Les Phares américains et les feux flottants

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LES PHARES AMÉRICAINS
ET LES FEUX FLOTTANTS.

L’administration des phares, aux États-Unis, a été chargée, l’année dernière, de l’éclairage de 179 phares côtiers, maritimes et lacustres, de 394 phares de rivières et de ports, de 22 phares flottants et de 33 signaux de brume. Ces phares ont été construits généralement dans d’excellentes conditions de rapidité ou de solidité ; et ils sont dignes à tous égards d’être signalés parmi les travaux les plus utiles et les plus importants de ces derniers temps.

La diversité des conditions dans lesquelles ils ont été construits a occasionné aussi une grande diversité dans les plans de construction. Nous reproduisons deux types qui nous ont paru offrir un intérêt réel. Le premier dessin représente le phare de Race Rock, et le second celui de Thimble Shoal, à Hampton Roads, dans l’État de Virginie.

Phare de Race Rock.

Le phare de Race Rock, à l’entrée orientale du détroit de Long Island, appartient au troisième district dont l’ingénieur est le colonel S.-C. Woodruff. Notre gravure donne l’ensemble général de cette belle construction, dont les fondations ont nécessité l’amoncellement de dix milles tonnes de blocs de pierre, chaque bloc pesant de trois à cinq tonnes.

Le phare de Thimble Shoal est dans le cinquième district, dont l’ingénieur est le major Peter C. Hains. Ce phare a été érigé pour remplacer le phare flottant de Willoughby, à l’entrée la moins profonde de Hampton Roads. Il est bâti sur un fond très-dur formé de sable compacte. Sa lumière est de quatrième ordre, mais dans l’ensemble de sa structure, il n’en a pas moins une très-belle apparence. Il est remarquable par la légèreté de son pilotis en fer, qui domine avec élégance la surface de la mer[1].

Le président de la commission des ingénieurs de l’administration des phares aux États-Unis, le général Barnard, ainsi que l’ingénieur secrétaire, le major Georges H. Elliot, se préoccupent non-seulement de donner une importante extension à la construction des phares, mais ils songent aussi à les pourvoir des nombreux auxiliaires, qui en sont, pour ainsi dire, les compléments indispensables et que l’on nomme les feux flottants, les amers, les balises et les signaux.

Les essais portent surtout actuellement sur la construction de bateaux-phares, ou feux flottants, que l’on doit placer sur certaines parties des côtes, qui, par la nature de leur sol, se refusent absolument à l’édification de monuments en fer ou en maçonnerie. C’est en Angleterre que l’idée des bateaux lumineux a pris naissance. En 1841, le light-vessel des îles Scilly a eu un grand retentissement ; il nous paraît curieux d’en donner la description au moment où cette question de l’éclairage maritime est à l’ordre du jour de l’autre côté de l’Atlantique.

Phare de Thimble Shoal.

« À première vue, et de loin, dit M. Esquiros, qui nous donne la description assez pittoresque du bateau lumineux anglais, un light-vessel ressemble beaucoup pendant la journée à un vaisseau ordinaire ; si l’on y regarde de plus près, on trouve entre eux une bien grande différence. Le vaisseau lumière flotte, mais il ne remue point : ses mâts épais et courts sont dénués de voiles et couronnés de grosses boules. Les autres navires représentent le mouvement ; celui-ci représente l’immobilité. Ce qu’on demande d’ordinaire à un bâtiment est d’être sensible au vent, à la mer ; ce qu’on exige du light-ship est de résister aux éléments. Qu’arriverail-il en effet, si, chassé par la tempête, il venait à dériver ? Pareil à un météore, ce fanal errant tromperait les pilotes au lien de les avertir. Un navire qui ne navigue point, un vaisseau-borne, tel est donc l’idéal que se propose le constructeur d’un light-vessel, et cet idéal a naturellement exercé dans plus d’un sens l’imagination des architectes nautiques. Les formes varient selon les localités ; la coque du navire est plus allongée en Irlande qu’en Angleterre ; mais dans tous les cas on s’est proposé le même but, la résistance à la force des vents et des vagues. On a voulu que, par les plus violentes marées, au milieu des eaux les plus bouleversées, et dans les situations les plus exposées à la puissance des courants, il chassât sur son ancre en s’agitant le moins possible. Pour qu’il restât par tous les temps dans la même situation maritime, il a été nécessaire de l’attacher. Galérien rivé à une chaîne et à des câbles de fer, il ne peut s’éloigner ni à droite ni à gauche. L’étendue de cette chaîne varie selon les localités : aux Steven-Stones, où le vaisseau repose sur 240 pieds d’eau, elle mesure un quart de mille de longueur. On y a depuis quelques années ajouté des entraves qui subjuguent les mouvements du navire, et encore a-t-on obtenu que tout esclave qu’il fût, il pesât le moins possible sur les amarres. Il y a très-peu d’exemples d’un light-vessel ayant rompu ses liens, et il n’y en a point jusqu’ici qui ait fait naufrage. On n’a jamais vu non plus les marins de l’équipage changer volontairement de position, quelle que fût la fureur de la tempête. Si pourtant le vaisseau se trouve déplacé par l’irrésistible force des éléments, au point que sa lumière puisse devenir une source d’erreurs pour la navigation, on arbore un signal de couleur rouge ; ou tire le canon et généralement, il se trouve bientôt réintégré dans sa situation normale. Le danger de dériver et la présence qu’exigent en pareil cas les différentes manœuvres proclament néanmoins assez haut le courage des hommes qui vivent toute l’année sous une pareille menace. Comme il faut d’ailleurs tout prévoir, un vaisseau de rechange, spare vessel, se tient prêt dans les quartiers généraux du district à n’importe quelle éventualité. Grâce aux télégraphes établis sur les côtes, la nouvelle est bientôt connue, et souvent avant le coucher du soleil, le bâtiment de réserve, remorqué à toute vapeur, occupe déjà la place du navire forcé et arraché par la tourmente. Les lights-vessel de la Trinity-House sont peints en rouge, ceux d’Irlande sont noirs. »

Les côtes des États-Unis offrent parfois de grands dangers à la navigation ; aussi l’administration des phares songe-t-elle à multiplier les feux flottants déjà nombreux, des côtes américaines. La France, dont les côtes n’ont pas les mêmes exigences que celles de l’Angleterre et des États-Unis, ne compte qu’un très-petit nombre de bateaux-phares. Les feux flottants du Royaume-Uni sont au nombre de cinquante environ. Il en existe une quantité bien plus considérable aux États-Unis, et comme nous l’avons dit, on la verra s’accroître encore dans une proportion considérable. On doit féliciter le gouvernement américain des louables efforts qu’il fait pour éclairer la mer. S’il protège ainsi ses propres nationaux, n’oublions pas qu’il rend service en même temps au monde civilisé tout entier. Jean Brunner.


  1. Engineering.