Les Pères de l’Église/Tome 3/Livre V/Chapitre XIV

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Texte établi par M. de GenoudeSapia (Tome troisièmep. 533-536).


CHAPITRE XIV.


C’est afin de sauver l’homme dans sa chair que le Verbe s’est revêtu de notre propre chair, et qu’il s’est fait le ministre de notre réconciliation avec Dieu.


Quand l’apôtre saint Paul a dit que la chair et le sang ne pouvaient posséder le royaume des cieux, il a été bien éloigné de vouloir prononcer anathême contre la chair et le sang, et d’autant moins que, lorsqu’il parle de notre Seigneur Jésus-Christ, il le désigne souvent par les noms de sa chair et de son sang ; voulant par là, tantôt rappeler l’humanité du Christ, (car lui-même il s’appelait le Fils de l’homme), tantôt rappeler qu’il était venu pour sauver notre corps aussi bien que notre âme ; car si notre chair n’avait pas dû participer au salut, pourquoi le verbe de Dieu se serait-il fait chair comme nous ? et si ce n’eût pas été pour sauver le sang des justes, pourquoi le Christ aurait-il pris un corps composé de sang et de chair ? Mais nous voyons que, dès le commencement de la création, le nom de sang a été significatif de l’homme et de la vie de l’homme. En effet, lorsque, dans la Genèse, Dieu reproche à Caïn le meurtre de son frère, il lui dit : « La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. » Et pour annoncer que le sang ne serait jamais versé sans attirer la punition du coupable, nous lisons que Dieu dit à Noë : « Car je rechercherai votre sang et votre vie, sur tous les animaux, et sur l’homme, frère ou étranger ; je rechercherai, sur celui qui l’aura répandu, le sang de l’homme. » Et le Christ lui-même, en parlant de ceux qui devaient répandre son sang, n’a-t-il pas dit : « Et le sang de tous les prophètes, qui a été versé par cette nation, depuis le commencement du monde, lui sera redemandé, depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, qui a été tué entre l’autel et le temple ; je vous déclare qu’il en sera demandé compte à cette nation. » Il exprimait par ces paroles qu’il était lui-même comme le représentant de tous les justes et de tous les prophètes dont le sang avait été versé, et que Dieu en demanderait compte, ainsi que du sien, aux hommes qui l’auraient versé. Mais à quoi bon demander compte du sang, si le sang ne devait pas participer au salut éternel ; et comment notre Seigneur se serait-il porté comme le représentant de tout le sang des justes et des prophètes qui avait été répandu, si ce n’est parce que lui-même avait pris notre chair et notre sang, en se soumettant aux lois de notre nature corporelle, afin d’opérer le salut du sang de l’homme, qui avait été frappé de mort par suite de la faute d’Adam.

Si l’incarnation de notre Seigneur avait eu lieu d’après les lois d’une nature étrangère à la nature de l’homme, si sa chair avait été composée d’une substance autre que celle de l’homme, il n’aurait pu dès-lors résumer l’humanité en lui ; on n’aurait même pas pu dire qu’il s’était fait chair ; car notre chair, telle que nous l’a transmise notre premier père, a été tirée directement du limon de la terre. D’ailleurs, si le Christ avait dû être formé d’un autre corps que le nôtre, Dieu le père l’aurait fait naître d’une autre manière que nous naissons. Ne considérons donc que ce qui a eu lieu réellement : nous voyons que le Verbe, qui venait pour notre salut, s’est fait semblable à l’homme, qui était dévoué à la mort par le péché ; c’est en prenant ainsi notre humanité qu’il s’est communiqué à nous et qu’il a recherché notre salut ; il avait donc revêtu la chair et le sang de l’homme déchu par le péché. Le premier homme avait été formé par Dieu du limon de la terre ; et c’est dans ce premier fait qu’il faut étudier le mystère de l’avénement du Christ en ce monde. Le Christ a donc eu dans son corps le sang et la chair de l’homme ; il a donc été, sous ce rapport, le représentant, la figure de la créature faite par Dieu à son image, et venant ici-bas pour la sauver : c’est ce qui fait dire à l’apôtre dans l’épître aux Colossiens : « Vous étiez vous-mêmes autrefois éloignés de Dieu, et votre cœur, livré aux œuvres criminelles, vous rendait ses ennemis. Mais maintenant Jésus-Christ vous a réconciliés par la mort qu’il a soufferte dans sa chair, afin de vous rendre saints, purs et irrépréhensibles devant lui. » Remarquons bien ces paroles : vous a réconciliés par la mort qu’il a soufferte dans sa chair ; elles expriment qu’une chair pleine de justice a justifié la chair qui était souillée par le péché, et l’a remise dans les bonnes grâces de Dieu.

