Les Pleurs/La Crainte

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir La crainte.

Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 153-156).

LA CRAINTE.

Non, tout n’est pas perdu quand une chose arrive contre votre attente. C’est moi qui connais les peines cachées ; quand vous vous croyez éloigné de moi, souvent je suis le plus près de vous.
Imitation de J.-C.

XXX.

Ouvre-toi, cœur malade ! et vous, lèvres amères,
Ouvrez-vous ! plaignez-moi ! Dieu m’oublie ou me hait ;
Sa pitié n’entend plus mon désespoir muet ;
Sa main jette au hasard mes heures éphémères ;
Comme des oiseaux noirs dans les vents dispersés,
Lasses avant d’éclore, et sans bonheur perdues,
Elles traînent sur moi leurs ailes détendues ;
Et Dieu ne dit jamais : « C’est assez ! c’est assez ! »

J’ai pleuré ; mais des pleurs blessent-ils sa puissance ?
Faible, où trouver des cris pour les jeter aux cieux ?
Enfant, quand je pleurais, sans le voir de mes yeux,
D’un ange autour de moi je sentais la présence :
Il était sous les fleurs que relevait ma main ;
Il me parlait souvent dans la voix de ma mère ;
Et si je soupirais d’une joie éphémère,
Penché sur moi, le soir il me disait : « Demain ! »

Et je ne l’entends plus. J’entends toujours mon ame ;
Toujours elle se plaint ; jamais elle ne dort !
Et cette ame où passa tant de pleurs, tant de flamme,
Le ciel qui la sait toute en voudra-t-il encor ?

Ciel ! un peu de bonheur ! ciel ! un peu d’espérance !
Un peu d’air dans l’orage où s’éteignent mes jours !
Un souffle à ma faiblesse, un songe à ma souffrance,
Ou ce sommeil sans rêve et qui dure toujours !

Mais si quelque trésor germe dans nos alarmes,
Laissez aux pieds souffrans leurs sentiers douloureux ;
Dieu ! tirez un bienfait du fond de tant de larmes,
Et laissez-moi l’offrir à quelque malheureux !