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Les Petits poèmes grecs/Pindare/Dissertation sur les jeux olympiques

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DISSERTATION SUR LES JEUX OLYMPIQUES.




La gloire fut toujours pour les Grecs la source de toutes les vertus et le principe des actions les plus héroïques : lois, gouvernement, coutumes, jeux et solennités, tout dans les institutions de ce peuple belliqueux et passionné pour les grandes choses avait été combiné pour entretenir et exciter le feu sacré du patriotisme et de l’émulation. De sages législateurs avaient compris qu’il fallait ouvrir la carrière de la gloire à chaque citoyen, et donner ainsi un noble élan à chaque genre de mérite. Parmi ces institutions, les jeux et les combats contribuèrent d’une manière spéciale à cette splendeur à laquelle la Grèce parvint en peu de temps. Si l’on en considère l’origine et le but, il ne paraîtra plus étonnant qu’ils aient donné lieu à de si grands prodiges. Leur origine se rattachait à quelque dieu ; leur but était l’immortalité.

Hercule, Thésée, Castor et Pollux et les plus grands héros de l’antiquité, non-seulement en furent les instituteurs ou les restaurateurs, mais ils se firent encore gloire d’en pratiquer eux-mêmes les exercices, et un mérite d’y réussir. Vainqueurs des monstres et des ennemis du genre humain, ils ne crurent pas se rabaisser en aspirant aux honneurs du cirque, ni flétrir l’éclat de leurs anciennes couronnes en y ajoutant celles dont on ceignait leur tête dans ces jeux solennels. Aussi ces victoires étaient-elles l’objet des chants et des éloges des plus fameux poëtes, et la Grèce entière ne tarda-t-elle pas à s’enflammer du désir de marcher sur les pas de ses héros et de se signaler comme eux dans les combats publics.

Mais, outre le puissant aiguillon de la gloire, ces jeux, si conformes à l’humeur guerrière des Grecs, avaient encore l’avantage de former leurs jeunes gens à la profession des armes ; ils fortifiaient leurs corps, les rendaient plus robustes, plus capables de supporter les travaux et les fatigues de la guerre ; en un mot, plus fermes et plus adroits dans les combats, où l’on s’approchait de près et où la force du corps décidait ordinairement de la victoire.

On comptait quatre sortes de jeux auxquels était spécialement affecté le titre d’ieroi, sacrés, tant à cause de la haute faveur dont ils jouissaient chez toutes les nations, que parce qu’ils étaient un hommage rendu à des dieux ou à des héros déifiés, et étaient toujours précédés et suivis de pompeux sacrifices. Les deux distiques suivans rappellent à la fois leurs noms et ceux des dieux auxquels ils étaient consacrés, ainsi que les différens prix réservés aux vainqueurs :

Tessares eisin agônes an’ Ellada, tessares iroi ;
Oi duo men thnètôn, oi duo d’athanatôn,
Zênos, Lêtoidao, Palaimonos, Archomoroio,
Athtla de cotinos, mêla, selina, pitus.

Les olympiques se célébraient tous les quatre ans en l’honneur de Jupiter, à Pise ou Olympie ; les pythiques, consacrés à Apollon, surnommé Pythien, étaient célébrés à Delphes, aussi de quatre ans en quatre ans ; les Néméens, qui tiraient leur nom de Némée, ville et forêt du Péloponèse, furent établis par Hercule après qu’il eut tué le lion de la forêt de Némée ; ils se célébraient de deux ans en deux ans ; enfin les isthmiques avaient lieu à l’isthme de Corinthe, tous les quatre ans, en l’honneur de Neptune.

Entre ces jeux, les olympiques tenaient le premier rang, pour plusieurs raisons ; d’abord ils étaient consacrés à Jupiter, le plus grand des dieux, et avaient été institués par Hercule, le plus grand des héros ; en second lieu, on les célébrait avec plus de pompe et plus de magnificence que les autres, et ils attiraient une immense multitude de spectateurs et d’athlètes ; enfin ils devinrent si célèbres dans tout l’univers qu’ils donnèrent leur nom aux olympiades, époques sur lesquelles les Grecs et les nations voisines établirent leur chronologie. Ils tiraient eux-mêmes leur nom, soit d’Olympie, ville de l’Élide, où ils se célébraient, soit du surnom d’Olympien donné à Jupiter, auquel ils étaient consacrés.

Leur origine se perd dans la nuit des temps, et les auteurs grecs mêlent tant de fables aux faits historiques et embrassent des opinions si différentes qu’il n’est possible ni de les concilier ni de les suivre séparément. Diodore de Sicile dit que ce fut Hercule qui les institua : Eraclês o stratêgicos, sunestêsato ton Olumpicon agôna ; qu’il n’était pas fils d’Alcmène, mais Égyptien ou Crétois d’origine, et que la seule analogie du nom induit en erreur les historiens qui le disent le fils d’Alcmène : Tous de metagenesterous anthropous dia tên omônumian dokein, ton ex Alkmênês sustêsasthai tên tôn olumpiôn thesin. Pausanias est du même sentiment ; mais il le nomme Hercule Idéen : Eraklei oun prosesti tô Idaiô doxa tonté agôna diatheinai prôtô, kai Olumpia onoma thesthai. (Paus. in Æliac.) Cependant aucun de ces deux historiens ne nous dit d’une manière certaine ni en quel temps ni en quelle occasion il les institua. « Quant aux jeux olympiques, dit Pausanias, voici ce que j’en ai appris de quelques Éléens, qui m’ont paru fort profonds dans l’étude de l’antiquité. Selon eux, Saturne est le premier qui ait régné dans le ciel, et, dès l’âge d’or, il avait un temple à Olympie. Jupiter étant venu au monde, Rhéa, sa mère, en confia l’éducation aux Dactyles du mont Ida, autrement appelé Curètes. Ces Dactyles vinrent ensuite de Crète en Élide, car le mont Ida est en Crète. Ils étaient cinq frères, savoir : Hercule, Péonéüs, Épimède, Jasius et Ida. Hercule, comme l’aîné, proposa à ses frères de s’exercer à la course et de voir qui en remporterait le prix, c’est-à-dire une couronne d’olivier, car l’olivier était déjà si commun qu’ils en prenaient les feuilles pour en joncher la terre et pour dormir dessus. Hercule apporta le premier cette plante en Grèce, de chez les Hyperboréens.

» C’est donc Hercule Idéen qui a eu la gloire d’inventer ces jeux et qui les a nommés olympiques. Et parce qu’ils étaient cinq frères, il voulut que ces jeux fussent célébrés tous les cinq ans. Quelques-uns disent que Jupiter et Saturne combattirent ensemble à la lutte dans Olympie, et que l’empire du monde fut le prix de la victoire. D’autres prétendent que Jupiter ayant triomphé des Titans, institua lui-même ces jeux, où Apollon signala son adresse en remportant le prix de la course sur Mercure et celui du pugilat sur Mars. C’est pour cela, disent-ils, que ceux qui se distinguent au pentathle dansent au son des flûtes qui jouent des airs pythiens, parce que ces airs sont consacrés à Apollon, et que ce dieu a été couronné le premier aux jeux olympiques.

» Cinquante ans après le déluge de Deucalion, Clyménus, fils de Cardis et l’un des descendans d’Hercule Idéen, étant revenu de Crète, célébra ces jeux à Olympie ; ensuite il consacra un autel aux Curètes, et nommément à Hercule, sous le titre d’Hercule protecteur. Endymion chassa Clyménus de l’Élide, s’empara du royaume et le proposa à ses propres enfans pour prix de la course. Mais Pélops, qui vint environ trente ans après Endymion, fit représenter ces mêmes jeux en l’honneur de Jupiter, avec plus de pompe et d’appareil qu’aucun de ses prédécesseurs. Ses fils n’ayant pu se maintenir en Élide et s’étant répandus en divers lieux du Péloponèse, Amythaon, cousin germain d’Endymion, donna ces jeux au peuple. Après lui, Pélias et Nélée les donnèrent à frais communs. Augias les fit aussi célébrer, et ensuite Hercule, fils d’Amphytrion, lorsqu’il eut pris l’Élide. Le premier qu’il couronna fut Iolas, qui, pour remporter le prix de la course du char, avait emprunté les propres cavales d’Hercule. Les fils de Tyndare furent aussi victorieux : Castor à la course et Pollux au combat du ceste. On prétend même qu’Hercule eut le prix de la lutte et du pancrace.

» Mais, depuis Oxilus, qui ne négligea pas non plus ces spectacles, les jeux olympiques furent interrompus jusqu’à Iphitus, qui les rétablit. On en avait même presque perdu le souvenir ; peu à peu on se les rappela, et à mesure que l’on se souvenait de quelqu’un de ces jeux, on l’ajoutait à ceux que l’on avait déjà trouvés. Cela paraît manifeste par la suite des olympiades dont on a eu le soin de conserver la mémoire, car dès la première olympiade[1] on proposa un prix de la course, et ce fut Corœbus, Eléen, qui le remporta. »

Cependant le sentiment le plus accrédité parmi les savans est que la célébration des jeux olympiques ne présente de certitude historique qu’à dater de Pélops, fils de Tantale. Il les fit célébrer l’an du monde 2635, qui répond à la vingt-neuvième année du règne d’Acrise, roi d’Argos ; à la trente-quatrième du règne de Sicyon, dix-neuvième roi de Sicyone, et à la vingt-troisième année de la judicature de Débora chez les Hébreux, environ 1349 ans avant notre ère. Ils furent tantôt célébrés, tantôt interrompus, jusqu’au règne d’Iphitus, roi d’Élide, qui les restaura avec beaucoup de pompe et de magnificence.

