Les Plaisantes Ruses et cabales de trois bourgeoises de Paris

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Les plaisantes ruses et cabales de trois bourgeoises de Paris.

1627



Les plaisantes ruses et cabales de trois bourgeoises de Paris, nouvellement decouvertes ; ensemble tout ce qui s’est passé à ce subject.
M.DC.XXVII1. In-8.

En ce petit discours, tout mon but n’est point de traicter de matière qui puisse ennuyer le lecteur, ains tout au contraire, mon desir n’est que de reciter chose qui luy puisse apporter toute sorte de contentement, comme estant de soy le subject assez bastant de chasser toutes sortes de melancolies, et d’autre part capable de faire estime des femmes sages et prudentes et d’en faire chois parmy celles qui s’abandonnent aux vices, comme vous pourrez entendre de la caballe et ruze de trois notables bourgeoises de ceste ville de Paris, desquelles, pour le respect de leurs alliances et pour ne les point scandaliser, j’en tairay le nom, me contentant seulement de discourir de ce qui s’est nouvellement descouvert touchant leurs ruzes et subtilitez.

Il n’y a celuy qui ne sache que parmy le sexe feminin il se trouve des femmes lesquelles, souz l’apparence d’une simplicité dissimulée, font souvent glisser d’aussi bons tours que plusieurs autres ; c’est donc sous cette fausse apparence que les trois bourgeoises dont je veux discourir ont peu jusques à present tromper tous ceux qui ont par cy devant jugé les tenir au rang de celles qui se gouvernent selon Dieu dans la prudence et la sagesse.

Il est donc question de ces trois bourgeoises. S’estant trouvées à ces Rois derniers en une certaine compagnie, dans laquelle se trouvèrent aussi des jeunes hommes, assez capables d’attirer les dames et de leur user de la courtoisie, de telle sorte (comme c’est la coustume) que, venant de propos à autre, ils entrèrent avec mes dames les bourgeoises si avant des termes et des advenemens de l’amour, que, par les charmes amoureux de ces jeunes champions de Venus, elles vinrent, après toutes les considerations qu’elles pouvoient concevoir dans leurs fantastiques esprits, à consentir aux intentions de ces nouveaux courtisans.

De telle sorte que, pour mettre en execution les desirs de leurs volontez, elles firent eslite d’un lieu propre pour le subject, qui fut designé et accordé de part et d’autre ; et, pour parvenir à leurs desseins, mes dames les bourgeoises, d’un commun accord, estant d’une mesme partie, obtindrent de leurs maris permission, pendant ceste octave des Rois derniers, d’aller à des nopces près de Senlis2, desquelles par supposition elles s’estoient faict prier ; et, pour tant mieux jouer leurs rolles, sçachant bien que les uns et les autres ne pouvoient quitter la maison, supplièrent infiniment leurs maris de leur vouloir tenir compagnie, pour autant que c’estoient mariages de leurs plus proches parens.

Messieurs leurs maris, n’estant pas ignorans de l’alliance qu’ils pouvoient avoir ensemble, et d’autre part ne pouvant ny les uns ny les autres quitter leurs maisons, permettent à mes dames leurs femmes l’execution de leurs desirs, toutesfois ne se doutans de leurs finesses : car, autrement, je ne pense pas qu’ils eussent en façon quelconque permis à leurs très chères compagnes de leurs donner pour panache les caractes de Moyse.

Ceste permission obtenue, elles ne manquèrent d’en donner advis à leurs courtisans, lesquels à ce subject allèrent les premiers au logis designé afin de faire preparer et donner ordre à tout ce qui estoit necessaire pour joyeusement passer leur temps. D’autre costé, mes dames les bourgeoises, esveillées comme souris, ne furent paresseuses, pour tant mieux jouer leurs personnages, de faire retenir places aux coches de Senlis, et pour les asseurer feirent donner un escu-cars3 pour advance ; cependant elles se parent de leurs plus beaux habits nuptiaux et de tout ce qu’elles avoient de plus exquis.

Le temps venu que le coche de Senlis devoit partir, elles prindrent congé de leurs maris, pour aller monter au dit coche, auquel messieurs les bourgeois ne voulurent manquer de les y aller conduire, et aussi pour les recommander au cocher.

