Les Poètes du terroir T I/Charles Loyson

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 65-68).

CHARLES LOYSON

(1791-1820)


On l’a écrit avec justesse, « la vie de Charles Loyson ressemble à un livre dont une bonne moitié serait toute blanche. D’abord il appartenait à une famille qui n’avait pas d’histoire, puis il est mort à vingt-neuf ans, c’est-à-dire à un âge où, quels que soient ses dons, l’homme n’a guère eu le temps de donner toute sa mesure. Sa biographie pourrait donc tenir eu quelques lignes ; mais il a laissé, malgré sa jeunesse, une œuvre si variée et si haute ; il s’est acquis de si illustres amitiés par son talent et son caractère ; sa fin prématurée lui a fait une figure si touchante que, dans le recul du temps, cette figure mélancolique auréolée de gloire mérite de retenir notre attention[1]. » Son grand-père maternel était originaire du Maine et tenait une métairie à Duneau, dans la Sarthe ; son père, qui exerçait la profession de bourrelier-sellier à Château-Gontier, avait épouse Théodose-Sainte-Donatienne Lesuc, fille d’un ancien capitaine de gabelles et d’une paysanne angevine. Âme simple, mais élevée et ferme autant que douce, Charles Loyson naquit dans cette dernière ville, le 13 mars 1791. Il fit de brillantes études au collège de Beaupréau, et, après avoir enseigné la rhétorique au collège de Doué, il entra, en 1809, à l’école normale qui venait de s’ouvrir. Il eut pour condisciples Patin et Victor Cousin. Trois ans s’étaient à peine écoulés qu’il passait sa thèse de doctorat es lettres. Ses débuts littéraires datent du temps où, nommé maître de conférences, il professait la philosophie à l’illustre école qui l’avait formé. Récompensé en 1817, pour un discours en vers dont l’Académie française avait imposé le sujet, il se trouvait avoir devancé par des accents originaux, bien que classiques, les maîtres du romantisme. Sainte-Beuve dit qu’il fut un intermédiaire entre le poète de la Chute des feuilles et l’auteur de Jocelyn. Il a du premier la forme élégiaque, mais il se rapproche du second par le spiritualisme des sentiments. Son art, aujourd’hui suranné, vaut surtout par le choix de nuances qui tiennent à sa sensibilité maladive. Ce fut un précurseur et un prédestîné. Le premier peut-être de tous les poètes de l’Empire et de la Restauration, il a ouvert la voie à un art provincial où l’amour du sol, formé en partie de regrets et de souvenirs, tient la plus grande place. Se sentant mortellement atteint dans sa chair, il dépensa une activité fiévreuse, et, croyant travailler pour la gloire, il ne réussit qu’à précipiter sa fin. En moins de trois ans il publia dans les Débats, les Archives philosophiques, poétiques et littéraires, le Spectateur et le Lycée français de nombreuses pages et réunit la matière de deux volumes de vers. Le second, il est vrai, intitulé Epîtres et Elégies (Paris, P. Delestre, 1819, in-12), renferme en partie le texte du premier, mais il complète sa manière. Charles Loyson est mort à Paris le 27 juin 1820, n’ayant pas encore atteint sa trentième année. Vingt-sept ans après sa mort, alors que Paris l’avait complètement oublié, la municipalité de sa ville natale, secondée par l’Association bretonne-angevine, lui fit élever un monument sur une des promenades de Château-Gontier qu’il a célébrée dans ses vers.

Il existe une édition de ses Œuvres choisies, publiée par Emile Grimaud « avec une lettre du R. P. Hyacinthe et des notices biographiques et littéraires par MM. Patin et Sainte-Beuve », Paris, Albanel, 1869, in-8o. Cet ouvrage contient une copieuse bibliographie de ses diverses productions.

Bibliographie. — Léon Séché, Charles Loyson, etc. (extr. de la Rev. des Deux Mondes) ; Revue des prov. de l’Ouest, aoùt-sept. 1899 ; Lamartine de 1816 à 1830, Paris, Mercure de France, 1905, in-8o.



L’AIR NATAL

Te voilà, doux pays, témoin de ma naissance,
Voilà tes champs, tes prés, tes ombrages épais,
Et ton fleuve si pur, et tes vallons si frais :
Mais, hélas ! qu’as-tu fait des jeux de mon enfance ?
M’as-tu gardé, dis-moi, mes plaisirs, ma gaieté,
Un cœur exempt de soins, ma joie et ma santé ?
Beaux lieux où je suis né, me rendrez-vous la vie ?
Est-il vrai qu’en effet ce ciel de la patrie,
Qui dans leur fleur naissante a vu nos jeunes ans,
Cet air, ces eaux, ces fruits, nos premiers aliments,
Cette nature enfin, étrange sympathie !
Par des liens cachés à la nôtre assortie,
Lorsque d’un mal cruel nous sentons la langueur,

Puissent ressusciter notre antique vigueur,
Réveiller ces esprits qui se meuvent à peine.
Faire d’un sang plus pur bouillonner chaque veine,
Et, de la vie en nous ranimant les ressorts,
Rendre à l’esprit sa flamme et ses forces au corps ?