Les guerres intestines dont la Grèce était déchirée, la peste qui la désolait, conduisirent ce prince à Delphes pour consulter l’oracle sur des maux si pressans. La Pythie lui répondit que le renouvellement des jeux olympiques serait le salut de la Grèce, et qu’il y travaillât lui et les Éléens. Iphitus ordonna aussitôt un sacrifice pour apaiser Hercule, puis célébra les jeux avec grand appareil. Au rapport de plusieurs historiens, Lycurgue, qui était son contemporain, concourut avec lui à ce rétablissement, il est même assez probable que la première idée venait du législateur de Sparte. Ce grand homme voulant réformer les lois de sa patrie, comprit qu’il ne pourrait en venir à bout tant qu’elle serait en guerre avec ses voisins ; il chercha donc à rétablir la paix dans le Péloponèse. Il y parvint et imagina de la consolider en instituant, d’après les ordres qu’il s’était fait donner par l’oracle de Delphes, une fête commune à tous les peuples de cette contrée. Cette fête devant se célébrer tous les quatre ans, leur offrait un point de réunion où ils pouvaient conférer ensemble et s’expliquer sur les démêlés qui seraient survenus dans l’intervalle. Lycurgue se concerta pour tout cela avec Iphitus, roi d’Élide, et Cléosthène de Pise, ville dans le territoire de laquelle Olympie était située. Il traça lui-même, suivant Aristote, les lois de la suspension d’armes qu’on devait observer à l’époque de la célébration de ces jeux, et il les fit graver sur un disque qui se voyait encore à Olympie du temps de Pausanias. Cette restauration remonte à l’an 884 avant J.-C.

La paix que Lycurgue avait rétablie entre les peuples du Péloponèse subsista sans doute tant que ce sage législateur resta à Sparte, et il est probable que les jeux olympiques furent célébrés durant tout ce temps-là ; mais à peine eut-il remis au jeune roi Charilaüs, son pupille, l’autorité dont il était chargé, que les Lacédémoniens se livrèrent à leur humeur conquérante, en attaquant successivement Ægis, Tégée et différentes villes du Péloponèse. Tandis qu’ils étaient occupés à la guerre d’Ægis, Phidon, roi d’Argos, de concert avec les Piséates, s’empara d’Olympie et y fit célébrer les jeux en la huitième olympiade depuis Iphitus. Il y a apparence que cette célébration fut ensuite suspendue pendant quelque temps. Mais les Éléens, ayant repris Olympie avec le secours des Lacédémoniens, Iphitus, fils d’Hæmon et petit-fils du premier Iphitus, rétablit encore les jeux olympiques, un peu avant le commencement du siège de Thèbes, l’an 776 avant J.-C., et c’est décidément de cette année que date l’ère des olympiades. Le siége d’Hélos commença presque aussitôt après. Les Éléens, voulant par reconnaissance envoyer des troupes au secours des Lacédémoniens, consultèrent l’oracle de Delphes, qui leur ordonna de s’en tenir à la défense de leur territoire. Ils restèrent ensuite cinq olympiades sans couronner personne, quoique les jeux se célébrassent toujours, mais probablement sans beaucoup de solennité. Cependant, à l’approche de la septième olympiade, Iphitus, dont nous venons de parler, ou peut-être son fils, alla de nouveau consulter l’oracle pour savoir si l’on couronnerait les vainqueurs. Le dieu répondit que oui, mais qu’il fallait employer à cela l’olivier sauvage au lieu du pommier, dont on s’était précédemment servi. On suivit ses ordres, et le premier qui reçut la couronne d’olivier fut Daïclès, Messénien, qui remporta effectivement le prix en la septième olympiade, suivant Denys d’Halicarnasse. Ce fut seulement à l’époque de ce rétablissement des jeux olympiques par Iphitus, l’an 776 avant notre ère, que s’établit l’usage de conserver le nom du vainqueur, tout au moins de celui qui avait remporté le prix de la course, parce que ce genre de lutte tenait le premier rang parmi les autres combats du cirque. C’est aussi depuis lors que l’athlète couronné à la course eut le privilège de donner son nom à l’olympiade.

En la dix-huitième olympiade, on se ressouvint du combat de la lutte et même du pentathle ; ils furent renouvelés ; Lampis et Eurybates, tous deux Lacédémoniens, eurent l’honneur de la victoire.

Le combat du ceste fut remis en usage en la vingt-troisième olympiade ; Onomastus de Smyrne en remporta le prix ; Smyrne était déjà censée ville d’Ionie. La vingt-cinquième olympiade fut remarquable par le rétablissement de la course du char attelé de deux chevaux, et ce fut Pagondas, Thébain, qui eut la victoire. La vingt-huitième vit renouveler le combat du pancrace et la course avec des chevaux de selle. La cavale de Crauxidas, natif de Cranon, passa toutes les autres, et Lygdamis de Syracuse terrassa tous ceux qui combattirent contre lui.

Ensuite les Éléens établirent des combats pour les enfans, quoiqu’il n’y en eût encore eu aucun exemple dans l’antiquité. Ainsi, en la trente-septième olympiade, on proposa aux enfans des prix pour la course et pour la lutte. Hippostène, Lacédémonien, fut déclaré vainqueur à la lutte, et Polynice, Éléen, à la course. En la quarante-unième, les enfans furent admis au combat du ceste, et Philétas, Sybarite, surpassa tous les autres. La soixante-cinquième olympiade introduisit encore une nouveauté : des gens de pied, tout armés, disputèrent le prix de la course ; ils parurent dans la carrière avec leurs boucliers, et Démarat, d’Hérée, remporta la victoire. Cet exercice fut jugé très-convenable à des peuples belliqueux. En la quatre-vingt-treizième olympiade, on courut avec deux chevaux de main dans la carrière ; Évagoras, Éléen, fut vainqueur. En la quatre-vingt-dix-neuvième, on attela deux jeunes poulains à un char, et ce nouveau spectacle valut une couronne à Sybariade, Lacédémonien. Quelque temps après on institua la course avec deux poulains menés en main ; Bélistiche, femme née sur les côtes de la Macédoine, fut la première qui remporta le prix. Enfin, en la cent quarante-cinquième olympiade, les enfans furent aussi admis au combat du pancrace, et Phédime, Éolien, d’une ville de la Troade, demeura victorieux.

Les femmes d’abord n’étaient point admises aux jeux olympiques : il y avait peine de mort contre celles qui auraient osé s’y présenter, et pendant tout le temps que duraient les jeux, il leur était défendu même d’approcher des lieux où ils se célébraient et de passer au delà du fleuve Alphée. Une seule eut la hardiesse de violer cette loi, et, s’étant déguisée, se glissa parmi ceux qui exerçaient les athlètes. Elle fut citée en justice et aurait subi la peine marquée par la loi ; mais les juges, en faveur de son père, de ses frères et de son fils, qui avaient tous remporté la victoire aux jeux olympiques, lui pardonnèrent sa faute et lui firent grâce de la vie. La loi perdit cependant peu à peu de sa force, et les femmes obtinrent la faveur, non-seulement d’assister comme spectatrices, mais encore de prendre place parmi les concurrens ; quelquefois même elles remportèrent la victoire. C’est ce qu’atteste Pausanias, que nous venons de citer plus haut, au sujet de la victoire remportée par Bélistiche.

L’époque de la célébration revenait tous les cinq ans, ou plutôt tous les cinquante mois, c’est-à-dire deux mois après l’espace de quatre ans révolus ; c’est ce qui a fait dire à un scholiaste : Tên olumpiada dia penté etôn agesthai, et non pas meta pente etôn. Ils duraient cinq jours, en mémoire des cinq Dactyles leurs premiers fondateurs, et commençaient au onzième jour pour finir au quinzième du mois lunéaire hécatombéon, ce qui répond à nos mois de juin et de juillet, par conséquent aux environs du solstice d’été. Les citations suivantes en font foi : Olumpia d’egeneto tou therous toutou (Thucyd. liv. 5). Tyanée, dans Philostrate, ayant avancé que l’année où Néron visita la Grèce, le vainqueur des jeux olympiques ne pourrait point être appelé de ce nom, Philostrate nous en donne la raison : Patriou men gar tois olumpiois tou perusin eniautou ontos, ekeleusé tous Éleious Nerôn anaballesthai auta es tên eautou epidêmian, « car quoique ce fût la coutume de célébrer ces jeux sur la fin de l’année, Néron ordonna aux Éléens de les différer jusqu’à son arrivée. » Or, la fin de l’année était aux environs du solstice, selon la manière de compter des Grecs.

On donnait le nom d’athlètes (de athlos, travail, combat) à ceux qui s’exerçaient à dessein de pouvoir disputer le prix dans les jeux publics. L’art qui les formait à ces combats s’appelait gymnastique (de gumnos, nu), à cause de la nudité des athlètes.

