Les Pinsons (Verhaeren)
LES PINSONS
Et fait grosse sa voix,
Ils s’exaltent en leur cage de bois,
Toute la vie ;
Mais depuis lors,
Ardente, inassouvie,
Plus violente encor,
Vibre, dans l’air,
Leur chanson d’or.
Ils ne voient plus, mais ils s’écoutent :
Leur voix s’affine et se veloute,
Et des impasses.
Solidement, on pend au clou,
Près des fenêtres basses,
Leur cage étroite
Comme une boîte.
Et l’on n’entend plus rien, sinon près du plafond,
Leur petit bec qui gratte,
Ou bien leurs sauts légers, de bâton en bâton,
Entre ville, village et bourg ;
Et désormais, la vie
Des doux pinsons est asservie
Au dominical branle-bas
Assis à l’ombre, et pipe aux dents,
Les solennels experts, ornés d’un président
Large et fondamental, attendent ;
Et s’entêtent et s’effilent les voix,
De la coupe d’un gosier frêle,
Bulles, perles, miroitements, éclairs,
Sans nul effort qu’un battement des ailes ;
Frétillements de cris, fourmillements de sons,
Trilles en fleur, trilles en fête,
Ô les naïfs et doux pinsons,
Comme ils s’entêtent !
Le président, rougeaud et gros,
Fume toujours, et ne dit mot ;
Mais son oreille ardente écoute,
L’autre après l’un, chaque pinson
Tresser les brins de sa chanson.
Tous s’acharnent, aucun ne doute,
Car c’est à ceux qui, de leur cœur battant
Ont, en un même temps,
Tiré, le plus souvent, les mêmes notes,
Qu’on adjuge, — parfois, l’on vote —
Le prix dont sera fier, pendant un jour,
Ô la fragile et babillante claironnée :
Jusques à l’heure où le plus fort,
Dans le disloquement et dans la débandade
De l’unanime sérénade,
Impose, à tous, son survivant effort,
Et dans l’entier silence et la cruelle attente
Avec, au treillis de la cage,
Un rameau clair de fleurs sauvages,
Rentrent à la maison
Où, dans l’angoisse et dans la fièvre,
Leur nom vole, de lèvre en lèvre ;
Tandis qu’assises sur leur seuil,
Les commères, lourdes et grasses,
Se rengorgent d’orgueil
À voir
La volante victoire