Les Papiers posthumes du Pickwick Club/Tome I/XXIII.

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Traduction par Pierre Grollier.
Hachette (Tome 1p. 326-334).

CHAPITRE XXIII.

Dans le quel Samuel Weller s’occupe énergiquement de prendre sa revanche de M. Trotter.

À une heure un peu plus avancée de cette même matinée dont le commencement avait été signalé par l’aventure de M. Pickwick avec la dame aux papillotes jaunes, dans la petite chambre située auprès des écuries, M. Weller aîné faisait les préparatifs de son retour à Londres. Il était parfaitement posé pour se faire peindre, et, profitant de l’occasion, nous allons esquisser son portrait.

Son profil avait pu présenter dans sa jeunesse des lignes hardies et fortement accentuées, mais grâce à la bonne chère, grâce à un caractère qui se pliait aux circonstances avec une extrême facilité, les courbes charnues de ses joues s’étaient étendues bien au-delà des limites qui leur avaient été originairement assignées par la nature ; si bien qu’à moins de le regarder en face, il était difficile de distinguer dans son visage autre chose que le bout d’un nez rubicond. La même cause avait fait acquérir à son menton la forme grave et imposante que l’on décrit communément, en faisant précéder de l’épithète double le nom de ce trait expressif de la physionomie humaine. Enfin, son teint présentait cette combinaison de couleurs qui ne se rencontrent guère que chez les gentlemen de sa profession, ou sur un filet de bœuf mal rôti. Autour de son cou il portait un châle de voyage écarlate, qui s’adaptait si parfaitement à son menton qu’il était difficile de distinguer les plis de l’un d’avec les plis de l’autre ; par-dessus ce châle il mit un long gilet d’une grosse étoffe rouge à larges raies roses, et par-dessus ce gilet un immense habit vert, orné de gros boutons de cuivre ; et parmi ces boutons ceux qui garnissaient la taille étaient si éloignés l’un de l’autre, que nul mortel ne les avait jamais vus tous les deux à la fois. Les cheveux de M. Weller étaient courts, lisses, noirs, et s’apercevaient à peine sous les bords gigantesques d’un chapeau brun à forme basse. Ses jambes étaient encaissées dans une culotte de velours à côtes et dans des bottes à revers ; enfin, une grande chaîne de cuivre, terminée par une clef et un cachet du même métal, se dandinait gracieusement à sa vaste ceinture.

Nous avons dit que M. Weller faisait les préparatifs de son retour à Londres. Pour être plus explicite, il s’occupait de la question des vivres. Sur la table, devant lui, se trouvait un pot d’ale, un plat de bœuf froid et un pain d’une dimension fort respectable, à chacun desquels il distribuait tour à tour ses faveurs, avec la plus rigide impartialité. Il venait de couper une bonne tranche de pain lorsqu’un bruit de pas dans la chambre lui fit lever les yeux. L’espoir de sa vieillesse était devant lui.

« ’Jour ! Sammy, » dit le père.

Le fils s’approcha du pot d’ale et prit, en guise de réponse, une longue gorgée de liquide.

« Tu aspires les liquides avec facilité, Sammy, dit M. Weller en regardant l’intérieur du pot, lorsque son premier-né l’eut reposé, à moitié vide, sur la table ; tu aurais fait une fameuse sangsure si tu étais né dans cette profession-là, Sammy.

— Oui, je me figure que ce talent-là m’aurait permis de vivre à mon aise, répliqua Sam en s’attaquant au bœuf froid avec une vigueur considérable.

— Je suis très-vexé, Sammy, reprit M. Weller en décrivant de petits cercles avec le pot pour secouer son ale avant de la boire, je suis très-vexé, Sammy, de voir que tu t’es laissé enfoncer par cet homme violet. J’avais toujours pensé, jusqu’à l’autre jour, que les mots de Weller et enfoncé ne viendraient jamais en contract, Sammy… Jamais.

— Excepté, sans doute, le cas où il serait question d’une veuve, reprit Sam.

— Les veuves, Sammy, répliqua M. Weller en changeant un peu de couleur, les veuves sont des exceptions à toutes les règles. J’ai entendu dire combien une veuve vaut de femmes ordinaires, pour vous mettre dedans. Je crois que c’est 25, Sammy ; mais ça pourrait bien être davantage.

