Les Patins d’argent/IV
Dame Brinker fut saisie et contente aussi de voir l’émotion de ses enfants, car cela prouvait combien ils étaient aimants et sincères.
De belles dames, dans leurs riches maisons, sourient souvent, doucement et soudainement, et leur sourire répand la joie jusque dans l’air qui les entoure ; mais leur sourire ne saurait avoir plus de prix aux yeux de Dieu que celui qui vint tout à coup réjouir ces enfants pauvrement vêtus dans cette humble chaumière. Dame Brinker se dit qu’elle avait été égoïste. Elle rougit ; ses traits reprirent leur sérénité, et s’essuyant les yeux à la hâte, elle regarda ses enfants comme une mère seule peut le faire.
« Ta, ta, ta, fit-elle, une jolie conversation pour la veille de saint Nicolas. Quel miracle que la laine que je tricote me pique les doigts ! Allons, Gretel, prends ce cent et va acheter une crêpe, pendant que Hans fera l’acquisition de ses patins.
— Permettez-moi de rester ici avec vous, mère, dit Gretel dont les yeux brillèrent à travers ses larmes, Hans m’achètera le gâteau.
— Comme vous voudrez, mon enfant. Ah ! Hans, attendez un instant : deux ou trois tours d’aiguilles, et j’aurai fini ce bas. Et vous pourrez vendre au bonnetier une des meilleures paires de bas qui aient jamais été tricotées (j’avoue que la laine est un tout petit peu rude). Cela nous rapportera bien les trois quarts d’un écu, si vous avez l’esprit de faire un bon marché ; et comme ce temps-là donne de l’appétit, vous pouvez acheter quatre gâteaux. Nous fêterons tous les quatre la Saint-Nicolas. »
Gretel battit des mains : c’était son geste de joie.
« Oh ! quel bonheur ! dit-elle ; Annie Bowman m’a raconté les belles choses qui vont se passer dans les grandes maisons, ce soir. Mais nous nous amuserons aussi. Hans aura une belle paire de patins, et puis il y aura des gâteaux ! Père les aime tant ! Il a gardé le goût des enfants pour les bonnes choses, et je crois que je suis gourmande aussi. Surtout ! ne les cassez pas, frère Hans. Enveloppez-les bien, cachez-les sous votre jaquette et boutonnez-la soigneusement.
— Certainement, répliqua Hans, tout gonflé de plaisir et d’importance.
— Oh ! mère ! s’écria Gretel en veine d’expansion, vous serez bientôt occupée après le père ; mais maintenant vous n’avez qu’à tricoter. Racontez-nous l’histoire de saint Nicolas, voulez-vous ? »
Dame Brinker se mit à rire en voyant Hans suspendre son bonnet au clou et se disposer à écouter.
« Quels enfants vous êtes ! dit-elle, je vous l’ai racontée tant de fois !
— Racontez-nous-la encore ! oh ! racontez-nous-la encore ! s’écria Gretel, en s’asseyant sur le merveilleux banc de bois que, dans le bon temps, son père avait fabriqué pour le dernier jour anniversaire de la naissance de sa mère. Hans, qui craignait de paraître enfant, mais qui désirait pourtant entendre l’histoire, s’appuya négligemment au manteau de la cheminée en faisant balancer ses patins.
— Eh bien, mes enfants, vous l’entendrez de nouveau : mais c’est la dernière fois que je permettrai qu’on gaspille ainsi la lumière du jour. Ramassez votre pelote, Gretel, et que votre chaussette grandisse pendant que je parle. Vous n’avez pas besoin de fermer les doigts parce que vous ouvrez les oreilles.
« Vous saurez que saint Nicolas est un saint extraordinaire. Il tient les yeux ouverts pour veiller sur les marins ; mais c’est surtout des enfants qu’il a soin. Il y a bien longtemps de cela, alors qu’il vivait encore sur la terre, un négociant d’Asie envoya ses trois fils dans une grande ville nommée Athènes, pour acquérir de la science.
— Athènes, est-ce en Hollande, mère ? demanda Gretel.
— Je ne sais pas, mon enfant ; probablement.
— Oh non, mère, dit Hans respectueusement. Il y a longtemps que j’ai lu cela dans ma leçon de géographie. Athènes est en Grèce.
