Les Poètes du terroir T I/Xav. Navarrot

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 149-153).

XAVIER NAVARROT

(1799-1862)


Né le 7 ventose an VII (25 février 1799), à Oloron, où ses parents occupaient un rang honorable dans la riche bourgeoisie de la ville, Xavier Navarrot fit ses études au lycée de Pau, puis à Toulouse dans un établissement libre. Licencié en droit de l’Université de Paris, il revint à Oloron vers 1820. Son séjour au pays natal fut de courte durée ; deux ans après il repartait à Paris pour étudier la médecine. De retour en Béarn vers 1830, il s’y fixa définitivement, consacrant ses loisirs à la poésie et à la culture du dialecte local. Il ne cessa de chanter toute sa vie ; il chanta jusqu’à sa mort, mais sans prendre soin de réunir ses compositions. C’était un esprit libéral, généreux dans toute l’acception du terme, et qui ne comprit l’importance de sa mission que lorsqu’il mit son talent au service de l’infortune. Son double but fut là : distraire ses compatriotes et relever le niveau intellectuel des individus. Il déploya à cette œuvre la plus grande activité, célébrant soit en béarnais, soit en français, toutes les joies de la vie, se dépensant aux fètes de village, glorifiant la noce ou le berceau. Peu soucieux de sa littérature, on dit qu’il laissait ses couplets s’envoler sur des feuillets épars, sous forme de petites brochures qu’on ne gardait point.

Un ami fidèle, M. Michel, employé à la douane de Bedous, en recueillit un grand nombre et les copia. C’est dans le recueil manuscrit où ils figuraient, souvent incorrects, qu’on a puisé après sa mort pour former le seul volume qui ait paru sous son nom : Chansons de Xavier Navarrot, publiées par V. Lespy ; Pau, imprimerie Veronese, 1868, in-12[1]. Encore est-il bon d’observer qu’un tel ouvrage, composé par les soins de son cousin, M. François Navarrot, et de M. le président Dartigaux, est loin de contenir tout ce qui est sorti de sa plume.

Xavier Navarrot eut des amitiés illustres. Béranger lui écrivit de nombreuses lettres, et Littré s’honora de son affection. Il mourut à Lucq-de-Béarn le 23 décembre 1862. Il possédait là à 12 kilomètres d’Oloron — une propriété surnommée « Pas- dont il avait fait son ermitage. Ses restes reposent près de la sépulture de sa mère. Sa tombe porte une inscription en langue béarnaise qui l’honore.

En 1890, à l’occasion de l’inauguration de son buste à Oloron par les Félibres et les Cigaliers, on a fait paraitre un choix succinct de ses poèmes : Le Chansonnier d’Oloron, Navarrot, précédé de la notice de Lespy (voy. édit. de 1868) et suivi d’Odes couronnées à un concours ouvert en son honneur.

Bibliographie. — V. Lespy, Notice, en tête de l’édit. des Chansons de 1868. — Bourciez, Étude sur Navarrot ; Revue du Béarn, 1904, p. 529, et 1905, p. 6.


CHANSON

Adieu, plaine de Bedous,
Grande route d’Espagne,
À Aydiüs sont mes amours,
Gravissons la montagne.

Adieu, plaine de Bedous,
Gave qui l’enclaves,
Le sentier des amoureux
Est celui des chèvres.
Conduis-moi à mes amours,
Ruisseau qui le laves.

Mais déjà l’amour, tout doucement,
Trop tôt nous sépare,
Gave, de plus en plus ;
Car ton onde claire,

Quand je monte vers le haut,
Vers le bas descend.

J’aime à rêver
Le long de ta rive,
Entendre murmurer
Ton eau vive ;
Sur ta voûte à essayer
Ma chanson plaintive.

En passant disons adieu
Au géant de pierre,
Pyramide que le bon Dieu
Couronna de lierre,
Quand il la dressa sur ta rive
Comme un coquillage.

Tais-toi, tais-toi, ruisseau ;
Dans le bosquet d’Ichante
J’entends le rossignol
Dont les accents m’enchantent.
Je retiens ma voix
D’amour quand il chante.

