies comprises dans le double recueil des Eddas, nous obtenons sur l’ancienne religion des Germains une série de notions incohérentes sans doute, de temps et de lieux trop divers, mais qui remontent, au moins par des inductions légitimes, jusqu’à des jours assez voisins de celui de Tacite, et qu’il serait fort intéressant de pouvoir faire concorder avec les assertions de l’historien.

L’interprétation du texte de Tacite, souvent fort difficile, est préparée par de nombreux travaux que nous devons en partie aux Allemands. Jacques Grimm et après lui ses nombreux élèves, avec le secours d’une érudition très étendue et très variée, d’une philologie subtile, ont recueilli chez tous les peuples de la race indo-européenne mille indices épars, fragmens brisés du vaste ensemble qu’avait formé la mythologie germanique. Qu’ils n’ouvrent pas des livres tels que la Deutsche Mythologie ou les Deutsche Rechtsallerthümer, ceux qui veulent mesurer prudemment l’essor de leur imagination dans le champ des conjectures et le temps même qu’ils entendent donner à de telles excursions. Avec ses souvenirs sans fin, du nord au sud, de l’occident à l’orient, à travers toutes les civilisations et tous les idiomes, Grimm vous entraîne. Cette lecture, hérissée de textes venus des quatre coins de l’horizon et de tous les siècles, paraît aride d’abord, et produit ensuite une sorte d’enivrement : on s’y oublie pendant des heures. Retire-t-on de là finalement, en un sujet si complexe, une instruction toujours bien précise ? Nous n’oserions en vérité l’affirmer. On en sort du moins avec un esprit plus ouvert, plus attentif aux analogies, aux infiltrations secrètes, aux intimes concordances des traditions et des langues diverses. Des vues nouvelles et inattendues se sont montrées, parmi lesquelles le lecteur, s’il ne s’arrête pas à l’une d’elles, trouve quelquefois les indices d’une solution qui lui sera propre. La science allemande est intempérante ; on a le droit de l’en blâmer, sans oublier toutefois que, si les visées en sont ambitieuses et lointaines, alors même qu’au point d’arrivée on regrette quelque déception, elle a d’ordinaire singulièrement varié et fécondé la route. Jacques Grimm n’en est pas moins admirable dans ces deux livres et dans sa Grammaire, où il reconstruit tout le système des langues indo-européennes. Il a donné la philologie pour guide à la mythologie comparée ; la rigueur scientifique s’introduira dans ces belles études à mesure que s’affermira et s’étendra notre connaissance des langues et des littératures orientales. On peut s’en convaincre déjà en lisant les travaux plus récens de M. Max Müller en Angleterre ; il semble avoir emprunté au génie de la grande nation par lui adoptée comme seconde patrie une précision de vues et de langage trop souvent refusée à ses anciens compatriotes[2]. L’influence de la France dans ces hautes études ne fera pas défaut non plus, et le pays d’Eugène Burnouf, ce philologue de génie, voit se continuer une école qui a déjà produit des travaux marqués au coin de la plus saine critique et de la meilleure érudition.


I

Il s’en faut de beaucoup assurément que les informations de Tacite sur la religion des Germains soient satisfaisantes. Divers motifs l’empêchent d’avoir une vue nette à ce sujet ; le plus grave est son attachement au culte traditionnel de Rome. Qu’on relise, au quatrième livre de ses Histoires, la page célèbre où il raconte le rétablissement du Capitole par Vespasien. Nulle part n’est plus visible le respect du patriote romain pour le droit pontifical et le droit augural, pour les cérémonies du culte réservé aux dieux tutélaires de l’empire. Au prix de ce culte seulement, suivant la doctrine transmise par les aïeux, la protection de ces dieux pourra être acquise. Tacite n’accepte plus sans doute avec une entière sécurité de croyance les vieilles légendes concernant Jupiter, Mars, Hercule et Junon ; ses attaches avec l’école stoïcienne l’ont initié aux maximes d’une morale universelle. Malgré tout cependant, il prend au pied de la lettre et les prescriptions du contrat qui, suivant les idées du paganisme romain, lie ensemble les hommes et la divinité jalouse, et tout ce que signifie dans l’antiquité le terme quasi légal de religion. Si l’impiété des hommes leur a fait négliger l’accomplissement de ce qu’ils devaient aux dieux, de quel -droit se plaignent-ils en voyant se retirer d’eux la faveur céleste ? Il faut se mettre en règle avec le ciel et s’y tenir, sans vouloir frauder : voilà, ce que proclame le croyant. Il faut faire trêve aux crimes et aux vices qui offensent les immortels : voilà ce qu’ajoute l’honnête homme. C’est le langage de Tacite ; le cercle où s’enferment ses opinions religieuses est étroitement circonscrit ; comment l’entière intelligence d’un culte barbare y trouverait-elle place ?

Un second motif d’obscurité dans les témoignages de Tacite concernant les divinités germaniques, c’est que perpétuellement il prétend les identifier avec ses propres dieux, que seuls il conçoit. On le voit entraîné de la sorte aux analogies les plus factices, et il devient pour nous très difficile de reconnaître sous ces transformations arbitraires quelques traits de réalité historique. Ce n’est pas une raison pour désespérer d’en retrouver aucun. Il est possible au contraire, en invoquant des informations de diverse nature et de divers âges que l’induction fécondera, de distinguer à la fois deux choses, à savoir quel système religieux, en partie connu d’ailleurs, Tacite rencontrait devant lui, et en second lieu à quels traits de ce système répondaient-ses assimilations.

Le principal dieu germanique, suivant l’historien romain, celui auquel les Germains ont voué un culte suprême, c’est Mercure. « Ils lui doivent à certains jours, dit-il, des victimes humaines. Ils adorent aussi Hercule et Mars, mais ils les apaisent par des offrandes moins barbares. » Telle serait une sorte de trinité germanique. Qui croira cependant que les Germains du premier siècle, après l’ère chrétienne, mis en rapport avec Rome et l’empire seulement par la guerre, aient accepté si tôt et avec tant d’abnégation les dieux du monde classique ? Il est évident que ces dénominations grecques et romaines désignent des divinités étrangères que Tacite n’a fait que soupçonner. Comme il l’a dit lui-même en nommant dans un de ses chapitres Castor et Pollux, il ne s’agit sous sa plume que d’interprétations à la romaine ; c’est à nous, si nous le pouvons, de découvrir à quelles réalités ces interprétations se rapportent.

Rien de plus facile, ce semble, pour ce qui regarde le prétendu Mercure. Les chroniqueurs du moyen âge qui nous entretiennent des peuples du nord ou de la Germanie nous instruisent suffisamment à ce sujet. Jonas, moine du couvent italien de Bobbio vers le milieu du VIIe siècle, raconte dans sa Vie de Columban que le saint, voyageant un jour parmi les « Suèves, » c’est-à-dire les habitans de la Souabe, trouva le peuple d’une de leurs tribus réuni autour d’une cuve remplie de cervoise[3], et s’apprêtant à sacrifier à leur dieu Odin, « que d’autres, dit l’hagiographe, appellent Mercure. » Paul Diacre, historien des Lombards au VIIIe siècle, dit formellement qu’Odin est le dieu nommé Mercure par les Romains, et que son culte est commun à tous les peuples germaniques. Enfin Geoffroy de Monmouth, à la fin du XIIe siècle, et Matthieu de Westminster, au commencement du XIVe, racontant l’arrivée des Saxons en Grande-Bretagne, disent que leur chef Hengist répondit ainsi aux questions du roi Vortigern : « Après être descendus sur la mer, nous avons envahi ton royaume sous la conduite de Mercure, car nous avons, nous aussi, nos dieux protecteurs, mais nous révérons surtout celui-ci, que dans notre langue nous appelons Odin. » Il y a de cette assimilation, une autre sorte de preuve dans la comparaison des noms assignés aux jours de la semaine. L’usage de la semaine avec sept jours désignés par les noms des planètes s’était répandu de l’Orient dans tout le reste de l’empire romain, probablement dès les dernières années de la république ; à la fin du IIe siècle, il était devenu général, Dion Cassius nous l’atteste. Les peuples germains, qui déjà sans doute avaient trouvé par eux-mêmes la division du mois suivant les phases de la lune, adoptèrent au IVe ou au Ve siècle, comme le pense Grimm, les dénominations des jours selon la coutume romaine. Seulement les noms des grandes divinités germaniques prirent la place des dieux classiques, en se conformant sans doute aux identifications déjà faites par les Romains eux-mêmes, telles que nous les voyons dans Tacite. C’est ainsi que le quatrième jour, marqué chez les Romains du nom de Mercure, porta chez les barbares le nom d’Odin. La perpétuité de cet usage jusque dans notre temps est digne de remarque. Tandis qu’aujourd’hui encore, obéissant à la tradition romaine, nous employons, nous aussi, le mot mercredi, les Anglais disent wednesday, les Suédois et Danois onsdag, pour odinsdag, etc. Si les Allemands disent simplement mittwoch, le milieu de la semaine, c’est à coup sûr parce que le clergé catholique, qui s’efforçait de bannir les noms des dieux païens, a remporté ici une victoire partielle.