Les athlètes fréquentaient dès leur plus tendre jeunesse les gymnases, ou palestres, qui étaient des espèces d’académies entretenues pour cela aux dépens du public. Là, ces jeunes gens étaient sous la direction de différens maîtres, qui employaient les moyens les plus efficaces pour leur endurcir le corps aux fatigues des jeux et pour les former aux combats. Leur régime de vie était très-dur et très-austère. Ils n’étaient nourris, dans les premiers temps, que de figues sèches, de noix, de fromage mou et d’un pain grossier et pesant. Le vin leur était absolument interdit et la continence commandée.

Il est vrai que dans la suite les athlètes n’observèrent pas toujours ce genre de vie. Vers le temps d’Hippocrate on commença à leur permettre l’usage de la viande, mais d’une viande solide, telle que celle du bœuf. Dromeus, de Stymphale, athlète coureur, s’étant relâché sur ce point de discipline, les autres l’imitèrent bientôt et en vinrent par la suite à un point de dissolution et de voracité incroyable. Nous en avons une preuve frappante dans Milon de Crotone, qui mangea en un jour un taureau de quatre ans qu’il avait assommé d’un coup de poing, après l’avoir porté sur ses épaules dans toute la longueur du stade. Cet athlète avait peine à se contenter, pour sa nourriture ordinaire, de vingt mines de viande, d’autant de mines de pain et de trois conges de vin : les vingt mines équivalent à vingt de nos livres, et les trois conges environ à quinze litres.

Les neuf premiers mois de gymnastique préparatoire étaient consacrés à des exercices au choix des athlètes. Ils devaient se livrer le dixième à tous ceux en usage dans les jeux. Avant que d’être admis à combattre, ils subissaient encore d’autres épreuves : par rapport à la naissance, il fallait être Grec ; par rapport aux mœurs, elles devaient être à l’abri de tout reproche. Ainsi le condamné pour crime notoire, et même ceux qui lui appartenaient par les liens du sang, ne pouvaient être admis. Enfin, par rapport à la condition, il fallait être libre. Celui qui tentait de suborner son adversaire était puni d’une amende. Il devait encore, ainsi que ses parens, s’engager à n’employer aucun moyen frauduleux pour s’assurer la victoire. On ne doit pas confondre ici l’adresse d’un athlète habile dans toutes les souplesses de son art, qui sait esquiver à propos, donner subtilement le change à son antagoniste et profiter des moindres avantages avec cette lâche supercherie qui, sans nul égard pour les lois prescrites, emploie les moyens les plus injustes pour vaincre son adversaire.

Les athlètes se faisaient frotter avant les exercices, et par là donnaient à leur corps une grande souplesse ; mais comme ces onctions rendaient leur peau trop glissante et leur ôtaient la facilité de se colleter et de se prendre au corps avec succès, ils remédiaient à cet inconvénient, tantôt en se roulant sur la poussière de la lice, tantôt en se couvrant réciproquement d’un sable très-fin, réservé pour cet usage dans les xystes, ou portiques des gymnases. Ils se ceignaient d’abord d’une espèce de ceinture ou d’écharpe, pour paraître plus décemment dans les combats ; mais dans la suite, l’aventure d’un athlète, à qui la chute de cette écharpe fit perdre la victoire, donna occasion de sacrifier la pudeur à la commodité, en retranchant ce reste d’habillement. Cette nudité n’était d’usage parmi les athlètes que dans certains exercices, tels que la lutte, le pugilat, le pancrace, la course à pied, le saut, etc.

On appelait stade, chez les Grecs, l’endroit où les athlètes s’exerçaient entre eux à la course et celui où ils combattaient sérieusement pour les prix. Il était situé sur le penchant de la colline Cronium et non loin des bords de l’Alphée. Comme il n’avait d’abord qu’une stade de longueur (600 pieds), il prit le nom de sa propre mesure, et l’on comprit sous cette dénomination, non-seulement l’espace parcouru par les athlètes, mais encore celui qu’occupaient les spectateurs des combats gymniques. Le lieu où combattaient les athlètes s’appelait Skamma, parce qu’il était plus bas et plus enfoncé que le reste. Des deux côtés du stade et sur l’extrémité régnait une levée ou espèce de terrasse garnie de sièges et de bancs où étaient assis les spectateurs. Les trois parties remarquables du stade étaient l’entrée, le milieu, l’extrémité.

L’entrée de la carrière, d’où partaient les athlètes, était marquée d’abord par une simple ligne tracée suivant la largeur du stade ; elle recevait les noms de aphesis, grammê. On y substitua ensuite une espèce de barrière, qui n’était qu’une simple corde tendue au-devant des chars et des chevaux ou des hommes qui devaient courir, et elle s’appela aphetêria, usplênx.

Le milieu du stade n’était remarquable que par cette circonstance, qu’on y plaçait ordinairement les prix destinés aux vainqueurs. À l’extrémité était un but qui terminait la course des coureurs à pied ; il s’appelait telos, terma, skopos, stathmê. Dans la course des chars, il n’était question que de tourner plusieurs fois autour du but sans s’y arrêter pour regagner ensuite l’autre extrémité de la lice d’où l’on était parti.

En venant d’Olympie, on rencontrait d’abord la barrière des athlètes. Elle avait environ soixante pas de long sur une plus grande largeur : ainsi cette place formait un carré irrégulier. C’est dans cet espace qui précédait la lice que se tenaient les athlètes et les maîtres de lutte pendant la célébration des jeux. Du côté gauche s’élevait un tombeau que les Éléens disaient être celui d’Endymion, un de leurs rois ; et à l’entrée de la lice se trouvait la barrière ou câble dont nous avons parlé plus haut (usplênx), et qui, en se baissant, donnait le signal aux combattans. À l’autre extrémité était l’édifice construit pour recevoir les chars et les chevaux : il était de forme elliptique et ressemblait assez à la proue d’un navire dont l’éperon ou le bec était tourné du côté de la lice. Un dauphin de bronze, soutenu par une verge de fer, en formait le couronnement. Vis-à-vis la partie opposée, l’édifice s’élargissait des deux côtés et venait se terminer en cintre. On avait pratiqué des écuries et des remises sur le devant desquelles régnait un câble qui servait à retenir les chevaux. Les loges se tiraient au sort entre les combattans et décidaient du rang qu’ils devaient occuper en entrant dans la lice. Au milieu de l’édifice était un autel de briques crues qu’on blanchissait à chaque olympiade, et sur cet autel un aigle de bronze, les ailes déployées : par le moyen d’un ressort, cet aigle s’élevait et se faisait voir aux spectateurs, en même temps que le dauphin, qui était à l’éperon, s’abaissait et descendait jusque sous terre. À ce signal, on lâchait le câble qui retenait les chevaux dans leurs loges, et aussitôt les combattans s’avançaient vers le milieu de l’enceinte et se rendaient vers l’éperon, où ils prenaient le rang que le sort leur avait assigné. Alors tombait l’autre câble (usplênx) qui formait la véritable barrière, et à ce second signal ils entraient tous ensemble dans la carrière pour disputer la victoire.

L’espace qui se trouvait entre ces deux parties formait la lice ; elle était fermée à droite et à gauche par un mur à hauteur d’appui. Le côté droit, en parlant de la barrière, était plus allongé que l’autre, sans doute pour faciliter auprès de la borne le tournant de plusieurs chars courant à la fois. Ce côté regardait la plaine, l’autre s’appuyait sur la colline Cronium. Toute la lice, en y comprenant le gymnase, les gradins des spectateurs, etc., avait environ quatre cent cinquante pas de longueur sur à peu près cent vingt de largeur. Elle n’était pas absolument droite, mais un peu sinueuse, resserrée en quelques endroits ; le sol en était inégal et plein de petits tertres qui augmentaient la difficulté des courses. Aux trois quarts de la lice, où se trouvait apparemment la plus grande élévation du terrain, étaient, du côté de la plaine, les places des directeurs des jeux, qui consistaient en sièges de pierre exhaussés à la hauteur du mur : ils s’y rendaient par un chemin dérobé. Vis-à-vis on voyait un autel de marbre blanc avec la statue de Cérès Chamyne. Des deux côtés, dans toute la longueur, au-dessus et au-dessous de ces premières places, étaient celles des spectateurs ; les plus commodes étaient réservées aux personnes de distinction ; et à l’égard du peuple, qui accourait en foule à ces fêtes, il se plaçait où il pouvait sur la colline appelée par Pindare le Promontoire de Saturne ou Cronium ; elle bornait la lice d’un côté et formait un amphithéâtre capable de recevoir une grande multitude de spectateurs.

La lice, prise dans toute son étendue, servait aux courses de chevaux et de chars et se nommait l’hippodrome[2]. Les courses à pied se faisaient alors dans la partie de cette même lice qui commençait à la barrière des athlètes et s’étendait jusqu’aux sièges des directeurs des jeux et à l’autel de Cérès, partie qui conserva le nom de stade proprement dit. L’espace qui se trouvait entre ces sièges et l’autel servait vraisemblablement aux exercices qui ne demandaient pas un vaste emplacement ; les orateurs et les poètes s’y assemblaient pour réciter leurs ouvrages, car les musiciens combattaient dans le bois sacré, où les échos favorisaient l’harmonie de leur voix et de leurs instrumens. Enfin à l’extrémité de l’hippodrome, sur la gauche, était la borne autour de laquelle les chars et les chevaux montés par des cavaliers tournaient plus ou moins de fois, suivant l’espèce de combat. Vis-à-vis la borne, dans l’angle du même côté, s’élevait sur un autel de figure ronde la statue du génie Taraxipups (taraxis, épouvante ; ippôn, des chevaux); de sorte que les chevaux, en tournant dans un espace assez étroit, passaient nécessairement entre la borne et l’autel. La statue du génie, faite de manière à les effrayer, devenait une nouvelle occasion de danger, et il arrivait souvent que les chevaux épouvantés ne connaissaient plus ni la main ni la voix de celui qui les conduisait et renversaient le char et l’écuyer.