Estant mes dames les bourgeoises arrivées au Bourget, l’une d’icelles commença de faire semblant qu’elle se trouvoit fort mal, tant à cause de l’esbranlement du coche que d’autre part aussi qu’elle estoit grosse de trois mois, ce qui ne luy pouvoit permettre d’avantage le dict esbranlement sans courir du danger de son enfant ; ce faisant, supplia le cocher et toute sa compagnie de ne perdre point de temps et qu’elle estoit resolue de ne passer outre, et que, quant à ces compagnes, qu’elles estoient libres de parachever leur voyage ; ce qu’elles ne voulurent jamais accorder, disant qu’elles ne la laisseroient jamais en cest estat. Après donc avoir satisfait de ce qui restoit au coche, lequel passe outre, commencèrent de faire bonne vie ; et, voyant que leurs courtisans, qui se devoient trouver en ce lieu bien montez à celle fin de les ramener en trousses au dict logis preparé, n’estoient encores arrivez, incontinent commencèrent d’envoyer un homme qui estoit dressé au badinage au devant, lequel n’eut pas fait une lieue et demye qu’il fit rencontre de ces petits mignons tous escretez comme une poire de chiot. Mes dames les bourgeoises, qui estoient continuellement au guet, n’eurent pas si tost descouvert leurs favoris, que ce fut à qui d’entr’eux yroit la plus viste pour donner le baiser à celuy qu’elle affectionnoit ; semblablement ces jeunes godelureaux, voyant leurs maistresses approcher, incontinent voulurent commencer à contre-faire les escuyers et de forcer leurs chevaux de faire ce qu’ils n’avoient jamais apris, estant plus propres à tirer un tombereau de boue que de faire des passades. Après avoir mis pié à terre, et de part et d’autre s’estant donné les accolades, ils ne furent si tost arrivez au logis que voilà la table couverte de très bons morceaux que mes dames les bourgeoises avoient faict apprester. Pendant le disner, ce ne fust qu’a rire et folâtrer, discourant de la ruse et finesse de laquelle ils s’estoient servis pour obtenir congé de leurs maris, qui devoient bien avoir pour lors le tintouin aux oreilles4.

L’heure s’approchant qu’il falloit partir de ce lieu pour venir coucher à Paris, pour autant qu’elles ne desiroient y arriver de jour, crainte d’estre descouvertes, après avoir satisfait au logis, montèrent à cheval, ayant chacune leur conducteur, et en ceste sorte arrivèrent sur les sept à huict heures du soir, au logis designé, où le soupper les attendoit. Estant donc en iceluy, la couratière5, après leur avoir faict les caresses accoutumées, les conduict dans un petit corps de logis sur le derrière, à cette fin de mieux et plus facilement prendre leurs esbats sans estre inquietés de personne ; incontinent on leur apporte le soupper sur la table, pendant lequel on leur prepare trois licts. Il ne faut pas demander si l’issue du soupper fut remplie de gaillardise, où le muscat et l’hypocras n’y fut point epargné, si bien qu’après avoir passé joyeusement une partie de la nuict, la couratière, qui estoit grandement enluminée, se voulant aller retirer dans son cartier, commença sa harangue sur les effets de l’amour, pendant laquelle elle eust assez bonne audience. Estant icelle finie, chacun de messieurs les godelureaux prindrent leurs maistresses et s’allèrent ainsi coucher ; la couratière ne fust si tost partie, et eux asseurez dans la chambre, que on eût peu entendre comme les accorts de trois bateurs dans une grange : car je m’asseure qu’il y en avoit un pour chacune de mes dames les bourgeoises, je ne sçay si elles sçavoient la musique, mais elles tenoient grandement bien leur partie ; de telle sorte qu’en cet exercice, ou bien à dormir, si bon leur sembloit, ils passèrent leur temps jusques au lendemain dix heures du matin. Ce que voyant madame la couratière, à qui la gueulle gagnoit de desjeuner, alla heurter à leur porte, leur portant à chascun de quoy prendre un bouillon, comme à des nouvelles mariées6 ; ce que voyant messieurs les muguets7, qui estoient tous fatiguez des courses qu’ils avoient estez, pour montrer leurs courages, contraints de faire, ne sçavoient quelles contenances tenir, ayant les oreilles longues comme celles de Midas ; et furent encores plus estonnez lorsque leur hostesse leur demanda à chacun quatre pistolles pour satisfaire tant au rôtisseur pâtissier que pour le muscat, l’yppocras et confitures, sans rien mettre en ligne de compte de ce qu’elle pretendoit avoir, tant pour ses sallaires que pour le bon traictement qu’elle leur avoit fait. Ce fut alors que ces muguets commencèrent à se regarder de plus beau les uns les autres, pendant que mesdames les bourgeoises estoient encore au lict, qui n’attendoient autre chose que le desjeuner fust prest pour sauter en place.

