Les Pionniers/Chapitre 15

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 6p. 150-158).


CHAPITRE XV.


Elle étant en ce jour au golfe de Biscaye
Ancienne ballade.



Avant la scène qui se passa au Hardi Dragon, et dont nous avons rendu compte dans le chapitre précédent, M. Temple avait reconduit sa fille chez lui, et l’y avait laissée maîtresse de passer la soirée comme bon lui semblerait. Avant de partir pour aller à l’académie, Benjamin avait eu soin d’éteindre les lumières qui brillaient dans les lustres et les candélabres, mais il avait recommandé à Aggy d’entretenir un bon feu dans le salon, et quatre grosses chandelles placées dans de grands chandeliers de cuivre rangés sur le buffet ayant été allumées, on s’y trouvait mieux eclairé et plus chaudement que dans la salle d’où l’on sortait.

Remarquable Pettibone, qui avait fait partie des auditeurs de M. Grant, était revenue avec sa jeune maîtresse, dont elle n’avait pas vu l’arrivée de très-bon œil. Elle se flatta pourtant qu’attendu la grande jeunesse d’Élisabeth, il ne lui serait pas très-difficile de conserver l’exercice, du moins indirect, d’une autorité que personne ne lui avait disputée jusqu’alors. L’idée d’être gouvernée, d’avoir à obéir aux ordres d’une jeune fille, au lieu d’en donner elle-même aux autres domestiques, lui était insupportable. Elle avait déjà résolu cinq à six fois de faire un effort pour décider tout d’un coup ce qu’elle avait à craindre ou à espérer ; mais dès qu’elle rencontrait les yeux noirs et, le regard imposant d’Élisabeth qui se promenait dans le salon en réfléchissant sur les scènes de sa jeunesse, sur le changement survenu dans sa situation, et peut-être aussi sur les événements de la journée, un non-seulement de crainte respectueuse dont la femme de charge ne se serait pas crue susceptible semblait lui coller la langue au palais. Elle se décida enfin à ouvrir la conversation par un sujet propre à réduire tous les hommes au même niveau, et qu’elle croyait pouvoir traiter de manière à déployer ses talents.

— M. Grant nous a prêché ce soir un sermon bien peigné, dit-elle ; tous les ministres de son Église prononcent toujours de beaux discours ; mais il faut dire qu’ils mettent d’avance leurs idées par écrit, ce qui est un grand privilège ; car je doute, qu’ils fussent en état de prêcher d’abondance de cœur comme les prédicateurs du culte debout[1].

— Qu’entendez-vous par les prédicateurs du culte debout ? demanda Élisabeth.

— J’entends les presbytériens, les anabaptistes, répondit Remarquable, et tous ceux qui ne se mettent pas à genoux pour prier.

— Par conséquent vous appelleriez la religion de mon père le culte assis, dit Élisabeth en riant.

— Bien certainement, miss Élisabeth, répliqua Remarquable, je ne me suis jamais permis de parler d’une manière inconvenante de monsieur votre père, ni de personne de sa famille. Je sais que les quakers, comme on les appelle, sont des gens prudents et industrieux. Dans leurs réunions, ils restent assis bien tranquilles, et pour la plupart du temps, personne n’y ouvre la bouche. Dans vos églises, au contraire, il faut qu’on change de posture à chaque instant ; j’en puis parler, car j’y avais déjà été une fois avant de venir à Templeton, et je croyais vraiment être à un concert.

— Vous me faites apercevoir un avantage de notre culte auquel je n’avais pas encore fait attention, dit Élisabeth ; mais je me sens fatiguée, et j’ai dessein de me retirer. Voulez-vous bien voir s’il y a du feu dans ma chambre ?

Mistress Pettibone mourait d’envie de répondre à sa jeune maîtresse qu’elle pourrait le voir en y montant elle-même ; mais la prudence l’emporta sur l’humeur, et après un délai de quelques instants, comme pour sauver sa dignité, elle obéit. Le rapport qu’elle vint faire ensuite fut satisfaisant, et Élisabeth se retira en souhaitant le bonsoir à la femme de charge et à Benjamin, qui remettait du bois dans le poêle.