— Eh mais, c’est déjà assez gentil.

— D’ailleurs, poursuivit M. Weller, sans faire attention à l’interruption, c’est ben différent. Tu sais ce que disait l’avocat de ce gen’lm’n qui battait sa femme à coups de pincettes quand il était en ribotte. « Après tout, m’sieu le président, qu’i’dit, « c’n est qu’une aimable faiblesse. » J’en dis autant par rapport aux veuves, Sammy ; et tu en diras autant quand tu auras mon âge.

— Je sais bien, confessa Sam, je sais bien que j’aurais dû en savoir plus long.

— En savoir plus long ! répéta M. Weller, en frappant la table avec son poing ; en savoir plus long ! Mais je connais un jeune moutard, qui n’a pas eu le quart de ton inducation, qui n’a pas seulement fréquenté les marchés pendant… non pas six mois, et qui aurait rougi de se laisser enfoncer comme ça, rougi jusqu’au blanc des yeux, Sammy ! » L’angoisse que réveilla cette amère réflexion obligea M. Weller à tirer la sonnette et à demander une nouvelle pinte d’ale.

« Allons ! à quoi bon parler de ça maintenant, fit observer Sam. Ce qui est fait est fait, il n’y a plus de remède, et cette pensée doit nous consoler, comme disent les Turcs, quand ils ont coupé la tête d’un individu par erreur. Mais chacun son tour, gouverneur, et si je rattrape ce Trotter, il aura affaire à moi.

— Je l’espère, Sammy, je l’espère, répondit gravement M. Weller. À ta santé, Sammy, et puisses-tu effacer bientôt la tache dont tu as soulié notre nom de famille. » En l’honneur de ce toast, le corpulent cocher absorba, d’un seul trait, les deux tiers au moins de la pinte nouvellement arrivée : puis il tendit le reste à son fils, qui en disposa instantanément.

« Et maintenant, Sammy, reprit M. Weller en consultant l’énorme montre d’argent que soutenait sa chaîne de cuivre ; maintenant il est temps que j’aille au bureau pour prendre ma feuille de route et pour faire charger la voiture ; car les voitures, Sammy, c’est comme les canons, i’ faut les charger avec beaucoup de soin avant qu’i’ partent. »

Sam Weller accueillit avec un sourire filial ce bon mot paternel et professionnel. Son respectable père continua d’un ton grave et ému : « Je vas te quitter, Sammy, mon garçon, et on ne sait pas quand est-ce que nous nous reverrons. Ta belle-mère peut avoir fait mon affaire, il peut arriver un tas d’accidents avant que tu reçoives de nouvelles nouvelles du célèbre monsieur Weller de la Belle Sauvage. L’honneur de la famille est dans tes mains, Samivel, et j’espère que tu feras ton devoir. Quant au reste, je sais que je peux me fier à toi comme à moi-même. Aussi je n’ai qu’un petit conseil à te donner. Si tu dépasses la cinquantaine et que l’idée te vienne d’épouser quelqu’un, n’importe qui, vite enferme-toi dans ta chambre, si tu en as une, et empoisonne-toi sur-le-champ. C’est commun de se pendre ; ainsi pas de ces bêtises-là. Empoisonne-toi, Sammy, mon garçon, empoisonne-toi et plus tard tu seras bien aise de m’avoir écouté. »

M. Weller regardait fixement son fils en prononçant ces touchantes paroles. Lorsqu’il eut terminé il tourna lentement sur le talon et disparut.

Les derniers conseils de son père ayant éveillé dans l’esprit de M. Samuel Weller mille idées contemplatives et lugubres, il sortit de l’auberge du Cheval blanc dès que le vieil automédon l’eut quitté, et dirigea ses pas vers l’église de Saint-Clément, essayant de dissiper sa mélancolie en se promenant dans les antiques dépendances de cet édifice. Il y avait déjà quelque temps qu’il flânait dans les environs, quand il se trouva dans un endroit solitaire, une espèce de cour, d’un aspect vénérable, et qui n’avait pas d’autre issue que le passage par lequel il était entré. Il allait donc retourner sur ses pas, lorsqu’il fut pétrifié sur place par une apparition que nous allons décrire ci-dessous.