Jusqu’à la cinquantième olympiade, une personne seule fut chargée de la présidence des jeux. À cette époque, un collègue seulement lui fut adjoint.

À la cent troisième, nous en trouvons douze, nombre égal à celui des tribus éléennes, qui avaient le droit d’en nommer chacune un. À l’olympiade suivante, le nombre des tribus étant réduit à huit, celui des présidens se trouve diminué dans la même proportion. À la cent cinquième, il monte à neuf. À la cent sixième enfin, il est porté à dix et se maintient ainsi jusqu’au règne d’Adrien, empereur romain. Les présidens prenaient les noms de ellênodikai, hellanodiques (juges des Grecs), agônothetai, agonothètes (tithêmi agôna, régler le prix), athlothetai, athlothètes (tithêmi athlon, proposer des récompenses). Ils s’assemblaient dans un lieu appelé Ellênodikaion. Ils s’y rendaient dix mois avant l’ouverture des jeux pour y surveiller les exercices préparatoires des prétendans qui venaient disputer le prix et pour y recevoir des nomophulakés (gardiens des lois) la connaissance des règlemens à observer. C’était dans ce lieu que se tenaient les registres où l’on inscrivait le nom, le pays, le genre d’exercice de chaque athlète qui se présentait pour combattre et le nom et le pays de quiconque sortait victorieux de ces combats : cette coutume, bien capable d’entretenir une noble émulation, fut toujours fidèlement observée. Un héraut proclamait publiquement à l’ouverture des jeux les noms de tous ceux qui s’étaient, pour ainsi dire, enrôlés ; puis les juges faisaient prêter le serment, non-seulement aux athlètes, mais encore à leurs parens, comme nous l’avons déjà dit. La cérémonie du serment avait lieu dans le sénat : on immolait un porc, et c’était sur les membres sanglans de la victime, en présence de Jupiter Orkios (qui préside aux sermens), que juraient les athlètes et ceux qui les accompagnaient. Le dieu avait un air terrible ; il tenait des foudres de chaque main, et sous ses pieds étaient gravés, sur une tablette de bronze, des vers élégiaques remplis des imprécations les plus terribles contre les parjures. Tout cet appareil était bien capable d’inspirer de la crainte.

Après le serment, le sort réglait l’ordre dans lequel les prétendans étaient appelés à combattre. On plaçait dans une urne d’argent (kalpis) de petites boules de la grosseur d’une fève, marquées des caractères de l’alphabet. La même lettre se trouvait sur deux boules, et les deux prétendans qui les avaient amenées combattaient ensemble. Si les prétendans étaient en nombre impair, celui qui amenait la boule dépareillée était appelé ephedros, parce qu’il devait combattre le dernier et disputer le prix avec le prétendant qui jusque-là avait obtenu l’avantage. On regardait cette chance comme entièrement favorable ; cet ephedros en effet se présentait au combat frais et bien disposé contre un adversaire dont les triomphes précédens avaient dû épuiser les forces.

On avait établi des peines sévères, des amendes considérables contre ceux des athlètes qui n’observaient pas strictement les lois du combat. Mais ni les lois, ni les peines ne furent pas toujours un frein capable de contenir l’ambition. Il y eut des supercheries : la punition prompte et sévère qu’en firent les juges n’empêcha pas certains athlètes de tomber de temps en temps dans les mêmes fautes. Le Thessalien Eumolpus est le premier qui corrompit, à force d’argent, ceux qui se présentèrent contre lui au combat du ceste. On punit Eumolpus pour avoir donné l’argent ; ceux à qui il l’avait donné, pour l’avoir reçu, et, du produit de l’amende, les Éléens firent élever, en l’honneur de Jupiter, six statues de bronze. L’une de ces statues portait cette inscription : « Le prix des jeux olympiques s’acquiert, non par l’argent, mais par la légèreté des pieds et la force du corps. » Une autre louait les Éléens d’avoir noté d’infamie ceux qui tentèrent d’introduire la fraude au combat du ceste.

Quoique rien ne fût plus infamant que l’amende et les monumens dont je viens de parler, il se trouva cependant un Athénien nommé Callipe qui acheta le prix du pentathle en la cent deuxième olympiade. Il fut condamné rigoureusement à la peine que méritait sa faute ; et Hypéride, député d’Athènes, ayant demandé sa grâce sans pouvoir l’obtenir, les Athéniens défendirent au coupable de payer. Mais les Éléens, fermes à maintenir leurs lois, ne s’épouvantèrent pas de cette défense : ils exclurent les Athéniens des jeux, et cet interdit dura jusqu’à ce que les Athéniens étant venus consulter l’oracle de Delphes, la Pythie leur déclara qu’elle ne rendrait aucune réponse avant que préalablement ils n’eussent satisfait les Éléens. Athènes se soumit donc à l’amende, qui fut employée à ériger, en l’honneur de Jupiter, six statues avec des inscriptions qui contenaient l’histoire et l’éloge de la sévérité des Éléens.

Les Lacédémoniens encoururent aussi un pareil interdit, qui non-seulement les excluait des jeux, mais encore leur défendait l’entrée du temple de Jupiter Olympien. Cet interdit dura longtemps et eut des suites funestes, car Lycas, fils d’Arcésilas, s’étant présenté inutilement, l’écuyer qui conduisait son char entra en lice au nom des Thébains et remporta la victoire. Lycas ne put contenir sa joie : il prit une guirlande, couronna lui-même son écuyer et découvrit par cette imprudence la fraude aux Agonothètes, qui sur-le-champ firent fustiger celui qui en était l’auteur. Les Lacédémoniens n’osèrent pas se plaindre de cet acte de justice ; cependant ils cherchèrent un prétexte pour déclarer la guerre aux Éléens, Ils leur envoient donc une ambassade avec ordre de se départir de la domination qu’ils exerçaient sur les peuples voisins. Les Éléens répondent qu’aussitôt que Sparte aurait elle-même rendu la liberté à ses propres voisins, les Éléens en feraient autant à l’égard des leurs. Cette réponse hautaine piqua les Spartiates : ils entrent de suite en Élide, sous la conduite d’Agis, leur roi. Déjà ils s’étaient avancés près d’Olympie et jusqu’aux bords de l’Alphée lorsqu’un tremblement de terre les obligea à retourner sur leurs pas. Mais l’année suivante, Agis, à la tête d’une nouvelle armée, rentra dans le pays, donna un grand combat dans l’Altis, bois consacré à Jupiter, et fit un butin considérable. La troisième année de cette guerre ne promettait pas aux Éléens des suites moins fâcheuses. Voyant donc qu’Agis et les Lacédémoniens venaient les attaquer avec de plus grandes forces encore qu’auparavant, et n’étant point en état de leur tenir tête, ils prirent le parti de se soumettre et n’obtinrent la paix qu’à des conditions très-dures. Le traité portait que « leur ville serait démantelée ; qu’ils se désisteraient de l’empire usurpé sur leurs voisins ; que les Lacédémoniens auraient à l’avenir une libre entrée dans le temple de Jupiter Olympien, et qu’ils pourraient même y sacrifier ; enfin qu’ils seraient admis non-seulement à assister aux jeux olympiques, mais à disputer les prix comme les autres peuples de la Grèce. » La guerre étant ainsi terminée, Lycas eut la permission de faire ériger sa statue dans le bois sacré de l’Altis. Toutefois les registres des Éléens portaient que c’était le peuple de Thèbes, et non Lycas le Lacédémonien, qui avait été victorieux.

Dans la suite, les jeux olympiques ne furent pas seulement célébrés à Pise, en Élide, mais encore dans différentes villes de la Grèce et de l’Orient, à Antioche, Smyrne, Alexandrie, Athènes, etc. ; c’est ce qu’atteste Pausanias et les marbres athlétiques, qui portent que M. Aurélius Asclépiades remporta la victoire aux jeux olympiques de Smyrne, en Zmurnê Olumpia ; et ensuite ceux d’Alexandrie : Athlêsas ta panta etê ex, pausamenos tês athlêseôs etôn K E…, kai meta to pausasthai meta pleiona chronon anankastheis en tê patridi Alexandria, kai nikêsas olumpia pankration olumpiadi ektê. La première olympiade des Alexandrins concordait avec la deux cent trente-huitième des Éléens.

Archélaüs, pour transporter en quelque sorte l’Élide en Macédoine, fit célébrer les solennités olympiques à Dium, au pied du mont Olympe de Macédoine, comme Ulpianus, scholiaste de Démosthène, nous l’apprend dans son discours : Peri Parapresbeias, où il dit au sujet de Philippe : Olumpia epoiei ; et au sujet d’Archélaüs : Ta Olumpia de protos Archelaos en Diô tês Makedonias katedeixen : êgeto d’ep’ennea, ôs phasin, êmeras, isarithmous tais Mousais.

