Les Pleurs/Malheur à moi !

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Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 61-64).
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MALHEUR À MOI !

Ah ! ce n’est pas aimer que prendre sur soi-même
De pouvoir vivre ainsi loin de l’objet qu’on aime.

— ANDRÉ CHÉNIER. —

XI.

Malheur à moi ! je ne sais plus lui plaire ;
Je ne suis plus le charme de ses yeux ;
Ma voix n’a plus l’accent qui vient des cieux,
Pour attendrir sa jalouse colère ;
Il ne vient plus, saisi d’un vague effroi,
Me demander des sermens ou des larmes :
Il veille en paix, il s’endort sans alarmes :
Malheur à moi !

Las de bonheur, sans trembler pour ma vie,
Insoucieux, il parle de sa mort !
De ma tristesse il n’a plus le remord,
Et je n’ai pas tous les biens qu’il envie !
Hier, sur mon sein, sans accuser ma foi,
Sans les frayeurs que j’ai tant pardonnées,
Il vit des fleurs qu’il n’avait pas données :
Malheur à moi !

Distrait d’aimer, sans écouter mon père,
Il l’entendit me parler d’avenir :
Je n’en ai plus, s’il n’y veut pas venir ;
Par lui je crois, sans lui je désespère ;
Sans lui, mon Dieu ! comment vivrai-je en toi ?
Je n’ai qu’une ame, et c’est par lui qu’elle aime :
Et lui, mon Dieu, si ce n’est pas toi-même,
Malheur à moi !