Les Petits poèmes grecs/Pindare/Néméennes/VI

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VI.

A ALCIMÈDE, D’ÉGINE,

Vainqueur à la lutte.

Des hommes ainsi que des dieux, l’origine est la même ; une mère commune nous anima tous du souffle de la vie. Le pouvoir entre nous fait seul la différence ; faible mortel, l’homme n’est rien, et les dieux habitent à jamais un ciel d’airain, demeure inébranlable de leur toute-puissance. Cependant une grande âme, une intelligence sublime nous donnent quelques traits de ressemblance avec la divinité, quoique nuit et jour la fortune nous entraîne vers un but que nous ignorons.

La race du jeune Alcimède peut être comparée à ces terres fertiles qui alternativement fournissent aux hommes d’abondantes récoltes et se reposent ensuite pour acquérir une nouvelle fécondité. Dès son début à la lutte, Alcimède remplit noblement la destinée que lui fixa Jupiter ; à peine au printemps de la vie, on l’a vu à Némée s’élancer dans la lice comme un chasseur sur sa proie : ainsi ce jeune héros marche d’un pas assuré sur les traces de Praxidamas son aïeul paternel, qui, le premier des descendans d’Éaque, ceignit aux jeux olympiques son front de l’olivier cueilli sur les bords de l’Alphée, qui, cinq fois couronné à l’Isthme et trois fois dans Némée, tira de l’oubli Soclide, son père, le premier des fils d’Agésimaque.

Et maintenant trois athlèles célèbres issus de cette même tige sont parvenus par leurs victoires à ce comble de gloire où l’homme enfin peut goûter en paix le fruit de ses travaux. Jamais famille dans toute la Grèce ne fut à ce point favorisée des dieux, et ne remporta plus de couronnes aux luttes du pugilat.

J’ai à célébrer de grandes, de sublimes louanges ; mais j’ai la douce espérance que la magnificence de mes chants ne sera point indigne de mes héros. Ainsi donc, ô ma Muse ! bande ton arc, et fais voler un trait vers ce noble but ; que tes hymnes, portés sur les ailes des vents, retentissent au loin. Ce sont les chants des poëtes et les récits de l’histoire qui transmettent à la postérité les hauts faits des grands hommes qui nous ont devancés dans le tombeau. Et où trouver ailleurs plus d’illustres actions que dans la famille des Bassides ? Quel vaste champ d’éloges n’offre pas son antique gloire aux sages favoris des filles du Piérus ! C’est de son sein qu’est sorti ce Callias qui, armé du pesant gantelet, remporta la victoire dans Pytho. Chéri des enfans de Latone à la quenouille d’or, il entendit près de Castalie, au milieu des chœurs des Grâces, ses amis répéter ses louanges jusqu’au lever de l’étoile du soir. Il fut encore le théâtre de sa victoire cet isthme fameux qui, semblable à une digue, sépare à jamais les deux rivages de l’infatigable élément ; là, près du bois sacré de Neptune, il fut couronné de la main des Amphictyons dans ces jeux que tous les trois ans on voit reparaître ; enfin, au pied de ces monts antiques, qui, de leurs sombres forêts, ombragent Phliunte, il ceignit sa tête de cette couronne dont l’herbe rappelle le vainqueur du lion de Némée.

De toutes parts l’illustre Égine ouvre à mon génie des routes magnifiques à parcourir ; de toutes parts elle offre une ample matière à mes chants. Les nobles enfans d’Éaque, par leurs vertus héroïques, se sont fait une grande, une immortelle destinée. Volant sur la terre et par delà les mers, leur renommée est parvenue jusqu’en ces contrées qu’habitent les Éthiopiens ; elle leur apprit le funeste sort de leur roi Memnon et l’affreux combat où Achille, descendant de son char, perça de sa lance homicide ce fils de la brillante Aurore.

Mais pourquoi dans mes vers suivrais-je la route où mille poëtes avant moi ont aussi traîné le char triomphal des Éacides ? Que le nautonier pâlisse à la vue des flots écumeux qui battent les flancs de son navire ; moi je ne plierai pas sous le double fardeau dont je me suis chargé, et je proclamerai la victoire que pour la vingt cinquième fois cette illustre famille vient de remporter dans les combats que la Grèce appelle sacrés.

O Alcimide ! tu viens de répandre un nouveau lustre sur la noblesse de ton sang, malgré la jalouse fortune qui a ravi à ta jeunesse, ainsi qu’à Tisnidas ton émule, deux couronnes auprès du bois de Jupiter Olympien. Quant à Mélésias qui t’a formé, je dirai que cet habile écuyer a la légèreté du dauphin qui rase avec vitesse la surface des mers.