Les Patriotes de 1837-1838/18

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Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 93-98).

le dr l.-h. masson et m. damien masson


Le Dr Luc-Hyacinthe Masson et son frère, M. Damien Masson, étaient, en 1837, deux gros et grands garçons, aux yeux noirs, au teint bronzé, aux épaules robustes, au caractère déterminé. Ils étaient fils de M. Louis Masson, capitaine de milice et marchand, de Saint-Benoît. Le premier avait vingt-six ans et l’autre vingt-un ans.

Après un bon cours d’études au séminaire de Montréal, le Dr Masson avait étudié la médecine sous le célèbre Dr Robert Nelson, qui n’eut pas de peine à inculquer à son jeune élève ses principes politiques comme sa science médicale. Pendant le choléra de 1832, son patron, étant tombé malade, le chargeait de le remplacer auprès des émigrés à la Pointe-Saint-Charles, et, le 1er août, on l’envoyait à Beauharnois prendre la place du Dr Fleming, qui venait de succomber à l’épidémie. D’un caractère et d’une constitution à toute épreuve, le jeune étudiant en médecine avait accepté avec plaisir les missions difficiles et dangereuses qu’on lui confiait.

Il fut reçu médecin en 1833, demeura quelques années à Beauharnois, et alla s’établir à Saint-Benoît. Il arrivait bien : la paroisse était en feu. Il eut bien garde d’amortir ce feu ; il l’activa, au contraire, en s’enflammant lui-même.

La parole et l’exemple des Girouard et des Chénier, dont il devint l’ami intime, ne pouvaient manquer de surexciter une nature aussi hardie. Il fit si bien, qu’au bout de quelques mois, il était considéré comme l’un des chefs des patriotes du comté des Deux-Montagnes.

Le 10 juin 1837, il était nommé secrétaire de la grande assemblée tenue à Sainte-Scholastique, sous la présidence de Jacob Barcelo, pour protester contre les propositions de lord John Russell.

Le 6 août 1837, il allait, à la tête d’une centaine de patriotes des Deux-Montagnes, à l’assemblée du comté de Vaudreuil, et prenait la parole à la suite d’O’Callaghan et d’Ovide Perrault, le jeune et populaire représentant de ce beau comté.

Comme le docteur était commissaire des petites causes et juge de paix pour le district de Montréal, il reçut une lettre de M. Walcott, le secrétaire de lord Gosford, lui demandant compte de sa conduite aux assemblées de Vaudreuil et des Deux-Montagnes.

La réponse fut courte.

M. Masson répondit qu’en sa qualité de sujet anglais, il avait le droit constitutionnellement d’exprimer ce qu’il pensait de l’administration des affaires publiques.

Cette réponse fut suivie d’un ordre général qui annulait dans tout le pays les commissions des officiers de milice, commissaires et juges de paix, dont la loyauté était suspecte.

Deux jours après, des mandats d’arrestation étaient émis.

Deux huissiers se rendirent à Saint-Benoît pour arrêter le Dr Masson et quelques autres chefs patriotes ; mais l’accueil peu rassurant que le peuple leur fit, quand il apprit le but de leur voyage, les effraya, et ils s’en retournèrent comme ils étaient venus, sans tambour ni trompette, heureux d’en être quittes à si bon marché.

Dans l’après-midi du 14 décembre 1837, au moment où l’héroïque Chénier tombait sous les balles des bureaucrates, Girod arrivait à course de cheval à Saint-Benoît, se rendait chez M. Girouard et disait qu’il venait de Saint-Eustache chercher des secours. Le Dr Masson et son frère Damien lui reprochent d’avoir quitté le champ de bataille, et le traitent de lâche et de poltron. Girod, furieux, tire un pistolet, mais le Dr Masson l’aurait assommé d’un coup de tisonnier si son frère ne lui eût pas arrêté le bras.

— Nous n’avons pas de temps à perdre, dit M. Damien Masson à son frère, allons au secours de Chénier avec tous ceux que nous pourrons soulever et entraîner, nous emmenons Girod avec nous.

— Oui, dit le Dr Masson, qui avait une carabine à la main, allons, Girod, nous verrons qui est un lâche.

Ils partirent, Girod avec eux, enrôlant tous ceux qu’ils pouvaient rencontrer. Arrivés à mi-chemin, ils s’arrêtèrent chez un nommé Inglis. Pendant qu’ils se chauffaient, Girod se glissa furtivement dans une chambre de la maison, s’élança par la fenêtre dans la cour, monta dans la voiture d’un cultivateur, et se sauva au grand galop du cheval, du côté de Sainte-Thérèse. On sait que, poursuivi et trahi, il se faisait sauter la cervelle, quelques jours après, à la Pointe-aux-Trembles, au moment où il allait être arrêté.

Inutile de dire combien la fuite de Girod consterna ceux qui avaient eu confiance en lui. Bientôt, les patriotes échappés au massacre de Saint-Eustache, commencèrent à arriver et racontèrent les tristes événements dont cette paroisse venait d’être le théâtre.

