Les Pionniers/Chapitre 36

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 6p. 354-362).

CHAPITRE XXXVI.


Et je pleurerais ; — ainsi commença ses lamentations le chef Oneyda ; — je pleurerais si je ne devais pas m’abstenir de mêler de timides larmes au chant de mort du fils de mon père.
Campbell. Gertrude de Wioming.



Le lendemain matin Élisabeth, accompagnée de Louise, se rendit dans la boutique de M. Le Quoi pour remplir la promesse qu’elle avait faite à Bas-de-Cuir. Plusieurs pratiques s’y trouvaient déjà ; mais le Français, toujours poli, laissa à son garçon de boutique le soin de les servir, et fit passer les deux jeunes amies dans son arrière-boutique.

— Vous avez donc appris quelque heureuse nouvelle ; monsieur Le Quoi ? dit Élisabeth, après qu’il lui eut présenté un siège ainsi qu’à sa compagne ; vous avez l’air radieux ce matin.

— Ah ! miss Temple, s’écria le Français en frappant d’une main sur une lettre qu’il tenait de l’autre ; cette lettre ! cette lettre ! je ne l’ai reçue que ce matin. Elle me transporte de joie ! Ma chère France, je vous reverrai donc !

— Je me réjouis de tout ce qui peut vous causer de la satisfaction, monsieur Le Quoi ; mais j’espère que nous n’allons pas vous perdre.

— Ah ! miss Temple, si vous aviez été forcée à quitter un père, une mère, des parents, des amis, comme vous seriez joyeuse de pouvoir les rejoindre ! Mais écoutez, je vais vous lire cette lettre :

À monsieur, monsieur Le Quoi de Mersereau, à Templeton, New-York, États-Unis d’Amérique. Elle vient de Paris : Mon très-cher ami, je suis ravi d’avoir à vous mander…

— Je crains, monsieur Le Quoi, que le peu que je sais de français ne me suffise pas pour bien comprendre cette lettre, dit Élisabeth qui fit réflexion que Louise ne connaissait cette langue que très-imparfaitement ; ne pourriez-vous pas nous en dire le contenu en anglais ?

— Oh ! sans doute, sans doute, répondit M. Le Quoi. Et il commença à donner, du mieux qu’il put, l’explication du motif qui le rendait si joyeux ; mais cette explication fut très-longue, car son anglais était souvent inintelligible et occasionnait une foule de méprises qu’il fallait éclaircir.

Le fait était que monsieur Le Quoi, de même que la plupart de ceux qui avaient quitté la France au commencement de la révolution, en était parti par frayeur plutôt que par nécessité, et s’était rendu à la Martinique où il possédait une assez belle habitation. Inscrit sur la liste des émigrés, et le séquestre ayant été mis sur son habitation, il s’était réfugié à New-York avec l’argent comptant dont il pouvait disposer, et grâce aux conseils et à la protection de M. Temple, il avait fait à Templeton d’assez bonnes affaires, comme nous l’avons déjà dit. La lettre qu’il venait de recevoir lui annonçait qu’il avait été rayé de la liste fatale ; que le séquestre apposé sur ses propriétés avait été levé, et qu’il pouvait, sans aucun risque, revenir en France ou retourner à la Martinique, comme bon lui semblerait.

Au milieu des démonstrations de sa joie, M. Le Quoi répéta pourtant bien des fois que l’idée de perdre la société de miss Temple lui était insupportable, et il ne la quitta qu’après lui avoir demandé et en avoir obtenu la promesse d’un entretien particulier dont l’époque fut convenue, demande qu’il fit d’un air grave, qui annonçait l’importance du sujet dont il voulait l’entretenir. Élisabeth fit alors l’acquisition qui était la cause de sa visite et traversa de nouveau la boutique, où les villageois qui s’y trouvaient, et parmi lesquels était Billy Kirby, une hache sur l’épaule et une cognée sous le bras, se rangèrent avec respect pour la laisser passer.

Élisabeth et Louise marchèrent en silence jusqu’à ce qu’elles fussent arrivées au pied de la montagne de la Vision, qui dominait le lac et le village, car c’était celle au bas de laquelle on voyait naguère la hutte de Bas-de-Cuir. Là miss Temple s’aperçut que sa compagne était pâle comme la mort, que ses forces semblaient l’abandonner, et que ses genoux fléchissaient sous elle.