Vite je passe ton petit pont
Qui danse et tremble,
Au bruit des bonds
De l’eau qui coule.

Danse, danse, petit pont,
Sur l’air qui vole.

D’ici je te fais mes adieux,
Fuis vers la plaine ;
Sur la hauteur paraît Aydius,
Aydius qui m’appelle
Descendu comme l’avalanche, mourbiüs !
De quelque ardoisière.

Adieu, plaine de Bédous,
Grande route d’Espagne ;
A Aydiüs sont mes amours,
Gravissons la montagne.



CANSOU

Adiu, plane dé Bedous,
Camy nau d’Espagne,
D’Aydiüs qué soun mas amous,
Puyém la mountagne.

Adiu, plane de Bedous,
Gabé qui l’enclabes,
Lou sende deüs amourous
Qu’ey lou dé las crabes.
Conduisech-m’à mas amous,
Rigoulét qui eü labes.

Mès deya l’amou, tout dous,
Trop leü qué’ns separe,
Gaboulét, de plus en plus ;
Car toun ounde clare

Quoan you’m en baü tà capsus,
Capbat qué débare.

You qu’aymi de saüneya
Lou loung dé ta ribe ;
D’entené gourgouleya
Toun ayguotte bibe,
Sus ta boute dessaya
Ma cante plaintibe.
 
En passan, digam adiü
Au gigan de peyre,
Cascarét qué lou boun Diü
Courouna dé yéyre,
Quoan lou quilha sus ta riü
Coum ù courquilhèyre.

Caret, caret, rigoulèt ;
Peü bousquèt d’Ichante
Qu’enteni roussignoulét
Doun la bouts m’encante.
You bé’m coupi lou siület
D’amou quoan eth cante.

Leü passi toum poundiquét
Qui danse et tremoule
Au brut dé l’arricouquét
Dé l’aygue qui coule,

Danse, danse, poundiquét
Sur l’ayré qui boule.

D’acy qué’t hèy mouns adiüs,
Houey ta la ribère ;
Dou sarrot qué’m sort Aydiüs,
Aydiüs qui’m apère
Bachat coum l’eslur, mourbiüs !
De quaüque louzère.

Adiü, plane dè Bedous,
Camy naü d’Espagne ;
D’Aydiüs que soun mas araous,
Puyém la mountagne !

LE VIEIL OLORON

D’un manteau bleu de ciel, les pics t'amantèlent ;
Les deux Gaves d’argent, comme deux jumeaux qui coulent,
Te ceignent les côtés, et comme des diamants,
Du feu de leurs cailloux font reluire tes flancs.

Ton corset de remparts et de vieilles murailles,
Par le temps déchiré, laisse voir tes entrailles,
D’où sautent les maisons, pour se répandre sur le sol,
Par bonds, comme les moutons qui courent au soleil.

Et ta robe au printemps, par le bon Dieu diaprée,
De bois, de champs, de prés, si joliment marquetée ;
Lorsque tous les rayons du soleil y jouent,
Les amours avec les oiseaux doivent y faire leurs nids.

{Poésies béarnaises, II ; Pau, Vignancour, 1860.)


LOU BIEILH OULOUROU

Du mantou blu de ceü, lous pics que t’amantoulon ;
Lous dus Gabes d’argen, coum dus jumeüs qui coulon,
Qu’et cinton lous coustats, y coum dé diamants,
Deü houec dé lurs calhaüs hèn rélusi lous flancs.
Toun courset dé ramparts y dé bielhes muralhos,
Per lou temps esquissât, qu’enseigne las entralhes,
Doun saüton las maysous, ta s’esténé s’au soü,
Pinnan coum lous moutous qui bantà l’arrayoü.

Y ta raübe aü printemps, peü boun Diü pingourlade,
Dé boscs, dé camps, dé prats, tan beroy pigalhade,
Quoan y jognon deü sou lous arrays réunits,
Lous amous dab l’auzet bey deben ha lurs nids.



  1. Nous ne croyons pas devoir faire figurer ici un mince volume de sa composition : Estrées Bearneses, au proufieyt deus praubes (Etrennes béarnaises, au profit des pauvres), Oloron, P. Serres, 1834, in-8o, 32 p.