Diodore de Sicile atteste pareillement qu’Alexandre célébra pendant neuf jours, la deuxième année de la cent onzième olympiade, ces mêmes jeux que Philippe, son père, avait célébrés, la cent huitième olympiade, après la prise d’Olynthe.

Athènes eut aussi ses solennités olympiques : Pindare en fait mention dans sa deuxième Néméenne, où, après avoir énuméré les autres victoires de Timodémidas, il dit au sujet de celle qu’il remporta à Athènes :

… ta d’oikoi.
Masson arithmô
Dios agoni.

Et le scholiaste ajoute : Tithetai de en Athenais Dios agôn, toutesti ta Olumpia, on célèbre à Athènes des jeux en l’honneur de Jupiter, c’est-à-dire des olympiques ; de même qu’Hésychius avait dit : Olumpia o Athenesin agôn. Mais cette institution des jeux olympiques à Athènes ressort encore plus clairement de ce passage de la neuvième Pythique. Pindare, après avoir chanté la victoire que Télésiérate remporta à Delphes, ajoute qu’il eut la gloire de vaincre encore :

En Olumpiosi te kai bathukolpou
Gâs aethlois.

Aux Olympiennes qu’on célèbre dans les vallées profondes et sinueuses de l’Attique.

Le scholiaste remarque fort bien à ce sujet : Olumpiosi : ou tois en Pisê. Ou gar outôs erripsen aplôs ton logon : alla tois en Athenais. « Il ne s’agit point ici des jeux olympiques de Pise, car Pindare n’en aurait pas fait mention en si peu de mots ; mais de ceux que l’on célébrait à Athènes. »

Toutefois, il ne faut pas confondre les jeux olympiques qui se célébraient à Athènes du temps de Pindare et de Thucydide avec ceux qui furent renouvelés pour la première fois en l’honneur d’Adrien et à l’époque du séjour de cet empereur dans la capitale de l’Attique. Ce prince en effet y fit élever un temple magnifique qu’il dédia à Jupiter et à la Fortune de l’empire ; et à cette occasion il restaura les combats olympiques dont la célébration avait été interrompue depuis longtemps à Athènes. Ce fut dans cette solennité que les Athéniens lui décernèrent le surnom d’Olympien, la troisième année de la deux cent vingt-septième olympiade des Éléens, comme l’attestent les marbres et surtout un magnifique bas-relief qui porte cette inscription fort bien conservée :

AUTOKRATORA KAISARA
TRAIANON ADRIANON
SEBASTON OLUMPION
TON EN TO PONTO
Ê BOULÉ KAI O DÉMOS
TON EAUTON EUERGETÉN
EN TÊ PROTÊ OLUMPIADI
DIA PRESBEUTON
KAPITONOS SKIPIONOS
KAI GAIOMIOU.
IMPERATOREM . CÆSAREM
TRAIANUM . HADRIANVM
AVGVSTVM . OLYMPIVM
SEBASTOPOLITANORVM
IN . PONTO
SENATVS . ET . POPVLVS
SVVM . BENEFACTOREM
IN . PRIMA . OLYMPIADE
LEGATIONEM . AGENTIBVS
CAPITONE . SCIPIONE
ET . GAEOMIO.

Il est évident qu’il s’agit ici d’une série d’olympiades autre que celle des Éléens ; car il ne peut venir à la pensée de personne qu’Adrien vécut dans l’olympiade de Corœbus, sept cent soixante-seize ans avant Jésus-Christ. Il est d’ailleurs impossible de soupçonner une erreur dans l’inscription qui porte, sans altération et sans lacune, ces mots : En tê prôtê Olumpiadi, dans la première olympiade. De quelle olympiade peut-il donc être ici question, si ce n’est de celle qui fut célébrée à Athènes à l’occasion de la dédicace du temple de Jupiter et de la restauration des jeux olympiques. Pindare lui-même ne s’est pas exprimé autrement lorsqu’il parle de la première olympiade qu’Hercule célébra à Pise :

… Kai penta-
eterid’ opôs ara estasen eortan
en Olumpiadi prôta

Mais il est temps de revenir aux athlètes et de parler des diverses sortes de combats et d’exercices qui composaient les solennités olympiques.

Entre les différens exercices auxquels les athlètes se livraient pour se donner en spectacle dans les jeux publics, la course, dromos, était celui qui tenait le premier rang :

Ou men gar meizon aneros ophra ken êsin,
Ê o, ti possin te rexei kai chersin eêsin.

(Hom. Odyss. liv. 6.)

C’était par la course que commençaient les jeux olympiques, et ce seul exercice en faisait même d’abord toute la solennité. On en distinguait de trois sortes : la course à pied, la course à cheval et la course en char.

Les coureurs se rangeaient tous sur une même ligne, en quelque nombre qu’ils fussent, après avoir tiré au sort la place qu’ils y devaient occuper. En attendant le signal, ils réveillaient leur souplesse et leur légèreté par divers mouvemens qui les tenaient en haleine, et étaient comme autant d’essais de l’agilité et de la vitesse de leurs jambes. Dès que le signal était donné, on les voyait voler vers le but avec une rapidité que l’œil avait peine à suivre et qui devait seule décider de la victoire ; car, nous l’avons déjà dit, les lois agonistiques leur défendaient sous des peines infamantes de se la procurer par la ruse ou quelque piège tendu à leurs antagonistes.

Les courses à pied étaient de quatre sortes : 1o stadion, celle où il ne s’agissait que de parcourir une fois la carrière, c’est-à-dire cent vingt pas ; 2o diaulos, où l’on parcourait deux fois cet espace ; 3o dolichos, qui était la plus longue de toutes, puisqu’on y parcourait quelquefois vingt-quatre stades, par diverses allées et venues, en tournant douze fois autour de la borne qui servait de but ; 4o enfin oplitês, qui était la course exécutée par des hommes complètement armés. De là les noms différens de stadiodromoi, diaulodromoi, dolichodromoi, oplitodromoi donnés aux coureurs, selon les différentes courses auxquelles ils prenaient part. Les antagonistes se nommaient sunagônistai, antipaloi, etc. S’efforcer d’atteindre des rivaux se disait diôkein ; les laisser en arrière katalambanein. Celui qui atteignait le premier le but remportait le prix, athlon ou brabeion, qui consistait dans le principe en une couronne de branche d’olivier. La récompense était la même pour les autres exercices.

Il y eut dans l’antiquité, tant chez les Grecs que chez les Romains, des coureurs qui se sont rendus célèbres par leur vitesse. Pline fait mention de Philippide qui, en deux jours, parcourut les onze cent quarante stades (cinquante-sept lieues) qu’il y a d’Athènes à Lacédémone. Hérodote rapporte que Philonide, coureur d’Alexandre-le-Grand, fit en un jour douze cents stades (soixante lieues), en allant de Sicyone à Élis. On appelait ces coureurs êmerodromoi.

La course du cheval monté par un cavalier consistait à parcourir l’hippodrome, tourner la borne et revenir à la barrière une ou plusieurs fois. Quoiqu’elle ne fût pas aussi célèbre que celle des chars, cependant les princes et les rois recherchaient avec empressement la gloire d’y remporter le prix. On la nommait ordinairement Kélês (Voy. première Olympique). Les Grecs et les Romains élevaient à grands frais, pour ces sortes de courses, de superbes chevaux et avaient d’habiles écuyers chargés de les dresser. Le vainqueur recevait une couronne et l’on attachait une palme sur la tête du cheval. Quelquefois le cavalier menait par la bride un autre cheval, sur lequel il sautait en courant et changeait ainsi plusieurs fois de monture. Les Latins appelaient ces sortes de cavaliers desultores, et les Grecs anabatai.

La course des chars était le plus renommé de tous les exercices et celui qui faisait le plus d’honneur. Les rois eux-mêmes aspiraient à cette gloire avec beaucoup d’empressement, persuadés que le titre de vainqueur dans ces combats ne le cédait guère à celui de conquérant, et que la palme olympique rehaussait de beaucoup l’éclat du sceptre et du diadème.

Les chars avaient la forme d’une coquille montée sur deux roues, avec un timon fort court auquel on attelait deux, trois ou quatre chevaux de front (bigæ, quadrigæ) ; de là les noms de duômoi, tethrippoi, tetraôroi, etc. Quelquefois on mettait des mules à la place des chevaux, et le char alors s’appelait apênê. Ces chars, à un certain signal, partaient tous ensemble : le sort avait réglé leur place ; ce qui n’était pas indifférent pour la victoire, parce que, devant tourner autour d’une borne, celui qui avait la gauche en était plus près que ceux qui étaient à la droite et qui par conséquent avaient un plus grand cercle à parcourir. On faisait douze fois le tour de l’hippodrome. Celui qui avait le plus tôt achevé le douzième tour était proclamé vainqueur. Le grand art consistait à prendre le point le plus propre pour tourner autour de la borne : car, si le conducteur du char s’en approchait trop, il courait risque de s’y briser ; et s’il s’en éloignait trop aussi, son antagoniste le plus voisin pouvait lui couper le chemin et prendre le devant. Il ne faut pas croire cependant que dans la suite de la course les combattans gardassent toujours le rang dans lequel ils partaient : ce rang changeait souvent plusieurs fois dans un assez court espace de temps, et ces vicissitudes faisaient le plus grand plaisir des spectateurs et redoublaient l’intérêt du combat.