La matrone, voyant le refroidissement de ces personnages, ne les importuna point davantage à bailler de l’argent, sçachant bien que ces bonnes dames avoient de bonnes chaisnes d’or et brasselets qui estoient plus que suffisans de la satisfaire, et seulement se contenta pour lors de leur demander de quoy envoyer querir à dejeuner en attendant le dîner. Parmy eux il y en avoit deux qui estoient de bas aloy, ce qui contraignit les deux autres de jetter chacun une pistolle, lesquelles furent incontinent grippées par cette couratière d’amour, qui une heure après leur fit porter un assez leger dejeuner, si bien qu’ils demeurèrent sur leur appetit, esperant de mieux disner ; mais ils furent bien frustrez de leurs esperances, car, voyant deux heures après midy sonner, et que le disné n’avoit point de jambes, furent contraints d’envoyer l’un d’iceux voir si leur disné n’estoit pas encore prest, lequel, ayant trouvé la venerable hostesse les reins devant le feu qui descousoit la doublure d’une bouteille de Muscat, lui commença à dire : « Madame, lorsqu’il vous plaira nous envoyer à dîner, la compagnie est preste et en bonne deliberation de le recevoir. » Ceste vieille sempiternelle, qui n’entendoit point raison, commença à le bien renvoyer chez ses premiers parens, luy chantant plein un tonneau d’injures, en luy disant : « Monsieur le muguet, comme vostre cheval rue ! Où sont les pistolles que vous avez données pour vous faire apprester à disner ? Allez à tous les diables ! Venez-vous en ces lieux sans avoir de quoy satisfaire à vos plaisirs ? Soyez diligent, et vostre compagnie aussi, à me trouver trente pistolles pour la depense que vous avez faite et les fraiz de ceans, car autrement vous ne sortiriez en l’estat que vous estes, et outre cela les coups de bastons ne vous seront espargnez. » Qui fut bien penost, ce fut mon pauvre monsieur le muguet, qui s’en retourna un doigt au cul et l’autre en l’oreille devers sa compagnie, dissimulant par devant mesdames les bourgeoises les rodomontades qui lui avoient esté faites par ceste matrone.

Pour consulter amplement de ce qu’ils avoient à faire pour leur retirer du naufrage où ils se voyoient, delibererent en particulier de montrer à mesdames les bourgeoises le meilleur visage qu’il leur seroit possible, à cette fin de ne leur faire concevoir aucune apprehension ; et, pour ce faire, il fut arresté que les uns après les autres feroient semblant d’avoir quelques affaires de grande importance ausquelles ils estoient fort obligez de pourvoir, et que par ce moyen deux d’iceux sortiroient de ce tant venerable logis, et que le dernier, voyant que ses deux compagnons retardoient beaucoup à satisfaire à leur promesse (qui estoit de revenir trouver leurs compagnes), feroit en sorte de faire le fasché, et sortît semblablement du dit logis pour aller chercher les deux autres. Ce qu’ils firent si dextrement que mesdames les bourgeoises (tant elles estoient affolées) ne peurent en façon quelconque apercevoir la trousse8 que leurs nouveaux courtisans avoient envie de leur jouer. D’autre part, la dame matrone ne se mit pas beaucoup en peine de s’opposer à leur sortie, estant très asseurée du depost qui luy demeuroit, estant mesdames les bourgeoises assez solvables pour contenter à tout ce qu’elle desiroit, ou bien que leurs chaisnes d’or et bracelets demeureroient pour les gages.

