Les Pardaillan/XLVIII

La bibliothèque libre.
Livre I
XLVIII. Un épisode homérique
◄   XLVII XLIX   ►


Le vieux Pardaillan, comme on l’a vu, était arrivé à l’Auberge des deux morts qui parlent. Il y avait été accueilli à bras ouverts par la digne hôtesse, dame Catho. Le routier, d’un coup d’œil, inspecta le cabaret, avec ses pots d’étain et ses plats de cuivre accrochés un peu partout selon la place, aux murs ou aux solives du plafond bas, ses tables luisantes à pieds massifs, ses escabeaux à dossiers sculptés, ses cruches de grès et ses gobelets. Par une porte ouverte, on voyait rutiler les cuivreries d’une cuisine et flamboyer son âtre à grands chenets tordus et à crémaillère noircie. Bref, l’auberge avait une mine de prospérité qui fendit la bouche de Pardaillan dans un large sourire de satisfaction.

— Catho, dit Pardaillan une fois son inspection terminée, tu mérites d’être félicitée. Ton auberge est admirable ; plût à Bacchus que j’en eusse toujours rencontré de pareilles !

— Grâce à vous, monsieur, fit Catho. Grâce à vos beaux écus. Mais je pense que celle-ci ne brûlera pas comme l’autre ?

— Regretterais-tu ton héroïque dévouement ?

— Nenni, monsieur. Lors même que je me fusse retrouvée après l’incendie sans un sou dans mon tablier, j’eusse été encore contente de vous avoir aidé à battre les philistins, … vous… et monsieur votre fils… On ne le verra pas, monsieur votre fils ?

— Si fait, ma bonne Catho. Seulement, je te préviens que tu te mettras inutilement en frais. Ce gaillard-là a fait la sottise de donner son cœur. Ainsi…

— Oh ! monsieur, croyez-vous donc qu’une pauvre fille comme moi… et puis, c’eût été bon dans le temps que j’étais belle… maintenant, hélas !…

Et la pauvre Catho, tirant un petit miroir de sa poche, examina avec un soupir de détresse son visage affreusement couturé par la petite vérole.

Pardaillan s’installa à une table, et comme il lui était impossible de demeurer inoccupé, il demanda à Catho de lui servir une petite omelette de cinq ou six œufs — pour attendre, dit-il. L’omelette, sautée dans la poêle sur une claire flamme, fut mangée avec le respect dû à l’une des plus artistiques opérations de Catho. Mais alors il se trouva que le vieux routier avait encore du temps à dépenser. Ce temps fut donc occupé par le dépeçage d’un poulet, qui disparut peu à peu. Après le poulet, et toujours pour tuer le temps, il y eut le massacre d’un pot de confiture. Tout cela n’alla pas sans l’absorption de deux ou trois bons flacons ; en sorte qu’après avoir attendu deux heures de la façon que nous venons d’expliquer, Pardaillan se sentit fort comme Samson, agile comme son propre fils, et que des pensées de bataille passèrent par son cerveau.

Il en résulta qu’entendant tout à coup des trompettes retentir au loin, il reboucla son épée, posa sa toque à plume noire sur le coin de son oreille gauche, et redressant sa moustache, s’en fut vers la rue Montmartre d’où venait le bruit des trompettes, après avoir prévenu Catho qu’il serait de retour dans peu de minutes pour retrouver son fils.

— Vous allez donc voir l’entrée du roi ? fit Catho.

— Ah ! ah ! c’est donc notre Charles que signalent ces trompettes guerrières ?

— Oui, monsieur. On dit que le roi sera accompagné de Madame de Navarre et son fils, ainsi que d’une foule de seigneurs huguenots qui se sont embrassés avec les gentilshommes catholiques.

— Bon ! Et moi qui voyais la guerre !… Enfin, allons toujours voir les beaux habits et les belles armes des gardes. Ce sera presque la guerre.

Ayant dit, Pardaillan remonta la rue Tiquetonne et ne tarda pas à déboucher rue Montmartre. Mais là, il fut pris dans un remous de peuple et porté, poussé contre la porte d’une maison.

— Un sol la chaise ! Qui veut voir et entendre ? On verra notre sire le roi, on verra Mme Catherine dans son carrosse d’or, on verra MM. de Guise sur leurs grands chevaux, on verra… un sol la chaise !…

Ainsi glapissait un gamin. Pardaillan lui donna quelques pièces de menue monnaie et se hissa sur la chaise, qui était placée contre la porte de la maison en question. Cette porte était solidement fermée. Et en levant les yeux, Pardaillan s’aperçut que les fenêtres de l’unique étage étaient closes également, à l’encontre des maisons voisines où toutes les fenêtres étaient garnies de têtes curieuses, où on ne voyait que des yeux grands ouverts, des cous tordus vers le haut de la rue et des bouches ouvertes pour crier :

— Vive le roi ! Vive le roi !