Tous ceux qui aspiraient à la victoire n’étaient point obligés à conduire eux-mêmes leur char ; il suffisait qu’ils fussent présens au spectacle ou même qu’ils envoyassent les chevaux destinés à mener le char ; mais dans l’un et l’autre cas, il fallait d’abord faire inscrire sur les registres les noms de ceux pour qui les chevaux devaient combattre, soit dans la course des chars, soit dans la simple course à cheval.

Les femmes, au témoignage de Pausanias (livre 3e), furent admises par la suite à disputer le prix de la course des chars. Cynisca, sœur d’Agésilas, roi de Lacédémone, fut la première qui, par sa victoire, ouvrit cette carrière aux personnes de son sexe. Les Spartiates lui érigèrent un superbe monument, et une inscription en vers transmit à la postérité la mémoire de son triomphe.

La lutte paraît avoir été usitée dès les premiers siècles de la Grèce. Hercule l’institua aux jeux olympiques, et Thésée aux jeux isthmiques en même temps. Jusqu’à ce héros la lutte s’était pratiquée sans art et d’une manière toute naturelle ; mais il établit le premier les palestres où des maîtres l’enseignaient aux jeunes gens.

Après que les lutteurs s’étaient frottés d’huile, on les divisait par couple, et ils en venaient aux mains. C’est alors qu’il fallait les voir se mesurer des yeux, puis soudain s’empoigner et s’enlacer mutuellement de leurs bras nerveux, se tirer rudement en avant, se pousser et se renverser en arrière, se serrer à la gorge jusqu’à s’ôter la respiration, se plier obliquement et sur les côtés, s’enlever en l’air, se heurter de front comme des béliers. Pour être vainqueur il fallait renverser son adversaire trois fois. De là les verbes triaxai et apotriaxai, remporter la victoire, et apotriachthênai, être vaincu. On distinguait deux sortes de luttes : orthia palê, ou orthopalê, où les combattans devaient se tenir debout ; et anaklinopalê, où ils pouvaient à leur choix se rouler sur l’arène. On les nommait alors kulistikoi. Le vaincu reconnaissait sa défaite de vive voix, ou en levant le doigt en l’air ; de là l’expression aire daktulon, confesse-toi vaincu.

Le pugilat pugmê, ou pugmikê, était un combat à coups de poings. Les pugilistes armaient quelquefois leurs mains de pierres ou de masses de métal, nommées sphairai, et le combat s’appelait alors sphairomachia. Dans les premiers temps, on combattait seulement avec les poings ; l’usage du ceste s’introduisit par la suite. C’était une espèce de gantelet composé de plusieurs courroies ou bandes de cuir, qu’on fortifiait par des plaques de fer, de cuivre ou de plomb : il se liait à l’entour du bras et servait à rendre les coups beaucoup plus violens. Le grand art dans cet exercice consistait à éviter les coups de son adversaire par un mouvement souple du corps et à ne point porter ses propres coups à faux. On les dirigeait sur le visage de l’adversaire, et les meurtrissures s’appelaient alors upôpia.

Quelque acharnés que fussent les combattans l’un contre l’autre, l’épuisement où les jetait une trop longue résistance les réduisait souvent à la nécessité de prendre un peu de repos. Ils suspendaient donc de concert le pugilat pour quelques momens, qu’ils employaient à se remettre de leurs fatigues et à essuyer la sueur dont ils étaient inondés ; puis ils revenaient une seconde fois à la charge et continuaient à se battre jusqu’à ce que l’un d’eux, laissant tomber ses bras de faiblesse et de défaillance, fît connaître qu’il succombait à la douleur et à l’extrême lassitude, et qu’il demandait quartier, ce qui était s’avouer vaincu.

Le pancrace était un combat composé de la lutte et du pugilat. On le nommait ainsi (de deux mots grecs, pan kratos) parce qu’il exigeait toute la force du corps. Dans la lutte, il n’était pas permis de jouer des poings, ni dans le pugilat de se colleter ; mais dans le pancrace, non-seulement on avait droit d’employer toutes les ruses pratiquées dans la lutte, on pouvait encore emprunter le secours des poings et des pieds, même des dents et des ongles pour vaincre son adversaire.

Le disque (diskos), sorte de palet pesant, rond et plat, de trois ou quatre pouces d’épaisseur, était fait quelquefois de bois, mais le plus souvent de pierre, de plomb ou de fer. Ceux qui s’exerçaient à ce combat s’appelaient diskoboloi, lanceurs de disque ; et le vainqueur était celui qui le lançait le plus loin. On attribuait aux Lacédémoniens l’invention de cet exercice salutaire, dont le but était de rendre les hommes plus propres à porter le poids des armes et à en faire usage.

Le saut (alma) tirait son nom apo tou allesthai. Quelquefois les sauteurs se présentaient les mains vides ; quelquefois ils portaient dans leurs mains, sur leur tête et sur leurs épaules, des poids de métal ou de pierres nommés altêres, qu’ils jetaient en l’air, à l’instant où ils s’élançaient, pour donner à leur corps plus d’élasticité. La lice, d’où l’on sautait, s’appelait batêr ; le but, ta eskammena, de sxaptô, creuser, parce qu’on le désignait en creusant la terre ; de là le proverbe pêdan uper ta eskammena, sauter au-delà du but, appliqué aux extravagans.

Les Grecs donnaient le nom de pentathle à l’assemblage des cinq sortes d’exercices agonistiques mentionnés dans ce vers :

Alma, podôkeiên, diskon, akonta, palên.

Le saut, la course, le disque, le pugilat et la lutte. On croit que cette sorte de combat se décidait en un seul jour et quelquefois même en une seule matinée. Pour en mériter le prix, qui était unique, il fallait être vainqueur à tous ces divers exercices.

Avant la fin du cinquième jour on se rendait en foule au stade pour assister à la proclamation des vainqueurs, qui n’était qu’une répétition générale de ce que l’on avait fait à la suite de chaque combat. En un instant les gradins du cirque, la colline Cronium, le bois sacré de l’Altis et toutes les avenues du stade étaient inondés des flots de la multitude, qui se pressait au milieu de l’allégresse universelle et publique. Les couronnes étaient placées dans le stade sur des trépieds d’airain, et les palmes dans des urnes. Alors le son de la trompette se faisait entendre ; aussitôt le silence régnait parmi les spectateurs, et l’un des présidens (ellênodikai) proclamait à haute voix les noms des vainqueurs, tandis qu’un autre leur mettait la couronne sur la tête et dans la main droite la palme de la victoire. À cette vue, des acclamations s’élevaient de toutes parts, des cris mille fois répétés frappaient les airs et faisaient retentir au loin les vallons du Cronium et les rives de l’Alphée ; alors un héraut, précédé d’une trompette, conduisait tout autour du stade l’athlète revêtu d’un manteau magnifique, et répétait à la multitude son nom et celui de sa patrie ; partout on lui jetait des fleurs ; partout, sur son passage, les acclamations redoublaient ; partout on lui témoignait avec transports la part qu’on prenait à sa victoire, et le plaisir qu’avait causé le spectacle de son combat. Comme il pouvait remporter plus d’une victoire, il recevait aussi plus d’une couronne et plus d’une palme.

Avant que les vainqueurs quittassent la carrière, un des présidens inscrivait sur le registre public leur nom, celui de leur pays et l’espèce de combat dans lequel chacun avait remporté la victoire ; enfin l’on proclamait solennellement le vainqueur à la course des chars, et son nom était donné à l’olympiade.

Voilà donc quelle était dans le principe la récompense de tant de travaux, une couronne d’olivier sauvage, une simple branche de palmier ! Et c’était pour l’obtenir que les Grecs supportaient tant de fatigues, s’imposaient tant de privations ! La politique de ce peuple voulut faire entendre par là que l’honneur devait en être le seul but, et non point un vil intérêt ; il voulut accoutumer ses enfans à ne chercher pour récompense de la vertu que la vertu même. Eh ! de quoi en effet n’auraient pas été capables des hommes qui se seraient habitués à n’agir que par ce principe ? C’est aussi ce qui causa l’étonnement de Tigrane, l’un des principaux chefs de l’armée de Xercès, lorsque, entendant raconter ce qui faisait le prix de ces jeux, il s’écria, en s’adressant à Mardonius, général de l’armée persane : « Ciel ! avec quels hommes nous allez-vous mettre aux mains ! Insensibles à l’intérêt, ils ne combattent que pour la gloire ! » Exclamation pleine de sens et de sagesse, qui fut regardée par l’orgueilleux Xercès comme l’effet d’une honteuse lâcheté.