— Qu’avez-vous donc, Louise ? lui demanda-t-elle. Vous trouvez-vous indisposée ?

— Non, répondit miss Grant ; mais la terreur m’enlève toute ma force. Jamais, non, jamais, je ne pourrai gravir, seule avec vous, une montagne sur laquelle nous avons couru un danger si horrible ; je me sens hors d’état d’aller plus loin.

Cette déclaration inattendue plongea Élisabeth dans un grand embarras. Elle n’avait aucune appréhension d’un danger qui n’existait plus ; mais une retenue naturelle à son âge et à son sexe la faisait hésiter à s’avancer plus loin absolument seule. Ses joues s’animèrent de vives couleurs pendant qu’elle s’arrêta pour faire quelques réflexions à la hâte. Le résultat de ces réflexions fut qu’elle se décida à continuer sa course.

— J’irai donc seule, répondit-elle. Je ne puis me fier qu’à vous, sans courir le risque de découvrir le pauvre Natty, et si je manque à la promesse que je lui ai faite, c’est le priver du seul moyen qu’il ait de pourvoir à sa subsistance. Mais du moins attendez-moi ici pour qu’on ne puisse pas dire que je me promène seule sur les montagnes ; vous ne voudriez pas donner lieu à des observations déplacées, si… si par hasard… Me promettez-vous de m’attendre, ma chère amie ?

— Un an, s’il le faut, miss Temple, pourvu que ce soit en vue du village ; mais n’exigez pas que je vous suive sur cette montagne, je sens que cette entreprise est au-dessus de mes forces.

Élisabeth vit effectivement au sein haletant, à l’œil égaré et à tous les membres tremblants de Louise, qu’elle était hors d’état d’aller plus loin. Elle la plaça dans un endroit où elle devait être à l’abri des observations de ceux qui pouvaient passer sur la route, et d’où l’on apercevait le village et toute la vallée de Templeton, et, lui ayant promis de la rejoindre le plus tôt possible, elle commença à gravir la montagne. Elle marchait d’un pas ferme et rapide, craignant de ne pas arriver à l’heure convenue, attendu le temps qu’elle avait passé à écouter l’histoire de M. Le Quoi. Elle était pourtant obligée de faire une pause par intervalles pour reprendre haleine, et elle examinait alors les changements survenus depuis peu dans la vallée. La longue sécheresse avait donné une teinte rembrunie à sa riche verdure, et elle n’offrait plus l’aspect riant et enchanteur des premiers jours d’été. Le ciel même semblait se ressentir de l’air desséché de la terre, car le soleil était obscurci par des vapeurs qu’on aurait prises pour un nuage de poussière, tant elles offraient peu d’apparence d’humidité. On n’apercevait l’azur du firmament que par moments, lorsque le vent séparait ces masses flottantes dans l’atmosphère, comme si la nature eût voulu rassembler toutes les ressources pour donner des secours à la terre altérée. L’air qu’on respirait était brûlant, et plus d’une fois Élisabeth s’arrêta haletante.

Au sommet de cette montagne, que le juge Temple avait nommée la Vision, était un petit plateau sur lequel on avait abattu tous les arbres qui le couvraient autrefois, afin d’avoir de ce point la vue du village, du lac et de la vallée. C’était là qu’Élisabeth avait compris que le vieux Bas-de-Cuir lui avait donné rendez-vous, et elle s’y rendit avec autant de célérité que purent le lui permettre les fragments de rochers, les arbres renversés, les broussailles, et tous les obstacles qu’on rencontre dans une forêt abandonnée pendant des siècles aux soins de la nature. Sa résolution triompha de toutes les difficultés, et sa montre, qu’elle consulta, l’assura qu’elle était arrivée au lieu désigné plusieurs minutes avant l’heure convenue.

Elle jeta les yeux de tous côtés autour d’elle pour chercher Natty ; mais un instant suffit pour la convaincre qu’il n’était pas sur la petite plate-forme où l’on avait abattu les arbres. Pensant que la prudence pouvait l’avoir engagé à se cacher dans les environs, elle fit le tour de cette enceinte, regarda entre les arbres aussi loin que sa vue pouvait atteindre, mais elle ne l’aperçut pas. Enfin, persuadée qu’elle ne risquait rien en faisant entendre sa voix dans un lieu si solitaire, elle se détermina à l’appeler.