M. Samuel Weller, était occupé à contempler les vieilles maisons de brique rouge, et malgré son abstraction profonde, lançait de temps en temps une œillade assassine aux fraîches servantes qui ouvraient une fenêtre ou levaient une jalousie, lorsque la porte verte d’un jardin, au fond de la cour, s’ouvrit tout à coup. Un homme en sortit, qui referma soigneusement, après lui, ladite porte et s’avança d’un pas rapide vers l’endroit où se trouvait Sam.

Or, si l’on prend ce fait isolément, et sans s’occuper des circonstances concomitantes, il n’a rien de fort extraordinaire, car, dans beaucoup de parties du monde, un homme peut sortir d’un jardin et fermer derrière lui une porte verte, il peut même s’éloigner d’un pas rapide, sans attirer pour cela l’attention publique. Il est donc clair qu’il devait y avoir, pour éveiller l’intérêt de Sam, quelque chose de particulier dans le costume de l’homme, ou dans l’homme lui-même, ou dans l’un et dans l’autre. C’est ce que le lecteur pourra facilement conclure, lorsque nous lui aurons décrit avec précision la conduite de l’individu dont il s’agit.

Il avait donc fermé derrière lui la porte verte, il s’avançait dans la cour d’un pas rapide, comme nous l’avons déjà dit deux fois ; mais il n’eut pas plus tôt aperçu M. Weller qu’il hésita, s’arrêta et parut ne pas trop savoir quel parti prendre. Cependant, comme la porte verte était fermée derrière lui, et comme il n’y avait pas d’autre issue que celle qui était devant lui, il ne fut pas longtemps à remarquer que, pour sortir de là, il fallait nécessairement passer devant M. Samuel Weller. Il reprit donc son pas délibéré et s’avança en regardant droit devant lui. Ce qu’il y avait de plus extraordinaire dans cet homme, c’est la façon hideuse dont il contournait ses traits, faisant les grimaces les plus étonnantes et les plus effroyables qu’on ait jamais vues. Jamais l’œuvre de la nature n’avait été déguisée plus artistement que ne le fut en un instant le visage en question.

« Parole d’honneur, se dit Sam à lui-même, en voyant approcher le quidam, voilà qui est drôle ! j’aurais juré que c’était lui ! »

L’homme avançait toujours, et à mesure qu’il s’approchait, sa figure devenait de plus en plus bouleversée.

« Je pourrais prêter serment, quant à ces cheveux noirs et à cet habit violet ; mais c’est bien sûr la première fois que je vois cette boule-là. »

Pendant ce soliloque, la physionomie de l’étranger avait pris un aspect surnaturel et parfaitement hideux. Cependant il fut obligé de passer très-près de Sam, et un regard scrutateur de celui-ci lui permit de découvrir, sous ce masque de contorsions effrayantes, quelque chose qui ressemblait trop aux petits yeux de M. Job Trotter pour qu’il fût possible de s’y tromper.

« Ohé ! monsieur ! » cria Sam d’une voix irritée.

L’étranger s’arrêta.

« Ohé ! » répéta Sam d’une voix encore plus féroce.

L’homme à l’horrible visage regarda avec la plus grande surprise au fond de la cour, à l’entrée de la cour, aux fenêtres de chaque maison, partout enfin, excepté du côté de Sam Weller ; puis il fit un autre pas en avant, mais il fut arrêté par un nouveau hurlement de Sam :

« Ohé ! monsieur ! »

Il n’y avait plus moyen de prétendre méconnaître d’où venait la voix, et l’étranger, n’ayant pas d’autre ressource, regarda Sam en face.

« Ça ne prend pas, Job Trotter, dit celui-ci. Allons ! allons ! pas de bêtises. Vous n’êtes pas assez beau naturellement pour vous permettre de vous gâter comme ça la physionomie. Remettez-moi vos petits yeux à leur place, ou bien je les enfoncerai dans votre tête. M’entendez-vous ! »

Comme M. Weller paraissait disposé à agir suivant la lettre et l’esprit de ce discours, M. Trotter permit peu à peu à son visage de reprendre son expression habituelle, et tout à coup, tressaillant de joie, il s’écria :

« Que vois-je ? monsieur Walker !

— Ha ! reprit Sam, vous êtes bien content de me rencontrer, n’est-ce pas ?