Voylà donc messieurs les muguets esvadez du labyrinthe où ils s’estoient enfermez, pendant que leurs nouvelles maistresses sont logées sur Nostre-Dame-d’Esperance de les revoir bientost, comme ils avoient promis, et que leurs genests9 de charue mangent pour sivade10 une brasse de muraille. Deux jours se passent que ces freluquets ne retournent point visiter leur proye, ce qui commença de faire entrer en quelque doute mes dames les bourgeoises ; et, d’un autre costé, estoient grandement importunées de leur hostesse de bailler argent ou gages, à quoy elles reculoient le plus qui leur estoit possible, esperant d’heure à autre revoir leurs favoris qui les viendroient desgager de ce lieu (de quoy elles furent bien frustrées de leurs esperances). Ce que voyant, et ne pouvant aussi plus endurer le tintamare que leur faisoit ceste seconde Megère, furent contrainctes (pour obvier à plus grand scandale) de luy donner chacune quelque asseurance. La première luy donna un diamant de la valeur de cent livres et plus, la seconde un bracelet de perles de la valeur de cinquante escus, et la dernière luy donna la chaisne d’or de son manchon11, de la valeur de trente escus, à la charge toutefois qu’elle promettoit leur remettre entre les mains lorsqu’elle seroit satisfaite de ce qu’il luy convenoit payer raisonnablement, soit par messieurs les evadez ou par elles, ce qui leur fut accordé.

Madame la matrone, se voyant les mains garnies comme elle desiroit, commença de monstrer à mesdames les bourgeoises meilleur visage qu’auparavant, les invitant de faire grande chère et beau feu, et qu’elles n’avoient qu’à tinter et qu’incontinent elles seroient obeyes, et qu’il ne leur falloit point engendrer de melancolie pour l’absence de leurs nouveaux serviteurs, et que pour un perdu l’on en recouvroit deux. Elles, qui n’avoient d’autre pensée qu’à leur retour, ayant demeuré toutes trois sur leur appetit du fruict de nature, dissimuloient leurs tristesses le plus qu’elles pouvoient.

Nous lairrons pour un peu de temps mesdames les bourgeoises en leurs frivolles esperances, pour revenir à leurs maris.

Messieurs les bourgeois, qui sont assez bons compagnons, voyans que les feries de la nopce estoient plus longs qu’à l’ordinaire, et que leurs femmes ne venoient point, commencèrent de leur ennuyer. L’un d’iceux disoit : « Il m’a esté impossible de pouvoir reposer depuis l’absence de ma femme. » L’autre disoit : « La première nuit, je la passay de ceste sorte ; mais depuis j’ay esté contraint, pour me reschauffer, de faire coucher ma servante avec moy, avec laquelle je me suis assez bien delecté, veu aussi l’aage de dix-huit ans tout au plus. » Le dernier, qui n’avoit encore rien dit, commença à dire : « Jusques à present, j’ay passé le temps sans avoir contrevenu en aucune façon à la promesse que j’ay fait à ma femme ; mais il m’est impossible de pouvoir plus dominer aux tentations de la chair (car je suis homme) ; c’est pourquoy, dès à present, je suis deliberé d’aller chercher quelque bonne aventure, et, si vous avez du courage, suyvez-moy ; toutesfois, vous sçavez qu’il ne faut point aller aux mûres sans crochet ny aux lieux d’amour sans argent. Les deux autres bourgeois eurent les oreilles fortement ententives à la remonstrance de leur compagnon, si bien qu’après leur estre garny de nombre de pistoles, allèrent chercher leur contentement. Arrive que, le plus corrompu d’iceux ayant autrefois eu advis secret que l’on passoit fort bien le temps sans bruit ny scandale en un certain logis (où, pour lors, estoient leurs femmes, ne se doutans pas de les y trouver), deliberèrent d’y aller.

