Les Patriotes de 1837-1838/04

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Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 21-25).

ASSEMBLÉE DE SAINT-CHARLES


De toutes les assemblées publiques qui précédèrent l’insurrection, celle de Saint-Charles fut la plus importante. Elle précipita le dénouement en activant l’agitation et en décidant les autorités à intervenir. C’était l’assemblée des six fameux comtés confédérés de Richelieu, de Saint-Hyacinthe, de Rouville, de Chambly, de Verchères et de l’Acadie. Papineau, O’Callaghan, les chefs les plus distingués et les orateurs les plus populaires de la cause libérale, y avaient été invités.

Tous les centres d’agitation populaire y étaient représentés par des délégués. On y comptait treize représentants du peuple, et cinq ou six mille personnes venues de dix et douze lieues à la ronde, malgré des chemins affreux. Un grand nombre se rendirent au village de Saint-Charles, la veille, le dimanche. On y voyait des femmes et des enfants que tourmentait depuis longtemps le désir de voir et d’entendre parler Papineau.

M. Papineau était alors au zénith de sa popularité, dans toute la splendeur de son talent ; on ne jurait que par lui ; son nom remplissait toutes les bouches, et ses paroles étaient des oracles. On l’appelait l’O’Connell du Bas-Canada, et on avait pour lui autant d’enthousiasme que les Irlandais en ont pour leur immortel tribun.

L’endroit choisi pour l’assemblée était une vaste prairie appartenant à M. le Dr  Duvert.

On y avait élevé une colonne surmontée du bonnet de la Liberté, et portant cette inscription : « À Papineau, ses compatriotes reconnaissants, 1837. » À midi, quand l’assemblée s’ouvrit, le coup-d’œil était imposant. On ne pouvait regarder, sans être impressionné, ces milliers de têtes pressées les unes contre les autres — mer immense qu’agitait le souffle puissant de la liberté — au-dessus de laquelle flottaient de nombreuses bannières aux couleurs les plus brillantes, aux inscriptions les plus patriotiques.

L’élite des patriotes du Bas-Canada était là, représentée par des hommes au corps vigoureux, à la figure énergique et intelligente, presque tous habillés d’étoffe du pays. Ils étaient là, tous ceux qui devaient, quelque temps après, prouver sur les champs de bataille, dans les prisons et sur l’échafaud, la sincérité de leurs convictions, l’amour de leur pays et de la liberté, les gens de Saint-Denis comme ceux de Saint-Charles, Ovide Perrault et Chénier, Cardinal et de Lorimier.

Une compagnie de miliciens, sous le commandement des capitaines Lacasse et Jalbert, entourait la colonne de la liberté, et donnait à la démonstration un cachet militaire qui ne manquait pas de signification.

Le Dr  Wolfred Nelson fut nommé président de l’assemblée ; M. le Dr  Duvert et M. F. Drolet, vice-présidents ; MM. Girod et Boucher Belleville, secrétaires.

Alors, M. Girod s’avança vers l’estrade, à la tête de la députation du comté de l’Acadie, et présenta au président de l’assemblée une adresse pour demander que le comté fût admis dans la confédération. La proposition souleva une tempête d’acclamations enthousiastes et fut saluée par des salves de mousqueterie.

Le Dr  Nelson prit ensuite la parole. Il exposa le but de l’assemblée, dans un langage véhément, et donna le ton aux discours qui suivirent, en déclarant que les procédés de lord John Russell et la proclamation de lord Gosford qui interdisait les assemblées publiques, devaient engager le peuple à s’organiser pour résister à la violence par la violence. Il termina en présentant M. Papineau à l’assemblée.

Lorsque le chef populaire du Bas-Canada parut, il fut accueilli par une immense acclamation ; l’enthousiasme illumina toutes les figures, souleva toutes les poitrines.

Il parla longtemps et fut souvent interrompu par les applaudissements. Il exposa, suivant son habitude, les griefs du pays, protesta en termes sarcastiques contre la conduite violente et les menaces du gouvernement impérial et de lord Gosford ; mais il fut plus modéré que les autres orateurs, et conseilla aux gens de rester sur le terrain de l’agitation constitutionnelle. Ce fut à ce moment, dit-on, que M. Nelson s’écria :

— Eh bien ! moi, je diffère d’opinion avec M. Papineau ; je prétends que le temps est arrivé de fondre nos cuillères pour en faire des balles.