Longtemps les Grecs bornèrent toute leur ambition à de simples couronnes ; et ce désintéressement leur fut d’autant plus honorable qu’il était un témoignage authentique du cas qu’ils faisaient de la pauvreté, à laquelle ils ne craignaient pas d’associer les dieux qui présidaient à ces combats. C’est ce qui a fait dire à Aristophane, dans Plutus :

O Zeus dêpou penetai : kai tout’êdê phanerôs sedidaxo.
Ei gar eploutei, pôs poiôn autos ton Olumpiakon agôna.
Ina tous Ellênas apantas aei di’etous pemptou xunageirei,
Anekerutten tôn athlêtôn tous nikôntas, stephanôsas
Kotinou stephanô ? Kaitoi chrusô mallon echrên, eiper eploutei.

Mais dans la suite les princes et les personnages opulens, qui ne dédaignaient pas de se mesurer dans la carrière, introduisirent des changemens et firent peu à peu disparaître cette antique et admirable simplicité. D’abord, on permit aux athlètes victorieux de fournir des tables magnifiques pour exposer les couronnes ; celle d’Iphitus était ornée de bas-reliefs, ouvrage de Colotès, élève de Phidias. Puis, comme la poésie faisait ordinairement l’éloge des vainqueurs, chacun d’eux fut jaloux de voir célébrer son triomphe par un panégyriste dont la renommée s’étendît au loin ; aussi payait-on à grands frais les poëtes les plus célèbres et un chœur nombreux de musiciens, qui mêlaient leurs accords mélodieux aux chants des hymnes. Bientôt la sculpture se réunit à la poésie et à la musique pour éterniser ces triomphes. Des statues furent érigées aux vainqueurs dans le lieu même où ils avaient été couronnés, quelquefois aussi dans celui de leur naissance. La patrie faisait ordinairement les frais d’un monument dont elle partageait la gloire. Le bois sacré de l’Altis était rempli d’une quantité prodigieuse de statues des dieux, des héros, et surtout des athlètes ; on y voyait aussi un grand nombre d’autels et de trophées magnifiques. Si le vainqueur était peu fortuné, il était nourri le reste de ses jours dans le prytanée aux dépens de la patrie, et le trésor lui payait chaque année 500 drachmes, environ 250 francs de notre monnaie. Ils avaient encore la préséance dans les jeux publics, et étaient exempts d’impôt et de toute fonction onéreuse. Tous ces avantages sont énumérés dans ce passage de Xénophanes, de Colophon :

All’ei men tachutêti podôn nikên tis aroito,

ê pentathlenôn entha dios temenos,
par Pisao roês en Olumpiê, eite palaiôn,
ê kai puktosunên alginoessan echôn,
ei te ti deinon aethlon, o pankration kaleousin,
astoisi k’eiê kedroteros pros akra,
kaike proedriên phanerên en agôsin aroito,
kaike siteiê dêmosiôn kteanôn
ek poleôs, kai dôron o oi keimêlion eiê,
eite kai ippoisin tanta g’apanta lachoi.

Lorsque l’athlète retournait dans sa patrie, ses parens et ses amis lui formaient un cortège nombreux ; et à son arrivée ses concitoyens sortaient au-devant de lui pour le recevoir. Monté sur un char à quatre chevaux, et décoré des marques de sa victoire, il entrait dans la ville, non par la porte, mais par une brèche que l’on faisait exprès à la muraille. On portait des flambeaux devant son char, qui s’avançait lentement au milieu des cris d’allégresse, des fanfares des instrumens, des chants de victoire, précédé et suivi d’un cortège plus nombreux et plus magnifique encore que celui qui l’avait accompagné dans le voyage.

La cérémonie du triomphe athlétique se terminait ordinairement par un festin que le peuple donnait à ses dépens au vainqueur, à ses parens et à ses amis, ou que l’athlète donnait à ses frais ; et alors il régalait souvent une grande partie des spectateurs. Quand le peuple en faisait la dépense, les athlètes étaient traités dans les prytanées. Celui d’Olympie, placé dans le bois sacré de Jupiter, auprès du gymnase, avait une salle pour les festins publics. Lorsque les athlètes en faisaient eux-mêmes les frais, ils choisissaient des lieux proportionnés à la multitude des conviés. Alcibiade, après s’être acquitté des sacrifices dus à Jupiter (car c’était toujours par là que se terminait le cinquième jour des combats), traita toute l’assemblée avec une somptuosité extraordinaire.

C’était ordinairement au milieu de la joie de ces festins que la poésie célébrait le triomphe du vainqueur et la gloire qui en rejaillissait sur sa patrie et sur ses parens. Aussi l’enthousiasme des convives semblait se communiquer au poète : son esprit s’enflammait ; et alors ses chants s’élevaient véritablement à la hauteur de son sujet. Ainsi, quelque magnifiques, quelque sublimes que soient les expressions figurées de Pindare pour représenter la gloire dont se couvraient les vainqueurs, elles ne sont ni outrées ni hyperboliques et ne font que retracer la haute idée que les Grecs eux-mêmes en avaient. Ce peuple éclairé ne concevait rien de comparable ; il ne croyait pas qu’il fût permis à un mortel de porter ses désirs plus loin ; et cette opinion subsistait encore du temps de Cicéron et d’Horace. Cicéron, dans ses Tusculanes, assure que la victoire que l’on remportait aux jeux olympiques était pour les Grecs ce que l’ancien consulat dans toute la splendeur de son origine était pour les Romains : Olympiorum victoria, Græcis consulatus ille antiquis videbatur. Ailleurs il dit que vaincre à Olympie était presque dans l’idée des Grecs quelque chose de plus grand et de plus glorieux que de recevoir à Rome les honneurs du triomphe : Olympionicam esse, apud Græcos propè majus fuit et gloriosiùs quàm Romæ triumphasse (pro Flacco, n. 31). Mais Horace parle de ces sortes de victoires dans des termes encore plus forts ; il ne craint point de dire qu’elles élevaient le vainqueur au-dessus de la condition humaine ; ce n’était plus un homme, c’était un dieu :

... Palmaque nobilis
Terrarum dominos evehit ad Deos.

Od. I, lib. I.

Sive quos Elea domun reducit
Palma cœlestes.

Od. 2, lib. 4.

Cependant le relâchement s’étant introduit dans les courses de chevaux et de chars s’étendit insensiblement aux autres exercices. Ces combats, si illustres par leurs auteurs et si utiles par le but qu’ils s’y proposaient, donnèrent lieu aux maîtres qui les pratiquaient avec plus de succès et qui les enseignaient à la jeunesse, de s’y livrer par ostentation et de faire assaut entre eux pour le simple plaisir de se donner en spectacle et de chercher à divertir le public.

Aussi l’auteur de l’Esprit des lois observe-t-il que, « du temps de Platon, les jeux olympiques étaient encore dignes d’admiration. Ils se rapportaient à un grand objet, qui était l’art militaire. Mais lorsque les Grecs n’eurent plus de vertus ces institutions détruisirent l’art militaire même. On ne descendit plus dans l’arène pour se former, mais pour se corrompre. Plutarque raconte que de son temps les Romains pensaient que ces jeux avaient été la principale cause de la servitude où étaient tombés les Grecs : c’était au contraire, reprend judicieusement notre profond politique, la servitude des Grecs qui avait corrompu ces exercices. Du temps de Plutarque, l’exercice de la lutte rendait les jeunes gens lâches, les portait à un amour infâme et n’en faisait que des baladins. Du temps d’Épaminondas, le combat de la lutte faisait gagner aux Thébains la bataille de Leuctres (liv. 8, chap. 11). »

La cessation entière des jeux olympiques arriva la deux cent unième olympiade, à compter de celle de Corœbus, l’an du monde 3977 ; de la fondation de Rome 783, et de notre ère le vingt-huitième. Cette Olympiade se trouve inscrite du nom d’Hermogène, de Pergame, qui fut sans doute le dernier vainqueur à la course des chars. Rome, qui jusque-là s’était contentée de vaincre l’univers, vaincue à son tour par le luxe de la Grèce subjuguée, voulut plaire et avoir ses spectacles, ses cirques, ses amphithéâtres. Tous les regards se tournèrent de ce côté ; les peuples y accoururent en foule pour faire leur cour aux empereurs, et désertèrent insensiblement le stade olympique.

Nous terminerons cette dissertation par quelques réflexions sur la manière dont Pindare divise ses odes en strophes, antistrophes et épodes.

Les odes que les premiers poëtes composèrent pour célébrer les louanges de la divinité furent non-seulement embellies par tous les charmes de la poésie mais encore relevées par le son des instrumens les plus harmonieux. Bientôt après, la musique ayant été introduite dans le sanctuaire, la danse ne tarda pas à l’être aussi, parce que ces deux arts se lient intimement l’un à l’autre par l’expression ; aussi trouve-t-on chez toutes les nations au nombre des cérémonies religieuses la danse appelée sacrée.

Cette danse était en usage chez les Juifs dans les fêtes solennelles établies par la loi, ou dans les occasions de réjouissance publique pour rendre grâces à Dieu et pour l’honorer. Après le passage de la mer Rouge et avant la promulgation de la loi, Moïse et sa sœur chantèrent et dansèrent devant le peuple pour remercier le Seigneur de les avoir arrachés à la vengeance de Pharaon.

Lorsque la nation sainte célébrait quelque événement heureux, où le bras du Tout-Puissant s’était manifesté d’une manière éclatante, les Lévites exécutaient des danses solennelles.

David se joignit à ces ministres sacrés, et dansa en présence de tout Israël lorsque l’arche fut ramenée dans la maison d’Obédédom à Bethléem.