— Natty ! Bas-de-Cuir ! Natty Bumppo ! s’écria-t-elle à plusieurs reprises, et dans toutes les directions ; mais elle ne reçut de réponse que des échos de la forêt qui répétaient ses cris.

Tandis qu’elle appelait ainsi, elle entendit un bruit semblable à celui qu’on produirait en frappant fortement de la main contre la bouche en même temps qu’on précipiterait la sortie de son souffle, et qui semblait partir a quelque distance au-dessous d’elle. Elle ne douta pas que ce ne fût Natty qui voulût l’avertir ainsi de l’endroit où elle le trouverait, de crainte de se trahir en lui répondant différemment, et en conséquence elle se dirigea vers le lieu d’où le son était parti. Étant descendue à une centaine de pieds, elle se trouva sur une petite plate-forme formée par la nature, couverte d’un sol maigre, et où l’on ne voyait qu’un petit nombre d’arbres qui croissaient dans les fentes du rocher. Elle s’était avancée jusqu’au bord de cette espèce de terrasse, et regardait avec effroi le précipice que le terrain dominait de ce côté, quand un bruit qu’elle entendit dans les feuilles sèches lui fit tourner les yeux dans une autre direction. L’objet qu’elle aperçut alors lui causa certainement un tressaillement involontaire ; mais ce n’était pas de frayeur, car elle s’avança sur-le-champ vers lui.

Le vieux Mohican était assis sur le tronc d’un gros chêne, qui n’avait point été abattu par la main des hommes, et ses yeux étaient fixés sur elle avec une expression de fierté sauvage qui aurait effrayé une femme moins résolue, et qui l’aurait moins bien connu. Sa couverture, plissée autour de sa ceinture, laissait apercevoir ses bras et toute la partie supérieure de son corps. Le médaillon de Washington était suspendu sur sa poitrine, et c’était un bijou qu’Élisabeth savait qu’il ne portait que dans les grandes occasions. Ses longs, cheveux noirs, aplatis sur sa tête, laissaient à découvert son front et ses yeux, qu’ils ombrageaient ordinairement. Dans les énormes incisions faites à ses oreilles étaient passés divers ornements d’argent, mêlés de grains de verre, suivant le goût et l’usage des Indiens. Un autre ornement du même genre était suspendu au cartilage de son nez. Son front ridé était traversé par des raies rouges, qui descendaient sur ses joues en décrivant différentes lignes au gré de son caprice ou de l’usage de sa nation. Son corps était peint de la même manière. En un mot, tout annonçait en lui le guerrier indien préparé pour quelque événement d’une importance plus qu’ordinaire.

— C’est vous, John, dit Élisabeth en s’approchant de lui ; comment vous portez-vous, Mohican ? Il y a longtemps qu’on ne vous a vu dans le village. Vous m’aviez promis un panier de branches d’osier, et il y a un mois que je vous ai fait une chemise de calicot.

L’Indien la regarda quelques instants sans lui répondre, et lui dit ensuite d’un son de voix creux et guttural :

— La main de John ne peut plus faire de paniers. Il n’a plus besoin de chemises.

— Mais s’il en avait besoin, il sait où il pourrait en trouver. En vérité, vieux John, je vous regarde comme ayant un droit naturel à nous demander tout ce qui peut vous être nécessaire.

— Ma fille, écoutez mes paroles. Six fois dix étés se sont passés depuis que John est arrivé au printemps de sa vie. Il était alors grand comme un pin, droit comme la ligne que trace la balle d’Œil-de-Faucon, fort comme le buffle, agile comme le chatpard des montagnes, et vaillant comme le jeune aigle. Si sa nation avait à poursuivre les Maquas pendant plusieurs soleils, l’œil de Chingachgook savait découvrir leurs traces. Nul guerrier ne rapportait du combat un plus grand nombre de chevelures. Si les femmes pleuraient parce qu’elles n’avaient rien à donner à leurs enfants, il était le premier à la chasse, et sa balle courait plus vite que le daim le plus léger. Il ne songeait pas alors à faire des paniers.