— Content ! s’écria Job Trotter enchanté ! Oh ! monsieur Walker, si vous saviez combien j’ai désiré cette rencontre ! Mais c’en est trop pour ma sensibilité, monsieur Walker ; je ne puis pas contenir ma joie ; en vérité je ne le puis pas ! »

En sanglotant ces paroles, M. Trotter répandit un véritable déluge de pleurs, et, jetant ses bras autour de ceux de Sam, il l’embrassa étroitement, avec un transport d’affection.

« À bas les pattes ! lui cria Sam, grandement indigné de cette conduite, et s’efforçant inutilement de se soustraire aux embrassements de son enthousiaste connaissance. À bas les pattes ! vous dis-je. Pourquoi me pleurez-vous comme ça sur le dos, pompe à incendie ?

— Parce que je suis si content de vous voir, répliqua Job Trotter, en relâchant Sam, à mesure que les symptômes de son courroux diminuaient. Ah ! monsieur Walker, c’en est trop !

— Trop ? Je le crois bien ! Voyons, qu’avez-vous à me dire, eh ? »

M. Trotter ne fit pas de réplique, car le petit mouchoir rouge était en pleine activité.

« Qu’avez-vous à me dire avant que je vous casse la tête ? répéta Sam d’une manière menaçante.

— Hein ? fit M. Trotter d’un ton de vertueuse surprise.

— Qu’est-ce que vous avez à me dire ?

— Mais, monsieur Walker !…

— Ne m’appelez pas Walker ; je me nomme Weller, vous le savez bien. Qu’est-ce que vous avez à me dire ?

— Dieu vous bénisse, monsieur Walker,… je veux dire Weller… Bien des choses, si vous voulez venir quelque part où nous puissions parler à notre aise. Si vous saviez comme je vous ai cherché, monsieur Weller !

— Très-soigneusement je suppose, reprit Sam, sèchement.

— Oh ! oui, monsieur, en vérité ! affirma M. Trotter sans qu’on vît remuer un muscle de sa physionomie. Donnez-moi une poignée de main, M. Weller. »

Sam considéra pendant quelques secondes son compagnon, et ensuite, comme poussé par un soudain mouvement, il lui tendit la main.

« Comment va votre bon cher maître, demanda Job à Sam, tout en cheminant avec lui. Oh ! c’est un digne gentleman, monsieur Weller. J’espère qu’il n’a pas attrapé de fraîcheurs dans cette épouvantable nuit. »

Une expression momentanée de malice étincela dans l’œil de Job, pendant qu’il prononçait ces paroles. Sam s’en aperçut, et ressentit dans son poing fermé une violente démangeaison, mais il se contint et répondit simplement que son maître se portait très-bien.

« Oh ! que j’en suis content. Est-il ici ?

— Et le vôtre y est-il ?

— Hélas ! oui, il est ici. Et ce qui me peine à dire, monsieur Weller, c’est qu’il s’y conduit plus mal que jamais.

— Ah ! ah !

— Oh ! ça fait frémir ! c’est terrible !

— Dans une pension de demoiselles ?

— Non ! non ! pas dans une pension, répliqua Job avec le même regard malicieux que Sam avait déjà remarqué, pas dans une pension.

— Dans la maison avec une porte verte ? demanda Sam en regardant attentivement son compagnon.

— Non ! non ! oh ! non pas là ! répondit Job avec une vivacité qui ne lui était pas habituelle. Pas là !

— Que faisiez-vous là vous-même ? reprit Sam avec un regard perçant. Vous y êtes entré par accident, peut-être ?

— Voyez-vous, monsieur Weller, je ne regarde pas à vous dire mes petits secrets, parce que, comme vous savez, nous avons eu tant de goût l’un pour l’autre la première fois que nous nous sommes rencontrés. Vous vous rappelez la charmante matinée que nous avons passée ensemble.

— Eh ! oui, répliqua Sam, je m’en souviens. Eh bien !

— Eh bien ! poursuivit Job avec grande précision et du ton peu élevé d’un homme qui communique un secret important. Dans cette maison à la porte verte, monsieur Weller, il y a beaucoup de domestiques.

— Je m’en doute bien, interrompit Sam.