Du moment qu’elle fut partie, Remarquable commença un discours mystérieux et ambigu, qui n’était ni une critique ni un éloge de sa jeune maîtresse, mais qui exprimait assez de mécontentement. Benjamin n’y fit aucune attention, et continua de donner ses soins au feu. Il alla ensuite consulter le thermomètre ; puis, ouvrant un tiroir du buffet, il en tira des stimulants qui auraient suffi pour entretenir sa chaleur intérieure, sans l’aide de tout le bois qu’il venait d’entasser dans le poêle. Il approcha du poêle une petite table, y mit les bouteilles et deux verres, prit deux chaises, s’assit sur l’une, remplit son verre, et adressa enfin la parole à sa compagne.

— Allons, mistress Pettibone, allons, mettez-vous à l’ancre sur cette chaise ; il fait au dehors un vent piquant d’est-quart-nord-est ; mais qu’importe de quel point vienne le vent ? Les nègres sont bien chaudement là-bas à fond de cale, devant un feu qui pourrait rôtir un bœuf tout entier ; le thermomètre est ici à 55 degrés, et s’il y a quelque vertu dans de bon bois d’érable, il en marquera dix de plus avant une demi-heure. Approchez-vous donc, asseyez-vous, et dites-moi ce que vous pensez de notre jeune maîtresse.

— À mon avis, monsieur Benjamin Penguillan…

— Ben-la-Pompe, appelez-moi Ben-la-Pompe, mistress Remarquable ; c’est aujourd’hui la veille de Noël, et j’ai dessein de pomper dans cette bouteille jusqu’à ce qu’il n’y reste rien.

— Vous êtes une créature bien bizarre, Benjamin ; mais ce que je voulais vous dire, c’est que je crois que nous verrons bien des changements dans la maison.

— Des changements ! s’écria le majordome, en examinant sa bouteille, où le vide s’opérait avec une rapidité qui tenait du prodige. Que m’importe, pourvu que je conserve la clef du caisson[2] ?

— Je crois bien qu’on trouvera toujours de quoi boire et manger dans la maison. — Un peu plus de sucre, s’il vous plaît, monsieur Benjamin ! — Car M. Jones est excellent pourvoyeur. Mais nouveau maître, nouvelles lois ; et je crois que la durée de notre séjour ici est tort incertaine.

— Ce n’est pas d’hier, mistress Remarquable, que nous sommes embarqués sur la mer orageuse de la vie. Nous avons rencontré des vents alisés qui nous ont protégés pendant notre traversée ; mais rien n’est plus variable que le vent, et il peut survenir une bourrasque qui fasse chavirer le bâtiment, ce qui doit nous arriver un jour ou l’autre.

— Si vous voulez dire que la vie est incertaine, monsieur Benjamin, je le sais tout comme vous, mais ce n’est pas de cela que je vous parle. Je vous dis que nous ne resterons pas longtemps dans cette maison sur le même pied que nous y sommes à présent. Et je vous le demande, aimeriez-vous à voir un blanc-bec vous passer sur le corps et vous donner des ordres ? Il me semble que cela est bien dur, monsieur Benjamin.

— Quant à cela, mistress Pettibone, l’avancement doit se régler d’après le nombre des années de service. M. Richard Jones est un capitaine sous les ordres duquel on aime à faire voile. Mais s’il lui plaisait de vouloir que le pilote reçût les ordres d’un mousse, en bien ! le pilote abandonnerait le gouvernail. Un homme qui a servi plus de trente ans sur des vaisseaux de tout bord n’est jamais embarrassé de sa personne, mistress Remarquable, et sur cela je bois à votre santé.

La femme de charge ne pouvait faire moins que de boire à celle du majordome, et il faut convenir d’ailleurs qu’elle n’était nullement ennemie d’un verre de vin, d’eau-de-vie ou de genièvre mélangé avec moitié d’eau chaude, pourvu qu’il fût bien sucré. Après cet échange de politesse, la conversation se renoua.

— Vous devez avoir acquis beaucoup d’expérience, monsieur Benjamin ; car, comme dit l’Écriture : celui qui va en mer sur un navire voit les œuvres du Seigneur.