Arrivez qu’ils furent en ce notable logis (pour sa qualité), celuy qui sçavoit le mot demanda à parler à la dame, laquelle incontinent ne manqua de venir au devant de messieurs les bourgeois, leur faisant dix mille complimens. Celuy qui sçavoit le mot du guet s’advança, et, tirant à quartier la dame, luy dit en particulier le signal, lequel ne fust si tost donné, qu’elle redoubla de mieux ces bien venus, les faisant entrer dans une très belle salle, dans laquelle y a deux cabinets pour servir quelquefois aux occasions. Incontinent la collation est preste, où le meilleur vin qui se peust recouvrir n’y fust point espargné ; icelle estant finie, le truchement12 commença d’entretenir cette couratière sur la perfection de leurs entreprises, laquelle ne se jettoit pas loin à leur rendre toute sorte de courtoisie. La collation faite, messieurs les bourgeois, pour jouyr de leurs pretentions, resolurent d’y demeurer à souper, à la charge que leur hostesse leur fourniroit après iceluy de quoy passer joyeusement la nuict ; ce qu’elle leur accorda moyennant deux conditions : la première, qu’ils n’auroient aucune congnoissance de vue de celles qu’elle leur desiroit donner, la crainte qu’elles ne voulussent accorder (les voyant) ce que vous desirez, et aussi que ce sont jeunes femmes de qualité qui ne le font point pour avarice ; la seconde et dernière condition estoit qu’elle desiroit avoir de chacun une pistolle, et qu’outre cela ils satisferoient au reste des fraiz. La curiosité de jouyr de ces beaux subjects les fit consentir à tout ce que la couratière d’amour desiroit (bien qu’il leur fust assez fascheux de ne point voir ces nompareilles beautez). Ils jettèrent sur la table chacun leur pistolle, qui furent tost relevées par cette vieille, laquelle incontinent leur fait preparer trois licts en trois divers cabinets, où ils s’allèrent, après souper, rendre chacun au sien. Estant couché, la chandelle esteinte, la messagère d’amour leur amena à chacun l’une de ces bourgeoises, qui avoient estées prattiquées par la dame matrone, à quoy elles avoient consenty, ne pensant à rien moins à l’affaire qui s’ensuyvit.

Ne pensant pour lors messieurs les bourgeois à rien moins que ce fust leurs femmes, d’autant que la fortune pour elles fut qu’il arriva un eschange, et que l’un avoit la femme de son compagnon et aussi les autres, ce qui apporta de la diversité à leur ordinaire en cette sorte, la nuit se passe aux contentements des parties, sans que pour cette fois le pot aux roses fust descouvert.

Madame la matrone, suyvant la promesse qu’elle avoit fait aux bourgeoises de les aller querir devant le jour pour empescher aucune cognoissance, ne manqua dès les quatre heures du matin de les aller lever de sentinelle (ce qui fut contre la volonté des bourgeois) et les ramena en leur cartier sans autre forme de procez. Le reste de la matinée se passe jusques sur les neuf heures que les dits bourgeois, se voulans retourner en leur logis, contentèrent assez honnestement leur hostesse, et payèrent la marchandise qui de long-temps leur appartenoit. Comme ils furent hors d’icelle maison, l’un d’eux commença de faire une pose, et dit : « Ma foy, Messieurs, nous sommes veritablement bien bados de nous estre ainsi fiez à cette harpie d’enfer. Où estoient pour lors nos sens ? Si elle nous avoit produit de vieilles carcasses pour de jeunes amourettes ! L’argent fait tout, dit le proverbe. J’ay encore dix-sept escus pour voir celle qui m’a tins compagnie cette nuict. — C’est une folie, disoit l’autre ; si elle nous monstre de vieilles pièces, cela nous crèvera le cœur. Si est-ce pourtant que je ne suis point fils de revendeur, je ne travaille jamais sur vieux drapeaux ; mais il seroit bien pire si elle nous envoyoit en Suerie gagner le royaume de Bavière13. » Cela leur donna une telle apprehension, qu’ils resolurent qu’à quelque prix que ce fust, qu’il falloit avoir la cognoissance de ces remèdes d’amour. Incontinent le harangueur retourne avec les autres sur ses pas, qui trouvèrent cette vieille entre les deux chenets, enluminée comme un Bacus, non moins estonnée qu’un Cesar, qui leur dit : « Que demandez-vous, Messieurs ? (Elle faisoit bien tost de l’incogneue.) — C’est, Madame, que nous avons encore chacun dix escus que nous ne desirons pas remporter, mais bien vous les donner, pourveu qu’il vous plaise nous faire voir ces belles dames qu’il vous a pleu nous donner cette nuict pour compagnes. » Elle, cupide d’argent plus que de tous les honneurs du monde, commence d’ouvrir les yeux comme un chat qui boit du vinaigre, leur dit : « Si je vous accorde ce que vous desirez, je fausseray ma foy, et par ce moyen je feray ce que je n’ay jamais fait ; et si elles estoient par fortune de vostre cognoissance, qu’en diriez-vous, Messieurs ? — Helas ! Madame (dirent-ils), cela ne peut estre, car notre cognoissance est bien petite, et, d’autre part, nous sommes etrangers. »