Quelles analogies peuvent avoir conseillé une telle assimilation ? Il n’est pas très facile de le deviner. Si nous consultons l’Edda, où se sont conservées les plus anciennes légendes religieuses des peuples germaniques, Odio, comme Mercure, a compté au nombre de ses attributs la conduite des âmes à travers les voies de la mort : ce sont des divinités psychopompes. Tous deux ont inventé les caractères d’écriture ; tous deux favorisent les marchands et portent la baguette ou le caducée, ainsi que le pétase ou le chapeau magique. Il y avait là des ressemblances, quelquefois sans doute extérieures, mais que l’imagination romaine avait pu remarquer et amplifier, et qui d’ailleurs se rattachaient à de communes origines. Que le dieu Odin ait été le maître de l’Olympe barbare, nous en avons de nombreuses preuves, auxquelles viendrait s’ajouter d’une manière significative l’origine même de son nom, s’il était reconnu, comme l’avance Grimm, qu’il vient du verbe ancien-haut-allemand watan, qui veut dire aller, pénétrer en envahissant. Ce dieu serait ainsi primitivement désigné comme la force universelle et irrésistible, comme l’esprit tout-puissant qui pénètre et anime l’ensemble des êtres : mens agitat molem. Notons de plus que ce nom s’écrivait dans les divers dialectes allemands Wodan, Guodcm, Gudan, et qu’il a paru possible de le regarder, sous cette dernière forme, comme le même mot que celui qui désigne la divinité dans les langues germaniques : Gott, Gud, etc. — Pourquoi cependant, si Odin était en effet une divinité suprême, les Romains ne l’ont-ils pas assimilé à leur Jupiter ? Les rapports que nous venons de signaler suffisent à peine à l’expliquer d’une manière plausible. On s’est demandé si leur vanité s’était intéressée à ne rencontrer au premier rang chez les barbares qu’un dieu qui, pour eux-mêmes, était seulement au second. Ou bien est-ce que l’appréciation de César, qui le premier avait cru apercevoir chez les Gaulois un Mercure pour divinité suprême, dictait un pareil jugement aux Romains à l’aspect de la Germanie ? Il faut bien reconnaître que l’une et l’autre explication sont également subtiles : la seconde ne fait d’ailleurs que reculer la difficulté.

Si la divinité germanique identifiée par Tacite avec le Mercure classique est Odin, il est possible de démontrer que le Mars barbare est le dieu Tyr des Eddas. Ce qui porte tout de suite à le penser, c’est que le même jour de la semaine que les Romains ont attribué à Mars l’était et l’est encore aujourd’hui au dieu Tyr par les peuples restés fidèles à la tradition et aux divers dialectes germaniques. Tyr est la forme norrène ou scandinave de ce nom, qui s’écrit tius en gothique, tiw en anglo-saxon, zio en ancien-haut-allemand. Aussi le mardi s’appelle-t-il chez les Scandinaves tysdagr, puis tisdag, chez les Allemands dinstag, — mot que l’on croit être corrompu de tiustag, — en anglo-saxon tivesdäg et chez les Anglais tuesday, enfin en quelques parties de la Souabe et de la Bavière ziestag. Dans les Eddas, Tyr est fils d’Odin. D’ordinaire inférieur à son père en puissance et en activité, il partage cependant quelques-uns de ses attributs : tous deux président aux combats et sont en possession de distribuer la gloire. Tyr devient ainsi, selon la mythologie Scandinave, un dieu de la guerre. Toutefois son nom a signifié, dans un âge antérieur, quelque chose de plus, car il est identique au sanscrit dyaus, qui s’est appliqué d’abord à la voûte céleste, à la lumière, puis à l’Être suprême, et est devenu le mot Dieu, Theos, Deus, etc. De quelle manière peut-on conjecturer que le nom désignant d’abord la lumière, puis la divinité par excellence, ait été plus tard la simple appellation du dieu de la guerre ? C’est ici qu’il convient de remarquer que plusieurs dialectes germaniques emploient les noms Erch, Er, Ir, pour qualifier ce même dieu Tyr : le mardi, dans certains cantons bavarois, se dit erchtag ou irtag ; la colline, Eresberg devient chez les chroniqueurs latins mons Martis et dans l’allemand ultérieur Marsberg. Bref, le dieu Tyr est souvent désigné par un mot resté voisin sans doute de l’origine sanscrite et équivalent au Mars du monde classique. Il se retrouve dans l’antiquité grecque, où le dieu de la guerre s’appelle Arès, ce qui confirme singulièrement l’assimilation que nous trouvons dans Tacite. Beaucoup d’usages conservés prouvent le rapport intime qui subsistait entre Tyr ou Er et le dieu Mars. Or ce mot Er et ses analogues signifiaient en même temps flèche ou épée, et les témoignages abondent pour prouver que Tyr et Mars étaient primitivement au moins, adorés tous deux sous la forme d’une épée ou d’une flèche. Dans ces cantons bavarois où nous disions que le mardi s’appelle erchtag ou irtag, ce même jour est réputé, favorable aux mariages, et le fiancé offre une flèche à la future épouse. Dans les anciens alphabets du nord, le caractère runique désigné par le nom même du dieu Tyr est figuré par une flèche, et, parmi les signes attribués dans l’antiquité aux planètes, c’est une flèche inclinée surmontant un cercle qui marque la planète Mars. Est-ce uniquement par l’effet du hasard que cette planète s’appelait en grec thouros, c’est-à-dire brûlant, nom presque identique, comme on voit, à celui du dieu barbare de la guerre ? Hérodote, en parlant des Scythes, Ammien Marcellin en parlant des Quades, Juvénal en parlant des Romains, disent formellement que ces divers peuples adoraient Arès ou Mars sous la forme d’une épée fichée en terre. — Si l’on veut bien se rappeler maintenant que le dieu Tyr ne fut autre chose primitivement, sous le nom sanscrit dyaus, que la voûte céleste et la lumière, si l’on réfléchit que les rayons et la foudre semblaient aux peuples primitifs dardés comme des flèches ou des glaives, on peut ne pas s’étonner que la divinité représentant la lumière et le soleil ait eu de bonne heure ces armes pour attributs, et que, de là, elle soit devenue elle-même une divinité de l’épée ou de la guerre.

Du culte particulier que recevait en Germanie le dieu Tyr ou Zio, nous ne savons que peu de chose ; nous pouvons cependant en recueillir ou bien en restituer quelques vestiges. Nous retrouvons d’abord des traces de son antique prééminence. Tacite vient de nous dire qu’on lui sacrifiait, non pas comme à Odin des victimes humaines, mais seulement certaines sortes d’animaux. Ailleurs cependant il le nomme avant Mercure, et le montre honoré, lui aussi, par des sacrifices humains. Dans une guerre entre les Hermundures et les Cattes, l’armée vaincue, bêtes et hommes, fut égorgée, dit-il, par suite d’un vœu, en l’honneur de Mars et de Mercure. Au livre IV des Histoires, les Tenctères indépendans, lorsqu’ils félicitent avec une certaine ironie les Ubiens de Cologne d’être enfin, par la révolte de Civilis, délivrés des Romains, adressent leurs actions de grâces aux dieux de la Germanie en général, mais spécialement à Mars, « le premier des dieux. » Jornandès dit que les Goths honoraient Mars par des sacrifices humains. Enfin Procope assure formellement de plusieurs peuples germaniques qu’Ares est leur principal dieu. Quant aux cérémonies de ce culte, celle que Tacite décrit dans son trente-neuvième chapitre est fort obscure pour nous. Il en a placé la scène chez les Semnons, les plus anciens et les plus nobles d’entre les Suèves. « Ils ont, nous dit-il, des délégués qui se réunissent à des époques marquées dans un bois vénérable. Nul ne peut entrer dans ce bois sans être attaché par un lien, symbole de sa dépendance et hommage public à la puissance du dieu. Vient-on par hasard à tomber, il n’est pas permis d’être relevé ni de se relever soi-même : il faut sortir en se roulant par terre ; tout se rapporte ici à l’idée que, dans ce bois, berceau de la nation, réside la divinité souveraine. » Ainsi par le Tacite sans plus d’explication. Il est très probable que le dieu barbare dont il décrit le culte de la sorte est bien celui que les Romains avaient identifié avec Mars. Sur un manuscrit de l’ancien couvent de Wessobrunn, qui donne des textes de la vieille langue germanique, on trouve, appliquée précisément aux Suèves ou Souabes, l’épithète de Cyuuari, que Zeuss et Grimm traduisant par « hommes ou adorateurs de Zio. ». La ville d’Augsbourg, en Souabe, porte dans les anciens documens le nom de Ziesburc. — Pour ce qui est des prescriptions bizarres mentionnées par l’historien, y a-t-il ici quelque rapport avec le septième chantre de la Germanie, où il est dit que le prêtre seul a le droit de punir, de frapper et de charger de chaînes ou de liens, vincire ? Serait-il fait quelque allusion à une sorte d’attaches mystiques reliant l’homme et la divinité ? Est-ce l’occasion de rappeler les anciens chants tudesques retrouvés à Mersebourg, où il est parlé des liens que préparent les nornes pour les prisonniers, et des formules religieuses qui feront tomber ces liens ? Deux mots analogues, dans la langue des Eddas, höpl et bönd, signifient à la fois les chaînes ou les liens et les dieux eux-mêmes. Odin y est appelé haptagud, dieu des dieux ou des liens. L’autel des Ubiens, mentionné par Tacite dans la ville destinée à devenir Cologne, a été d’abord un sanctuaire du dieu de la guerre Tyr ou Zio, puis du dieu Mars suivant l’interprétation romaine. C’était là que les Germains conservaient l’épée enlevée par eux à César ; ce fut là que Vitellius, à son tour, envoya, pour le consacrer à Mars, dit Suétone, le poignard avec lequel Othon s’était tué.

