Les Poètes du terroir T I/E. Vignancour

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 154-156).

ÉMILE VIGNANCOUR

(1797-1873)

Plus connu sous le nom d’Émile Vignancour, Jean-Paul-François-Emile Vignancour est né le 27 janvier 1797 à Pau, où son père, Jean-Antoine-Sylvestre, exerçait la profession d’imprimeur. Sa mère se nommait Suzanne-Adriette Canet. Après avoir fait ses études de droit et acquis le titre d’avocat, il reçut, le 5 juillet 1828, le brevet d’imprimeur. Emile Vignancour a beaucoup fait pour tirer de l’oubli quelques-uns de ses compatriotes et favoriser le mouvement linguistique béarnais ; c’est justice de rappeler ici sa mémoire. Passionné de littérature populaire et, de plus, versé dans la connaissance du dialecte de sa province, il avait fait paraître en 1820, chez son père, un recueil de poésies, Estrées bearneses (Etrennes béarnaises), où se trouvaient réunies pour la première fois les meilleures chansons de Cyprien Despourrins et des poètes de son école. Encouragé par le succès qu’obtint cette publication, il donnait en 1827 une seconde édition, augmentée et suivie d’une traduction française (Poésies béarnaises, Pau, E. Vignancour, in-8o). Un avertissement placé en tête de cet ouvrage fixait les règles de l’idiome béarnais. Epuisée à son tour, cette édition ne tarda pas à être suivie d’une troisième (ibid., 1852), et enfin d’une quatrième plus étendue que les précédentes. Cette dernière, donnée au public en 1860 (Poésies béarnaises, etc., in-8o), renferme en quelque sorte tout ce que le Béarn a produit dans le domaine de la poésie. Elle contient non seulement les ouvrages de Despourrins, mais une foule de pièces attribuées à de nombreux rimeurs, tels la Pastorale du Paysan (la Pastourale deu Paysan) de Fondeville, les Noëls d’Andichon, ainsi que des poèmes anonymes. La musique notée, qui se trouve à la fin du volume, vient là comme pour compléter un choix qui fait honneur non seulement au goût, mais à la science de l’éditeur.

Poète lui-même, Vignancour a écrit quelques romances dans le genre de celles de Despourrins. Les plus célèbres sont celles qui portent ce titre : Lou Printemps, Lou Départ deü pastou, Lou Retour deü pastou, Lou Mau d’amou (le Printemps, le Départ du pasteur, le Retour du pasteur, le Mal d’amour). Une de ses petites compositions, Bente saingris (Ventre Saint-Gris), nous fait connaître l’origine d’un juron de Henri IV, auquel (on le devine sans peine) un nom de femme, celui de Jeanne Saint-Gris, demeure attache. On lui doit encore un fragment de poème, L’Enfance de Henri IV (traduit en français par M. Caharet-Dupaty), dont le plan primitif devait comporter de plus amples développements et être consacré à la gloire du Béarnais.

Le vers d’Emile Vignancour — nous donne à entendre M. Louis Batcave, à qui nous devons la matière de cette notice — a de l’ampleur, de la grâce, une belle élévation morale, de même que sa langue a une grande pureté.

Émile Vignancour est mort le 24 mai 1873, en exprimant le désir que son imprimerie prit le nom de sa veuve.

Bibliographie. — Louis Lacaze, Les Imprimeurs et les Libraires en Béarn ; Pau, 1884, in-8o.


CHANSON

Venez, brebis et moutons,
Avec la grande clochette,
Ici il ne fait pas bon pour vous,
Partons pour la plaine.

Nous avons vu maint troupeau
Quitter la montagne ;
Avant que le froid n’arrive
Gagnons la campagne.

Donne-moi cape et bâton,
Quelques provisions ;
Et pour mon fidèle Pigou
Un morceau de mesture[1].


Voilà six francs, mon père,
Et faites bonne chère ;
Ne vous chagrinez pas tant, mère,
Si Guillaume vous quitte.

Je vous laisse, pour vous bien chauffer,
Un bon tas de bois,
De la farine pour faire du milla,
Et deux vaches pleines.

Et toi, ma belle Annou,
Sois-moi fidèle ;
Si tu trahissais ton berger
Tu serais bien cruelle.

Tu ne manqueras pas d’argent,
Ne sois pas en peine ;
Et tu auras en présent
Une croix avec chaine.

Mais je vois déjà briller
L’aurore d’un beau jour ;
Il esttemps de se mettre en chemia,
Que Dieu soit avec vous !

Venez, brebis et moutons,
Partons pour la plaine ;
Adieu, mes amours,
Adieu, ma cabane !


CANSOU

Sabièt, oülhes et moutous,
Dab la gran campane,
Acy nou he bou per bous,
Partim tà la plane,

Qu’abém bist mantù troupèt
Quitta la mountagne ;
Abans qu’arribé lou ret
Gagném la campagne.

Balhatmé cape et bastou,
Drin dé mascadure ;
Et tà moun fidel Pigou
U tros dé mesture.

Tiét cheys liüres, lou mé pay,
Et hét boune bite ;
Qué nou’p chagrinét tan, may,
Si Guilhém pé quitte.

Qué’p léchi tà’p plà caüha
Bon sarrot dé legnes,
Harie tà’p hà milha,
Et dues baques pregnes.

Et tu, la mie bère Aunou,
Siés-mé fidele ;
Si tradibes toun pastou,
Bé serés cruelle.

Tu nou manqueras d’aryén
Nou sies en peiné ;
Et qu’aüras entà presèn
Ue crouts dab cadence.

Més qué bey deya lusy
L’essuit d’à bet die ;
Qu’ey tems dé’s mette en camy,
Dab bous qué Diü sie !

Sabiét, oülhes et moutous,
 Partim ta la plane ;
Adichat, las mies amous,
Adi, ma cabane !



  1. Pain de maïs.