— Et quelquefois aussi les œuvres du diable, mistress Pettibone. Mais après tout, la mer offre de grands avantages à un homme, car c’est là qu’on apprend à connaître non seulement les différentes nations, mais les différents pays. Moi, par exemple, je ne suis qu’un ignorant, en comparaison de certains capitaines qui fréquentent la mer, et cependant, depuis le cap de la Hogue jusqu’au cap finis à terre[3], il n’y a pas un promontoire, pas une île, dont je ne sois en état de vous dire le nom. Oui, je connais toute cette côte aussi bien que le chemin d’ici au Hardi Dragon ; et c’est une chienne de connaissance que cette baie de Biscaye. Je voudrais seulement que vous pussiez entendre le vent qui y souffle ; cela vous ferait dresser les cheveux sur la tête. Naviguer dans cette baie, c’est à peu près la même chose que lorsqu’on voyage dans ce pays-ci de montagne en montagne.

— Quoi ! monsieur Benjamin, est-ce que la mer s’élève jamais à la hauteur de nos montagnes ?

— Eh ! oui, oui, encore plus haut, mistress Pettibone. Mais goûtons le grog et mettez un peu plus de rhum dans votre eau ; à peine est-elle colorée. Voilà le sucrier ; servez-vous à votre guise. Par le lord Henry, si, Guernesey était situé entre le cap Hattera et Logau[4] le rhum serait bien meilleur marché. Quant à la mer, elle est bien plus paisible dans la baie de Biscaye, à moins que le vent ne souffle du sud-ouest, auquel cas elle est plus houleuse. Mais si vous voulez voir de belles montagnes d’eau, naviguez près des Açores, par un vent d’ouest, ayant la terre à babord et la proue du vaisseau tournée vers le sud ; mettez en panne avec tous vos riz pris, et restez seulement l’espace de deux quarts ; vous m’en direz des nouvelles ensuite. Eh bien ! mistress Remarquable, j’y ai pourtant été à bord de la frégate la Boadicée, et il y avait des moments où nous étions enlevés si haut, qu’on aurait cru que nous allions voguer sur les nuages, tandis que nous avions sous le vent un précipice dans lequel toute la marine de l’Angleterre aurait pu s’engloutir.

— Juste ciel, monsieur Benjamin ! comme vous avez dû avoir peur ! Et comment vous en êtes-vous tirés ?

— Peur ! et pourquoi diable aurions-nous eu peur de quelques gouttes d’eau salée qui nous tombaient sur la tête ? Comment nous nous en tirâmes ? On appela tout l’équipage, car ceux qui n’étaient pas de quart dormaient dans leur hamac aussi tranquillement que vous dormirez cette nuit dans votre lit ; tous les bras se mirent à la manœuvre, et il fallut bien que la frégate marchât. Mais je vous le dis, mistress Pettibone, et je ne suis pas un menteur, elle sautait de montagne en montagne ni plus ni moins que les écureuils que vous voyez ici sauter de branche en branche. Mais aussi elle était si bonne voilière ! Il n’y avait personne de nous qui n’eût préféré y passer toute la vie, plutôt que de vivre dans un palais. Si j’étais roi d’Angleterre, je ferais héler, sur le pont de Londres et je n’aurais pas d’autre demeure, Bien certainement, si quelqu’un a droit de se bien loger, c’est Sa Majesté.

— Mais vous, monsieur Benjamin, vous, que faisiez-vous pendant tout ce temps ?

— Ce que je faisais ? je faisais… mon devoir comme les autres, et nous ne manquions pas de besogne. Or, si La Boadicée avait été montée par des compatriotes de M. Le Quoi, ils l’auraient fait échouer sur les côtes de quelque petite île ; mais nous ne fûmes pas si sots ; nous voyant à la hauteur de l’île du Pic, nous courûmes des bordées tantôt de bâbord, tantôt de tribord, et je ne saurais dire si nous sautâmes par-dessus l’île, ou si nous en fîmes le tour. Plus d’une fois notre frégate était comme un poisson entre deux eaux ; mais enfin le vent se calma, le soleil reparut, et nous ne songeâmes plus qu’à nous sécher, ce qui n’était pas inutile.