Au dieu Tyr, représenté comme divinité de la guerre avec une épée pour symbole, correspond sans doute le Sahsnôt ou Saxnôt qu’on voit mentionné dans les formules germaniques, et dont le nom veut dire : qui gouverne par l’épée. Une dernière preuve à l’appui de l’antique primauté du dieu Zio, c’est le Tuisco mentionné par Tacite comme père des Germains. Ce nom paraît reproduire celui du dieu de la guerre, autrefois dieu suprême, avec une terminaison marquant la descendance : tivisco, fils de tiv. De là le nom national des Allemands die Deutschen, ou, comme l’écrivent leurs patriotes, en croyant se rapprocher de l’ancienne étymologie, die Teutschen, le peuple teuton ou tudesque.

À côté de Mercure et Mars, Tacite distingue un troisième grand dieu des Germains, qu’il identifie avec Hercule. Malgré quelque incertitude des manuscrits, c’est bien là son texte au commencement du neuvième chapitre de la Germanie. À quelle divinité barbare peut correspondre cette assimilation grecque ou romaine ? Les récits des Eddas nous offrent ici au premier coup d’œil des analogies qui semblent d’abord tout extérieures sans doute, mais que la science moderne sait définitivement justifier. Thor, dans la mythologie Scandinave, est le dieu redoutable par ses luttes incessantes contre les mauvais géans. Il a une taille, une force physique, un appétit extraordinaires. Dans une de ses expéditions, il tue, sauf à les ressusciter le lendemain, les deux boucs attelés à son char ; il les fait cuire et les mange. Il revêt pour la lutte une ceinture magique qui centuple ses forces ; il a d’énormes gantelets de fer, avec lesquels il tient son merveilleux marteau Miöllnir, arme terrible à laquelle rien ne résiste, et qui, après avoir frappé, revient d’elle-même dans la main d’où elle est partie. N’est-ce pas assez de ces premiers traits pour faire songer à Hercule ? Hercule, ayant tué Busiris, aborde dans un port de l’île de Rhodes ; rencontrant un bouvier qui conduisait son char attelé de deux taureaux, il en dételle un, le sacrifie et le mange. Comme buveur, sa renommée n’est pas moindre, et de tous les défis il sort victorieux. On sait ses combats contre Antée, les Cercopes et tant d’autres ennemis. Le serpent de Midgord, que le dieu Thor abat, répond à l’hydre de Lerne, et le marteau Miöllnir à la massue d’Hercule. Le grand nombre de statuettes antiques représentant le dieu grec. armé de cette massue qu’on a retrouvées dans l’intérieur de l’Allemagne, jusque dans la région de la Sprée, démontre que les Germains avaient accepté ici encore l’identification romaine. — Thor est le dieu du tonnerre ; les éclairs et la foudre précèdent et annoncent ses coups ; c’est de lui, suivant l’opinion populaire chez les anciens et au moyen âge, que proviennent, à la surface de la terre, ces innombrables pointes de silex, débris mieux connus aujourd’hui d’un premier âge de l’humanité. Son nom, sous diverses formes, s’identifie avec le mot même qui, en latin, en français, dans les langues germaniques, désigne le tonnerre (thunar, donar, donner, tonitru). Et Hercule aussi, par un des aspects les plus anciens de sa légende complexe, est une divinité de la lumière qui préside aux phénomènes célestes, aux lois et aux vicissitudes climatériques. — Tacite enfin, dans la Germanie même et ailleurs, présente Hercule tantôt comme un simple héros, tantôt comme un dieu, distinction déjà signalée par Hérodote et conforme à l’antique mythologie, qui connaît un Hercule doué d’une nature moitié humaine, moitié divine, type de ce que peut atteindre l’humanité quand elle s’avance secondée par les dieux. Or n’est-il pas curieux de remarquer que, dans l’Edda, Thor est appelé vagnaverr, l’homme au char, l’homme-héros, vir ? Ou bien encore il y est nommé einheri, mot que Finn Magnussen traduit par heros egregius. Dans un autre texte tudesque, postérieur à l’Edda, le mot mann, homme, lui est appliqué.

Il est vrai qu’à comparer les noms de la semaine, la concordance s’interrompt. Dans toutes les langues germaniques, encore aujourd’hui, le cinquième jour emprunte son nom du dieu Thor : donnerstag en allemand, torsdag en danois, thursday en anglais, tandis que le jeudi, dans les langues de souche latine, est le jour de Jupiter, non d’Hercule. On comprend toutefois qu’une confusion se soit établie entre le dieu Thor, présidant aux phénomènes célestes, et Jupiter, devenu le premier des dieux, revendiquant cette suprême manifestation des éclairs et de la foudre. Les traces de cette confusion persistante sont visibles : les documens latins du moyen âge attribuent presque constamment à Jupiter ce que les documens germaniques des mêmes temps attribuent au dieu Thor. L’auteur de la Vie de saint Boniface appelle chêne de Jupiter, robur Jovis, le chêne de Donar, Donares eih, que le saint fit abattre à Geismar, en Hesse. Le chroniqueur Saxo Grammaticus appelle lapides ou mallei joviales, c’est-à-dire pierres ou marteaux de Jupiter, ces innombrables silex taillés ou polis qu’on regardait comme les débris de la foudre, et que la langue populaire en Germanie appelait les coins de Thor, donnerkeile. Nous avons traduit enfin par le mot joubarbe, d’après l’expression latine barba Jovis, le donnerbart germanique, cette belle plante qui croît d’elle-même sur les vieux murs et sur les toits, tout exprès, nous assure le moyen âge, pour les préserver de la foudre. — Derrière les analogies superficielles et incertaines, la mythologie comparée a su, disions-nous, en découvrir d’essentielles et de profondes. Nous le montrerons tout à l’heure en parlant des rapports qui unissent la mythologie eddique et celle de l’antique Orient.

A côté de Mercure, d’Hercule et de Mars, Tacite croit distinguer chez les Germains la déesse Isis. « Une partie du grand peuple des Suèves offre, suivant lui, des sacrifices à cette divinité. Je ne trouve, ajoute-t-il, ni la cause ni l’origine de ce culte étranger. Seulement la figure d’un vaisseau, qui en est le symbole, annonce qu’il leur est venu d’outre-mer. » Il est clair que l’historien romain pense reconnaître ici la déesse égyptienne dont le culte avait pénétré dans Rome au temps de Sylla. Le symbole du navire se rencontre, à la vérité, de part et d’autre. Apulée, dans un passage infiniment curieux de son Ane d’or, nous a raconté comment, dans l’antiquité classique, à l’époque du lever des Pléiades, c’est-à-dire au début du mois de mars, au moment où la végétation se ranime et où la mer redevient navigable, les prêtres offraient en grande cérémonie à la déesse Isis un vaisseau de fabrication nouvelle, qu’on lançait pour la première fois dans les flots en son honneur. La journée du 5 mars prenait de là dans le calendrier romain le nom de « Vaisseau d’Isis, » Navigium Isidis. Isis n’était pas cependant la seule divinité dans le culte de laquelle apparût l’attribut du navire. Aux grandes fêtes de Minerve, dans l’ancienne Athènes, le péplos de la déesse était solennellement porté, du Céramique au sommet de l’Acropole, suspendu aux mâts d’un vaisseau qu’un mécanisme faisait mouvoir. Jacques Grimm a recueilli les indices de coutumes analogues jusqu’au milieu du moyen âge allemand. Encore dans le premier tiers du XIIe siècle, les chroniques décrivent une fête évidemment païenne d’origine, célébrée malgré les malédictions du clergé dans la région rhénane, et qui consiste à suivre en grande foule, avec des danses et des chants d’allégresse, un navire muni de voile et mâture, auquel des roues sont adaptées, et qui porte, nous dit le chroniqueur, « on ne sait quel malin génie. » A la fin du jour, quand la lune s’élève à l’horizon, les femmes se précipitent demi-vêtues, les cheveux épars, sur le chemin que parcourt le dieu, et, pareilles aux bacchantes, elles multiplient les danses avec une frénétique ardeur jusqu’au milieu de la nuit. Grimm rappelle aussi à ce propos certaines fêtes longtemps subsistantes pendant lesquelles c’est une charrue qui est conduite en grande pompe et suivie d’une nombreuse procession. En Saxe, aux environs de Leipzig, on se souvient encore d’une pareille coutume, avec cette circonstance particulière que les femmes non mariées étaient obligées de traîner la charrue. Dans tous ces exemples, Grimm voit la trace d’un culte fort ancien en l’honneur de quelque divinité d’où devait dépendre soit l’heureux succès de la navigation, soit la fécondité de la terre, soit l’heureux succès des mariages. Il compare ces épisodes à ce que raconte Tacite lui-même, dans la Germanie, d’une déesse barbare adorée de certaines tribus du nord. Les Germains croient, dit-il, qu’elle intervient dans les affaires des hommes, et qu’elle les visite à des époques solennelles. « Dans une île de l’Océan est un bois consacré, et, dans ce bois, un char couvert, destiné à la déesse. Le prêtre seul a le droit d’y toucher : il connaît le moment où elle est présente dans le sanctuaire ; elle part traînée par des génisses, il la suit avec une vénération profonde. Ce sont alors des jours d’allégresse ; c’est une fête pour tous les lieux qu’elle daigne honorer de sa présence. Les guerres sont suspendues, toute arme est soigneusement écartée. C’est le seul temps pendant lequel ces barbares acceptent le repos et la paix, et cela dure jusqu’à ce que, la déesse étant rassasiée du commerce des mortels, le même prêtre la rende à son temple. Alors le char et le voile qui le couvre et, si on les en croit, la divinité elle-même sont baignés dans un lac solitaire. Des esclaves s’acquittent de cet office, et aussitôt après ils sont précipités dans le lac, qui les engloutit. De là une religieuse terreur et une sainte ignorance sur cet objet mystérieux qu’on ne peut apercevoir sans périr. » Déjà, bien avant Tacite, Lucrèce avait décrit avec quelques détails analogues les promenades de la déesse Terre, mère des dieux et des hommes, sur son char traîné par des lions. Le calendrier romain désignait le sixième jour des calendes d’avril par ces mots : lavatio matris deûm ; Ovide en effet, dans le passage de ses Fastes où il décrit un des prodiges accomplis par Cybèle, représente le prêtre qui, vêtu d’une robe de pourpre, lave dans les eaux de l’Almon et la déesse et les objets sacrés.