De son poste, Pardaillan dominait maintenant la foule et voyait s’approcher lentement le cortège royal, tandis que les cloches de toutes les églises de Paris sonnaient à toute volée, et que les couleuvrines du Louvre tonnaient. D’abord vint une compagnie des bourgeois du quartier, en armes. Ils s’avançaient en répétant :

— Le roi ! le roi ! Place pour notre roi !

Devant eux, la foule refluait à droite et à gauche, s’ouvrant comme la mer sous l’éperon d’un navire. Derrière eux marchaient une compagnie d’arquebusiers, en ordre magnifique, puis des pertuisaniers, et enfin apparaissaient les gardes du roi, conduits par Cosseins, et précédés d’un double rang de trompettes à cheval. Aussitôt après, dans un somptueux carrosse entièrement doré, surmonté d’une écrasante couronne, traîné par douze chevaux blancs caparaçonnés d’or dont chacun était tenu en main par un Suisse gigantesque, apparaissait la pâle figure de Charles IX.

Les faces du carrosse étaient disposées de telle sorte que tout le monde pût voir le roi. Il était vêtu de noir selon la coutume et considérait avec une sorte d’inquiétude ce peuple immense qui rugissait ses vivats.

Dans le même carrosse, sur la même banquette que Charles IX, assis à sa gauche, se trouvait Henri de Béarn qui, lui, multipliait les saluts, faisait des signes amicaux aux hommes, riait aux femmes, et enfin, parvenait à cacher à tous les yeux la peur qui sourdement le mordait aux entrailles.

— Vive le roi ! Vive le roi !

La clameur partait de la rue, descendait des fenêtres ; les bras s’agitaient ; les toques sautaient en l’air.

Derrière le carrosse royal, venait une lourde machine non moins dorée dans laquelle avait pris place Catherine de Médicis. Près d’elle Jeanne d’Albret !… Catherine était radieuse. Elle ne cessait de saluer le peuple que pour sourire à Jeanne d’Albret. Ah ! ce sourire enveloppant, cette caresse monstrueuse de l’araignée qui emporte sa victime. Parfois, un éclair de joie sauvage éblouissait le visage de la vieille reine ; alors elle pressait les mains de Jeanne et les serrait nerveusement, comme si elle eût redouté qu’elle allait encore lui échapper, ou plutôt pour s’assurer qu’elle la tenait enfin !

Jeanne d’Albret, muette, impassible, songeait à son fils. Quoi qu’il dût advenir, elle croyait affermir pour longtemps le trône et le bonheur d’Henri en acceptant son mariage avec Marguerite de France ! Vaguement elle pressentait que de terribles dangers la menaçaient. Mais forte, inébranlable dans ses résolutions, elle gardait un masque d’une sérénité un peu froide et hautaine. Autour d’elle, la foule acclamait furieusement Catherine de Médicis !

— Vive la reine de la Messe ! cria quelqu’un.

Le mot fut aussitôt adopté et retentit avec des accents de sourde menace.

Cependant le cortège avançait. Derrière les deux voitures royales, le duc d’Anjou à cheval : à sa droite, Coligny, calme et froid, caressant d’une main sa barbe blanche ; à sa gauche, le duc d’Alençon ; puis le duc de Guise qui exultait, faisait caracoler son destrier et recevait avec des sourires radieux sa part des acclamations. Puis les voitures des dames d’honneur ; puis une foule de seigneurs et de princes, le duc de Nevers, le duc d’Aumale, le duc de Damville, M. de Gondi, M. de Mayenne, M. de Montpensier, M. de Rohan, M. de la Rochefoucauld, seigneurs catholiques et huguenots confondus, mêlés, chacun avec sa petite escorte de gentilshommes fringants, des prêtres, des évêques à cheval, des moines en théorie, des soldats, des fantassins, des cavaliers ; c’était un rêve étrange, une cohue fantastique, une mise en scène somptueuse, éclatante que paraissaient régler les fanfares de trompettes…

Perché sur sa chaise, Pardaillan assistait à cette féerie avec un sourire goguenard.

— Voilà les huguenots dans la place, grommelait-il. Mais ce n’est pas le tout que d’entrer. Comment vont-ils sortir ?

Le vieux renard flairait en effet quelque tour de Catherine dans toute cette démonstration. Cependant, le spectacle l’amusait, le passionnait presque, en bon badaud parisien qu’il était. Et les rasades de Catho aidant, il en arrivait à oublier qu’il y avait pour lui un intérêt vital à ne pas être vu. Tout à coup, son regard qui errait à l’aventure, sollicité par les mille détails du spectacle, se croisa avec un regard flamboyant, auquel il s’accrocha pour ainsi dire.

— Le maréchal de Damville ! gronda le routier avec, un juron.

En même temps, il saluait de son plus gracieux sourire et de son plus beau geste. Damville, d’une violente secousse, avait arrêté son cheval et demeurait pétrifié, les yeux rivés sur ce Pardaillan, qu’il croyait mort au fond des caves de son hôtel, dont il avait donné l’ordre de jeter le cadavre à la Seine et qui lui apparaissait, très vivant, tout hérissé d’ironie.

