Les Poètes du terroir T I/Charles Dovalle

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 69-71).

CHARLES DOVALLE

(1807-1829)


Il était né le 23 juin 1807, à Montreuil-Bellay. Ses études terminées à Saumur, il fit son droit à Poitiers. On dit qu’il rimait sur les bancs du collège et que, s’inspirant d’une vieille ruse de Desforges-Maillard, il dissimula son nom sous un pseudonyme féminin. Mme Pauline A., pour débuter au Mercure de France. Sa destinée fut assez touchante pour lui valoir une réputation… posthume. À vingt ans, selon Edouard Fournier (Souvenirs de l’École romantique, Paris, Laplace et Cie, 1886), il était à Paris, tâchant d’écrire un peu partout : en vers dans les recueils, en prose dans les petits journaux. Le Journal rose fut un de ceux qui l’accueillirent. Il y faisait une chronique des théâtres, au demeurant assez médiocre. Un soir, à la fin de novembre 1829, il se présente aux Variétés, où il croit avoir ses entrées. On lui refuse l’accès de la salle. Il court chez le directeur, un sieur Mira. Il en sort fiurieux. Mira l’ayant éconduit. Le lendemain, en manière de vengeance, il écrit dans le supplément du journal : M. Mira peut être Mira sévère, il ne sera jamais Mira beau. » Détestable plaisanterie qui ne fut pas du goût de ce directeur, s’entendant eu manière de calembour. Ce dernier envoya ses témoins à Dovalle. Jour pris, on se battit au pistolet. Dovalle tomba, frappé en pleine poitrine (30 nov. 1829). Son portefeuille, où se trouvaient les meilleurs vers qu’il eût écrits, n’avait pu amortir le coup. Peu après, quelques amis recueillirent ses poèmes et les firent paraître, avec une lettre de V. Hugo en guise de préface : Le Sylphe (Paris, Ladvocat, 1830, in-8o). Depuis il s’en est fait une autre édition au profit du monument élevé en pays angevin à la mémoire de ce poète infortuné : Poésies complètes, publ.  par Léon Séché, avec une notice biographique de M. C. Ballu (Paris, E. Lechevalier, 1898, in-8o). La poésie de Charles Dovalle est faible à tel point que nous doutons presque, s’il eût vécu, qu’il eût réalisé les promesses qu’on en attendait. Il a néanmoins rimé quelques pièces locales qui comptent parmi ce qu’il a fait de mieux.

Bibliographie. — Camille Ballu, Notice biographique, édit. des Poésies complètes de Dovalle, 1898.

LA HALTE AU MARAIS
Triste comme l’attente

Quand on n’espère plus.

Madame Tastu.

J’ai perdu la mente et la chasse.
Je jette ma voix dans l’espace…
Nul ne répond… j’appelle en vain !
Je vais attendre sous les aulnes,
Près de ces joncs pliants et jaunes,
Mon fusil couché sous ma main.

Après les stériles fougères,
Après les arides bruyères,
Après l’épaisseur des forêts,
Quand un air frais vient me surprendre,
Sous mes yeux j’aime à voir s’étendre
Le morne aspect d’un grand marais.

J’aime ces herbes qui s’enlacent,
Et ces roseaux qui s’embarrassent,
Courbés sous le poids d’un oiseau ;
Et ces débris tachés de rouille,
Où saute la verte grenouille,
Dont chaque bond s’entend dans l’eau…

Souvent alors mon front se penche,
Docile au vent, comme la branche
Du saule qui frémit là-bas ;
Et, las des plaisirs éphémères,
Je rêve de douces chimères
Que l’avenir ne verra pas.

Là, nul bruit ne vient me distraire ;
Mélancolique et solitaire,
Je me hâte de sommeiller ;
Là, je peux rêver tout mon rêve,
Sans craindre qu’avant qu’il s’achève
La raison vienne m’éveiller.

Là, quand je relève ma tête.
Que j’entends siffler la tempête

Au front des arbres agités :
Pendant que des lueurs livides
Tombent du ciel, éclairs rapides
Dans l’eau dormante répétés !

J’aime à sentir, bientôt chassées,
D’errantes et tristes pensées
Sur mon cœur passer en glissant.
Comme de noires hirondelles
Qui frappent du bout de leurs ailes
Les flots paisibles de l’étang.

Là, par des routes inconnues,
Qu’un héron, perdu dans les nues,
Vienne s’oHVir à mes regards :
Si son vol, lent et monotone,
S’égare sous un ciel d’automne.
Parmi la brume et les brouillards ;

Par un temps nébuleux et sombre,
Toujours errant ainsi qu’une ombre,
S’il semble fuir un long ennui ;
Mon œil terne, dans son voyage,
Le suit de nuage en nuage,
Et mon âme vole avec lui :

Mon âme, qui gémit sans cesse
Et qu’une invincible tristesse
Engourdit dans un froid sommeil ;
Mon lune toujours déchirée,
Et qui languit décolorée,
Comme une plante sans soleil.

{Poésies complètes, édit. du Monument.)