— Eh bien, reprit la mère, qu’importe ? La Grèce peut appartenir au roi pour ce que nous en savons. Quoi qu’il en soit, ce riche marchand envoya ses fils à Athènes. En route, ils s’arrêtèrent pour passer la nuit dans une misérable auberge, avec l’intention de continuer leur voyage le lendemain matin. Ils étaient couverts de riches habits, du velours et de la soie, peut-être, comme les enfants des riches en portent dans le monde entier. Leurs ceintures étaient aussi pleines d’argent. Que pensez-vous que fit le méchant aubergiste ? Il résolut de tuer les enfants et de s’approprier leur argent et leurs beaux habits. De sorte que la nuit venue, tandis que tout le monde était endormi, il se leva et mit à mort les trois jeunes gens. »
Gretel joignit les mains et frissonna. Mais Hans essaya de montrer qu’il était assez grand pour tout entendre sans sourciller.
« Ce ne fut pas là le pis, continua dame Brinker, tricotant lentement et essayant de retenir le compte de ses points tout en parlant. Non, ce ne fut pas là le pis. Le misérable aubergiste alla jusqu’à couper en petits morceaux le corps des pauvres jeunes gens, et les jeta dans une grande cuve pleine de saumure, avec l’intention de les vendre pour du porc salé.
— Oh ! » s’écria Gretel, frappée d’horreur, bien qu’elle eût déjà entendu raconter plusieurs fois l’histoire.
Hans restait toujours froid en apparence.
« Oui, reprit dame Brinker, il les sala ! On aurait pu croire qu’il ne serait plus question de ces jeunes messieurs, après un procédé pareil. Pas du tout : saint Nicolas eut cette nuit-là une vision extraordinaire, et il vit l’aubergiste coupant par morceaux les enfants du marchand. Il n’avait pas besoin de se presser, vous entendez bien, car c’était un saint, mais le lendemain matin il se rendit à l’auberge et reprocha son crime abominable à l’aubergiste. Le méchant, épouvanté de voir que son terrible secret était connu, confessa tout depuis le commencement jusqu’à la fin, et tomba à genoux en demandant pardon. Il éprouvait un tel remords de ce qu’il avait fait, qu’il supplia le saint de rappeler les jeunes maîtres à la vie et de prendre la sienne.
— Est-ce que le saint a fait cela ? demanda Gretel ravie, bien qu’elle sût à l’avance ce que sa mère répondrait.
— Certainement qu’il le fit. Les morceaux, tout salés qu’ils étaient, se réunirent instantanément, et les jeunes messieurs sautèrent gaiement hors de la cuve de saumure. Ils se jetèrent aux pieds de saint Nicolas qui leur donna sa bénédiction, et… Dieu ait pitié de nous, Hans, il fera nuit avant que vous soyez de retour, si vous ne partez pas à l’instant. »
Dame Brinker était passablement hors d’haleine et en oubliait ses points. Elle ne se rappelait pas avoir jamais vu ses enfants gaspiller ainsi une seule des heures de la journée, et l’idée d’un luxe si inaccoutumé l’effrayait. Elle s’était levée et courait vivement, comme quelqu’un qui a à rattraper le temps perdu, dans chaque recoin de la chaumière, jetait une motte de tourbe sur le feu, enlevait de la table un grain de poussière invisible et présentait à Hans la paire de bas terminée, tout cela dans la même minute.
« Allons, Hans, dit-elle au jeune garçon qui s’attardait sur le seuil, qu’est-ce donc qui te retient ? »
Hans baisa la joue rebondie de sa mère, rose et fraîche encore en dépit de ses chagrins.
« Ma mère est la meilleure de toutes les mères et je serais vraiment content d’avoir une paire de patins, dit-il ; cependant… »
Et tout en boutonnant sa jaquette, il jeta des regards troublés vers une étrange figure accroupie devant le foyer.
« Cependant, si mon argent pouvait amener un docteur d’Amsterdam pour voir le père, on pourrait peut-être faire quelque chose.