— La vie d’un marin doit être bien terrible, dit Remarquable pour qui la plupart des termes employés par Benjamin, étaient inintelligibles, mais qui se faisait une idée confuse d’une tempête furieuse. Aussi ne suis-je pas surprise que vous ayez préféré de servir dans une bonne maison comme celle-ci. Ce n’est pourtant pas que je me soucie d’y rester ; Dieu merci, je ne suis pas en peine d’en trouver une autre, et je puis plus aisément me passer d’elle qu’elle ne pourra se passer de moi. Tout mon regret, c’est d’y être jamais entrée, et c’est ce qui ne me serait pas arrivé, si j’avais pu prévoir comment tout cela devait finir.

— Mais puisque vous êtes restée si longtemps à bord, mistress Remarquable, il faut que vous ayez trouvé que le bâtiment marchait bien ?

— Si vous voulez dire que la place était bonne, j’en conviens, et je n’ai rien à reprocher ni au juge ni à M. Jones. Mais tout cela va changer à présent que nous allons avoir à la tête de cette maison une petite laide mijaurée.

— Laide ! s’écria Benjamin, en ouvrant dans toute leur grandeur des yeux que le sommeil commençait à fermer ; laide ! par la sainte-barbe ! autant vaudrait dire que la Boadicée était une frégate mal construite. Comment diable ! et que lui manque-t-il donc ? n’a-t-elle pas des yeux aussi brillants que l’étoile du matin, des cheveux aussi noirs que les agrès les mieux goudronnés ? Ses mouvements ne sont-ils pas aussi gracieux que ceux de la corvette la meilleure voilière ? Sur ma foi, la figure qui ornait la poupe de la Boadicée n’était rien auprès d’elle, et cependant c’était le portrait d’une reine, à ce que j’ai entendu dire au capitaine : or, les reines sont toujours belles ; car qui aurait le droit d’avoir une belle femme, si ce n’était un roi ?

— Parlez tranquillement, Benjamin, si vous voulez que je vous tienne compagnie. Je ne prétends pas dire qu’elle ne soit pas assez avenante à voir ; mais je soutiens qu’il n’y aura pas moyen de vivre avec elle. D’après ce que m’avait dit M. Jones, je croyais trouver en elle un modèle de toutes les perfections ; mais, à mon avis, Louise Grant est vingt fois plus aimable que Betsy Temple. Elle se croit déjà trop grande dame pour parler à une pauvre domestique. Quand je lui ai demandé ce qu’elle avait pensé en arrivant ici, sans y retrouver sa maman, elle a tourné la tête d’un autre côté, et n’a pas seulement daigné me répondre.

— Peut-être n’a-t-elle pas compris ce que vous lui disiez ; car vous avez un accent terrible, mistress Remarquable, et miss Lizzy a eu pour maîtresse d’anglais à New-York une dame de Londres ; ni moi, ni aucun capitaine de la marine anglaise, nous ne serions en état de parler cette langue mieux qu’elle. Vous avez oublié les leçons de l’école, et votre jeune maîtresse est une personne fort instruite.

— Ma maîtresse ! me prenez-vous pour une négresse, monsieur Benjamin ? Elle n’est pas une maîtresse, et elle ne le sera jamais. Et quant à ma manière de parler, je me flatte que je ne le cède à personne dans toute la Nouvelle-Angleterre, je suis née et j’ai été éduquée dans le comté d’Essex, et chacun sait que Bay-State a toujours été cité pour la prononciation.

— J’ai quelquefois entendu parler de cette haie de State, mais je ne puis dire que j’y sois jamais entré. Je suppose que c’est quelque petite crique qui n’est fréquentée que par des barques de pêcheurs, et qui n’est pas plus comparable à la baie de Biscaye qu’un lougre ne l’est à un vaisseau du roi. Mais si vous voulez apprendre à parler, il faut que vous alliez passer quelque temps à Wapping[5], et que vous écoutiez les habitants de Londres. Au surplus, je ne vois pas en quoi vous avez à vous plaindre de miss Temple, bonne femme ; ainsi buvez encore un coup, et n’y pensez plus.

