Les Patriotes de 1837-1838/45

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Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 223-225).

NARBONNE, NICOLAS, DAUNAIS, HINDELANG, DE LORIMIER


pierre-rémi narbonne


Pierre-Rémi Narbonne avait trente-trois ans. C’était un homme de moyenne taille ; il avait le teint animé, les yeux vifs, la figure intelligente, une épaisse chevelure bouclée. Affable, sympathique, remuant, d’un patriotisme ardent, il était très populaire. Peintre et huissier, il cumulait deux professions peu lucratives à cette époque.

Il était né à Saint-Rémi, mais il demeurait en 1837 à Saint-Édouard, paroisse paisible que les bureaucrates avaient toujours considérée comme un de leurs châteaux forts. Il contribua beaucoup à changer les sentiments de cette paroisse et à la rendre libérale.

Après la défaite des patriotes à Saint-Charles, sachant que depuis longtemps les bureaucrates avaient l’œil sur lui, il partit pour les États-Unis, s’enrôla dans la troupe organisée par Gagnon pour venger la défaite de Saint-Charles, et prit part à la malheureuse affaire de Moore’s Corner où il se distingua.

Cette défaite ne le découragea pas ; apprenant que les patriotes du comté des Deux-Montagnes se préparaient à frapper un grand coup, il résolut d’aller leur offrir ses services et partit pour Saint-Eustache. Fait prisonnier par des volontaires près de Sherrington, il fut conduit à Saint-Jean. La petite troupe qui l’escortait ayant pris le chemin de Saint-Édouard, on passa devant la maison de Narbonne. Le prisonnier demanda qu’on lui permît de s’arrêter, un instant, pour embrasser ses enfants et voir sa femme que l’inquiétude et les mauvais traitements, dont elle avait été victime pendant l’absence de son mari, avaient rendue très malade.

On lui refusa cette faveur.

Quelques jours après, Narbonne apprenait, dans la prison de Montréal, que la nouvelle de son arrestation avait achevé de tuer sa pauvre femme ; elle lui laissait trois enfants en bas âge, dénués de tout. On peut se faire une idée des sentiments de douleur et d’exaspération qu’il éprouva, des projets de vengeance qui envahirent son âme. Personne ne trouva plus que lui le temps long en prison, ne manifesta plus d’impatience. La pensée de l’état misérable de ses pauvres petits enfants le tourmentait sans cesse.

L’amnistie de Lord Durham l’ayant rendu à la liberté, dans le mois de juillet, il se hâta de retourner à sa maison. Il y rentra le cœur gros, car sa femme n’y était plus.

Les chefs patriotes le sachant capable de tout pour se venger de ce qu’il avait souffert, eurent soin de s’adresser à lui, lors du soulèvement de 1838. Le 6 novembre, il était à côté de Nelson et d’Hindelang à Napierville, et il recevait le grade de colonel. Il prouva, à Odelltown, qu’on avait eu raison de compter sur sa bravoure. Il essaya de traverser les lignes après la défaite, mais il fut arrêté, conduit à Napierville où il eut beaucoup à souffrir du froid, et traîné à la prison de Montréal au milieu des insultes, des crachats et des cris de mort d’une foule stupide.

Le 26 janvier, il subit son procès avec Daunais, Nicholas, Pierre Lavoie, Antoine Coupal dit Lareine, Théodore Béchard, François Camyré, François Bigonesse dit Beaucaire et Joseph Marceau dit Petit Jacques.

Ils furent tous condamnés à être pendus, mais trois le furent seulement : Narbonne, Nicholas et Daunais.

Nous ne pourrions pas comparer Narbonne comme Duquet à un agneau qu’on mène à la boucherie ; il manifesta jusqu’au dernier moment ses sentiments de haine contre les bureaucrates et le gouvernement. Il resta implacable, inexorable, et il n’y a pas de doute que s’il avait reçu sa grâce, il aurait, le lendemain, repris les armes.

Le spectacle de son exécution fut presqu’aussi émouvant et pénible que celui du supplice du pauvre Duquet. Il était manchot, ayant eu presque tout un bras coupé, lorsqu’il était enfant. Le bourreau ne réussit pas à l’attacher assez solidement. Lorsque la trappe tomba, Narbonne réussit à saisir la corde et resta suspendu par le bras. Deux fois on lui fit lâcher prise, deux fois, il ressaisit la corde.

Quel triste spectacle !

La mort vint enfin terminer les souffrances de l’infortuné Narbonne.