Que penser de ces divers rapprochemens, dont la série pourrait aisément s’accroître ? En conclura-t-on que le culte de l’égyptienne Isis avait pénétré non-seulement à Rome, mais encore au fond même de la Germanie, que c’est elle qu’on peut reconnaître à ces divers symboles du vaisseau, de la charrue, du char traîné par des génisses, et qu’elle figurait ainsi dans le monde barbare aussi bien que dans le monde classique comme protectrice de la navigation, du commerce, de l’agriculture, du mariage, de la concorde générale et de la paix ? Il est vrai qu’un syncrétisme dont on trouverait déjà des traces dans Hérodote avait accumulé sur l’Isis égyptienne les attributs de beaucoup d’autres divinités ; Apulée lui fait dire : « Je suis la Nature, mère de toutes choses, maîtresse des élémens, principe originel des siècles, divinité suprême, reine des Mânes… Puissance unique adorée sous autant d’aspects, de formes, de cultes et de noms qu’il y a de peuples sur la terre, les Phrygiens m’appellent la Mère des dieux, le peuple autochthone de l’Attique me nomme Minerve cyclopéenne. Je suis Vénus paphienne pour les habitans de Chypre, et Diane dyctéenne pour les Crétois. Dans les trois idiomes de Sicile j’ai nom Proserpine stygienne, je suis Cérès antique à Eleusis… Les peuples d’Ethiopie et d’Égypte seuls me rendent mon culte propre, et me donnent mon vrai nom de déesse Isis. » Le vrai nom n’était-il pas bien plutôt celui qu’Apulée enregistrait d’abord ? n’était-ce pas en réalité la Nature, mère de toutes choses, que les anciens adoraient sous ces différens noms ? Ce que les Romains avaient rencontré en Germanie, n’était-ce pas un culte s’adressant à la même universelle puissance ?

Or quelle divinité germanique d’un pareil sens Tacite aura-t-il cru pouvoir identifier avec Isis ? Au milieu de tant de difficiles problèmes, celui-ci peut-être a provoqué les solutions les plus singulières et les plus diverses. Grimm a le premier mis un terme aux divagations plus ou moins érudites, en montrant qu’il fallait joindre en effet ce que l’historien nous dit de la prétendue Isis, et ce qu’il nous apprend du culte de la Terre-Mère. Il est particulièrement précieux pour nous que Tacite nous ait transmis le nom barbare de cette dernière divinité, Nerthus[4]. Suivant P.-A. Munch, le laborieux et habile historien de la Norvège, nous pouvons reconnaître ici la divinité des Germains du nord, appelée Niördr dans la langue norrène : la forme gothique de ce nom, presque identique à celle que rapporte Tacite, serait Nairlhus, forme indifféremment masculine ou féminine. Niördr, dispensateur des richesses, passe, dans la mythologie Scandinave, pour avoir engendré Frey et Freya, et celle-ci devient la déesse de la fécondité, de l’abondance, de la joie, de la paix. D’autre part, l’on retrouve aussi dans l’Edda une déesse Terre, Jörd ou Jaurd, laquelle, comme épouse et femme d’Odin, et naturellement aussi comme source de toute vie, se confond avec Freya. P.-A. Munch a remarqué que la visite de la déesse sur un char voilé paraît avoir été une cérémonie spéciale au culte de Freya et de Nerthus. On en trouve des traces jusqu’aux derniers jours du paganisme en Séeland. Cette île danoise a longtemps conservé une ville de Leire, ancien sanctuaire national, et dont le nom reproduit le mot gothique hleilhra, qui traduit dans Ulphilas le grec skénè, tente ou char couvert. Séeland aurait été cette île de l’océan, désignée par Tacite, foyer du culte pour les nombreuses tribus des Goths. Ajoutons qu’un des poèmes de l’Edda de Saemund, le chant de Sôl, représente l’épouse d’Odin, Freya, embarquée « à la recherche ardente de la volupté sur le navire de Jörd, » preuve curieuse que la mythologie norrène attribuait à la Terre-Mère ce symbole du navire, rappelant soit l’ouverture de la navigation, soit la visite souhaitée, promesse de fécondité et de richesse, que Tacite semble réserver à Isis. Toute divergence et toute confusion disparaissent si la Terre-Mère et Isis peuvent être considérées comme une seule et même divinité, connue en Germanie sous différens aspects et différentes désignations, parmi lesquelles celles de Freya et particulièrement celle de Nerthus, chez les tribus gothiques, auraient été les principales. Nous avons vu trois noms, parmi ceux des jours de la semaine, reproduire les noms de trois divinités germaniques : Odin, Thor, et Tyr ou Zio ; le vendredi à son tour a été désigné comme le jour de Vénus par les Romains, comme le jour de Freya par les barbares : nouvel indice de l’identité entre Freya et Vénus, considérées toutes deux comme déesses de la fécondité, de la génération, et se confondant ainsi avec Isis et Nerthus ou la Terre-Mère.

En dehors de ces principaux dieux, Tacite en a mentionné quelques autres de second ordre, au sujet desquels il n’est pas beaucoup plus facile de s’éclairer. Il cite par exemple, chez une tribu du Waldgebirge, un bois dès longtemps consacré, dit-il, par la religion. « Le soin du culte y est remis à un prêtre en habit de femme. Ce culte s’adresse à des dieux qui, dans l’olympe romain, seraient Castor et Pollux. Point de statue, nulle trace d’une origine étrangère ; mais ce sont bien deux frères, tous deux jeunes, qu’on adore. » Ainsi par le Tacite ; il est probable qu’il fait allusion à quelque dédoublement pareil à celui qui a produit les Açvines de la religion indienne, les Dioscures de l’antique Grèce, et les lares tutélaires (lares prœstites) de l’ancienne Rome, devenus peut-être le type de Romulus et Rémus.

Qu’est-ce encore que la déesse Tanfana, dont parle Tacite au premier livre de ses Annales ? Ce nom de divinité ne se rencontre que chez lui, car il ne faut plus invoquer une inscription fabriquée au XVIe siècle par le célèbre faussaire Ligorio, qui en a fait usage avec une orthographe de fantaisie. Jacques Grimm renonce à peu près à l’expliquer dans sa Mythologie ; mais, au dixième chapitre de son Histoire de la langue allemande, où il expose sa thèse des rapports entre les anciens Scythes et les Germains, il croit pouvoir assimiler la Tanfana germanique à la divinité scythique Tabiti. A l’un et l’autre nom il donne pour étymologie un développement de la racine sanscrite tap, être chaud, brûler, d’où il tire également les mots templum et taphos, signifiant, au temps où la crémation des corps était en usage, l’endroit où se brûlait le cadavre et le monument où l’on renfermait les cendres. Hérodote (IV, 59) nous dit que Tabiti était la Vesta ou Hestia des Scythes ; aux yeux de Grimm, Tanfana n’est pas autre non plus que la divinité du feu et du foyer. Devons-nous regarder comme définitive cette explication de Grimm ? Non, car lui-même en propose une différente dans son Dictionnaire allemand, au mot forst. D’autres commentateurs ont recours soit aux idiomes italiques, soit à la vieille langue des Belges. Aveux de notre impuissance, quant à présent du moins, en présence de ces problèmes subtils et complexes.