Essayez d’exiler du sol qui les vit naître
Ou cette tendre fleur, ou ce jeune arbrisseau ;
Ils languissent soudain et vont mourir, peut-être,
Si vous ne les rendez au lieu de leur berceau.
Ce soleil inconnu, cette nouvelle terre,
Hélas ! daigneront-ils à la tige étrangère
Accorder leur tendresse, accommoder leurs soins ?
Connaissent-ils ses goûts, ses mœurs et ses besoins ;
La chaleur qu’il lui faut, les sucs qu’elle préfère ?
Ce ruisseau coule-t-il à sa soif mesuré ?
Cet air fut-il exprès pour elle tempéré ?
Ces champs sont-ils les champs où la douce nature
A d’un soin maternel placé sa nourriture ?
Non, pour elle en ces lieux rien ne fut préparé.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous donc, vous, insensés, qui, trompant sa prudence,

De climats en climats portez vos pas errants,
A l’amour du pays mortels indifferents,
De la nature, enfin, redoutez la vengeance.
Un jour peut-être, un jour, sans secours, sans pitié,
Sur un lit douloureux et chèrement payé.
Expirant à prix d’or chez un hôte insensible.
Vous mourrez délaissés. Le lieu simple et paisible
Où l’amour maternel sourit à vos berceaux
Ne verra point vos fils pleurer sur vos tombeax,
Et vos os, inhumés aux terres étrangères.
Dormiront inconnus loin des os de vos pères.
Dieu, sur des bords lointains ne placez point ma mort !
Et vous, ô de mes jours puissance tutélaire,
Si de mon lieu natal la mémoire m’est chère ;
Si je ne l’ai jamais, exilé par le sort,
Ni quitté sans douleur, ni revu sans transport,
Lorsque les fiers destins auront marqué mon heure
(Et peut-être avant peu je dois sentir leurs coups).
Je ne vous prierai point de fléchir leur courroux ;

Mais, né dans ces beaux lieux, que dans ces lieux je meure ;
Dans ce temple sacré qui touche ma demeure,
Que de l’airain plaintif les tristes tintements
Annoncent de mon cœur les derniers battements.
A ces sons entendus dans tout le voisinage,
Plus d’une bonne vieille, oubliant son ouvrage,
Et laissant un moment reposer son fuseau,
Viendra sur mon linceul pencher le saint flambeau.
Mais lorsque sur la porte on aura mis ma bière.
Chaque passant près d’elle un moment arrêté,
Secouant un rameau dans l’eau sainte humecté,
Prononcera tout bas une courte prière ;
Même les étrangers, en voyant un long deuil
Jusqu’au dernier asile escorter mon cercueil,
Pleureront ma jeunesse en sa fleur moissonnée :
Une mère plaindra ma mère infortunée.
Et quelques vers peut-être iront dans l’avenir,
Gravés sur mon tombeau, porter mon souvenir.

Mais pourquoi m’attrister par ces pensers funèbres ?…
L’espérance en mon sein peut encor se placer,
Un doux rayon encor peut chasser les ténèbres
Où mes jours pâlissants sont près de s’éclipser.
Dieu ! que mon sort un jour serait digne d’envie
Si, dans l’heureux déclin d’une honorable vie.
Je venais, à l’abri de cesvieux marronniers.
Reposer un front blanc, ceint de quelques lauriers !
Fortune ! entends ces vœux, et d’une main prodigue
Porte ailleurs, j’y consens, les trésors, les emplois,
Et ces larges cordons et ces brillantes croix
Que mérite l’honneur et que ravit l’intrigue.

Mais quel que soit le sort qui m’attend en ces lieux,
Pour vivre et pour mourir également propices,
Mes désirs sont contents, et je rends grâce aux Cieux.
Beaux lieux, hâtez-vous donc, de toutes vos délices
Hâtez-vous de combler et mon cœur et mes yeux.
Soit qu’au mal qui m’accable à la fin je sucombe,
Soit que le Ciel me garde encor de longs moments,
Ou j’obtiendrai par vous la fin de mes tourments,
Ou vous m’embellirez le chemin de la tombe.

Œuvres choisies, édit. de 1869.)
  1. Léon Séché, Charles Loyson, sa vie et son œuvre.