— Un docteur ne voudrait pas venir, Hans, pour deux fois autant d’argent, et d’ailleurs cela ne servirait de rien. Ah ! combien d’écus n’ai-je pas dépensés pour cela, autrefois ! Rien n’y a fait ! L’esprit du cher bon père n’a pas voulu s’éveiller. C’est la volonté de Dieu. Va, Hans, achète-toi des patins. »
Hans partit, le cœur triste. Mais ce jeune cœur battait dans la poitrine d’un vaillant garçon. En moins de cinq minutes il se mit à siffler. Sa mère l’avait tutoyé, elle lui avait dit : « tu » et c’était bien assez pour faire d’un jour triste un jour ensoleillé. Les Hollandais ne s’adressent pas la parole d’une manière aussi intime que les Français et les Allemands ; mais dame Brinker avait, dans sa jeunesse, brodé pour une famille française et elle en avait rapporté dans sa chaumière rustique les « tu » et les « toi » pour s’en servir dans les grands moments, dans les moments où son cœur ému avait besoin d’expansion.
Par conséquent, ce « qu’est-ce qui te retient, Hans, » chantait comme un écho sous le joyeux sifflet du jeune homme, et lui faisait regarder sa mission à Amsterdam comme une mission bénie.
Broek avec ses rues tranquilles et sans taches, ses ruisseaux gelés, son pavé de briques jaunes et ses maisons de bois verni, était tout proche. C’était un village où la propreté et l’apparat étaient en pleine floraison, mais dont les habitants étaient si endormis qu’on eût pu les croire morts.
Aucune empreinte de pas ne déparait jamais les sentiers sablés où des cailloux et des coquilles de mer formaient des dessins fantastiques. Tous les volets étaient hermétiquement fermés, comme si l’air et le soleil eussent été du poison ; les lourdes portes d’entrée n’y étaient jamais ouvertes que pour un mariage, un baptême ou un enterrement.
Des nuages jaunes de fumée de tabac flottaient en silence dans les appartements secrets, et les enfants, de peur de réveiller les échos, étudiaient en cachette dans des coins, ou patinaient sans bruit sur le canal voisin. Quelques paons et même des loups se tenaient bien dans les jardins, mais ils n’avaient jamais joui du luxe de posséder de la chair ou du sang ; ils étaient taillés avec art dans le buis et semblaient garder les propriétés avec une immobile férocité. Certains automates susceptibles de mouvement, des canards, des femmes, des chasseurs, avaient été remisés dans les pavillons d’été et y attendaient le printemps pour se faire remonter et rivaliser d’animation avec leurs possesseurs, tandis que les toits de tuiles brillantes, les cours pavées en mosaïque et les ornements polis des maisons où un grain de poussière ne pouvait séjourner, lançaient vers le ciel leur hommage silencieux en une brillante réverbération.
Hans jeta un coup d’œil sur le village tout en faisant sauter ses kwartjes dans sa main. Il se demandait si ce qu’il avait souvent entendu raconter était vrai ; c’est-à-dire que quelques-uns des habitants étaient si riches qu’ils se servaient d’ustensiles de cuisine en or massif.
Il avait vu, au marché, les fromages ronds de dame Van Stoop, et il savait que la fière bourgeoise gagnait plus d’un écu d’argent brillant à les vendre. Mais faisait-elle lever la crème dans des jattes d’or ? se servait-elle d’une écumoire d’or ? Et lorsque ses vaches avaient pris leurs quartiers d’hiver, étaient-elles réellement attachées avec des rubans de soie ?
Ces pensées lui traversaient l’esprit, pendant qu’il se dirigeait vers Amsterdam, située à moins de cinq milles sur l’autre branche de l’Y[1] gelé. La glace du canal était parfaite, mais ses patins de bois, si près d’être admis à la retraite, lui grinçaient un triste adieu.
Pendant qu’il traversait l’Y, mais était-ce bien possible, mais ne se trompait-il pas ? il crut apercevoir, il aperçut le célèbre docteur Boekman qui arrivait vers lui en patinant.
Le docteur Boekman ! Ah ! que de fois il avait pensé à lui. Le docteur Boekman était le plus fameux médecin et chirurgien de la Hollande. Hans ne l’avait jamais rencontré jusque-là, mais il avait souvent vu son portrait aux fenêtres des boutiques d’Amsterdam. C’était une de ces figures qu’on ne peut oublier : longue et maigre, quoique hollandaise, avec des yeux bleus froids et sévères ; de drôles de lèvres serrées l’une contre l’autre et qui semblaient dire : « Il est défendu de sourire. » Ce personnage n’avait l’air ni joyeux, ni sociable ; il n’était pas non plus de ceux qu’un garçon bien élevé se fût permis d’accoster sans y être autorisé.