« Oh ! oh ! songeait à ce moment le vieux routier, la fête est complète ! Tous mes assassins me regardent ! Tiens-toi bien, Pardaillan ! »

Il redoubla les sourires et les saluts. En effet, près de Damville, trois ou quatre cavaliers s’étaient également arrêtés.

— L’homme que nous avons grillé dans le cabaret ! s’écria l’un.

— Celui qui est mort avec le chevalier de Pardaillan ! fit un autre.

— Mort, grillé, incendié, réduit en cendres, le revoilà en chair et en os !

Ces cavaliers, qui étaient de la suite du duc d’Anjou, c’étaient Quélus, Maugiron, Saint-Mégrin et Maurevert… Ils considéraient avec une stupéfaction hébétée l’homme qu’eux aussi pouvaient à bon droit croire trépassé.

Cependant Pardaillan, que tous ces regards convergés vers lui ne troublaient aucunement, commençait à se dire que la rencontre pourrait bien fort mal tourner pour lui. En conséquence, il essaya de descendre de sa chaise afin de se faufiler dans la foule et de disparaître.

— Messieurs, dit-il, vous êtes trop à me regarder. Vous finiriez par me faire rougir de cet excès d’honneur.

Malheureusement, la foule était si tassée, si compacte autour de lui, que force lui fut de demeurer immobile sur son piédestal. Tout cela n’avait d’ailleurs duré que quelques instants.

Au moment où Pardaillan cherchait inutilement à descendre de sa chaise, le duc d’Anjou s’étant retourné, s’aperçut que plusieurs de ses gentilshommes s’étaient arrêtés. Il appela Quélus, son favori, qui s’approchant de lui, se mit à lui parler vivement. Le duc d’Anjou, fit alors un signe au capitaine de ses gardes. Puis tout ce monde, entraîné par la marche du cortège, continua à s’avancer. Mais si vite que se fussent accomplis ces différents mouvements, ils n’avaient pu échapper à l’œil perçant du vieux routier.

— Les choses se gâtent ! dit-il à haute voix, à là grande surprise de ses voisins immédiats.

Il faut noter, en effet, que Pardaillan n’était pas le seul perché sur une chaise. Près de lui, à sa gauche, il y avait une table qui supportait sept ou huit curieux. À sa droite, une sorte de tréteau était couvert par une dizaine de personnes. Il y avait aussi des chaises en quantité. Pardaillan prit le seul parti qui lui restait à prendre : il fit basculer sa chaise qui tomba ; l’instant d’après, il se trouva sur la chaussée au milieu de gens qui hurlaient, furieux. L’aspect martial de Pardaillan leur imposa silence.

Mais ce n’était pas tout :

— Il fallait, coûte que coûte, sortir de cette foule et disparaître au plus tôt. Car Pardaillan ne doutait nullement que les mots prononcés par le duc d’Anjou à l’oreille de son capitaine des gardes n’eussent trait à sa modeste personne, autre excès d’honneur dont il se fût passé. Il commença donc à jouer des coudes.

À ce moment, au lieu de s’ouvrir devant lui, la foule reflua violemment et, pour ne pas être entraîné, Pardaillan s’accrocha au marteau de la porte devant laquelle sa chaise était placée. Que se passait-il ?

On eût dit qu’une partie du cortège royal faisait demi-tour, revenant sur ses pas. Une vingtaine de cavaliers, au grand trot, accouraient sans s’inquiéter des cris de terreur des femmes et des blasphèmes des bourgeois. Il y eut une fuite éperdue, un reflux désordonné des vagues populaires.

Et Pardaillan, accroché à son marteau, vit couler le flot sans comprendre les causes de cette fuite. Enfin, il se vit seul, tout seul contre cette porte. Alors, il lâcha le marteau et se retourna. Or, dans le mouvement brusque qu’il exécuta à cet instant, le marteau frappa sur son clou arrondi. Le coup résonna sourdement dans l’intérieur de la maison.

Pardaillan se retourna donc, et demeura tout ébaubi : il se trouvait seul dans un grand demi-cercle dont la corde était formée par les maisons de la rue et dont la ligne de circonférence était formée par des cavaliers sur un rang. Le cavalier qui se trouvait au milieu de cette ligne était grand, superbe, noir de barbe, avec des yeux durs ; il portait un costume d’une sévère magnificence. C’était Henri de Montmorency, duc de Damville, maréchal des armées du roi.

Près de lui, un homme au sourire mauvais couvait Pardaillan d’un regard mortel. C’était Orthès, vicomte d’Aspremont, qui était monté à cheval pour aller au-devant de son maître et avait pris place dans le cortège. À l’aile droite de la courbe, se trouvaient Maurevert et Saint-Megrin. À l’aile gauche, Quélus et Maugiron. Les intervalles étaient remplis par des cavaliers qui avaient suivi les mignons sur l’ordre du duc d’Anjou.