L’historien romain ne nous paraîtra pas moins incomplet ou moins difficile à interpréter, si nous cherchons à nous faire une idée d’après son texte des dogmes ou de l’inspiration qui animaient de son temps la religion des barbares. Il nous dit que les Germains croyaient indigne des dieux de leur élever des temples et de leur fabriquer des statues. Lui-même cependant a mentionné ce temple de Tanfana que les légions de Germanicus auraient entièrement rasé pendant une expédition contre un des villages qu’habitaient les Marses. Quant aux statues, comment donc, s’il n’y en avait pas, s’imaginer cette promenade de la déesse Nerthus, portée sur un char, puis lavée, suivant quelques-uns, par le prêtre dans les eaux d’un lac solitaire ? S’agissait-il d’un simple tronc d’arbre grossièrement équarri, comme semblent avoir été ces xoana, prétendues œuvres de Dédale, que la religion primitive des Grecs multipliait, et dont Pausanias nous parle en détail pour en avoir vu quelques restes ? En discutant plus haut les analogies que les Romains avaient pu songer à établir, entre Mercure et Odin par exemple, nous avons dû supposer que certaines ressemblances s’étaient traduites par des représentations figurées de part et d’autre ; faut-il croire, comme on l’a proposé, que ces dieux étaient représentés seulement d’une manière symbolique par les armes mêmes que leur attribue la mythologie du nord, Odin par la lance, Thor ou Donar par le marteau, Tyr par l’épée ? Les expressions dont se sert Tacite, signa et formas deorum, n’ont-elles pas d’autre sens ? Le premier texte qui nous montre quelque monument analogue à une statue chez les peuples de la Germanie est seulement, il est vrai, de la seconde moitié du IVe siècle, et, chose curieuse, ce texte paraît reproduire une cérémonie toute semblable à celle que décrit Tacite. Il s’agit d’un roi des Goths qui, pour arrêter dans son royaume les progrès du christianisme, fait promener, dit Sozomène, l’image d’une divinité païenne sur un char, lequel s’arrête devant les maisons de ceux qu’on soupçonne de s’être convertis. Il n’est pas douteux qu’au Ve siècle les Francs n’eussent des statues de leurs dieux : on se rappelle les récits de Grégoire de Tours et les discours qu’il prête à Clotilde : « Les dieux que vous adorez sont de pierre ou de bois… »

Suivant Tacite, si les Germains ne veulent pour leurs dieux ni statues, ni temples, c’est qu’ils ont une idée très haute de la divinité : des représentations matérielles ou un culte étroit et captif leur paraîtraient l’amoindrir, et, dans son magnifique, dans son intraduisible langage, il nous dit qu’en présence de l’obscurité vénérable de leurs antiques forêts, sans chercher à percer le mystère de ces ténèbres, ils se contentent de deviner les dieux et d’adorer ; lucos ac nemora consecrant, deorumque nomimbus qppellant secretum illudn quod sola reverentia vident. Qu’en faut-il croire et comment doit-on l’entendre ? Les barbares de Germanie vont-ils se transformer en sectateurs mystiques d’une religion abstraite, exempte de superstition ? Étaient-ils donc capables d’écouter les conseils d’un Sénèque, enseignant aux stoïciens de Rome, lui aussi, la divinité invisible et présente dans l’obscurité des grands bois épais, ou bien de comprendre ce culte immatériel que Tacite lui-même signale avec étonnement chez les Juifs monothéistes ? Ce que nous dit l’historien du respect des barbares envers les femmes, nous devons certes l’accepter, puisque beaucoup de témoignages, depuis Plutarque à propos des Cimbres, jusqu’à saint Boniface dans sa dix-neuvième lettre, nous signalent ce même trait des mœurs germaniques. Un tel respect, mêlé d’ailleurs de superstition, convenait à des peuples encore engagés dans un état de civilisation primitive. On n’en pourrait pas dire autant d’un culte qui redouterait de n’être ni assez austère ni assez dégagé des formes matérielles. La vérité est peut-être que la religion germanique, non sortie encore de la période d’adoration des forces naturelles, ne faisait que préluder à celle où ses divinités comme ses mythes s’inspireraient d’un caractère plus personnel et par conséquent plus visiblement moral. Rappelons-nous que César attribue aux Germains le culte du soleil, de la lune et de Vulcain, c’est-à-dire l’adoration des astres et du feu. Rappelons-nous aussi que les premiers siècles du moyen âge allemand ont conservé les nombreuses traces d’un très ancien culte des arbres en Germanie, témoin les traditions sur le chêne de Geismar et sur l’Irminsul, et ces statues de Roland, fréquentes aujourd’hui, surtout dans l’Allemagne du nord, souvenirs probables des arbres que le glaive et le bouclier suspendus à leurs troncs et la terre rougie à leur pied par le sang, Rothland, Ruland, avaient marqués jadis comme lieux de justice. Tacite, vivement frappé de la majesté des forêts germaniques et du mystère des cérémonies que les barbares célébraient, aurait interprété celles-ci à sa manière, non sans ajouter quelque chose par sa propre imagination à l’essor réel d’un sentiment d’adoration intime et grave inné chez ces peuples. Lui-même nous aide à une vue. probablement plus exacte lorsque, dans certains chapitres de sa Germanie, il nous montre chez les barbares l’abus de la sorcellerie, et les sacrifices humains.

II

Quoi qu’il en soit des appréciations de Tacite, des conjectures souvent hasardées que ces appréciations ont fait naître, et des identifications plus ou moins rigoureuses que l’érudition moderne croit pouvoir instituer, il y a un résultat hors de doute : c’est que nous retrouvons, sous les dénominations classiques, les principales divinités de l’odinisme. Odin, Thor ou Donar, et Tyr ou Zio forment une sorte de trinité qui paraît avoir été pendant plusieurs siècles l’objet d’une adoration constante de la part des peuples du nord, et à laquelle se rapportent une foule d’indications qui deviennent les commentaires directs des assertions de Tacite. Encore au XIe siècle, Adam de Brême raconte qu’il y avait en Suède, à Upsal, un temple célèbre contenant les statues de trois principales divinités, les mêmes sans doute qui ont été soupçonnées par l’historien romain. Jusque dans notre temps, on peut visiter près de cette ville trois tumulus, dont l’un, ouvert il y a une quinzaine d’années, contient des restes de sépulture. Ces trois tertres sont populaires, et la jeunesse des universités s’y réunit en fêtes à de certaines époques, parce que, suivant la tradition, ce sont là les tombeaux des trois grands dieux de l’antiquité Scandinave. Or deux de ces divinités sont précisément Odin et Thor ; la troisième portait le nom de Frey, que nous avons vu attribué, sous sa forme féminine, à une déesse barbare entrevue par Tacite.

Mais ce n’est pas assez d’avoir démontré à quelle religion se rattachait la race germanique ; la critique moderne peut nous éclairer sur les origines de cette religion et par là même sur les origines de cette race. Nous avons, en commençant, fait un vrai mérite à l’historien d’avoir compris ou du moins pressenti qu’il devait joindre ensemble deux questions en effet connexes, le problème religieux et le problème ethnologique. Ni l’un ni l’autre ne pouvait être dans l’antiquité entièrement résolu. Les assimilations que Tacite imaginait entre les dieux classiques et les divinités de la Germanie avaient une certaine justesse, mais par des rapports généraux et lointains qu’à coup sûr il ne soupçonnait pas, ignorant la solidarité de race des Germains et de Rome elle-même avec les grandes nations de l’antique Asie. Quand il nous dit que les Germains étaient autochthones, ce n’est là qu’une de ces réponses orgueilleuses dont se couvrait l’ignorance des anciens, à moins que ce ne soit l’écho de certaines cosmogonies faisant naître les premiers hommes du sol même, ou du roc, ou des arbres : Tacite est probablement l’organe de pareilles traditions quand il nous par le du grand dieu Tuisco, né de la Terre, ou même quand il nous dit que la forêt vénérée des Semnons avait donné naissance aux tribus qui se réunissaient à l’ombre de ses grands arbres. Ces allégations sous sa plume nous enseignent seulement, à vrai dire, que l’immigration des Germains en Europe était d’une date déjà trop ancienne pour qu’au Ier siècle de l’ère chrétienne il en retrouvât le souvenir.

Sur l’une et l’autre question, la science aujourd’hui va plus loin. Non-seulement elle peut reconnaître dans ses traits originaux le culte des Germains, et cesser de le confondre avec les cultes classiques, mais elle retrouve encore les liens de l’odinisme avec les plus anciennes époques religieuses des Indo-Européens, ce qui équivaut à démontrer que les Germains sont eux-mêmes un rameau détaché de la souche aryenne.

C’est à la philologie comparée qu’appartient ici le premier rôle. Rien qu’à mettre en regard tout d’abord les expressions primordiales de tout langage humain, elle signale des similitudes et des différences qui lui révèlent la distinction des races. Poursuivant son enquête, elle note chez les peuples indo-européens, par exemple, les mots qui désignent les diverses espèces de bétail et les mots qui set rapportent au développement ultérieur de l’agriculture, et il lui arrive de remarquer que tel groupe de ces peuples, après avoir eu, pour ce qui se rapporte au bétail, le même langage que les autres groupes, s’est façonné au sujet de l’agriculture des expressions particulières. Elle en conclut que les diverses tribus indo-européennes ont vécu réunies pendant une première période, celle de la vie agricole ou nomade, mais que ce groupe particulier s’est séparé du tronc commun avant d’accomplir son passage vers la vie agricole. C’est sur de telles observations que M. Pictet a édifié son ingénieuse histoire des différentes époques de la vie des Aryâs, et qu’on a cru pouvoir appliquer aux Germains précisément le cas que nous venons de supposer.