Après M. Papineau, vinrent M. L.-M. Viger, « le beau Viger » comme on l’appelait, représentant du comté de Chambly, M. Lacoste, M. Ed. Rodier, député de l’Assomption, le Dr Côté, T.-S. Brown et Girod.

M. Rodier, le tribun populaire des Fils de la liberté, fut très éloquent comme de coutume. Le plus violent fut le Dr  Côté, de l’Acadie, qui termina une harangue échevelée en disant : « Le temps des discours est passé, c’est du plomb qu’il faut envoyer à nos ennemis maintenant. »

Treize propositions furent faites et secondées par les patriotes dont les noms suivent :

1o Le Dr  Wolfred Nelson et le Dr  Davidson, de Sainte-Marie ;

2o René Boileau, de Chambly, et le capitaine Vincent, de Longueuil ;

3o Louis Marchand, de Saint-Mathias, et Jean-Marie Tétreau, de Saint-Hilaire ;

4o L. Lacoste, de Longueuil, député, et Timothée Franchère, de Saint-Mathias ;

5o J.-T. Drolet, de Saint-Marc, député, et le Dr  Duchesnois, de Varennes ; 6o Le Dr  Duvert, de Saint-Charles, et le Dr  Allard, de Belœil ;

7o P. Amiot, député, de Verchères, et le capitaine Bonin, de Saint-Ours ;

8o Frs Papineau, de Saint-Césaire, et le lieutenant Bonaventure Viger, de Boucherville ;

9o Jean-Marie Cormier, de Contrecœur, et M. Gosselin, de Saint-Hilaire ;

10o Ls Blanchard, de Saint-Hyacinthe, député, et Jos. Séné ;

11o Laurent Bédard, de Saint-Simon, et S. Boudreau, de Sainte-Marie ;

12o Côme Cartier, de Saint-Antoine, et Siméon Marchesseault, de Saint-Charles ;

13o Le Dr  Dorion, de Saint-Ours, et Eustache Gratton, de Sainte-Marie.

Chaque proposition fut accueillie par des hourras frénétiques, et saluée par une salve de mousqueterie.

Ces propositions commençaient par une déclaration des droits de l’homme, affirmant le droit et la nécessité de résister à un gouvernement tyrannique, engageaient les soldats anglais à déserter l’armée, encourageaient le peuple à ne pas obéir aux magistrats et aux officiers de milice nommés par le gouvernement, et à s’organiser à la manière des Fils de la Liberté.

Elles cadraient peu, il faut l’avouer, avec les déclarations pacifiques de M. Papineau et de quelques autres chefs patriotes, qui voulaient rester sur le terrain constitutionnel.

L’adoption des propositions fut suivie d’une scène qui rappelait les fêtes démocratiques du Champ-de-Mars, pendant la révolution française.

M. Papineau fut invité à se rendre auprès de la colonne de la Liberté, et le Dr  Côté faisant, par instinct, les fonctions de pontife, se prosterna devant le monument et en fit l’offrande à M. Papineau. M. Papineau répondit en quelques mots, et un chœur de jeunes gens chanta un hymne en l’honneur de la liberté. Le Dr  Côté s’avança alors à la tête de ces enthousiastes jeunes gens, et tous tendant la main vers la colonne, ils jurèrent d’être fidèles à leur pays, de vaincre ou de mourir.

Il était tard quand l’assemblée se dispersa. Les fusils des miliciens étaient brûlants, les voix fatiguées, mais l’enthousiasme avait toujours été augmentant. On ne pouvait se lasser d’acclamer et d’écouter les orateurs patriotes.

Cette assemblée eut un immense retentissement ; elle activa le feu populaire et fut suivie de plusieurs autres réunions bruyantes et d’émeutes qui décidèrent le gouvernement à lancer des mandats d’arrestation contre la plupart des chefs patriotes du district de Montréal.