Pardaillan se redressa. Son long corps maigre et sec parut s’allonger encore. Ses yeux se plissèrent et firent lentement le tour de cette assemblée. Les talons joints comme à la parade, les jambes raides, le poing gauche sur la hanche, il se découvrit de la main droite, traça un large salut de sa toque dont la plume noire parut vouloir balayer tout ce monde, puis il remit sa toque sur sa tête, l’assura sur le coin de l’oreille d’un coup de poing, et d’une voix de fanfare, il dit :

— Bonjour, messieurs les assassins !

Un murmure féroce parcourut le rang des cavaliers. Seul, Damville demeura froid et terrible. Mais l’un d’eux fit un geste, et tous se turent : c’était le capitaine des gardes du duc d’Anjou. Il dit :

— Monsieur de Pardaillan, votre épée !

— Allons donc ! claironna la voix de Pardaillan. Tu parles comme si tu étais Xerxès en personne. Je te répondrai comme si je m’appelais Léonidas, ni plus ni moins ! Tu veux mon épée : viens la prendre !

En même temps, il tira sa rapière en un de ces gestes flamboyants dont avait hérité son fils, la maintint un instant toute droite au-dessus de sa tête, puis, en appuyant la pointe sur le bout de sa botte, il se pencha légèrement, appuyé des deux mains sur la garde en croix et se mit à rire d’un rire aigre et désespéré. Sa suprême pensée à ce moment était :

— Plutôt que d’aller pourrir au fond de quelque cachot d’où je ne sortirais que pour marcher à Montfaucon ou à la place de Grève, mourons ici et montrons à ces freluquets comme il faut savoir tomber avec élégance !

Maugiron prit la parole et dit :

— Monsieur est dur à cuire ! Il a une couenne qui résiste à la grillade, sans quoi il fût resté dans les cendres du cabaret de la Truanderie où nous l’avons enfumé, n’est-ce pas, messieurs ?

Il y eut un éclat de rire ; avant d’assommer l’animal, ils étaient décidés à s’en amuser. Pardaillan répondit :

— Si ma couenne fut dure à cuire, ta face de mignon fut facile à ébouillanter, si je ne me trompe ; un peu plus, je te faisais frire dans l’huile bouillante comme un gentil merlan ; tu y perdis quelques écailles.

Maugiron eut un geste de rage.

— Sus ! cria-t-il en poussant son cheval.

Mais un geste de Damville l’arrêta. Lui aussi voulait placer son mot.

— Eh messieurs ! ne voyez-vous pas que nous avons affaire à un âne revêtu de la peau du lion ? Sur ma parole, le truand a dévalisé quelque armoire de mon hôtel pour se vêtir décemment. :

— Ah ! monseigneur, trompetta Pardaillan, tu fais erreur, il me semble ! L’âne, c’est bien toi, et le lion, c’est moi. La preuve, et je te défie de la réfuter, la preuve, c’est que je voulus me ganter chez toi sans y réussir ; je ne trouvai que gants pour sabots aucun n’allait à ma griffe. Et pourtant, j’essayai tous les gants de ton étable, tous, te dis-je, jusqu’à celui qui est encore cloué à ta porte !…

— Misérable chien ! hurla Damville.

— Entendons-nous ! fit Pardaillan. Est-ce lion ? Est-ce chien ? Est-ce âne ?

— Je déchirerai ta carcasse à coups de lanière !

— Tiens ! Je croyais que ton arme, c’était l’épée. Pardon ! c’est la lanière, comme un valet !

— Monsieur ! votre épée ! gronda encore le capitaine d’Anjou. Au nom du roi, votre épée !

— Dans ton cœur ou ton ventre ! à ton choix ! grinça Pardaillan.

— Finissons-en ! dit Damville.

Cette scène avait duré beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour la lire. Il est à noter qu’à chacune de ces insultes qui se croisaient et cliquetaient comme des épées qui prennent l’engagement, le cercle entier avançait d’un pas nouveau et se resserrait autour de Pardaillan, toujours debout contre la porte. Au moment où le maréchal commanda d’en finir, les cavaliers avancèrent encore.

Ils avaient tous l’épée à la main.

Derrière ce cercle, à droite et à gauche, la rue était noire de monde ; une foule bruyante, agitée, nerveuse, dans le bruit lointain des fanfares, dans le grondement des cloches et des canons, cherchait à voir ce qui se passait ; aux fenêtres, des centaines de curieux se penchaient.

— Ils le prendront ! criait l’un.

— Mort ou vif ! dit une femme qui s’intéressait aux mignons.

— Noël pour la moustache grise ! glapit un gamin juché sur une corniche d’un premier étage.

Pardaillan salua le gamin d’un geste et d’un sourire.

— En avant ! gronda Henri de Montmorency.

— Un instant ! fit une voix fielleuse. Monsieur que voici est le père d’un certain chevalier de Pardaillan qui a osé insulter Sa Majesté le roi jusque dans son cabinet. Prenons-le vivant ! Et la torture saura bien lui faire dire où est son fils !

