Les Pionniers/Notes sur l’érable

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 6p. 413-416).

NOTE SUR L’ÉRABLE.




L’érable est un arbre de la famille des acérinées (polygamie monoécie), dont on connaît vingt et une espèces nouvelles aux parties tempérées de l’un ou de l’autre continent. Les plus intéressantes sont : l’érable sycomore, qui donne aussi du sucre ; l’érable plane, remarquable par son beau port et sa feuille précoce ; l’érable noir, variété de l’érable à sucre ; l’érable blanc ; l’érable rouge, etc., etc. ; mais surtout l’érable à sucre, qui est celui qui doit nous occuper. Nous avons recours, pour le faire connaître, à MM. L. Deslongchamps et Michaux.

« L’érable à sucre, acer saccharinus (Linn.), atteint quelquefois une grande élévation dans son pays natal, comme soixante-dix à quatre-vingts pieds : mais le plus communément il ne s’élève qu’à cinquante ou soixante pieds. Ses feuilles ont environ cinq pouces de largeur ; elles sont portées sur de longs pétioles, et découpées en cinq lobes entiers et aigus, lisses et d’un vert clair en dessus, glauques ou blanchâtres en dessous. Ses fleurs sont petites, jaunâtres, portées sur des pédoncules minces, flexibles, et disposées en corymbes peu garnies. Ses fruits sont formés de deux capsules ovales, renflées, dont les ailes sont courtes, redressées et rapprochées. Cet érable est originaire du nord des États-Unis d’Amérique et du Canada, où il croît dans les situations froides et humides, mais dont le sol est fertile et montagneux.

« Le bois de l’érable à sucre a le grain fin, très-serré, et il est susceptible, quand il est travaillé, de prendre un beau poli et une apparence soyeuse comme lustrée ; nouvellement débité, il est d’abord blanc et devient avec le temps d’une couleur rosée. Il est assez pesant, et il a beaucoup de force. Dans quelques parties du nord des États-Unis, où le chêne est fort rare, on l’emploie dans les campagnes pour faire la charpente des maisons, et dans certains ports pour former la quille et la partie inférieure des vaisseaux, parties qui, restant toujours submergées, ne sont pas sujettes aux alternatives de sécheresse et d’humidité qui font promptement pourrir le bois d’érable à sucre et le rendent peu propre à beaucoup d’autres constructions. Quand il est bien desséché les charrons s’en servent aussi pour faire des essieux de voitures, des jantes de roues, et les ébénistes savent tirer parti de certaines ondulations de ses fibres ligneuses, et de certaines petites taches qui se rencontrent dans les vieux arbres, pour en fabriquer des meubles de prix. Le bois de cette espèce, parsemé de ces petites taches qui n’ont pas ordinairement plus d’une ligne de largeur, est nommé érable à l’œil d’oiseau. Elles sont quelquefois contiguës les unes aux autres, quelquefois aussi distantes de plusieurs lignes ; plus elles sont multipliées, plus cet érable est recherché par les ébénistes, qui le débitent ordinairement en feuilles très-minces pour les plaquer sur d’autres bois, et même sur de l’acajou.

« L’érable à sucre fournit un excellent bois de chauffage ; il brûle en produisant beaucoup de chaleur, et ses cendres, riches en principes alcalins, fournissent beaucoup de potasse. Son charbon est très-estimé aux États-Unis pour les forges.

« Le sucre qu’on fabrique avec la sève de cet érable est d’une assez grande importance dans certaines parties de l’Amérique, et il est d’une grande ressource pour les habitants qui, placés à une distance éloignée des ports de mer, vivent dans les cantons où cet arbre abonde ; car, dans ce pays, toutes les classes de la société font un usage journalier de thé et de café. Nous allons donner la méthode suivie dans les États-Unis pour l’extraction de cette sève et la fabrication du sucre, en abrégeant autant que possible ce que dit à ce sujet M. André Michaux, dont l’ouvrage contient des notions si exactes et si étendues sur tous les arbres forestiers de l’Amérique du nord.