Chénier mort… Girod disparu… on comprit que tout était fini, et on décida qu’il fallait déposer les armes et recevoir les troupes, le drapeau blanc à la main.

Les chefs ayant résolu de quitter Saint-Benoît avant l’arrivée des troupes, afin d’échapper à la vengeance des bureaucrates et de rendre plus acceptable la soumission des gens de cette paroisse, le Dr Masson et son frère Damien partirent, lorsqu’il n’y avait plus un moment à perdre, et se dirigèrent vers le sud, du côté des États-Unis. Ils avaient traversé le fleuve, à la tête du canal de Beauharnois, et se croyaient en sûreté, lorsqu’ils furent arrêtés par un parti de volontaires stationné au fort du Coteau-du-Lac. Ils avaient été vendus par un batelier, un traître et un lâche, qui, les ayant reconnus, était allé, après avoir reçu leur argent, avertir le colonel Simpson.

M. Masson et son frère Damien furent conduits au corps de garde du Coteau où ils passèrent la nuit. Le capitaine McIntyre, qui commandait les volontaires, étant tombé de son cheval, s’était blessé assez gravement. Il demanda au Dr Masson de le saigner. Les volontaires anglais jetèrent les hauts cris ; ils ne pouvaient comprendre que le capitaine consentît à se faire saigner par un rebelle. Le capitaine, qui était un homme d’esprit, se fit saigner quand même, et trouva que le docteur avait la main aussi sûre qu’un bureaucrate.

Pendant la nuit, le Dr Masson fit semblant de dormir afin de tout voir et de tout entendre. À chaque instant, des volontaires entraient dans l’appartement où il était couché, lui mettaient presque la chandelle sous le nez pour l’examiner, et disaient en le regardant :

— Quel dommage ! c’est un beau jeune homme. Je ne voudrais pas être à sa place.

— Non, disaient les autres, car notre colonel vient d’avoir la nouvelle que les prisonniers, en arrivant à la ville, seront jugés par la cour martiale et fusillés, une demi-heure après.

M. Masson n’aurait pu s’empêcher de rire parfois, s’il n’avait pas fini par croire que ces volontaires disaient la vérité. Il le crut tellement, que, le lendemain matin, il demanda au colonel Simpson s’il n’y aurait pas moyen de le faire fusiller dans l’enceinte du fort, afin d’en finir plus vite. Le colonel le rassura en lui disant qu’il ne fallait pas ajouter foi à toutes ces histoires de fusillades.

Le lendemain, M. Masson fut conduit avec son frère à Montréal. En arrivant dans le vestibule de l’ancienne prison de Montréal, ils trouvèrent M. l’abbé Blanchet, le curé patriote de Saint-Charles, qui venait d’être arrêté. Après quelques pourparlers entre le procureur général Ogden et le shérif, les prisonniers furent attachés avec des cordes les uns aux autres, et escortés jusqu’à la prison par une compagnie de carabiniers sous le commandement du major C. Sabrevois de Bleury.

M. Masson trouva dur d’être enfermé dans une cellule à peine assez grande pour le contenir, avec une livre et demie de pain par jour et le plancher nu pour lit.

Un jour, il demanda au shérif qui lui avait ôté tout son argent, de lui remettre quelques piastres dont il avait absolument besoin ; le shérif refusa. Alors le Dr Masson, qui faisait de la bile depuis longtemps, jugea que c’était le temps de s’en débarrasser ; il fit au shérif une terrible semonce qui l’impressionna, car il alla aussitôt s’en plaindre à M. Girouard.

— M. Masson ne vous a rien dit de trop, se contenta de répondre M. Girouard.

Les prisonniers, fatigués de cette vie de privations et d’anxiété, demandaient vainement qu’on fit leur procès et qu’on décidât de leur sort. Colborne hésitait, retardait. Enfin, lord Durham arriva, et l’on sait comment il régla cette épineuse question. Le Dr Masson fut exilé aux Bermudes.

Permission ayant été donnée aux exilés, la veille de leur départ, de voir leurs familles, Mme Masson se rendit à la prison pour faire ses adieux à ce fils qu’elle aimait tant.

C’était une noble femme. Elle avait résolu de fortifier son fils par son courage et sa résignation, au lieu de l’attrister par le spectacle de ses larmes. Elle tint parole ; dominant son émotion, elle lui dit en le quittant :

— Mon fils, tu pars pour l’exil, tu as voulu te sacrifier pour tes compagnons de prison. Sois courageux jusqu’à la fin. Je suis fière de toi. Je me consolerai dans ton absence en pensant que Dieu m’a donné des enfants aussi bons patriotes et dignes de moi.

Les femmes de Sparte n’étaient pas plus héroïques.

Le Dr Masson, après son exil, alla se fixer à Fort-Covington, dans l’état de New-York, revint dans le pays, quelques années plus tard, pratiqua comme médecin, fut élu député du comté de Soulanges, et mourut à un âge assez avancé.