C’était Maurevert qui parlait ainsi. Le conseil était terrible. Les yeux de Damville jetèrent une lueur sanglante. Ce chevalier, ce fils, comme le vieux, connaissait le secret de sa conspiration. S’il pouvait les anéantir tous deux du même coup !… Au moment où les cavaliers éperonnant leurs chevaux, se précipitaient sur Pardaillan, le maréchal cria :

— Oui ! oui ! vivant ! Et qu’il dise où est son fils !…

— Le voilà ! tonna une voix vibrante, rugissante, formidable.

À cette seconde, il y eut dans la troupe un désordre inexprimable : on vit l’un des cavaliers tomber, rouler dans la poussière de la chaussée ; et, à sa place, sur son cheval, apparut un jeune homme à la figure figée dans un sourire d’intense ironie, mais aux yeux flamboyants ; et ce nouveau venu, par une audacieuse manœuvre, affolait le cheval dont il venait de s’emparer, lui labourant les flancs à coups d’éperon, lui brisant la bouche à coups de furieuses saccades sur le mors ; la bête hennissait de douleur, se mettait à ruer, à se cabrer, faisait feu des quatre sabots ; le cercle se reculait, la foule fuyait avec des hurlements ; et le vieux Pardaillan, dans une clameur de joie délirante et de mortelle inquiétude paternelle, jetait un cri :

— Mon fils !…

— Tenez bon, monsieur, répondait froidement le chevalier.

Car c’était lui !… Voici ce qui s’était passé :

En sortant de la maison de la rue de la Hache, le chevalier, arrêté un moment rue de Beauvais par la foule qui attendait le passage du roi avait pu reprendre son chemin vers le cabaret des Deux morts qui parlent lorsque cette foule s’était précipitée vers la rue Montmartre par où devait passer le cortège royal. Le chevalier arriva donc tout naturellement à la rue Montmartre et il y entra au moment où les derniers cavaliers du cortège s’éloignaient dans la direction de la Seine.

Là, un groupe énorme de badauds stationnait autour de quelque chose qu’il ne voyait pas. Mais ce que vit parfaitement le chevalier, ce fut la haute stature du maréchal de Damville. Il allait passer outre, lorsqu’ayant inspecté les cavaliers qui dominaient la foule, il reconnut Maurevert et les mignons qui semblaient s’avancer vers une porte, tout en échangeant des paroles accompagnées de force gestes menaçants qui s’adressaient évidemment à un piéton qu’ils enserraient.

La première pensée du chevalier fut de s’écarter pour ne pas être reconnu, et de chercher à gagner la rue Tiquetonne. Et déjà il commençait à opérer son mouvement de retraite, lorsqu’il crut reconnaître la voix de son père ! Aussitôt, il se rua tête baissée dans la foule ; bourrades, coups de coude, coups de pied ; vociférations indignées de bourgeois.

Il passa. En quelques secondes, il parvint aux cavaliers qui entouraient Pardaillan. Il vit son père acculé contre la porte, se mettant en garde au moment où la bande s’avançait.

Le chevalier regarda autour de lui comme pour demander conseil aux circonstances, et il eut un sourire. Dans les occasions suprêmes, il avait ainsi de ces sourires en lame d’épée, qui étaient terribles à voir. D’un geste rapide, il assura sa rapière. D’un deuxième geste, il tira sa dague. Alors, il bondit.

S’accrocher à l’étrivière du premier cheval auquel il se heurta, se hisser d’un élan sur la selle, placer la pointe de sa dague sur la gorge du cavalier stupéfait et terrifié fut pour lui l’affaire d’un instant :

— Descendez, monsieur ! dit le chevalier, glacial et souriant.

— Vous êtes fou, monsieur !

— Non, je suis fatigué, et j’ai besoin d’un cheval. Descendez, ou je vous tue !

Le cavalier leva le pommeau de son épée pour assommer l’étrange adversaire, Mais il n’eut pas le temps d’achever. Un coup de dague en pleine poitrine l’atteignit. Il se renversa et roula. Le chevalier enfourcha la bête et dégaina sa rapière. Et furieusement il bondit. Cela avait eu la rapidité et le flamboiement d’un éclair.

— Mon fils ! hurla le vieux Pardaillan.

Le chevalier lui sourit.

Et il y avait on ne savait quoi de fantastique à voir ce forcené qui semblait évoluer sur la Bête de l’Apocalypse, dont chaque geste était un coup de foudre, dont l’immense rapière traçait d’éblouissantes zébrures et se rougissait à chaque détente, dont le cheval sautait, bondissait, ruait à droite, ruait à gauche, fou furieux, oui, et cependant son visage immobile semblait une ironie vivante, la bouche plissée comme pour lancer une moquerie sans violence, les yeux, maintenant, révélant des pensées aigres-douces plutôt que de la fureur !

Un large espace demeura vide autour du vieux routier. Et il y eut alors quelques secondes de répit pendant lesquelles chacun étudia rapidement la situation. Le chevalier, au centre de cet espace vide, avait arrêté son cheval frémissant et le maintenait d’une main de fer. Et la bête immobile, le nez au vent, son poil noir hérissé par la douleur, ressemblait à une statue de bronze éclaboussée d’écume. Le chevalier se taisait, les lèvres serrées, attentif. Le vieux Pardaillan, de sa voix rauque, couvrait d’injures ses adversaires qui lui ripostaient de loin.