— Oui, et il y a une cuisinière qui a épargné quelque chose, monsieur Weller, et qui désire ouvrir une petite boutique d’épicerie, voyez-vous.

— Oui dà ?

— Oui, monsieur Weller, hé bien ! monsieur, je l’ai rencontrée à une petite chapelle où je vais. Une bien jolie petite chapelle de cette ville, monsieur Weller, où on chante ce recueil d’hymnes que je porte habituellement sur moi et que vous avez peut-être vu entre mes mains, et j’ai fait connaissance avec elle, monsieur Weller ; et puis il s’est établi une petite intimité, et je puis me hasarder à dire que je compte devenir l’épicier.

— Ah ! et vous ferez un très-aimable épicier, répliqua Sam en examinant de côté M. Trotter avec un profond dégoût.

— Le grand avantage de ceci, monsieur Weller, continua Job, dont les yeux se remplissaient de larmes ; le grand avantage de ceci c’est que je pourrai quitter le service déshonorant de ce méchant homme, et me dévouer tout entier à une vie meilleure et plus vertueuse. Une vie plus conforme à la manière dont j’ai été élevé, monsieur Weller.

— Vous devez avoir été joliment éduqué, hein ?

— Oh ! avec un soin ! avec un soin incroyable, monsieur Weller ! et en se rappelant la pureté de son enfance, M. Trotter tira de nouveau le mouchoir rose et pleura copieusement.

— Qu’on devait être heureux d’aller à l’école avec un enfant aussi pieux que vous !

— Je crois bien, monsieur, répliqua Job en poussant un profond soupir. J’étais l’idole de l’école.

— Ah ! ça ne m’étonne pas. Quelle consolation vous deviez être pour votre bénite mère ! »

En entendant ces mots Job inséra un bout du mouchoir rose dans le coin de chacun de ses yeux, et recommença à fondre en larmes.

« Qu’est-ce qu’il a maintenant, s’écria Sam, rempli d’indignation. La pompe à feu n’est rien auprès de lui. Qu’est-ce qui vous fait fondre en eau maintenant ? La conscience de votre coquinerie, pas vrai ?

— Je ne puis pas modérer ma sensibilité, monsieur Weller reprit Job après une courte pause. Quand je songe que mon maître a soupçonné la conversation que j’avais eue avec le vôtre, et qu’il m’a emmené en chaise de poste, après avoir engagé la jeune lady à dire qu’elle ne le connaissait pas et après avoir gagné la maîtresse de pension ! Ah ! monsieur Weller, cela me fait frissonner !

— Ah ! c’est comme ça que la chose s’est passée, hein ?

— Sans doute, répliqua Job. »

Tout en parlant ainsi les deux amis étaient arrivés près de l’hôtel. Sam dit alors à son compagnon : « Si ça ne vous dérangeait pas trop, Job, je voudrais bien vous voir au Grand Cheval blanc, ce soir, vers les huit heures.

— Je n’y manquerai pas.

— Et vous ferez bien, reprit Sam avec un regard expressif. Autrement je pourrais aller demander de vos nouvelles de l’autre côté de la porte verte ; et alors ça pourrait vous nuire, vous voyez.

— Je viendrai, sans faute, répéta Job, et il s’éloigna après avoir donné à Sam une chaleureuse poignée de main.

— Prends garde, Job Trotter, prends garde à toi, dit Sam en le regardant partir ; car je pourrais bien t’enfoncer, cette fois. » Ayant terminé ce monologue et suivi Job des yeux jusqu’au détour de la rue, Sam rentra et monta à la chambre de son maître.

« Tout est en train, monsieur, lui dit-il.

— Qu’est-ce qui est en train, Sam ?…

— Je les ai trouvés, monsieur.

— Trouvé qui ?

— Votre bonne pratique, et le pleurnichard aux cheveux noirs.

— Impossible ! s’écria M. Pickwick avec la plus grande énergie. Où sont-ils, Sam ! où sont-ils ?

— Chut ! chut ! » répéta le fidèle valet, et tout en aidant son maître à s’habiller, il lui détailla le plan de campagne qu’il avait dressé.

« Mais quand cela se fera-t-il, Sam ?

— Au bon moment, monsieur, au bon moment. »

Le lecteur apprendra dans le subséquent chapitre, si cela fut fait au bon moment.