Les Pêches du Challenger/02

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LES PÈCHES DU CHALLENGER
LE HYALONEMA TOXERES.

(Suite. — Voy. premier article.)

En 1835, Siebold rapporta du Japon un zoophyte étrange composé de deux parties qui semblaient distinctes l’une de l’autre : une tige siliceuse transparente, et des spicules qui paraissaient incrustées dans un tissu spongieux. M. Gray, chargé de l’examen de ce produit énigmatique des mers mystérieuses, au milieu desquelles surgit cet archipel, déclara que le célèbre explorateur avait découvert une éponge sur laquelle un polype parasite s’était incrusté. Quelque paradoxale que fût cette opinion, elle prévalut jusqu’en 1867, époque d’une polémique très-ardente entre M. Gray et M. Bowerbank, écrivant tous deux dans les Annales de la Société zoologique de Londres, où M. Gray avait publié son premier mémoire sur l’Hyalonema, de Siebold.

M. Bowerbank prouva très-bien, à la suite de longues analyses microscopiques, que les spicules, au lieu d’être introduites après coup dans le tissu spongieux, par un être hostile, sont des organes protecteurs. Ces épines, bizarrement implantées, font partie essentielle de l’éponge qu’elles sont destinées à défendre contre l’avidité des animaux qui peuplent les mers. La discussion qui s’éleva entre MM. Gray et Bowerbank éclata à propos d’un Hyalonema Lusitanicum, découvert dans la baie de Lisbonne, et dont M. Gray refusait de faire une espèce distincte.

Hyalomena toxeres (partie supérieure en haut, partie inférieure en bas). — Grandeur naturelle.

Le Hyalonema toxeres trouvé par M. Wyville Thompson, ressemble également à l’une et à l’autre de ces espèces, qui offrent, comme il est facile de le comprendre, tant de rapports. En effet, on ne peut nettement séparer les éponges les unes des autres, puisqu’il y a quelque chose d’arbitraire dans le groupement des cellules, et dans la forme générale elle-même, ces êtres bizarres n’ayant point une figure aussi nettement définie que celle d’un arbre ou d’une fleur. Ce Hyalonema a été découvert dans le même fond que la Salenica Varispina.

L’expansion réniforme que nous avons représentée a environ 7 à 8 centimètres de diamètre. La face supérieure est légèrement concave, et elle possède un assez grand nombre d’ouvertures osculaires qui ne paraissent pas avoir été distribuées régulièrement.

Il en est de même des pores de la face inférieure, où cependant l’irrégularité paraît moindre. On peut même reconnaître deux espèces de pores remplissant des fonctions tout à fait distinctes. Il semble que les uns servent d’organes d’absorption et les autres, au contraire, d’orifice d’expulsion, de sorte que l’eau est animée dans l’intérieur d’un mouvement plus ou moins rapide de va-et-vient. Ce double courant est, comme on le sait, indispensable à la vie de l’éponge.

On voit très-bien, dans le dessin de la partie inférieure, le point d’attache du câble de verre, c’est-à-dire des filaments transparents, en silice, qui retenaient l’éponge au fond de la mer, mais ce curieux organe a été brisé très-près de la tête, et le Challenger n’a ramené que le fragment, mal-heureusement très-court, qui adhérait au tissu spongieux.

Comment la silice est-elle absorbée et élaborée de manière à produire une construction aussi singulière ? c’est un mystère que la découverte de l’Hyalonema toxeres ne peut permettre de résoudre. Cependant il n’est point sans intérêt de savoir que cette élaboration si curieuse peut avoir lieu à 1 200 mètres au-dessous de la surface des mers.

L’épaisseur de l’expansion membraneuse qui termine la tige transparente de notre Hyalonema toxeres, n’a point un centimètre d’épaisseur.

Cette masse fibreuse est traversée dans tous les sens par des lignes d’une substance plus résistante qui se réunissent et finissent par former le câble de verre. Elle est bordée, dans tous les sens, par une série de cils vibratiles. Ces Hyalonema abondent dans les régions sous-marines voisines de Saint-Thomas, car la drague a saisi plusieurs fragments avant d’amener le spécimen complet qui a permis à M. Wyville Thompson de décrire l’espèce qu’il a cru devoir former. Il n’est point inopportun de rappeler que la transparence du câble de verre est parfaite dans toutes les espèces d’Hyalonema ; c’est même à cette circonstance que ce genre doit son nom, qui en grec veut dire filaments transparents. Ces appendices merveilleux sont des objets si gracieux, que les Japonais en surmontent l’extrémité de faisceaux de papier doré ou d’étoffes brillantes, et en font des espèces d’aigrettes. Depuis que le Japon est ouvert, les pêcheurs mettent à part les plus beaux spécimens pour les vendre aux collectionneurs d’objets d’histoire naturelle.

La suite prochainement. —