Cependant, tandis qu’on s’invectivait ainsi, ces quelques secondes de répit effaré étaient mises à profit par le vieux Pardaillan. Les tables, les chaises, les échelles, tout ce qui, autour de lui, avait servi aux curieux, maintenant en déroute, il s’en emparait rapidement, les entassait en rempart avec la prodigieuse habileté qu’il avait de ces sortes d’opérations, et à ce rempart, qui se dressait devant la porte à laquelle il était acculé, il ne laissait qu’un étroit passage.

— Pour le chevalier, quand il sera désarçonné, grommela-t-il.

Quant au maréchal de Damville, il s’était mis à l’écart, un peu honteux d’avoir fourvoyé sa dignité à une besogne d’arrestation ; car pour lui l’arrestation ne faisait pas de doute. Les mignons, comme on l’a vu, rugissaient des insultes, et cependant, se mettaient en bataille. Les cavaliers, amenés par le capitaine des gardes d’Anjou, n’attendaient qu’un signe de leur chef. Ce répit amené par la foudroyante intervention du chevalier dura en tout une dizaine de secondes. Le capitaine, d’un geste, imposa silence aux mignons, et dit en s’adressant aux deux Pardaillan :

— Messieurs, au nom du roi, faites-y bien attention !… Vous rendez-vous ?

— Non, dit froidement le chevalier.

— Vous faites rébellion ?

— Oui.

— En avant, donc !… Gardes, emparez-vous de ces deux hommes !…

Les gardes d’un côté, les mignons de l’autre, se précipitèrent l’épée haute sur le chevalier qu’il fallait saisir ou tuer avant d’arriver au vieux Pardaillan. Le chevalier comprit que la dernière minute était arrivée. Sa pensée suprême fut pour Loïse. Mais cette pensée ne fit que traverser son cerveau.

Au moment où l’attaque reprenait plus furieuse, et cette fois définitive il voulut recommencer la manœuvre désespérée qui venait de lui réussir. Il rassembla donc les rênes et porta aux flancs de sa bête un double coup terrible. Mais le cheval, au lieu de s’enlever, laissa échapper une plainte déchirante et s’abattit !…

— Malédiction ! rugit le chevalier qui, sautant agilement, se retrouva debout l’épée à la main, mais serré de près par une quinzaine de chevaux.

Que s’était-il passé ?… Dès la première intervention du chevalier, l’un des assaillants avait mis pied à terre et assuré dans sa main une de ces courtes dagues à large lame qui étaient des armes si meurtrières. Cet homme, c’était Maurevert.

Il suivit d’un œil attentif les mouvements du chevalier, et au moment où le capitaine criait : « En avant » il se précipita à pied, se cramponna à la bride du cheval et lui enfonça sa dague en plein poitrail, d’un coup sûr et violent. Atteinte au cœur, la bête s’affaissa, agonisante. Le chevalier s’apprêta à mourir, et déjà, il commençait à fourrager de sa rapière dans la masse qui grouillait autour de lui.

— Par ici ! hurla le vieux Pardaillan.

Le chevalier retourna la tête, vit le rempart qu’avait élevé son père ; un éclair de dernier espoir brilla dans ses yeux et il se précipita vers l’ouverture qui avait été laissée libre. À peine fut-il en sûreté — quelle sûreté — ! derrière ce précaire abri que l’ouverture fut bouchée par la chute d’un tréteau que le vieux routier avait maintenu suspendu à bout de bras.

Le père et le fils se trouvèrent alors enfermés dans cette citadelle improvisée qui pouvait, à la rigueur, constituer une défense pendant deux ou trois minutes. Ils échangèrent un regard qui fut leur suprême étreinte d’adieu, car ils n’avaient le temps ni de s’embrasser, ni même de se serrer la main :

À ce moment, le maréchal de Damville, qui s’était mis à l’écart, se rapprocha, fasciné par la curiosité, partagé entre la crainte de voir les Pardaillan s’échapper, la haine qu’ils lui inspiraient et l’admiration dont il ne pouvait se défendre.

Les chevaux avaient marché en rang serré sur l’obstacle. Mais il y eut un recul, avec des hennissements de douleur, les bêtes se cabrant, les cavaliers jurant comme des païens : le vieux Pardaillan à gauche, le chevalier à droite commençaient à s’escrimer ; d’instant en instant, avec une sûreté terrifiante, avec une rapidité d’éclair, les deux épées surgissaient d’entre les barreaux des chaises entassées, d’entre les pieds de table, s’élançaient comme des vipères d’acier, piquaient les chevaux aux naseaux, aux poitrails, et les deux indomptables assiégés, silencieux ramassés sur eux-mêmes, le vieux routier dans une attitude de bête sauvage qui aspire le carnage, le jeune, imperturbable et froid, apparaissaient comme des Titans d’un autre âge.

