Les Patriotes de 1837-1838/19

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Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 98-100).

pierre amiot


C’était un dur régime que celui de la prison de Montréal en 1837 et 1838, un véritable régime de prison d’État, qui tue plus lentement, mais presque aussi sûrement que l’échafaud.

Sans les secours généreux donnés aux prisonniers par des parents ou des amis, un grand nombre auraient succombé. On leur donnait pour toute nourriture une livre et demie de pain par jour et un gallon d’eau, une cellule où un homme pouvait à peine se retourner quand il était couché, point de lit ni de paillasse, pas même une couverture.

Il est facile de s’imaginer l’effet que produisait un pareil régime sur des hommes habitués à bien vivre, et en proie aux angoisses les plus douloureuses. Parmi ceux qui ne purent y résister, il faut placer au premier rang M. Pierre Amiot.

Fait prisonnier près du champ de bataille de Saint-Charles, où il s’était battu bravement à côté des Marchesseault et des Hébert, il tomba malade peu de temps après son entrée dans la prison.

Il était reconnu par tout le monde, constaté par les médecins, que c’était le régime de la prison qui le tuait, que le bon air, une nourriture saine, et les soins de la famille le rendraient à la santé. Toutes les démarches tentées pour le faire sortir furent inutiles. Il avait montré trop de dévouement à la cause nationale pour exciter la pitié de ses geôliers.

Il ne sortit comme les autres qu’au mois de juillet 1838, en vertu de l’amnistie proclamée par Durham.

La liberté, les soins les plus empressés, les sympathies les plus touchantes le ranimèrent un peu, mais ne purent le sauver ; il mourut au mois de janvier suivant.

M. Amiot était, en 1816, un bon cultivateur de la paroisse de Verchères, lorsqu’il fut élu pour représenter, dans la Chambre d’assemblée, le comté de Surrey, qui comprenait alors les comtés de Verchères et de Chambly.

Les patriotes crurent qu’ils auraient en lui un défenseur énergique de leurs droits, un vaillant soldat dans la lutte que les Papineau et les Bédard soutenaient contre la bureaucratie.

Ils ne se trompèrent pas.

Pendant vingt ans, il fut fidèle au drapeau, combattit sans relâche, et se distingua par des actes de sacrifice et de courage. Ayant, en 1827, agi comme vice-président d’une assemblée publique convoquée à Verchères, dans le but de demander le rappel de lord Dalhousie, le gouverneur lui demanda compte de sa conduite.

Il refusa de répondre et fut destitué comme capitaine de milice.

En 1830, lors de la division du comté de Surrey, il fut élu par le comté de Verchères, et le gouvernement lui donna le grade de major dans la milice. Il continua de mériter la confiance des patriotes et fut de nouveau destitué pour avoir assisté à l’assemblée de Saint-Charles.

Prêchant d’exemple comme de parole, il prit le fusil en 1837, et se rendit à Saint-Charles pour faire le coup de feu. Il se distingua parmi cette poignée de braves qui, mitraillés à bout portant, entourés par les soldats de Wetherall, sans chef et sans munitions, se battirent à la fin à coups de crosse de fusil. Quand il jugea que tout était fini, lorsqu’il eut vu tomber à côté de lui presque tous ses compagnons d’armes, il chercha son salut dans la fuite et réussit d’abord à faire son chemin à travers les balles et les boulets. Mais il fut bientôt arrêté, enchaîné et conduit à la prison de Montréal, où, comme nous l’avons dit, l’humidité, le mauvais air et les privations détruisirent en peu de temps sa constitution.

Mieux eût valu pour lui mourir sur le champ de bataille, que de s’éteindre si tristement dans les murs d’une prison ; c’est ce qu’il disait quelquefois, mais il ajoutait que ce n’était pas sa faute si les balles l’avaient épargné à Saint-Charles.

M. Amiot n’avait pas beaucoup d’instruction ; il ne savait à peu près que ce qu’il avait appris de lui-même ; mais c’était un homme d’un esprit solide et surtout d’un caractère d’airain. Comme cet autre patriote de 1837, auquel le geôlier demandait ironiquement qui il était, il aurait pu répondre : — J’su-t-un homme.

Oui, c’était un homme, et c’est tout dire.