Les Petits poèmes grecs/Pindare/Néméennes/V

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V.

A PITHÉAS, FILS DE LAMPON,

Vainqueur au pancrace.

Je ne suis point statuaire ; ma main ne sait point façonner des simulacres inanimés pour les fixer sur une base immobile. Non, mes chants pénètrent en tous lieux. Vole donc, ô ma Muse ! Pars d’Égine sur une barque légère, et publie au loin que Pithéas, le vaillant fils de Lampon vient de ceindre à Némée la couronne du pancrace.

Semblables à la vigne dont la fleur présage les doux fruits de l’automne, ses joues laissent à peine apercevoir un tendre duvet, que déjà sa victoire honore les Éacides, héroïques enfans de Saturne, de Jupiter et des blondes filles de Nérée, et cette opulente cité que fondèrent leurs mains et qui est devenue si fameuse par ses héros et ses flottes nombreuses. Debout autour de l’autel de Jupiter Hellénien les fils illustres de la nymphe Endéis levaient au ciel leurs mains suppliantes, et, avec eux, le puissant roi Phocus, que sur le rivage des mers, Pramathée avait mis au monde...

Comment oserais-je dévoiler ici l’attentat que Télamon et Pélée commirent contre toute justice ? Non je ne sonderai pas la profondeur de ce mystère, je ne révélerai point la cause pour laquelle ces héros abandonnèrent leur patrie ou quel dieu vengeur les en exila. Il est des faits la vérité ne doit pas montrer sa face à découvert, et le silence fut toujours chez les mortels le fruit de la plus haute sagesse. Mais s’il faut célébrer par mes chants la prospérité, la force et les exploits des Éacides, quel que soit l’espace qu’on me donne à franchir, ma force et ma légèreté me feront voler au delà ; et ne voit-on pas l’aigle être emporté d’une aile rapide au delà des mers.

Je vais donc redire quels nobles accens le chœur des Muses fit entendre en leur honneur sur le Pélion ; comment au milieu d’elles, Apollon variait sans cesse avec un archet d’or les sons mélodieux de sa lyre à sept cordes. Elles enchantèrent d’abord le grand Jupiter, ensuite l’immortelle Thétis et Pélée que la voluptueuse Crétéis-Hippolyte s’efforça de faire tomber dans ses pièges adultères. Cette princesse à l’aide de la plus noire calomnie persuada au roi des Magnésiens, son époux, que Pélée avait osé attenter à la sainteté de sa couche nuptiale. Mensonge impudent ! elle-même au contraire avait osé provoquer le jeune héros, qui repoussa ses offres séduisantes, et craignit d’encourir la colère de Jupiter, protecteur de l’hospitalité.

Alors du haut des cieux, le roi des immortels, dont la voix assemble les nuages lui permit de choisir pour épouse une des Néréides à la quenouille d’or, après avoir obtenu l’assentiment de Neptune. Souvent ce dieu quittant son palais d’Aigé, visite l’isthme célèbre qu’habitèrent jadis les peuples de la Doride. Là une foule empressée de jeunes athlètes l’accueillent au son des flûtes et déploient en son honneur la force et la souplesse de leurs membres robustes.

La Fortune, qui dès le berceau accompagne en tous lieux les mortels, est l’arbitre de toutes leurs actions. C’est la tienne sans doute, ô Euthymène ! qui t’a conduit à Égine dans les bras de la victoire pour que tu sois aussi l’objet de nos chants. Vois comme la gloire de Pythéas, ton oncle, rejaillit maintenant sur toi et sur votre famille commune. Némée l’a vu conquérir sa couronne dans ce mois que chérit Apollon, comme naguère sa terre natale le vit aussi, dans les riantes vallées de Nisus, surpasser tous ses jeunes rivaux. Pour moi, je suis au comble de l’allégresse en voyant ainsi chaque cité s’enflammer d’une noble émulation de la gloire.

Souviens-toi encore, ô Pythéas ! que tu dois aux soins utiles de Ménandre la plus douce récompense de tes honorables travaux ; puissant motif pour les athlètes de choisir leurs maîtres parmi les citoyens d’Athènes.

S’il faut enfin, ô ma Muse ! célébrer dans ce chant les louanges de Thémistius, ne crains point de l’entreprendre : élève ta voix, déploie les voiles de ton navire, et proclame du haut du mât, la victoire que deux fois Épidame lui a vu remporter au pugilat et au pancrace, et les couronnes verdoyantes et fleuries dont les Grâces aux blonds cheveux ornèrent sa tête devant les portiques du temple d’Éaque.