Le capitaine, d’un geste, arrêta encore l’attaque : cette tactique ne réussissant pas, il fallait en employer une autre. Ce fut le deuxième arrêt dans ce tragique et merveilleux corps à corps.

— Par tous les diables d’enfer, murmura le capitaine des gardes, je suis fâché d’arrêter ces deux hommes…

— Es-tu blessé ? dit le vieux Pardaillan.

— Pas une égratignure, et vous, mon père ?

— Rien encore. Tâchons de bien mourir, par Pilate.

— Tâchons de ne pas mourir, dit froidement le chevalier.

— Pied à terre ! commanda le capitaine.

Une douzaine de cavaliers sautèrent à bas de leurs chevaux ; les mignons étaient du nombre, enragés par cette résistance, rêvant de supplices, et répétant entre eux :

— Il nous les faut vivants !

Alors, ce fut un cercle d’épées qui se forma autour du rempart ; douze ou quinze pointes convergèrent sur les Pardaillan ; un grand silence se fit dans ce petit espace, tandis que la foule continuait, à droite et à gauche, à faire entendre son grondement sourd : la minute fut poignante.

— Rendez-vous donc, par la mort-dieu ! dit le capitaine.

Les Pardaillan secouèrent la tête. Le capitaine haussa les épaules et dit :

— Prenez-les !

Ensemble, à ce mot qui leur fut un signal d’attaque, ensemble les épées fulgurèrent, les pointes fouillèrent à travers les bois, deux ou trois lames se cassèrent d’un coup sec, quatre hommes tombèrent, du sang gicla, et la bande se reculant pour un nouvel assaut, sans faire attention à ses morts, cria d’une voix :

— Ils en tiennent ! Ils en tiennent !

C’était un succès ; les deux Pardaillan étaient rouges de sang, blessés tous deux à la tête, aux bras, à la poitrine.

— Adieu, chevalier ! fit le vieux routier en tombant sur un genou.

— Adieu, mon père ! dit le chevalier en s’accoudant pour ne pas tomber.

— Au nom du roi, rendez-vous, et je tiens votre rébellion nulle et non avenue ! cria le capitaine avec une émotion dont il ne fut pas maître.

— Merci, monsieur ! dit le chevalier de sa voix la plus jolie. En mourant, c’est vous que je regarderai, car vous êtes ici la seule figure qu’un honnête homme puisse regarder… Chargez-nous !

Le capitaine fit un signe et cria :

— Démolissez, d’abord !…

Et de nouveau, le formidable rang d’acier s’avança comme une bête monstrueuse, en dardant ses pointes. Au même instant, sous des coups furieux, la barricade s’écroula, le passage se trouva libre.

— Voici la fin de la fin ! s’écria le vieux Pardaillan dans un suprême éclat de rire.

En même temps, il portait deux ou trois coups de pointe.

— Adieu, Loïse ! murmura le chevalier dans un frémissement de tout son être, en fermant un instant les yeux.

Et lorsqu’il les rouvrit, ces yeux, il demeura pantelant, ébloui, extasié, frappé d’un étonnement surhumain, rêvant qu’il était mort, ou que, dans le vertige de l’angoisse, une consolante et radieuse apparition lui était survenue pour le conduire aux portes de l’infini. Et voici ce qu’il voyait :

Les pointes des épées menaçantes qui étaient à un pouce de sa poitrine s’étaient relevées ou abaissées. Les assaillants reculaient à droite et à gauche, étonnés, fascinés, laissant libre une route bordée d’acier qui aboutissait à Henri de Montmorency à cheval, immobile, pétrifié, couvert d’une pâleur livide. Dans ce chemin, une femme vêtue de deuil s’avançait, lente et majestueuse…

— La dame en noir ! haletait le chevalier.

Et sur le seuil de la maison, devant la porte où s’élevait la barricade, devant cette porte qui venait de s’ouvrir soudain, se tenait une jeune fille adorable dans sa pose à la fois craintive et hardie, avec ses cheveux dorés lui faisant un nimbe glorieux, son doux visage pâle, — et du seuil élevé, elle abaissait sur le chevalier un long regard chargé d’admiration et d’effroi…

— Loïse ! bégaya le jeune homme qui, d’un mouvement très doux, se mit à genoux sur le sol baigné de sang.

Deux larmes perlèrent au bord des longs cils de la jeune fille. Et son regard se voila alors d’une céleste tendresse.

— Puissances du ciel, je puis mourir… elle m’aime !…

Le chevalier tomba à la renverse, évanoui, tandis que le vieux Pardaillan, mordant sa rude moustache grise, grommelait :

— Ah ! c’est la Loïse, Loïson, Loïsette ?… Eh bien, je ne suis pas fâché de trépasser avec ce spectacle-là dans les yeux !

La dame en noir, Jeanne de Piennes s’avançait vers Henri de Montmorency.