Pour la philologie moderne, les mots, et les lettres elles-mêmes qui constituent les mots, ont leur histoire. L’un des deux élémens des mots, la terminaison, varie suivant les nuances très diverses, de temps et de mode, de nombre et de personne, que le langage veut exprimer ; l’autre, le radical, se modifie dans les verbes soit par un redoublement, une réduplication, et ensuite par une contraction de ce redoublement, soit par un simple changement de voyelle. De plus, en passant d’une langue à une autre langue, d’un peuple à un autre peuple, les mots se transforment, mais suivant des règles que déterminent surtout les intimes affinités des lettres entre elles. Nul de ces changemens n’est livré au hasard ; l’esprit humain et la parole humaine, dans ces évolutions secrètes, ne connaissent pas de caprices. C’est la gloire de Grimm et de Bopp d’avoir, en retrouvant ces lois délicates et cachées, créé une science nouvelle, la grammaire comparée. Les règles qui gouvernent les destinées des mots une fois connues, il doit devenir possible de déterminer, au seul aspect de certaines formes données, dans quelle période du développement général de la langue-mère à laquelle elles se rapportent on doit les classer. Ce qui s’observe de ces formes vaut également pour le peuple qui les met en usage : on doit apprendre par là à quelle distance il est placé de la souche commune, et combien de développemens successifs l’en séparent. Ainsi George Cuvier, au seul examen d’un ossement fossile, restituait l’animal ignoré auquel cet ossement avait appartenu, disait son genre et son espèce, même son âge et son sexe. Ainsi le géologue, à l’aspect d’un filon ou d’une roche, sait à quelle époque de la formation du globe terrestre il doit l’attribuer. Appliquant cette méthode aux langues germaniques, dont ce qui nous reste du gothique est le représentant le plus ancien, on a cru pouvoir conclure que le rameau des Germains s’était séparé de la souche aryenne pendant la seconde moitié de l’époque védique. Assigner des dates précises à ces grands changemens préhistoriques serait, comme on sait, une entreprise téméraire ; c’en est assez, si l’on peut indiquer une sorte de chronologie relative, c’est-à-dire une succession logique déterminée par les seules phases du langage.

Les mots sont les dépositaires, puis les témoins des impressions intellectuelles et morales des hommes. En se transformant, ils suivent, rendent et excitent le progrès de la pensée humaine. Tacite nous donne occasion dans sa Germanie d’en citer un curieux exemple, quand il assimile au Mars classique le dieu Tyr ou Zio des Eddas. Jacques Grimm et M. Max Müller ont refait avec une érudition très ingénieuse l’histoire de ce dieu ou plutôt de ce nom : numina nomina. Le sanscrit dyaus, en indien actuel dyuy s’appliquait, disent-ils, dans la langue primitive des antiques Aryâs, à tout ce qui brillait devant leurs yeux, au ruisseau sur le flanc de la montagne, au fleuve dans la plaine, au nuage transparent dans les cieux, aux cieux eux-mêmes, aux astres, au soleil, aux étoiles. A tout ce qui resplendissait, les aînés de notre race accordaient leur attention et peut-être leur vague adoration première. Le progrès de la pensée les conduisit à concevoir au-delà des astres éclatans, au-delà du soleil, un créateur et maître qui devait, lui aussi, être tout lumière, et qu’ils continuèrent à désigner par le même mot dyaus ou dyu. Or c’est ce mot, joint au sanscrit pitar, c’est-à-dire vénérable, qui a formé le nom de Diespiter ou Jupiter, ou bien, seul, a donné lieu aux diverses dénominations de l’être suprême dans les langues indo-européennes : Zeus et Theos en grec, les nominatifs Diovis en osque et Jovi en vieux latin dans Ennius, Zio en haut-allemand, Tiw en anglo-saxon, Tyr dans la langue norrène des Eddas. La progression du sens est visible dans certaines expressions de la vieille langue latine ou grecque qui ont survécu. Une prière des Athéniens suppliait Jupiter de pleuvoir, souvenir de la primitive époque où le mot destiné à désigner plus tard la divinité ne s’appliquait encore qu’à la voûte céleste. La persistance de la signification première n’est pas moins évidente dans l’usage qui se perpétua chez les Romains de dire sub Jove frigido, sub dio, sub diu, pour signifier « à ciel découvert. » Cicéron, dans une ligne intraduisible, confond aussi Jupiter et la voûte éthérée : Hoc sublime candens, quem invocant omnes Jovem. Singulière destinée d’une syllabe unique, empruntée à la langue commune de nos ancêtres les plus reculés, surnageant dans le temps et l’espace après leur dispersion, suivant le progrès de la pensée chez les nations indo-européennes, et désignant pour chacune d’elles en dernier lieu la divinité suprême, de telle sorte qu’aujourd’hui même et pour des siècles encore, et sans doute tant que durera la race aryenne, quand le plus humble d’entre nous, s’agenouillant, prie et invoque le nom de Dieu, il se trouve par le langage en communauté directe, malgré la différence des âges, avec nos plus antiques aïeux[5].

Nous avons pu reconnaître au commencement de ce travail des analogies plus ou moins vraisemblables entre certaines divinités germaniques et les dieux grecs ou romains auxquels Tacite avait cru pouvoir les assimiler ; il en est d’autres plus réelles qu’on découvre aujourd’hui entre ces divinités barbares et celles de la mythologie védique. C’est le développement des légendes sacrées qu’il faut interroger de préférence, si l’on veut retrouver les traces de la solidarité intellectuelle et morale qui trahit les liens de parenté entre les peuples. Les mythes, dans l’élaboration desquels intervient l’action réciproque de la pensée et du langage, vont se transformant, du naturalisme, qui enfante les symboles, aux conceptions éthiques, qui créent des dieux personnels et par conséquent doués d’attributs moraux. Les anciens Hindous ou, comme on les appelle quelquefois, les peuples du sanscrit, auxquels nous devons les hymnes des Védas, vivaient dans les hautes vallées du Pendjab et du Gange supérieur. Leur imagination, qui s’éveillait, dut être frappée des phénomènes qu’un ciel ardent et un climat extrême déployaient à leurs yeux. Après que l’hiver avait cruellement desséché la plaine, le changement de saison s’annonçait par des tempêtes, par un tumulte des élémens, au sortir duquel la terre apparaissait de nouveau verdoyante, avec toutes les promesses du plus riche été. La double action des pluies et du brillant soleil avait opéré ce miracle ; le soleil avait, pendant l’orage, combattu le nuage sombre qui menaçait de l’envelopper, et qui retenait dans ses flancs la bienfaisante pluie. On conçoit qu’un langage abondamment figuré ait de lui-même transformé les agens de ces luttes naturelles en personnes animées et divines : on a eu de la sorte le combat d’Indra contre Vritra. Vritra est le monstre noir qui détient l’eau fécondante et la lumière dorée. Indra s’avance contre lui ; il porte une arme terrible, en forme de marteau ou de croix, dont les coups, annoncés par le tonnerre, signalés par la foudre, sont inévitables, et qui, à peine a-t-elle frappé, revient aussitôt dans sa main, tandis que le nuage déchiré rend à la terre les rayons et les eaux. À ce thème principal viennent se joindre les additions et les variantes. Indra est accompagné dans son glorieux combat par les Maruts, qui sont les vents d’orage, et par les Ribhûs, esprits élémentaires auxquels s’associent les âmes des morts. A chaque branche nouvelle du mythe qui s’accroît poussent des rameaux et des feuillages, Les Maruts parcourent les airs en équipage brillant, avec des bracelets d’or, des cuirasses et des armes étincelantes. Ils font retentir un chant terrible, et le ciel et la terre tremblent, les montagnes chancellent, les arbres se renversent, les nuages se dispersent en poussière, car leur nom a pour racine mar, qui signifie faire mourir, broyer, pulvériser. Les Ribhûs, de leur côté, sont vantés comme d’habiles forgerons ; ce sont eux qui, sous la conduite de leur maître Tvashtri, travaillent pour les dieux : Indra leur doit son arme redoutable.

Une autre forme du mythe qui s’est constitué dans les Védas autour du dieu maître de l’atmosphère est celle qui représente Indra comme pasteur du ciel, et les nuages comme des vaches composant son troupeau. Il s’irrite quand son ennemi méchant les attire à lui ; mais vainqueur, il les trait avec sa foudre, et leur lait, c’est-à-dire la pluie, vient rafraîchir les hommes ; lui-même se nourrit de ce lait. Il suffit de quelques citations des Védas, prises au hasard, pour mettre en relief ces lignes principales du mythe.


« Par la force de sa massue, Indra a foudroyé Vritra, qui desséchait le monde : il a délivré des fleuves semblables à des vaches enfermées ; il a répandu glorieusement ses bienfaits.