Que si l’on disait qu’il y a cette différence entre le corps du Christ et notre corps, que le Christ n’a point péché, qu’il ne s’est trouvé aucune mauvaise pensée dans son âme, tandis que nous, nous sommes tous pécheurs ; nous approuvons cette observation, et elle nous semble juste. Mais si l’on voulait inférer de là que la chair du Christ a été d’une nature différente que notre chair, ce serait alors nier la rédemption ou la réconciliation de Dieu avec l’homme ; car ce qui est susceptible de réconciliation est ce qui auparavant se trouvait en inimitié. Mais si notre Seigneur a revêtu une chair d’une autre nature que la nôtre, ce n’est donc plus en faveur de notre chair, qui avait mérité l’animadversion de Dieu, que se serait opérée la réconciliation. Cependant il résulte de l’autorité des Écritures que c’est bien à notre chair que le Sauveur a daigné s’unir pour nous réconcilier avec son Père par les souffrances de son corps et par l’effusion de son sang ; et comme le dit saint Paul aux Éphésiens : « En son Fils nous trouvons la rédemption par son sang, et la rémission de nos péchés. » Et un peu plus loin il dit encore : « Mais maintenant que vous êtes en Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois éloignés, vous êtes devenus proches par le sang de Jésus-Christ ; » et encore : « C’est lui qui, en détruisant dans sa propre chair le mur de séparation, c’est-à-dire leurs inimitiés, a par ses ordonnances, aboli la loi des préceptes ; » et, dans tout le reste de cette épître, l’apôtre proclame toujours hautement que nous avons été sauvés par le mérite de la chair et du sang de Jésus-Christ.

Si donc le sang et la chair du Christ nous donnent la vie du salut, il est dès lors évident que saint Paul, en disant que le sang et la chair ne pouvaient posséder le royaume des cieux, n’a pas entendu proprement parler, soit du sang, soit de la chair en eux-mêmes, mais plutôt des actions charnelles, qui jettent l’homme dans le péché et le privent de la vie éternelle. Aussi saint Paul nous dit dans l’épître aux Romains : « Que le péché ne règne donc point dans votre corps mortel, en sorte que vous obéissiez à ses désirs déréglés. N’abandonnez pas non plus les membres de votre corps au péché pour servir d’armes d’iniquité ; mais donnez-vous à Dieu, comme devenus vivants de morts que vous étiez ; et consacrez-lui vos membres pour servir d’armes de justice. » Il veut donc que ces mêmes membres de notre corps, que nous faisions servir au péché, et avec lesquels nous produisions des fruits de mort, nous les fassions servir désormais à des œuvres de justice et à produire des fruits de vie. N’oubliez donc pas, mon très-cher frère, que vous avez été racheté par la chair et le sang du Christ, qui est le chef qui entretient et donne l’accroissement à tout le corps de l’Église ; mettant votre croyance en Dieu le père, et en l’incarnation et l’humanité du Fils, appuyé sur toutes ces preuves que nous vous avons exposées et qui sont puisées dans les Écritures, il vous sera facile de réduire à leur juste valeur toutes les objections et tous les faux systèmes des hérétiques sur cette matière.