— Les temps sont changés, John ; au lieu de combattre vos ennemis, vous avez, appris à craindre Dieu et à vivre en paix avec les hommes.

— Voyez ce lac, ma fille, voyez ces montagnes et cette vallée ; John était encore jeune quand le grand conseil de sa nation donna au Mangeur-de-Feu ce pays et tout ce qu’il contenait depuis la montagne dont vous voyez la tête bleue dans le lointain, jusqu’à l’endroit où vous cessez d’apercevoir la Susquehanna. Pas un Delaware n’aurait tué un daim dans ses bois, ni un oiseau volant au-dessus de ses terres, ni un poisson nageant dans ses eaux, car ils lui avaient donné tout cela parce qu’ils l’aimaient, qu’il était fort et qu’il les aurait protégés. John était encore jeune quand il vit des hommes blancs passer la grande eau pour venir attaquer leurs frères à Albany. Craignaient-ils Dieu quand ils rougissaient leurs tomahawks du sang de leurs frères ? Craignaient-ils Dieu ceux qui prirent au Mangeur-de-Feu tout ce que nous lui avions donné, et qui l’en privèrent lui, son enfant et l’enfant de son enfant ? Vivaient-ils en paix avec les hommes ?

— Tels sont, les usages des blancs, John ; et les Delawares n’en font-ils pas autant ? Ne combattent-ils pas d’autres tribus indiennes ? N’échangent-ils pas leurs terres pour de la poudre, des couvertures et d’autres marchandises ?

— Ou sont les couvertures et les marchandises qui ont acheté les droits du Mangeur-de-Feu ? Les a-t-il emportées dans son Wigwam ? Lui a-t-on dit : — Frère, donne-nous tes terres, et prends cet argent, ces couvertures, ce rhum, ces fusils ? Non. Ils lui ont arraché toutes ses possessions, comme on arrache la chevelure à un ennemi vaincu, et ils ne se sont pas même retournés pour voir s’il vivait encore, ou s’il était mort. Vivaient-ils en paix, craignaient-ils Dieu ceux qui ont agi ainsi ?

— Je comprends à peine ce que vous voulez dire, Mohican. Vous ne connaissez assez ni nos lois ni nos mœurs pour pouvoir nous juger. Est-ce mon père que vous accusez d’injustice ?

— Non. Le frère de Miquon est bon ; je l’ai dit à Œil-de-Faucon, je l’ai dit au Jeune Aigle ; il fera ce qui est juste.

— Qui appelez-vous le jeune Aigle ? demanda Élisabeth en baissant les yeux. Qui est-il ? d’où vient-il ?

— Ma fille a-t-elle vécu si longtemps avec lui pour me faire cette question ? La vieillesse glace le sang, comme la gelée durcit les eaux du lac en hiver ; mais la jeunesse échauffe le cœur comme les rayons du soleil animent la nature au printemps. Le jeune Aigle a des yeux, n’a-t-il pas de langue ?

— Du moins il n’en a pas pour m’apprendre ses secrets, répondit Élisabeth, moitié en souriant, moitié en rougissant ; il est trop Delaware pour confier ses pensées à une femme.

— Ma fille, le Grand-Esprit a donné une peau blanche à votre père et une peau rouge au mien, mais il a donné la même couleur à leur sang. Dans la jeunesse, il est ardent et impétueux ; dans la vieillesse, il est froid et tranquille. Quelle différence y a-t-il donc sous la peau ? Aucune. John eut une femme autrefois ; elle fut mère de ce nombre de fils ; et il leva en l’air trois doigts de sa main droite. Elle eut aussi des filles qui auraient rendu heureux de jeunes guerriers delawares. Elle était bonne, ma fille, car elle faisait ce que je lui commandais ; vous avez des usages différents des nôtres ; mais croyez-vous que John n’aimait pas la femme de sa jeunesse, la mère de ses enfants ?

— Et qu’est devenue votre famille, John ? demanda Élisabeth, vivement émue par l’air de mélancolie du vieux chef.

— Qu’est devenue la glace qui couvrait ce lac l’hiver dernier ? Elle s’est fondue et s’est mêlée avec l’eau. John a assez vécu pour voir toute sa famille partir pour le pays des Esprits ; mais son heure est arrivée, et il est prêt.