Au moment où la porte s’était brusquement ouverte, au moment où cette femme était ainsi apparue, se jetant entre les épées et les blessés, les assaillants s’étaient reculés effarés. Et la dame avait si grand air, le front haut, majestueuse et calme, elle parut si imposante que l’étonnement se changea en respect, que tous comprirent qu’il allait se passer quelque chose d’étrange, et que nul parmi ces hommes furieux tout à l’heure n’eût voulu alors porter un dernier coup aux blessés que d’un geste elle avait mis sous sa protection.

Jeanne de Piennes s’arrêta à deux pas du maréchal de Damville. Hypnotisé, Henri l’avait vue venir comme on voit marcher une apparition dans un rêve. Il n’y avait plus en lui ni amour, ni fureur, ni jalousie : il n’y avait que le prodigieux étonnement de la voir là. Comment ? Pourquoi ? Sa tête s’y perdait. Il attendait, voilà tout.

— Monseigneur, dit Jeanne de Piennes, je prends ces deux hommes : ils sont à moi. L’un d’eux est celui qui m’a ramené l’enfant qui m’avait été volé ; l’autre, c’est son fils. Et ma gratitude infinie va de l’un à l’autre. Je vous le dis, monseigneur, ces deux hommes sont à moi. Et je vous demande : dois-je expliquer à tous ici présents quelle dette j’ai contractée envers eux ? Faut-il que je parle ?

D’un geste de son bras elle enveloppa les cavaliers immobiles, les mignons stupéfaits, la foule maintenant silencieuse, haletante devant cette scène. Le maréchal avait longuement tressailli. Il eut un haut-le-cœur de révolte. Ses yeux sanglants regardèrent, farouches, autour de lui, puis revinrent à Jeanne de Piennes. Et sous son regard à elle, sous ce regard limpide, il se courba, vaincu… vaincu en apparence, car un sourire funeste glissa sur ses lèvres décolorées. D’une voix basse, rauque, à peine perceptible, il répondit :

— Ces deux hommes sont à vous, madame… prenez-les !…

Et sous ses coups de saccade violente, son cheval recula jusqu’aux maisons d’en face ; mais là, il s’arrêta, et Henri demeura présent… un nouveau sourire fugitif et terrible tordit sa bouche. Jeanne de Piennes s’était retournée vers le capitaine des gardes du duc d’Anjou.

— Monsieur, dit-elle, vous accomplissez ici une mission…

— Ordre du roi, madame ! fit le capitaine d’une voix ferme. Je dois arrêter ces deux gentilshommes…

— Monsieur, je m’appelle Jeanne, comtesse de Piennes, duchesse de Montmorency…

Le capitaine s’inclina profondément. Il y eut un frisson parmi les assistants, telle avait été l’amertume qui avait éclaté dans ces quelques mots, — l’amertume et aussi la forte volonté.

— Je vous suis une caution vivante, poursuivit Jeanne de Piennes. Ma parole vous répond des deux prisonniers.

— S’il en est ainsi, madame, dit le capitaine, à Dieu ne plaise que je mette en doute la caution de haute, noble et puissante dame de Piennes et de Montmorency. Et si les deux prisonniers ne doivent pas quitter cette maison…

— Ils ne la quitteront pas, monsieur !

— J’obéis, madame. J’ajoute : je suis heureux d’obéir, car ce sont deux braves.

Jeanne de Piennes s’inclina et se retourna vers les deux blessés qui, s’étant relevés, assistaient à cette partie de la scène en faisant d’héroïques efforts pour se tenir debout. Aux derniers mots du capitaine, d’un même mouvement, ils remirent leurs épées aux fourreaux. Jeanne de Piennes s’avança vers le vieux Pardaillan :

— Monsieur, dit-elle de sa voix douce et fière, voulez-vous me faire le grand honneur de vous reposer dans ma pauvre maison ?…

Elle tendit sa main. Le vieux routier, bouleversé d’émotion, s’appuya sur cette main, et tous les deux entrèrent ainsi dans la maison.

Alors, d’un geste timide, Loïse présenta sa main au chevalier, Il la saisit en frissonnant et se redressa de toute sa taille. Déchiré, sanglant, superbe, il apparut un instant comme le lion qui, après la victoire, conduit sa lionne hors du champ de bataille.

La vision disparut. La porte s’était refermée sur Loïse et le chevalier…

— Capitaine ! gronda Henri, vingt gardes devant cette maison, nuit et jour ! Vous me répondez sur votre tête des prisonniers… et des prisonnières !…

— J’allais donner mes ordres, monseigneur ! répondit le capitaine d’un ton hautain.

— Faites donc !… Et fasse votre bonne étoile que la dame de Piennes, qui s’intitule à faux duchesse de Montmorency, vous soit une bonne caution jusqu’au bout !

Le capitaine prit rapidement ses dispositions : les morts et les blessés furent enlevés ; on envoya chercher du renfort ; et bientôt vingt gardes s’installaient devant la maison qui devait être surveillée nuit et jour.

Au loin, les canons du Louvre tonnaient.



◄   XLVII XLIX   ►