« Le procédé qu’on suit généralement pour obtenir cette espèce de sucre est très-simple, et il est à peu de chose près le même dans tous les lieux où on le pratique. C’est ordinairement dans le courant de février ou dans les premiers jours de mars qu’on commence à s’occuper de ce travail, époque où la sève entre en mouvement, quoique la terre soit encore couverte de neige, que le froid soit très-rigoureux, et qu’il s’écoule presque un intervalle de deux mois avant que les arbres entrent en végétation. Après avoir choisi un endroit central, eu égard aux arbres qui doivent fournir la sève, on élève un appentis désigné sous le nom de sugar camp (camp à sucre) : il a pour objet de garantir des injures du temps les chaudières dans lesquelles se fait l’opération, et les personnes qui la dirigent. Une ou plusieurs tarières d’environ neuf lignes de diamètre ; de petits augets destinés à recevoir la sève ; des tuyaux de sureau ou de sumac, de huit à dix pouces, ouverts sur les deux tiers de leur longueur et proportionnés à la grosseur des tarières ; des seaux pour vider les augets et transporter le sucre au camp ; des chaudières de la contenance de quinze ou seize gallons (soixante à soixante-quatre litres) ; des moules propres à recevoir le sirop arrive au point d’épaississement convenable pour être transporté en pains ; enfin, des haches pour couper et fendre le combustible, sont les principaux ustensiles nécessaires à ce travail.

« Les arbres sont perforés obliquement, de bas en haut, à dix-huit ou vingt pouces de terre, de deux trous faits parallèlement, à quatre ou cinq pouces de distance l’un de l’autre ; il faut avoir l’attention que la tarière ne pénètre que d’un demi-pouce dans l’aubier, l’observation ayant appris qu’il y avait un plus grand écoulement de sève à cette profondeur que plus ou moins avant. On recommande encore et l’on est dans l’usage de les percer dans la partie de leur tronc qui correspond au midi ; cette pratique, quoique reconnue préférable, n’est cependant pas toujours suivie.

« Les augets, de la contenance de deux ou trois gallons (huit à douze litres), sont faits de pin blanc, de frêne blanc, d’érable ou de mûrier, suivant les cantons. On évite de se servir du châtaignier, du chêne, et surtout du noyer noir, parce que la sève se chargerait facilement de la partie colorante et même d’un certain degré d’amertume dont ces bois sont imprégnés. Un auget est placé à terre au pied de chaque arbre pour recevoir la sève qui découle par les deux tuyaux introduits dans les trous faits avec la tarière ; elle est recueillie chaque jour, portée au camp, et déposée provisoirement dans des tonneaux, d’où on la tire pour emplir les chaudières. Dans tous les cas, on doit la faire bouillir dans le cours des deux ou trois premiers jours qu’elle a été extraite du corps de Marbre, étant susceptible d’entrer promptement en fermentation, surtout si la température devient plus douce. On procède à l’évaporation par un feu actif ; on écume avec soin pendant l’ébullition, et on ajoute de nouvelles quantités de sève jusqu’à ce que la liqueur ait pris une consistance sirupeuse ; alors on la passe, après qu’elle est refroidie (il vaudrait mieux la passer toute chaude), à travers une couverture ou toute autre étoffe de laine, pour en séparer les impuretés dont elle peut être chargée.

« Quelques personnes recommandent de ne procéder au dernier degré de cuisson qu’au bout de douze heures ; d’autres, au contraire, pensent qu’on peut s’en occuper immédiatement. Dans l’un ou l’autre cas on verse la liqueur spiritueuse dans une chaudière qu’on n’emplit qu’aux trois quarts, et par un feu vif et soutenu on l’amène promptement au degré de consistance requis pour être versée dans des moules ou baquets destinés à la recevoir. On connaît qu’elle est arrivée à ce point lorsqu’en en prenant quelques gouttes entre les doigts on sent de petits grains. Si dans le cours de cette dernière cuite, la liqueur s’emporte, on jette dans la chaudière un petit morceau de lard ou de beurre, ce qui la fait baisser sur-le-champ. La mélasse s’étant écoulée des moules, ce sucre n’est plus déliquescent comme le sucre brut des colonies.