Mohican baissa la tête sur sa poitrine, en la cachant dans sa couverture, et garda le silence. Miss Temple ne savait plus que lui dire. Elle désirait détourner les idées du vieux guerrier des sombres réflexions auxquelles il se livrait, mais elle trouvait dans le chagrin et dans le courage de l’Indien un air de dignité qui lui imposait.

Après une pause de quelques instants, elle renoua pourtant la conversation.

— Où est Bas-de-Cuir, John ? lui demanda-t-elle. Il m’a priée de lui apporter ici cette corne à poudre, mais je ne le vois nulle part. Pouvez-vous vous charger de la lui remettre ?

Mohican leva la tête lentement, avança la main pour recevoir la corne, et y arrêta ses yeux avec un air d’intérêt pénible.

— Voilà le grand ennemi de ma nation, dit-il ; sans cela, comment les blancs auraient-ils pu chasser devant eux les Delawares ? Ma fille, le Grand-Esprit a appris à vos pères à faire de la poudre et des fusils, pour qu’ils pussent détruire les Indiens sur la surface de la terre. Bientôt il n’y aura plus de Peau-Rouge dans ce pays. John est le dernier de sa race, et quand il sera parti, elle aura disparu de ces montagnes.

Le vieux chef pencha son corps en avant, et appuyant le coude sur son genou, il sembla faire ses derniers adieux à la vallée, où tous les objets étaient encore distincts, quoique l’air semblât s’épaissir davantage à chaque instant, et que miss Temple crût s’apercevoir qu’elle avait plus de difficulté à respirer. L’œil de Mohican changea d’expression peu à peu, et perdit celle de la tristesse pour prendre un air égaré, qui le faisait presque ressembler à un prophète dans un moment d’inspiration.

— Mais il va rejoindre ses pères dans le pays des Esprits, continua-t-il ; le gibier y sera aussi abondant que le poisson l’est dans les lacs. Nulle femme ne se plaindra de manquer de nourriture. Aucun Mingo n’y viendra jamais. On y chassera pour les enfants, et les Peaux-Rouges y vivront en frères.

— Ce n’est pas là le ciel d’un chrétien, John, s’écria Élisabeth ; vous retombez dans les superstitions de vos ancêtres.

— Pères, enfants, ajouta Mohican, tout est parti, tout. Je n’ai d’autre fils que le jeune Aigle, et c’est le sang d’un homme blanc.

— Dites-moi, John, dit miss Temple, voulant faire diversion aux idées du vieillard, et cédant peut-être à l’impulsion secrète de son propre cœur, qui est ce M. Edwards ? Pourquoi avez-vous tant d’affection pour lui ? Quelle est sa famille ?

L’Indien tressaillit à cette question, qui reporta ses pensées vers la terre… Prenant la main de miss Temple, il la fit asseoir près de lui, et étendant les bras du côté du nord : — Voyez, ma fille, lui dit-il, tout ce que vous apercevez de ce côté, aussi loin que votre vue peut s’étendre, appartenait à son…

Mais, tandis qu’il parlait ainsi, un nuage de fumée passa sur sa tête et celle de miss Temple, se répandit de tous côtés en épais tourbillons, et forma un rideau qui leur déroba la vue des objets qu’ils contemplaient. Miss Temple effrayée se leva avec précipitation, et, levant les yeux vers le sommet de la montagne, elle le vit couvert d’un semblable nuage, tandis qu’on entendait dans le lointain un bruit semblable à celui d’un ouragan furieux.

— Que veut dire ceci, John ? s’écria-t-elle ; nous sommes environnés de fumée, et je sens une chaleur comme celle d’une fournaise.

Avant que le vieux chef eût pu répondre, une voix, dont les accents annonçaient une inquiétude pénible, se fit entendre dans le bois.

— John ! où êtes-vous ? Mohican ! la forêt est en feu ! hâtez-vous de vous sauver, vous n’avez qu’un instant !

Le vieux chef enfla ses joues, leva la main devant sa bouche et en frappant ses lèvres produisit le même bruit qui avait attiré l’attention d’Élisabeth. Au même instant on entendit courir avec précipitation dans les broussailles, et presque aussitôt Edwards arriva, la terreur peinte sur tous les traits de son visage.