Après le nouveau marché fait, la matrone les conduit dans la chambre des bourgeoises, lesquelles estoient encore toutes endormies du travail de la nuict. Incontinent ils eurent forme de cognoissance, non pas asseurés du premier coup (n’estimans leurs femmes estre telles) ; toutesfois, l’un d’iceux, qui ne se peut plus tenir, dit à l’un de ses camarades : « Voisin, tu cognois bien ma femme ? Je te prie, regarde si ce n’est point celle-cy. » Il ne lui eust sceu respondre le ouy ou le non, voyant la sienne tout proche.

Le troisiesme, un peu plus rusé que les autres deux, ayant certaine cognoissance du jeu, desirant couvrir l’honneur de sa femme, dit (toutesfois bien fasché, comme de raison) : « Il se fait tard, allons-nous-en voir si nos femmes ne sont point arrivées. » Celuy qui se voyoit asseuré du fait : « Comment, venues ? Elles n’ont par ma foy garde, si ce n’est en dormant, ou bien que ce lict les retournast en carosse. — Et pourquoy ? dirent les autres. Pource que voilà vos deux femmes avec la mienne, et, par ce moyen, nous sommes frappez les uns et les autres d’un mesme coing. »

Leur parler, qui avoit esté jusques alors enroué comme basse-contre, commença, après la chose averée, à crier à qui plus plus pour esveiller leurs femmes, et de crier les uns d’un côté, les autres d’un autre. « Eh bien ! disoient-ils, Mesdames, vous estes ici ? — Et vous, messieurs les ruffiens, disoient-elles, qui vous y a amenez ? N’est-ce pas ce que l’on nous a tousjours dit tant de fois, qu’incontinent que nous estions absentes, que vous veniez en ce bordel depenser tout nostre bien. Ô ! c’est nous, c’est nous qui avons eu maintenant vostre argent ! » Et de semer injures à milliers, tellement que mes pauvres bourgeois ne pensent respondre à leurs interrogants. L’autre Proserpine commençoit sa harangue, en sorte qu’ils n’eussent sceu respondre un seul mot, et firent tant qu’eux-mesmes se dirent pour lors avoir le tort, à cette fin de ne point apporter de scandalle en ce lieu, et se retirèrent de la façon, y laissant mesdames les bourgeoises.

Ces pauvres Jonas, estans ensemble, tindrent quelque propos de ce fait. L’un disoit : « Ce ne fut point ma femme qui coucha avec moy, car j’ay quelque peu estudié en la geometrie ; je me commis en la longueur, largeur et grosseur. — Vrayment ! dit l’autre, je ne vis jamais livre qui traittast de cette matière, et si je ne laisse pas de cognoistre que ce n’estoit pas la mienne et qu’il y avoit du changement à mon ordinaire. — Je ne sçay laquelle j’avois, fit l’autre, mais je n’eus jamais un tel contentement. — Morbleu ! tu avois donc la mienne, dit l’un, car c’est la plus subtile qu’il y ait en France, et ne croy pas qu’il se trouve hacquenée qui trotte plus doux ? »

Voilà à quoy, pour le present, je desire conclurre ce present discours, laissant pour la seconde partie ce que devinrent messieurs nos courtisans, et les estranges advantages qui leur arrivèrent au sujet des bourgeoises, et de la procedure qui a esté faite, tant de leurs chevaux que contre la matrone, ensemble aussi ce qui s’est passé (depuis le pot aux roses descouvert) entre les bourgeois et leurs femmes, ce qui (m’asseure) donnera autant et plus de contentement aux lecteurs que le contenu de cette première partie.