« Les eaux se réjouirent de son effort quand il dompta Vritra avec sa massue : le dieu fort, généreux envers les généreux, plein de fougue, a inondé les terres.

« Tvashtri avait fabriqué à Indra une massue divine : comme des vaches dont dégoutte le lait, les eaux se sont précipitées vers la mer.

« Mariées au démon, gardées par Ahi, les eaux étaient enfermées comme les vaches volées par Pani ; mais Indra, en tuant Vritra, a ouvert la caverne qui leur servait de prison.

« Avec ces Maruts qui brisent tout rempart et supportent la nue, tu vas, ô Indra, délivrer du sein de la caverne les vaches célestes. Voilà pourquoi l’hymne qui chante les dieux célèbre aussi le grand dieu des vents qui assiste Indra de ses conseils, et découvre les heureux trésors.

« Au fort, au rapide, au majestueux Indra, j’apporte mes chants comme une nourriture ; au dieu illustre, irrésistible j’apporte ma piété et des prières souvent offertes. »


Ouvrons maintenant les Eddas et les recueils de vieilles poésies ou de légendes populaires qui aident à les commenter ; nous rencontrerons à chaque pas des analogies entre les imaginations orientales et la mythologie germanique. Quand ces sortes d’analogies sont confirmées, de l’avis des philologues, par d’exactes transformations grammaticales, il faut bien y voir les incontestables témoignages d’une solidarité intellectuelle et morale. A Thor et Odin se rapportent un grand nombre de traits rappelant la lutte entre Indra et Vritra, c’est-à-dire entre le soleil et le nuage. Thor, dans lequel nous avons reconnu l’Hercule de Tacite, est, suivant les traditions des Germains, un dieu qui préside aux phénomènes du ciel et de l’atmosphère, aussi bien qu’Indra. Adam de Brême dit encore au XIe siècle que ce dieu du nord gouverne les vents et qu’il envoie l’orage. Il est armé, lui aussi, de la foudre, c’est-à-dire de l’arme nommée Miöllnir, dont les coups inévitables s’annoncent par le tonnerre, et qui revient d’elle-même à la main qui l’a lancée. Cette arme de Thor est le plus souvent désignée dans les anciens textes norrènes comme une hache à deux tranchans ou comme un marteau à deux têtes, affectant volontiers la forme de la croix, si bien qu’un roi chrétien de Norvège, faisant à la vue de son peuple le signe de la croix sur la corne à boire, put donner à penser qu’il avait tracé le signe païen du marteau de Thor. Quand les nuages laissaient tomber la pluie sur la terre ou que le sol était inondé d’une rosée bienfaisante, on croyait voir Thor, comme Indra, traire ses vaches avec sa foudre. Ce qui le prouverait, c’est que le mot désignant dans les langues germaniques la rosée est voisin, du moins suivant M. Ad. Kuhn, du mot sanscrit qui signifie le lait. Une foule de dictons ou d’usages encore aujourd’hui populaires supposent d’ailleurs que l’eau tombée des cieux est considérée comme un lait bienfaisant. Il faut, par exemple, à certains jours de fête, ou bien au mois de mai, ou pendant la nuit de la Saint-Jean, recevoir sur soi la rosée ou s’en laver le visage pour obtenir la beauté. Dans beaucoup d’étables, si l’on veut avoir un lait abondant et fort, on frotte le pis de la vache avec un de ces silex que la croyance populaire a si longtemps regardés comme des éclats de la foudre. Les sorcières du moyen âge faisaient mine de traire un manche de hache (allusion évidente au marteau de Thor), et aussitôt, nous dit-on, la pluie ou la grêle tombait des nuages. Enfin l’historien des superstitions en France au XVIIe siècle, le théologien Thiers, se croit encore obligé de proscrire celle qui consiste à enfouir une hache sous le seuil d’une étable, ou bien à y suspendre des briques en croix pour empêcher que les vaches ne soient l’objet de quelque maléfice et que leur lait ne tarisse. — Thor et Indra portent tous deux une ceinture merveilleuse. Indra vole sur un char que traînent deux pâles coursiers : les coursiers sont l’éclair, et le char le nuage. Thor a, lui aussi, un char dont le roulement produit le tonnerre : deux béliers y sont attelés, et l’on démontre que ces béliers sont les symboles du nuage. — La barbe d’Indra est d’or, nouveau symbole peut-être de la foudre ; elle se dresse quand il marche au combat pour reconquérir le trésor caché, et bientôt la pluie tombe sur la terre. Thor a une longue barbe rouge ; elle s’agite quand s’allume sa colère, et le tonnerre retentit. — Indra est le dieu de la vie et du mariage : c’est lui qu’on invoque pour obtenir une nombreuse postérité. Thor aussi bénit ou maudit les unions ; son marteau les consacre. — Indra est protecteur de la famille, non pas seulement comme dieu de la vie, mais aussi comme compagnon d’Agni, qui lui est très souvent adjoint. C’est par Agni qu’a été allumé le feu saint du foyer, d’où rayonne le bonheur domestique. Agni est nommé Sabhya, protecteur de la famille, et Indra est nommé Sadaspati, le maître du foyer, le premier de la famille, deux mots que l’on fait venir de sabhâ, désignation védique de la parenté, de la gens. Thor a le même rôle. C’est lui dont l’éclair a allumé la sainte flamme du foyer, et il en est devenu par là le protecteur. Il n’y a pas lieu de redouter la foudre, disent les traditions populaires, quand le feu brille dans l’âtre. Nul danger surtout si l’on prend soin de ficher au-dessus de la porte une hache, image du marteau de Thor. Les montans du haut siège sur lequel prend place, chez les Scandinaves, le père de famille présentent à leur extrémité supérieure une tête de Thor. Quand la famille émigre et va chercher au loin, sur la terre d’Islande, une nouvelle patrie, on jette ces montans à la mer, afin que Thor lui-même, en les dirigeant sur les flots vers le rivage, indique le lieu de l’établissement futur. La prise de possession du sol jusque-là désert se fait au nom de Thor ; les pierres qui marquent les limites lui sont consacrées.

Le souvenir du phénomène de l’orage primitivement représenté par la lutte entre Indra et Vritra s’est perpétué avec une énergie particulière dans une des plus vivaces traditions germaniques. On connaît la légende du chasseur infernal, que reproduisent sous tant de formes diverses le Freyschütz, Robin Hood, la Mesnie Hellequin, le grand Veneur de Fontainebleau, etc. À minuit, l’air retentit des aboiemens d’une meute lointaine ; à mesure qu’elle approche, les hennissemens des chevaux s’y mêlent avec les cris des cavaliers et les gémissemens de la bête aux abois. On aperçoit des ombres qui passent en courant et font frémir les branches des arbres. C’est l’armée ou bien c’est la chasse d’Odin ou de Wuotan, wütendes Heer, wütende Jagd. Il semble que Tacite ait cette légende en souvenir quand il décrit lui-même, chez une tribu barbare, une armée infernale, feralis exercitus, qui ne combat que la nuit, ou bien encore lorsqu’il raconte la chasse invisible d’un Hercule oriental. Dans une apparition nocturne, le dieu indique les forêts qu’il a parcourues, et l’on y retrouve étendus à terre les animaux victimes de ses coups inévitables. De même qu’Indra est assisté dans sa lutte par les Maruts et les Ribhûs, de même Odin, monté sur son cheval blanc, a pour cortège pendant le combat les Valkiries et les Einheriar ou héros, et pendant la chasse les Elfes, c’est-à-dire les âmes des morts, à qui il a ouvert son Valhalla comme Indra leur ouvre son svarga. Des Elfes aussi, il est dit très souvent qu’ils s’en vont traire les vaches, qu’ils sont très friands de lait, qu’ils s’introduisent dans les étables. Suivant certaines traditions, l’armée infernale, qui apparaît surtout dans la nuit de Noël et pendant les nuits suivantes jusqu’à la fête des Rois, exige chaque année une vache en sacrifice ; elle bénit à ce prix le reste du bétail, et la récolte du lait devient abondante. Toutes légendes qui ne font que varier à l’infini le thème primitif, fourni par les hymnes védiques, des nuages comparés aux vaches et cessant, grâce à Indra vainqueur, d’intercepter les rayons du soleil ou de retenir la pluie. Une fois, les Elfes ont mangé, séance tenante, la vache qui leur était due, mais les os de l’animal avaient été soigneusement recueillis par leur ordre, et rangés dans la peau ; ils le ressuscitèrent avant leur départ. Comparez à cette légende germanique certains textes des Védas, et les analogies se montreront évidentes : « Vous avez par vos chants, ô Ribhûs, ô fils de Sudhanvân, ressuscité de sa peau la vache sacrifiée. — Vous avez, ô Ribhûs, avec la peau rhabillé la vache. » Un autre hymne s’exprime ainsi : « Parce que les Ribhûs ont formé la vache chaque année, parce que chaque année ils ont communiqué leur éclat, ils ont obtenu l’immortalité. » M. Mannhardt a conjecturé que ces paroles faisaient allusion à l’ensemble des nuages que la saison pluvieuse épuise annuellement, et qui se refont toujours. Il est impossible en tout cas de méconnaître une réelle analogie entre ces expressions mythiques et les traditions de l’Allemagne ou du Nord. Ces primitifs souvenirs du langage et des croyances védiques abondent à toutes les époques de l’antiquité. M. Ad. Kuhn les a montrés subsistant dans la légende de Prométhée, et M. Bréal dans celle de Cacus telle qu’elle est rapportée par Virgile[6]. On pourrait de même en retrouver les traces dans les fables de l’Edda et dans les épopées héroïques du moyen âge allemand. L’ingénieux et savant Adolphe Holtzmann a démontré dans ses Recherches sur les Nibelungen, 1854, et M. Léo vers la même date (V. la Zeitschrift de Wolf, 1853) que l’histoire de Sigurd et de Sigfrit, ennemis des Niflungen et des Nibelungen, est identique avec celle du héros Karna, racontée dans le Mahabharata. Sans descendre au détail, qui serait plus instructif encore, il suffit de considérer la matière même des divers récits. Suivant les plus anciennes formes de la légende, le héros germanique né d’une fille du roi et d’un Vals, c’est-à-dire d’un elfe de lumière, est secrètement exposé sur un fleuve, puis recueilli par l’habile forgeron Mimer, qui le nomme Sigfrit ou Sigmunt, et l’élève comme son fils. Sigfrit, en grandissant, devient un brillant héros, à qui ses grandes actions valent la renommée ; il est fiancé à Brunhilt, qui le dédaigne ensuite comme fils d’un simple forgeron. Cependant sa mère, devenue femme d’un roi, a donné à son mari trois fils, les Niflungen Gunther, Guthorm et Hagen, qui se trouvent être ainsi les demi-frères de Sigfrit. L’aîné de ces trois princes ne pouvait accomplir les travaux au prix desquels seuls il devait obtenir sa propre fiancée, qui se trouvait être précisément Brunhilt ; le jeune héros, prenant sa figure, s’en acquitte pour lui, car son corps est revêtu d’une cuirasse naturelle et sa tête est couverte d’un chapeau magique qui le rendent irrésistible et invulnérable. En récompense du service rendu, Gunther lui donne sa sœur Chrimhilt en mariage ; mais Brunhilt, jalouse, reproche à sa rivale de se déshonorer par une mésalliance. Chrimhilt lui répond en lui dévoilant que c’est ce même héros et non pas Gunther qui a naguère accompli les épreuves dont Brunhilt elle-même était le prix, sur quoi celle-ci, furieuse, excite la haine des Niflungen contre le glorieux Völsung ; ils apprennent comment il peut être dépouillé de ses talismans invincibles, et, par la perfidie de Hagen, il succombe frappé traîtreusement.

