Les Pères de l’Église/Tome 8/Démonstration contre les Juifs (saint Hippolyte)

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Texte établi par M. de GenoudeAdrien Le Clère, Sapia (Tome huitièmep. 47-52).

DÉMONSTRATION DE St  HIPPOLYTE CONTRE LES JUIFS.[1]


Peuple juif, écoutez-moi, et prêtez une oreille attentive à mes paroles. On vous entend souvent vous vanter de ce que vous avez condamné à la mort Jésus, fils de Nazareth, et de ce que vous lui avez présenté, lorsqu’il était sur la croix, le fiel et le vinaigre ; et vous voulez tirer gloire de ce fait ! Examinons donc ensemble, ô Israël ! si vous n’avez pas tort de vous en glorifier, et si vous n’avez pas plutôt mérité par cet acte les terribles menaces de Dieu ; et si ce n’est pas votre conduite, dans cette circonstance, qui a attiré sur vous cette série de maux sous le poids desquels vous gémissez. Invoquons donc le témoignage de celui qui est l’organe de l’Esprit saint, David, fils de Jessé ; car, lorsqu’il chantait la gloire de Dieu dans ses hymnes, il a prophétisé clairement tout ce qui devait arriver au Christ, et tout ce que les Juifs lui feraient souffrir. Il peint le Christ s’humiliant pour nous jusqu’à revêtir la forme humaine, et invoquant Dieu le Père, en disant[2] : « Sauvez-moi, ô mon Dieu ! parce que les eaux sont entrées jusque dans mon ame. Je suis plongé dans une boue profonde, et je n’ai pas été secouru ; » c’est-à-dire la corruption du mal, par suite de la désobéissance commise dans le Paradis terrestre ; « et je me suis fatigué à crier, et ma gorge en a été enrouée, et mes yeux se sont épuisés par la longue attente de mon Dieu, jusqu’à ce qu’il vienne enfin pour me sauver. »