Mais Hans s’y sentait autorisé, et cela par une voix qu’il méconnaissait rarement : celle de sa conscience.
« Voici le plus grand médecin du monde entier, lui soufflait la voix, c’est Dieu qui te met en sa présence, c’est Dieu qui te l’envoie ; tu n’as pas le droit d’acheter des patins quand tu pourrais, avec cet argent, payer peut-être la guérison de ton père. C’est le moment ou jamais de tout oser. »
Ses patins de bois poussèrent un cri de triomphe. Des centaines de magnifiques patins apparaissaient et reluisaient dans les airs, au-dessus de la tête de Hans. Il sentit le tintement de l’argent qu’il tenait dans sa main lui répondre jusqu’au bout des doigts. Le vieux docteur avait l’air effroyablement refrogné. Le cœur de Hans lui sauta dans la gorge, mais il trouva assez de force pour crier :
« Mynheer Boekman ! »
Le grand homme s’arrêta, et, poussant sa mince lèvre inférieure jusqu’à ce qu’elle dépassât de beaucoup l’autre, il regarda autour de lui en fronçant le sourcil.
Il n’y avait pas à reculer.
« Mynheer, balbutia Hans en se rapprochant du terrible docteur, je savais bien que vous ne pouviez être autre que le fameux Boekman. J’ai une grande faveur à vous demander.
— Hum ! marmotta le docteur, se disposant à continuer son chemin. Place, je n’ai pas d’argent. Je ne donne jamais aux mendiants.
— Je ne demande pas l’aumône, mynheer, répondit Hans fièrement, montrant en même temps son obole, d’un geste superbe. Je voudrais vous consulter pour mon cher père. Il est vivant et reste immobile comme un mort. Il ne peut plus penser. Ses paroles n’ont plus de sens, mais il n’est pas malade. Il est tombé un jour, se sacrifiant pour le salut des autres, à bas des digues.
— Hein ? Quoi ? parle clairement, » s’écria le docteur qui commençait à écouter.
Hans raconta toute l’histoire, d’une manière peut-être incohérente, car il essuyait une larme de temps en temps pendant qu’il parlait, et finit par dire à la fin, d’un ton suppliant :
« Oh ! voyez-le, mynheer, voyez-le ! Son corps est sain, c’est seulement son esprit… Je sais bien que cet argent ne suffit pas, mais prenez-le toujours, j’en gagnerai davantage – je suis sûr de cela. – Oh ! je travaillerai pour vous le reste de mes jours, si vous voulez seulement essayer de guérir mon père ! »
Qu’avait donc le vieux docteur ? Une lueur semblable à un rayon de soleil éclairait sa figure ; ses yeux étaient humides et exprimaient la bonté ; la main qui un instant auparavant serrait la canne comme pour frapper, était maintenant posée doucement sur l’épaule de Hans.
« Mettez votre argent dans votre poche, mon garçon, lui dit-il, je n’en veux pas. Nous irons voir votre père. C’est un cas désespéré, j’en ai peur. Combien dites-vous qu’il y a d’années qu’il est dans cet état ?
— Dix ans, mynheer, répondit Hans en sanglotant, quoiqu’il sentît son cœur inondé d’une espérance soudaine.
— Dix ans, c’est beaucoup, c’est trop, mais c’est égal ; écoutez : je pars aujourd’hui pour Leyde, je ne reviendrai que dans huit jours, comptez sur moi pour cette époque. Où demeurez-vous ?
— À un mille sud de Broek, mynheer, près du canal. Ce n’est qu’une pauvre cabane démantelée ; le premier enfant venu vous l’indiquera là-bas, mynheer, ajouta Hans avec un soupir. Ils ont tous un peu peur de la chaumière ; ils l’appellent, hélas ! tous l’appellent la maison de l’idiot !
— Cela suffit, dit le docteur en s’éloignant et en jetant à Hans un bon regard d’adieu. Je serai chez vous dans huit jours, mon enfant. Un cas désespéré, murmura-t-il, mais le garçon me plaît ; ses yeux ressemblent à ceux de mon pauvre Laurens. Le ciel confonde le jeune misérable ! Je ne pourrai donc jamais l’oublier ? »
Et prenant un air plus sombre et plus menaçant que jamais, le docteur poursuivit solitairement son chemin.
