Les Patriotes de 1837-1838/20

La bibliothèque libre.
Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 100-103).

louis lacasse


Parmi les patriotes de 1837, et au premier rang de ceux qui se sont distingués à la bataille de Saint-Denis, il faut placer M. Louis Lacasse. C’était un homme brave, déterminé, un véritable patriote qui n’hésita pas à sacrifier la belle position d’assistant-shérif qu’il occupait en 1837, et à risquer sa vie comme sa fortune pour la cause de la liberté.

Tout jeune, il avait fait la campagne de 1812-1813, sous M. de Joliette, et avait montré pour défendre le drapeau anglais le même courage qu’il déploya plus tard contre ceux qui voulaient faire de ce drapeau un emblème d’oppression.

La guerre terminée, Louis Lacasse, dont la conduite avait été plus d’une fois remarquée par ses chefs, se retira avec le titre d’enseigne, et retourna à Saint-Denis où il se maria, et se fit une excellente position. Lorsque la lutte éclata entre les bureaucrates et les patriotes, il ne put s’empêcher de prendre part à l’agitation, et de tout sacrifier plutôt que de subir en silence les injustices et la tyrannie d’une bureaucratie violente.

L’expérience et le goût des armes qu’il avait acquis dans la guerre de 1812, firent que le Dr  Nelson jeta les yeux sur lui pour organiser, conjointement avec le capitaine Jalbert, la petite armée destinée à se battre contre les vétérans de Waterloo.

À la bataille de Saint-Denis, il fit son devoir à la tête de sa compagnie. Il était à côté de Saint-Germain lorsque celui-ci fut tué, avec deux autres Canadiens ; il fut lui-même blessé par un éclat de pierre arraché au mur de la maison au premier coup de canon.

Vers le milieu de la journée, le capitaine Laçasse sortit de la maison pour se battre plus à l’aise.

La bataille finie, il regagna sa maison où il ne trouva personne. Sa femme et ses enfants étaient allés au presbytère se mettre sous la protection de M. l’abbé Demers.

Du grenier, les enfants avaient vu tout le combat, et l’une des petites filles, agenouillée dans la fenêtre, avait prié Dieu tout le temps.

Obligé, comme les autres, de fuir après la défaite de Saint-Charles, il se dirigea du côté des États-Unis, et mit dix-huit jours à atteindre la frontière. Il eut beaucoup à souffrir pendant sa fuite du froid et de la faim.

Quand il vit, en 1838, qu’on méditait une nouvelle insurrection, il entreprit de retourner au Canada pour se mettre de nouveau au service de la cause. La frontière était garnie de sentinelles ; il eut recours à toutes sortes de stratagèmes pour tromper la vigilance, simulant la folie, faisant le sourd-muet. À un certain endroit, il put passer à travers une compagnie de soldats, grâce à son beau-frère, M. Germain Lespérance, qui le cacha sous une charge de foin et de légumes.

Rendu à Saint-Denis, il s’installa dans le grenier de sa maison, et réussit, pendant trois mois, à se dérober à la vengeance des bureaucrates. Ceux-ci vinrent plus d’une fois dans sa maison pour obtenir des renseignements, et il les entendit souvent dire à sa femme qu’ils ne le ménageraient pas s’ils mettaient la main sur lui. La nuit, il sortait pour prendre part à des réunions de patriotes.

L’insurrection de 1838 fut si courte qu’il n’eut pas le temps, heureusement pour lui, d’y prendre part ; toutefois, il fut obligé de se réfugier de nouveau aux États-Unis. L’amnistie ayant été accordée aux patriotes de ’37, il revint au Canada, heureux de revoir son pays bien-aimé, mais pauvre, inquiet sur l’avenir de sa famille. Il ne regretta pas ce qu’il avait fait pour la cause de la liberté ; il était de ces hommes à qui les nobles satisfactions du patriotisme et du devoir accompli suffisent ; mais il lui fallait bien reconnaître que son dévouement avait brisé son avenir. Il ne put jamais refaire sa situation, renouer complètement le fil de sa destinée. Après avoir tenté la fortune en divers endroits, il retourna dans sa chère paroisse de Saint-Denis où il mourut en 1868, à l’âge de 75 ans.