« Le sucre d’érable obtenu de cette manière est d’autant moins foncé en couleur, qu’on a apporté plus de soin à l’épuration, et que la liqueur a été rapprochée convenablement. Sa saveur est aussi agréable que celle du sucre de canne, et il sucre également bien. Raffiné il est aussi beau et aussi bon que celui que nous obtenons dans nos raffineries d’Europe.

« L’espace de temps pendant lequel la sève exsude des arbres est limité à environ six semaines ; sur la fin elle est moins abondante et moins sucrée, et se refuse quelquefois à la cristallisation ; on la conserve alors comme mélasse. La sève, exposée plusieurs jours au soleil, éprouve une fermentation qui la convertit en vinaigre. Cette sève, au sortir de l’arbre, est claire et limpide comme l’eau la mieux filtrée ; elle est fraîche, et laisse à la bouche un petit goût sucré fort agréable. Elle est très-saine, et l’on n’a point remarqué qu’elle ait jamais incommodé ceux qui en ont bu, même après des exercices violents, et étant tout en sueur. Elle passe très-promptement dans les urines.

« Différentes circonstances continuent à rendre la récolte du sucre plus ou moins abondante : ainsi, un hiver très-froid et très-sec est plus productif que lorsque cette saison a été variable et humide. On observe encore que lorsque pendant la nuit il a gelé très-fort, et que dans la journée qui la suit l’air est très-sec et qu’il fait beau soleil, la sève coule avec une grande abondance, et qu’alors un arbre donne quelquefois deux ou trois gallons (huit à douze litres) en vingt-quatre heures. On estime que trois personnes peuvent soigner deux cent cinquante arbres qui donnent ensemble mille livres de sucre.

« Les mêmes arbres peuvent ainsi être travaillés pendant trente années de suite, et donner des récoltes annuelles semblables, sans diminuer de vigueur, parce que, comme on évite de perforer leur tronc au même endroit, il se forme un nouvel aubier aux places qui ont été entamées, et les couches ligneuses qu’ils acquièrent successivement les mettent dans le même état qu’un arbre récemment soumis à cette opération.

« Un arbre de deux à trois pieds de diamètre, qu’on ne ménagerait pas, et qu’on ne craindrait pas d’épuiser, pourrait fournir une bien plus grande quantité de sucre que celle qui vient d’être énoncée et qui peut se monter à quatre livres pour chaque arbre. D’après les expériences faites à ce sujet, un particulier a retiré le même jour, d’un seul érable percé de vingt trous, quatre-vingt-seize litres de sève, lesquels ont donné sept livres et un quart de sucre, et tout le produit de ce dernier obtenu du même arbre, dans une seule saison, fut de trente-trois livres.

« Les arbres qui croissent dans les lieux bas et humides donnent plus de sève ; mais elle est moins chargée de principes saccharins que dans ceux qui sont situés sur les collines.

« Les animaux sauvages et domestiques sont avides de la sève des érables, et forcent les barrières pour s’en rassasier.

« M. Michaux ne dit pas quelle quantité de sucre d’érable se fabrique annuellement dans les États-Unis d’Amérique ; Duhamel, qui, dans son Traité des arbres et arbustes, est entré dans d’assez longs détails sur la manière de se procurer ce sucre, dit qu’à l’époque où il écrivait, on estimait qu’il s’en faisait tous les ans au Canada douze à quinze milliers.

« Considéré, soit sous le rapport des qualités de son bois, qui sont supérieures à celles de la plupart des autres espèces congénères, soit par la quantité de matière sucrée qu’on peut retirer de sa sève, l’érable à sucre est un arbre dont on doit recommander la propagation dans le nord de l’Europe. Il conviendra de le planter dans toutes les contrées ou les érables sycomore et plane croissent naturellement. »


FIN DES PIONNIERS.