Hans avait aussi remis ses patins de bois en mouvement, et courait vers Amsterdam. Le tintement de l’argent qu’il avait dans sa poche lui répondait de nouveau jusqu’au bout des doigts ; de nouveau le sifflet insouciant monta à ses lèvres.
« Me dépêcherai-je de retourner à la maison, pensait-il, pour apprendre plus tôt la bonne nouvelle à la mère, ou bien irai-je acheter les gâteaux et les patins d’abord ? »
Il n’avait pas encore pris son parti, quand il aperçut Amsterdam.
Il recommença alors à siffler, puis à courir, et c’est ainsi que Hans acheta des patins.
Hans et Gretel firent une jolie partie dans la soirée, veille de saint Nicolas. La lune brillait pure et claire au ciel ; et dame Brinker, qui se croyait pourtant sans espérance quant à la guérison de son mari, s’était sentie si heureuse à l’annonce de la visite du docteur Boekman, qu’elle n’avait pu refuser à ses enfants la permission de patiner pendant une heure, sur le canal, avant d’aller se coucher.
Hans était si ravi de ses patins neufs, que, dans son ardeur à montrer à Gretel avec quelle perfection ils travaillaient, il décrivit sur la glace une foule de dessins devant lesquels la petite fille tombait en extase. Ils n’étaient pas seuls, bien qu’ils passassent inaperçus près des groupes variés assemblés sur la glace.
Les deux Van Holp et Karl Schummel étaient là, luttant de vitesse. Peter Van Holp était sorti vainqueur trois fois sur quatre. De sorte que Karl, qui n’était jamais très-aimable, se montrait de fort mauvaise humeur. Il s’était un peu soulagé en taquinant le jeune Schimmelpennick, plus petit que les autres, et qui se tenait pourtant près d’eux sans prétendre précisément à faire partie de leur société. Une idée nouvelle s’empara de la tête de Karl. Il s’agissait de diriger une attaque contre ce qu’il appelait la condescendance par trop égalitaire de quelques-uns de ses amis.
» Dites donc, camarades, fit-il, empêchons, voulez-vous, ces jeunes chiffonniers de la cabane de l’idiot de se joindre à nous pour la course. Il faut qu’Hilda ait perdu la tête d’y avoir pensé. Katrinka Flack et Rychie Korbes sont furieuses à l’idée de concourir avec la fille, et pour ma part je ne les blâme pas. Quant au garçon, si nous possédons la moindre étincelle de courage, nous repousserons avec dédain la seule pensée de…
— Certainement, interrompit Peter Van Holp, feignant de se méprendre sur le vrai sens des paroles de Karl, qui en doute ? Il n’existe pas un patineur ayant en lui une étincelle de virilité qui refusât d’admettre deux bons patineurs parce qu’ils sont pauvres ? »
Karl, furieux, fit plusieurs tours sur lui-même.
« N’allez pas si vite, Peter, dit-il. Je vous serais fort obligé si vous vouliez bien ne pas faire parler les gens contre leur sentiment. Je vous conseille de ne pas recommencer. »
Le petit Voostenwalbert Schimmelpennick, ravi à la perspective d’une bataille, se mit à rire. Il était sûr que si l’on en venait aux coups, son favori Peter Van Holp était capable de battre une douzaine d’individus comme l’irritable Karl.
Un certain je ne sais quoi que Karl aperçut dans l’œil de Peter lui fit saisir avec empressement l’occasion de s’en prendre à plus faible que lui. Il se retourna brusquement sur Voost :
« Qu’est-ce que tu as à crier comme ça, toi, petit furet ! hareng maigre ! petit singe ! avec ton nom d’un mètre pour te servir de queue ? »
Une demi-douzaine de spectateurs et de patineurs applaudirent à ces pointes courageuses, et Karl, sentant que les rieurs étaient pour lui, reprit sa bonne humeur. Cependant il remit prudemment à plus tard de reprendre le complot qu’il méditait contre Hans et Gretel. Il serait temps le jour où Peter serait absent.
- ↑ Prononcez Aï ; c’est un bras du Zuiderzée.