Ensuite David fait parler le Christ comme s’il parlait lui-même : « Je payais ce que je ne devais point ; » c’est-à-dire moi qui n’ai pas péché, j’ai souffert la mort pour le péché d’Adam. « Parce que tu connais ma faiblesse, ô mon Dieu ! et que mes fautes ne te sont point cachées. » Et remarquons qu’il ne dit point : J’ai péché ; et c’est parce qu’il est innocent, que ceux qui espèrent de le voir après sa résurrection ne rougiront pas à cause de lui ; « car pour obéir à ta suprême volonté, j’ai supporté l’opprobre sans murmure ; c’est-à-dire l’ignominie de la croix, quand les Juifs ont couvert ma face de confusion, quand je suis devenu un étranger pour mes frères selon la chair, et pour les fils de ma mère ; » c’est-à-dire pour la synagogue. « Parce que l’amour pour votre gloire m’a consumé, et que ceux qui vomissaient des blasphèmes contre vous m’ont accablé d’outrages. Ceux qui sacrifient aux idoles m’ont accablé de coups, et ceux qui étaient devant la porte de la ville me poursuivaient d’injures. » Le Christ, en effet, a été crucifié hors de l’enceinte de Jérusalem. Et ceux qui étaient assis dans les festins, (ce qui veut dire le temps de la Pâque) l’injuriaient dans leurs chansons. Et moi, « dans la prière que je vous adressais, Seigneur, je vous disais : Mon Père, pardonnez aux nations, » c’est-à-dire dans la vue de celui qui doit venir pour sauver le monde. « Retirez-moi du milieu de la tempête, afin que je ne périsse pas ; » c’est-à-dire délivrez-moi de l’enfer ; « et que l’ouverture du puits où je suis tombé ne soit point fermée sur moi ; » c’est-à-dire qu’il devait sortir un jour du tombeau. « Que ceux qui cherchent à m’ôter la vie soient confondus et couverts de honte. » Or, le Christ, étant sur la terre et dans son humanité, a prié son Père dans les mêmes termes. Mais, comme je l’ai dit déjà[3], il a pris la forme et la nature de serviteur, quand il a parlé et souffert comme homme. C’est pour cela que le prophète ajoute[4] : « Mon ame n’a plus attendu que la douleur et l’opprobre ; » c’est-à-dire j’ai souffert volontairement[5]. « J’ai attendu cependant que quelqu’un s’attristât avec moi ; mais nul ne l’a fait. » En effet, lors de la Passion, le Christ fut un instant délaissé par ses disciples. « J’ai attendu que quelqu’un vînt me consoler ; mais personne n’est venu. » Peuple juif, prends bien garde à ces paroles du Christ : « Ils m’ont donné du fiel pour toute nourriture, et du vinaigre pour tout breuvage. » Et c’est de vous qu’il a souffert ce traitement ! Écoute encore ce que dit l’Esprit saint, que vous donnera-t-il pour ce peu de vinaigre ? Et le prophète, comme l’interprète de Dieu, dit[6] : « Que leur table soit devant eux comme un filet où ils soient pris ; qu’elle leur soit un sujet de juste punition. » Quelle est cette punition ? Il est évident que c’est le misérable état où vous êtes maintenant réduits. Voyons ce qui suit : « Que leurs yeux soient tellement obscurcis qu’ils ne puissent plus voir. » C’est ce qui a eu lieu : les yeux de votre ame ont été couverts de ténèbres éternelles ; puisque, malgré l’éclat de la lumière nouvelle qui éclaire le monde, vous errez comme plongés dans une nuit profonde, tombant de précipice en précipice, parce que vous avez abandonné la voie de celui qui a dit : « C’est moi qui suis la vraie voie[7]. » Écoute enfin cette prédiction, qui est bien plus terrible encore contre toi : Que leurs dos restent éternellement courbés ; c’est-à-dire, ils deviendront assujétis aux nations, non pas pendant quatre cent trente ans, comme la servitude de Babylone, mais ils resteront dans une sujétion éternelle. Après cela, sur quoi fondes-tu tes vaines espérances de délivrance ? Eh ! n’as-tu pas bien mérité ces ténèbres qui couvrent tes yeux, toi qui as fermé les yeux du Christ à la lumière, en meurtrissant de coups son visage[8] ! Et c’est pourquoi leur dos sera éternellement courbé sous le poids de la servitude. Et parce que tu as répandu avec fureur le sang divin du Christ, quelle punition te sera infligée ? « Tu verseras sur eux la coupe de ta colère ; tu les saisiras dans ta fureur, et leur demeure deviendra déserte ; » ce qui se rapporte à la ruine du temple. Mais, apprends-nous, ô prophète ! pourquoi cette ruine du temple ? Est-ce à cause de l’idolâtrie du peuple qui adora le veau d’or, ou pour avoir versé le sang des prophètes, ou à cause des adultères et de la corruption d’Israël ? Tu me réponds : Ce n’est point à cause de cela ; car Dieu avait, pour ces fautes, accordé son pardon ; mais parce qu’ils ont fait périr le Fils de Dieu, qui était venu pour les sauver ; le Fils qui est coéternel au Père. Aussi a-t-il dit : « Faites, mon Père, que leur temple tombe en ruine ; » parce qu’ils ont persécuté celui que le Père avait envoyé pour opérer le salut du monde, c’est-à-dire qu’ils l’ont fait périr d’une mort injuste et violente, et qu’ils ont ajouté à la douleur de mes plaies des douleurs nouvelles. Les péchés du monde ont d’abord été une douleur pour le Christ, à cause de son amour pour les hommes ; mais les Juifs lui ont causé une douleur nouvelle par leur ingratitude. Aussi a-t-il dit : « Faites qu’ils ajoutent iniquité sur iniquité, et qu’ils n’entrent point dans votre justice ; qu’ils soient effacés du livre des vivants, et qu’ils ne soient point écrits avec les justes. » Que peux-tu répondre à cela, peuple juif ? Laissons Mathieu et Paul ; mais qu’opposeras-tu à la prophétie de David, ton oint du Seigneur, lui qui a prononcé la terrible sentence contre toi, et comme dit Job : Ερ`ω πρ`α υμας τω λιϰαὶω͵ ϰαι αψευδεὶ λεγοντας : Tu as acheté le Christ comme un vil esclave ; tu as couru sur lui comme sur un voleur pris en flagrant délit. Je pourrais encore rapporter la prophétie de Salomon, qui annonce clairement tout ce qui doit arriver par rapport aux Juifs, non-seulement pour ce qui regarde les faits déjà accomplis, mais encore ceux que l’avenir tient en réserve ; l’incrédulité des Juifs et leur cruauté envers le Christ y est clairement désignée[9] lorsqu’il dit : « Faisons tomber le juste dans nos piéges, parce qu’il nous est incommode, qu’il est contraire à notre manière de vie, qu’il nous reproche les violements de la loi, et qu’il nous déshonore en décriant les fautes de notre conduite. Il assure qu’il a la science de Dieu, et il s’appelle le Fils de Dieu. » Et plus loin, il dit[10] : « Sa vue seule nous est insupportable, parce que sa vie n’est point semblable à celles des autres ; et qu’il suit une conduite toute différente ; il nous considère comme des gens qui ne s’occupent que de bagatelles ; il s’abstient de notre manière de vivre comme d’une chose impure ; il préfère ce que les justes attendent à leur mort. » Et remarque encore ceci, fils de la Judée, c’est qu’aucun juste ni aucun prophète ne s’est appelé Fils de Dieu. Voici encore ce que Salomon met dans la bouche des Juifs au sujet du Christ : « Il a découvert nos plus secrètes pensées, et il se glorifie d’avoir Dieu pour Père. Voyons donc si ce qu’il dit est vrai, et attendons quelle sera sa fin ; car s’il est vraiment le Fils de Dieu, Dieu le protégera et le délivrera des mains de ses ennemis. Condamnons-le à une mort ignominieuse, et nous verrons si ses actions répondent à ses discours. » Enfin, David s’exprime ainsi au sujet du dernier événement : « Le Christ leur parlera alors dans sa colère ; il les remplira de trouble dans sa fureur[11]. » Et Salomon, au sujet des Juifs et du Christ, et de l’admirable patience que celui-ci montrera en face de ses ennemis, qui ont été sourds à ses plaintes, s’écrie[12] : « Les méchants, à cette vue, seront saisis d’une horrible frayeur ; ils diront en eux-mêmes, étant touchés de regret, et jetant des soupirs dans le secret de leurs cœurs : Ce sont-là ceux qui ont été autrefois l’objet de nos railleries, et que nous donnions pour exemples des gens dignes de toutes sortes d’opprobres. Insensés que nous étions ! Leur vie nous paraissait une folie, et leur mort honteuse. Cependant les voilà élevés au rang des enfants de Dieu, et ils partagent le bonheur des saints. Nous nous sommes donc égarés de la voie de la vérité ; la lumière de la justice n’a point lui pour nous, et le soleil de l’intelligence ne s’est point levé sur nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l’iniquité et de la perdition ; nous avons marché dans des chemins âpres, et nous avons ignoré la voie du Seigneur. De quoi nous a servi notre orgueil ? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre. »


(Il manque ici quelques phrases dans l’original.)
  1. Traduit d’après la version de F. Turrianus.
  2. Psalm. lxviii, 1.
  3. Phil. ii, 7.
  4. Psalm. lxx, 20.
  5. Id. lxviii, 20.
  6. Id. lxviii, 22.
  7. Joan. xiv, 6.
  8. Marc, xiv, 63.
  9. Sap. ii, 1-12 et suiv.
  10. Id. 15.
  11. Ps. ii, 5.
  12. Sap. v, 3.