Comparez maintenant le récit du Mahabharata, et les ressemblances se montreront d’elles-mêmes. Karna est né secrètement d’une fille de roi et du dieu du soleil. Il est né recouvert comme le dieu d’une cuirasse d’or qui le rend invulnérable, et avec des pendans d’oreilles du même métal qui le font irrésistible. Exposé sur le fleuve, il est porté jusqu’au Gange, sur les bords duquel il est recueilli par Adhiratha, ami du roi et conducteur d’un char royal. L’enfant grandit en beauté et en courage ; devenu jeune homme, il est partout vainqueur. Cependant sa mère Kunti a épousé le roi Pandu et lui a donné trois fils : Yudhishtira, Bhima et Ardshuna. Les trois princes, et avec eux Karna, leur demi-frère, briguent la main de la princesse Draupadi. Il faut subir des épreuves : Karna lui seul les affronte avec succès, mais Draupadi le refuse, parce qu’il n’est, croit-elle, que le fils d’un cocher, et elle choisit Ardshuna, quoique vaincu. De là, guerre entre les fils du roi Pandu et les Kauravas, auxquels le fort et généreux Karna, qui est avec eux, procure toujours la victoire, jusqu’à ce que, par le conseil perfide de Krishna, il soit tué traîtreusement.

On trouvera dans les livres des érudits qui ont institué ces parallèles entre les légendes germaniques et orientales les preuves de détail philologique qui viennent à l’appui des traits généraux, comment, par exemple, l’identité entre le mot sanscrit yudh et le mot germanique gunt, signifiant tous deux combat, rapproche l’un de l’autre les deux noms Yudhishtira et Gunther, et comment une pareille analogie de sens prochain permettrait aussi d’assimiler les deux noms Ardshuna et Hagen. — Un semblable travail de comparaison a été tenté entre la légende du Chevalier au cygne et celle du héros indien Bhishma, ainsi que sur beaucoup de points plus particuliers. C’est aux savans spéciaux à décider dans quelles limites légitimes pourront s’étendre de telles recherches ; mais il suffit qu’ils en aient admis le principe et les premiers résultats pour que l’histoire générale ait le droit et le devoir de s’en emparer, et de se tenir attentive à cette lumière nouvelle.

En résumé, Tacite, à qui nous sommes si redevables pour les précieuses notions qu’il nous a léguées, pourrait lui-même s’instruire à l’école de la science moderne sur deux questions qui l’ont certainement embarrassé. Ce qu’il a pris, non sans une visible incertitude, pour le pâle reflet, pour l’imitation servile de la religion romaine, c’est l’odinisme. En vain a-t-on cru devoir placer dans un temps postérieur à celui de l’historien romain l’introduction de ce culte en Germanie ; nous avons vu plusieurs témoignages nous attester le sens des assimilations reproduites par Tacite. Peu importe que ces témoignages soient d’auteurs moins anciens que lui, car on ne comprendrait pas par quel singulier hasard des dieux barbares antérieurs à ceux que désignent ces témoins auraient répondu aux mêmes assimilations. L’odinisme, avec sa forte rudesse, convenait à l’état social des Germains. Ce n’était pas une religion de nature à déprimer ou à décourager les hommes. Il les poussait, pendant cette vie terrestre, à des luttes énergiques, et il leur promettait une vie meilleure après la mort. Suivant les récits de l’Edda, bientôt après l’incendie du monde amené par la victoire des géans sur les Ases, « la Vala ou prophétesse voit la terre admirablement verte sortir une fois, encore du sein des eaux. Les cascades se précipitent, l’aigle plane ou guette le poisson du haut des rochers. Les Ases de nouveau se réunissent ; ils parlent des runes antiques, de la poussière puissante du passé. La terre, délivrée de tout mal, porte des moissons non semées. Balder renaît ; un palais s’élève, plus beau que le soleil, et où vivront dans un bonheur perpétuel les vertueuses générations. » Ainsi une vie singulièrement active de ce côté de la tombe, de grandes espérances au-delà, c’était de quoi préparer ces peuples à la civilisation moderne et au christianisme.

Le second point sur lequel nous instruirions Tacite, c’est la question de l’origine et de la descendance des Germains. Il serait étonné et quelque peu scandalisé sans doute d’apprendre leur primitive parenté et leur communauté d’antiques croyances religieuses avec les Romains et les Grecs. Nous l’instruirions imparfaitement encore sur les routes qu’ils ont suivies, sur les destinées qu’ils se sont faites depuis qu’ils se sont détachés du tronc commun. Tandis que les peuples du monde classique, avec plusieurs des nations que plus tard ils devaient subjuguer, Celtes, Italiques, Ibères, s’emparaient de l’Europe centrale et méridionale, et y déployaient un magnifique essor dont les principales directions nous sont connues, que devenaient ces groupes innombrables de barbares jusqu’au jour où, annoncés à peine par le coup de tonnerre que détourna Marius, ils se dressèrent soudain à l’est et au nord de l’Europe contre Rome ? Ils avaient suivi de tout autres chemins, et, pendant une longue migration mêlée d’étapes inconnues, leurs conceptions, d’abord analogues à celles de leurs frères d’origine, avaient pris un tour particulier dont Tacite, au moment de la première rencontre, nous est le premier témoin. Si notre science actuelle en est réduite à n’espérer qu’à peine de pouvoir percer un jour de si profondes ténèbres, elle peut du moins démontrer, comme on l’a vu, l’origine indo-européenne de ces populations germaniques, et leurs liens primitifs avec les nations qui ont joué dans les temps classiques le plus grand rôle sur la scène occidentale.


A. GEFFROY.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1871.
  2. Voyez la Science du langage, traduite par MM. Barris et G. Perrot ; 3 vol., 1867.
  3. Pline le naturaliste connaît déjà dans la Gaule (ce qui veut dire souvent chez lui la Germanie) cette boisson faite avec les céréales, c’est-à-dire sans nul doute la bière.
  4. Il faut certainement lire, au quarantième chapitre de la Germanie, Nerthum et non pas Hertham, que donnent les anciennes éditions.
  5. Il en est de même au reste lorsque nous employons, dans la vie de chaque jour, les chiffres dits arabes, s’il est vrai que la forme de chacun d’eux reproduise la première lettre par où commence leur antique dénomination sanscrite. Voyez Lassen et Weber.
  6. Voyez l’excellente thèse de M. Bréal : Hercule et Cacus, 1863. Par ce premier écrit, puis par sa traduction de la grammaire de Bopp, M. Bréal a rendu les meilleurs services à la double cause de la mythologie et de la philologie comparées.