1. Je suis porté à croire que cette pièce a beaucoup de ressemblance avec celle qui a pour titre : Le voyage raccourci de trois bourgeoises de Paris, avec leurs ruses et finesses, nouvellement découvertes par leurs maris ; Paris, veuve du Carroy (vers 1618), in-8 de 24 feuillets. Malheureusement, je n’ai pu la retrouver pour faire la comparaison.

2. Il se trouve dans les Caquets de l’accouchée, p. 217, une histoire à peu près pareille, où deux femmes, pour jouer un tour semblable à leurs maris, feignent d’aller non plus à la noce, comme ici, mais en pèlerinage. Dans les anciennes poésies françoises des XVe et XVIe siècles, publiées par M. A. de Montaiglon, se trouve, t. 3, p. 331–334, une chanson qui roule aussi sur une aventure du même genre, au moins par le scandale : Chanson nouvelle de certaines bourgeoises de Paris qui, feignant d’aller en voyage ès fauxbourg Saint-Germain-des-Prez, furent surprinses en la maison d’une maquerelle et menées en prison à leur deshonneur et confusion.

3. On appeloit ainsi les plus forts écus, les seuls que les juges voulussent recevoir pour leurs épices. Chaque quart d’écu étoit de 16 sols, et, par conséquent, l’écu quart valoit 3 livres 4 sols.

4. C’est-à-dire que les oreilles leur tintoient, comme aux gens de qui l’on parle mal. Cela nous donne l’étymologie du mot tintouin, qui d’abord ne s’employoit pas autrement. On trouve même dans Montaigne le verbe tintouiner.

5. On sait que couratier, couratière, sont les anciennes formes des mots courtier, courtière. Ils se prenoient souvent, comme ici, en mauvaise part, pour désigner de bas entremetteurs :

Il devint en un jour savant en tel metier,
Maquignon, revendeur, affronteur, couratier.
Maquignon, reven(Ronsard, Hymnes, liv. 2, 10.)

6. C’est ce qu’on appelle encore le chaudeau dans quelques villes de province où cet usage s’est gardé. Les convives de la noce l’apportoient de bon matin en grande cérémonie, à la suite d’une aubade sous la fenêtre des époux. V. notre Histoire des lanternes de Paris, p. 12, et une très curieuse chanson qui se trouve dans le Recueil du Savoyard. En Écosse, on appeloit cette boisson nuptiale le sack-posset. Il y entroit du vin, de la crème, du sucre, de la muscade. V. W. Scott, Quentin Durward, conclusion.

7. Ce mot, avec le sens de galant, étoit depuis long-temps dans la langue. V. Rabelais, liv. 1, ch. 8, et liv. 4, ch. 43. Ce passage de Roger de Collerye, édit. Ch. d’Héricault, p. 286, semble en donner l’étymologie :

Cy-gist le bon honorable Huguet…
Qui en son temps ne feist jamais le guet
Aux amoureux qui cueillent le muguet.

8. Imposture, tromperie. Mairet fait dire à l’un des personnages de sa comédie, Le duc d’Olonne :

Indubitablement l’on m’a donné la trousse.

9. Chevaux de main, dont les plus fins venoient d’Espagne.

10. On sait que c’est un des noms de l’avoine.

11. Jusqu’au dernier siècle le manchon se portoit attaché au corps avec une ceinture serrée par une boucle, ou bien, comme ici, avec une chaîne d’or ou d’argent.

12. Interprète.

13. On sait qu’on disoit alors de gens attaqués de maladies honteuses qu’ils alloient en Bavière voir sacrer l’Empereur (V. Francion), ou qu’ils revenoient de Suerie ou de Suède.