— Si vraiment, j’y penserai. Un pareil traitement est une chose neuve pour une femme comme moi. J’ai cent cinquante dollars à mon service, un lit, vingt moutons, et je ne resterai pas dans une maison où il n’est pas permis d’appeler une fille par son nom de baptême. Oui, je l’appellerai Betzy, Lizzy, et tout comme il me plaira ; qui peut m’en empêcher ? Nous vivons dans un pays libre. Je comptais passer ici encore l’été prochain, mais je m’en irai demain, ou je parlerai comme bon me semble.

— Quant à cela, mistress Remarquable, personne ne vous contredira ; car je suis d’avis qu’il serait aussi facile d’arrêter un ouragan en lui opposant un mouchoir de Barcelonne, que de forcer votre langue à mettre en panne, quand elle à une fois pris le vent. Et dites-moi, bonne femme, trouve-t-on beaucoup de guenons sur les côtes de la baie de State ?

— C’est vous qui êtes un singe, monsieur Penguillan, ou pour mieux dire un ours, un ours noir, et vous ne méritez pas qu’une femme comme il faut vous tienne compagnie. Cela ne m’arrivera plus, vous pouvez bien y compter : non, quand je voudrais rester encore trente ans chez le juge. On ne parlerait pas ainsi à une laveuse de vaisselle.

— Écoutez-moi, mistress Pitty… Patty… Pettibone, il est possible que je sois un ours, comme je le prouverai à quiconque voudra jeter un grappin sur moi ; mais un singe ! Dieu me damne ! me prenez-vous pour une guenon qui montre les dents et remue les lèvres sans rien dire ? pour une perruche qui peut parler une douzaine de langues, le grec, l’allemand et le jargon de la baie de State, mais qui n’en comprend pas un mot. Un midshipman[6] peut répéter l’ordre qu’a donné le capitaine ; mais veut-il commander la manœuvre, je consens que ce verre de grog ne m’entre pas dans le gosier, s’il ne fait rire à ses dépens jusqu’au dernier mousse.

— Vous vous en trouveriez mieux s’il n’y entrait pas, Benjamin, car vous êtes un vrai sac à grog, et je ne resterai pas plus longtemps ici pour entendre des propos qui ne me conviennent pas.

À ces mots, la femme de charge, cédant à son indignation, se leva avec toute la dignité dont elle put s’armer, prit un chandelier sur la table, sortit de l’appartement, et en ferma la porte avec un bruit semblable à un coup de pistolet, murmurant auparavant les mots brute et ivrogne.

— Qui appelez-vous ivrogne ? s’écria Benjamin en faisant un mouvement vers la porte. Mais je suis bien fou, dit-il en s’arrêtant tout à coup ; C’est une vieille carcasse qui ne mérite pas une bordée. Où diable aurait-elle appris à vivre et à parler ? est-ce dans sa baie de State ?

Il se rassit, but son verre de grog, pencha la tête sur sa poitrine, et fit bientôt entendre des sons ayant quelque analogie avec le grognement d’un des animaux dont on venait de lui donner le nom, et qui n’étaient ininterrompus que par les mots guenon, carène délabrée, perruche, bâtiment démâté, et autres épithètes méprisantes qu’il prononçait tout en dormant.

Son sommeil paisible dura une couple d’heures ; et il fut alors éveillé en sur saut par l’arrivée bruyante de M. Jones, accompagné du major et du maître de la maison. Le majordome reprit assez l’usage de ses sens pour aider les deux premiers à gagner leur appartement ; après quoi il disparut lui-même, laissant le soin de la sûreté de la maison à celui qui y était le plus intéressé. Les barres et les verrous n’étaient guère en usage dans l’enfance de ces nouveaux établissements, et Marmaduke se retira à son tour dans sa chambre, après avoir vérifié si tous les feux étaient éteints.

C’est par cet acte de prudence que se termine la première journée de notre histoire.



  1. Outre ces expressions bizarres qui embarrassent même les personnes qui sont familiarisées avec son genre d’esprit, Remarquable Pettibone à son jargon à part ou son patois comme les autres personnages secondaires du roman.
  2. Terme de marine. L’endroit où l’on garde les provisions.
  3. Finistère : en anglais Ben-la-Pompe dit Cape finish there, Cap finit là.
  4. Dans le Kentucky.
  5. Faubourg de Londres habité par là populace du port.
  6. Aspirant de marine.