La danse sacrée ne se trouve pas seulement chez le peuple juif, elle était encore pratiquée chez les Égyptiens, qui l’établirent en l’honneur d’Isis. On leur doit aussi l’invention de la danse astronomique, qui s’exécutait dans les temples et qui représentait, par des mouvemens variés et certaines figures l’ordre, le cours des astres et leurs différentes révolutions. Platon et Lucien en parlent comme d’une invention sublime.

Orphée, qui avait puisé chez les Égyptiens toutes ses idées sur la divinité et son culte, introduisit aussi chez les Grecs la danse sacrée. Depuis lui, toutes les fois qu’on élevait un autel nouveau on ne manquait jamais d’en faire la consécration par des danses publiques.

Des Grecs, la danse passa chez les Romains. On sait qu’à certaines époques, les Saliens, prêtres de Mars, exécutaient à Rome des danses publiques en l’honneur de leur dieu. Une foule d’auteurs en font mention.

Il était essentiel de faire observer cet usage, parce que seul il peut répandre quelque lumière sur ce que l’on doit entendre par strophes, antistrophes et épodes et aider nos lecteurs à s’en former une juste idée.

Dans le temps donc que la musique et la danse accompagnaient inséparablement l’ode, qui célébrait les louanges des dieux, cette dernière espèce de poésie fut divisée de telle manière, qu’on appelait strophe, la première partie de l’ode que le chœur chantait en dansant autour de l’autel, au son de la lyre, de droite à gauche. Par ce mouvement on prétendait représenter celui du monde, d’orient en occident ; car Homère et d’autres poëtes anciens appellent à droite ce qui est à l’orient. La strophe finie, le chœur continuait la danse, mais dans un sens contraire, c’est-à-dire de gauche à droite, pour imiter, par ce mouvement, celui des planètes, d’occident en orient. Cette seconde partie de l’ode, que l’on chantait pendant cette nouvelle conversion, prenait de là le nom d’antistrophe. Une règle constante, c’est que les vers de celle-ci devaient être exactement du même nombre, de la même espèce et dans le même arrangement que ceux de la strophe. On reconnaît au premier coup d’œil que ces mouvemens du chœur ne sont qu’une imitation de la danse astronomique, inventée par les Égyptiens.

Dans la suite, Stésichore termina chaque révolution par une pause assez longue, pendant laquelle le chœur immobile devant la statue du dieu pour représenter la solidité de la terre chantait tantôt debout, tantôt assis, un troisième couplet. Ce couplet étant la clôture des deux autres, fut de là appelé épode (epi ôdê, chant par-dessus), chant pour finir. L’épode était ou plus longue ou plus courte que la strophe, rarement elle lui était égale, elle se composait de vers d’un rhythme différent et ne se chantait pas sur le même air.

Ce Stésichore, qui fut, dit-on, le premier inventeur de l’épode, était d’Himère, en Sicile. On l’appelait d’abord Tisias ; mais depuis le changement qu’il fit dans les chœurs, on le nomma Stésichore, nom qui désigne exactement cette pause qu’il avait introduite. Pausanias raconte que ce poëte ayant perdu la vue, en punition des vers mordans qu’il avait faits contre Hélène, ne la recouvra qu’après avoir rétracté ses médisances, par une pièce contraire à la première ; ce qu’on appela depuis, chanter la palinodie.

Chez les Romains, la poésie lyrique se flattant de plaire par ses propres attraits, n’empruntait plus si servilement ceux de l’harmonie. Pensant que sa marche noblement cadencée était suffisante pour séduire et pour charmer, elle se hasarda à se montrer quelquefois seule et négligea de se parer d’ornemens étrangers. À Rome, les odes d’Horace étaient vraisemblablement plus lues qu’elles n’étaient chantées ; et s’il y avait une musique sur laquelle les paroles fussent ajustées (ce qui n’est pas encore démontré), cette musique n’avait pas différentes parties. Il n’était donc pas nécessaire de les diviser en strophes, antistrophes et épodes. Aussi Horace n’en fait-il pas mention.

Les poëtes français ont ressuscité le mot de strophe, et ont donné ce nom aux divisions de leurs odes, parce que ce mot, qui signifie conversion, exprimait mieux et plus brièvement que tout autre, le retour ou la répétition du même mécanisme qu’ils observent dans chacun de leurs couplets, composés invariablement sur le modèle du premier. Mais une différence sensible entre leurs strophes et celles de Pindare, c’est que les premières doivent être terminées par un sens parfait, règle qui les fait aussi appeler stances (de l’italien stanza, station), au lieu que celles du poëte grec ne sont terminées, ni par un sens, ni par la fin d’une phrase, ni même, ce qui paraîtra étonnant, par celle du mot, comme on le voit au quarante-cinquième vers de la troisième Olympique.

Voilà tout ce qu’on peut dire de plausible sur cette manière de diviser l’ode chez les Grecs. Les auteurs anciens n’ayant rien de bien précis à cet égard, nous nous sommes bornés à présenter ce qui se trouve dispersé dans les grammairiens, les scoliastes et les commentateurs.

Je ne dirai plus qu’un mot ; et c’est de ma traduction. Frappé des éloges unanimes que Pindare a inspirés à toute l’antiquité et des jugemens divers que plusieurs littérateurs modernes en ont portés, je crus que ce grand poëte avait plus que tout autre auteur grec des droits à mes faibles recherches. Le désir de connaître et d’approfondir, toujours impérieux à un âge où les passions et la pensée sont plus vives, soutint et encouragea mes efforts contre toutes les difficultés d’une telle entreprise.

Je lus donc et relus souvent les odes du poëte de Thèbes ; mais, malgré le véritable culte que je lui avais voué, je ne tardai pas à me persuader qu’il serait en quelque sorte impossible d’imiter en notre langue et de rendre parfaitement ces chants inspirés par le plus haut enthousiasme poétique et national, et dans lesquels le sens est presque toujours inséparable de certaines circonstances où le poëte et le vainqueur se trouvaient placés. Je m’environnai de tous les matériaux qui pouvaient m’être utiles, je consultai les scholiastes, les commentateurs, en un mot je recueillis tout ce qu’on avait écrit sur les jeux des anciens, sur les usages et coutumes de ces temps, sur la vie du poëte, son style, la marche de ses odes, etc.

Bientôt je réunis les traductions qui en avaient été faites ; je parcourus tour à tour Sozzi, Gin, Tourlet, les Essais de Vauvilliers et ceux de l’auteur des Soirées littéraires. Partout en général je fus loin de reconnaître les chants harmonieux et sublimes du cygne de Dircé, ou du moins je les trouvai singulièrement défigurés. Cependant ces traducteurs m’offrirent quelques lumières utiles dont je profitai.

Dès ce moment je me résolus à traduire Pindare tout entier, mot à mot, avec l’attention scrupuleuse de ne point intervertir l’ordre des pensées, pour conserver leur enchaînement et leur gradation, et de respecter même l’ordre des mots pour ne pas détruire leur harmonie et leurs images : car tout se lie intimement dans la pensée et les expressions d’un génie supérieur.

Ce travail consciencieux, joint à un examen sérieux et réfléchi des plus habiles critiques, me convainquit que la plupart des traducteurs du poëte de Béotie étaient tombés dans un grand nombre de contre-sens, et s’étaient contentés, dans les passages difficiles, de paraphraser le texte en comblant à leur gré les lacunes qu’ils prétendent que ses écarts laissent en plus d’un endroit.

Quoique je fusse convaincu que notre langue, par sa pauvreté et l’uniformité de ses constructions, s’accordât peu avec la hardiesse des figures, l’harmonie des expressions, la variété du style, la longueur et la cadence des périodes de Pindare, néanmoins je compris qu’il serait possible, sinon d’égaler le modèle, au moins de ne pas rester tant au-dessous et de donner une traduction qui fût assez fidèle et assez élégante pour ne pas être tout à fait indigne du prince des poëtes lyriques. C’est là qu’ont tendu constamment mes soins et mes efforts pendant les cinq années que je me suis occupé de ce travail.

  1. Dès la première olympiade. Non la première absolument parlant, mais la première qui se trouvait marquée dans les registres des Éléens et par laquelle on commença à compter les olympiades, l’an 776 avant J.-C. ; elle est appelée olympiade de Corœbus et eut lieu sous le règne d’Iphitus, fils d’Hæmon, comme nous le dirons plus loin.
  2. On trouve dans Diodore de Sicile (IV, 14) que l’hippodrome, séparé du stade, était à une certaine distance du Cronium et de l’Alphée. Lucien même prétend qu’il était situé à deux stades, dans la plaine, à l’orient d’Olympie. Quoi qu’il en soit, comme il n’y a rien de bien précis à cet égard dans la plupart des auteurs anciens, et qu’il nous a paru fort possible que les courses de chevaux et de chars pussent avoir lieu dans le stade, nous n’avons pas cru devoir, dans cette dissertation, distinguer le stade et l’hippodrome comme deux monumens séparés. Cependant, pour concilier les deux opinions, nous avons tracé, à la fin de ce volume, un plan d’Olympie, dans lequel l’hippodrome est à quelque distance du stade. Ceux qui prétendent qu’on ne doit pas séparer l’un de l’autre rapporteront au stade tout ce que nous disons de l’hippodrome.