Les Pensées d’une reine/Le Malheur

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Calmann Lévy (p. 71-77).

VI

LE MALHEUR


I

Le malheur naît-il de l’imprudence, ou bien est-on imprudent parce qu’on est prédestiné au malheur ?


II

Chaque déception vous détache de la terre, des hommes, de vous-même surtout ; ce sont autant de périodes d’une maladie mortelle.


III

Dans le naufrage de votre vie, vous auriez pu vous sauver, sans la honte qui est venue s’asseoir sur votre planche de salut et qui vous a fait aller au fond.


IV

Le malheur peut rendre fier ; la souffrance rend humble.


V

On est toujours le martyr de ses propres défauts.


VI

Un grand malheur donne de la grandeur, même à un être insignifiant.


VII

Ne soyez pas fier d’avoir supporté votre malheur. Pouviez-vous ne pas le supporter ?


VIII

Il y a une espèce de fraternité qui se forme à première vue entre ceux que le malheur a frappés. Lorsque vous avez longtemps porté le deuil, vous vous sentez attiré vers chaque robe noire que vous rencontrez.


IX

Vous en voulez au temps qui vous éloigne d’une perte cruelle ; il vous enlève ce qui vous restait, le droit de pleurer.


X

Le respect qu’on vous montre dans votre malheur diminue longtemps avant que vous ne recommenciez à vivre ; et vous voilà irrité de ce qu’on vous traite comme avant.


XI

Il faut être bien malheureux pour tenter deux fois le suicide.


XII

Le malheur est comme l’hydre de Lerne ; mais on ne gagne rien à faire l’Hercule.