Les Poètes du terroir T I/Gabriel Marc

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 100-102).

GABRIEL MARC

(1840-1901)


Nous savons peu de chose sur ce poète. Né en 1840, à Lezoux, petite ville fort ancienne de la Limagne, sise entre Thiers et Clermont, prés de l’Allier, Gabriel Marc vint à Paris et pendant de longues années eut un emploi à la Caisse des dépôts et consignations. Il mourut au mois d’août 1901, laissant une série d’ouvrages en vers et en prose où il s’est plu, non sans talent, à inscrire le souvenir de son pays et à rappeler ses origines. On lui doit une Ode au Puy de Dôme, publiée à Paris, chez Lemerre, en 1876, in-8o, et divers recueils, entre autres Poèmes d’Auvergne, Paris, G. Charpentier, 1882, in-18. Parmi ses diverses productions, nous citerons : Soleils d’octobre, poésies, préf. d’Asselineau, Paris, Lemerre, 1868, in-18 ; La Gloire de Lamartine, ode dramatique, ibid., 1869, in-8o ; Sonnets parisiens, ibid., 1875, in-8o Quand on attend, comédie en un acte, ibid., 1877, in-18 ; Contes du pays natal, Liaudette, Paris, Charpentier, 1887, in-18 ; Les Beaux-Arts en Auvergne et à Paris, 1866-1889, Paris, Lemerre, 1889, in-12, etc. Dans l’avant-propos de ses Poèmes d’Auvergne, son meilleur livre, Gabriel Marc a défini clairement le but qu’il s’est proposé d’atteindre : « Plusieurs poètes, dit-il. ont déjà consacré à diverses régions de notre chère patrie des œuvres justement admirées. Brizeux a chanté la Bretagne, ses paysages, ses mœurs et ses traditions. Mistral et Jean Aicard, l’un en français, l’autre dans la langue maternelle, ont célébré la Provence. Le grand peintre Jules Breton, dont les vers ne sont pas moins colorés que les tableaux, nous a promenés à travers l’Artois. Publier un volume de poésies uniquement inspirées par l’Auvergne, ce pays merveilleux situé au cœur de la France, n’est donc pas une tentative isolée. L’auteur des Poèmes d’Auvergne apporte seulement une pierre nouvelle à l’édifice inachevé, mais en pleine construction, de nos poèmes des provinces… Son seul mérite, si c’en est un, c’est d’avoir le premier tenté pour l’Auvergne ce que ses devanciers ont réalisé pour leur pays… »

Bibliographie. — Voy. L’Auvergnat de Paris, 18 août 1901.


LE PUY DE DOME ET LES VOLCANS


Dans les âges lointains, mystérieux et sombres,
Tout remplis de clartés fulgurantes et d’ombres
Où notre œil effrayé se perd,

Dans ces temps oubliés qui sans cesse reculent,
Sur lesquels, entassés, les siècles s’accumulent,
Où tout semble morne et désert ;

Un grand lac, dont on voit la trace indélébile.
Recouvrait ce pays de sa nappe immobile,
Où le pied du Sancy baignait ;

Et sur ce réservoir de l’onde originelle,
Que parfois un oiseau frôlait seul de son aile,
Un vaste silence régnait.

Tout à coup l’eau parut sourdement agitée,
Et, dans le sein profond de la terre irritée,
Un bruit courut lugubrement,

Pareil aux roulements d’un tonnerre invisible,
Et le monde sentit, à ce défi terrible,
Un immense tressaillement.
 
Les feux intérieurs, emprisonnés au centre.
Semblaient se révolter pour sortir de leur antre,
Au souffle d’un fauve ouvrier.

Les montagnes tremblaient du sommet à la base,
Et le lac bouillonnait, comme l’eau d’un grand vase
Au-dessus d’un ardent brasier.

Le sol lutta longtemps contre la flamme intense,
Echauffé, remue, fier de sa résistance
À l’assaut du gouffre tonnant ;

Puis, sous la pression des cavernes profondes,
Céda sans se briser, et soudain sur les ondes
Un cône s’éleva géant.
 
Mais après tant d’efforts, la terre enfin lassée,
Autour de la montagne en plein ciel élancée,
Entrouvrit son énorme flanc,

Et la flamme et le feu, sortant par cent fissures,
Jaillirent dans les airs, ainsi que des blessures
On voit couler des flots de sang.


Et ce fut un spectacle étrange et formidable.
Les combattants, avec un bruit épouvantable,
La terre, l’eau, l’air et le feu,

Se croisant en tous sens comme une immense armée,
Et mêlant leurs débris, leurs éclairs, leur fumée,
Hurlaient sous le regard de Dieu.

Bientôt l’eau recula tremblante vers la plaine ;
Mais les volcans jaloux et sans reprendre haleine,
Insultant le Dôme hautain,

Crachaient des blocs ardents du fond de leurs abîmes,
Acharnés, flamboyants, faisant rougir les cimes
Blanches de neiges au lointain.

Ils rugissaient autour du sommet qui les brave.
Ils écumaient de rage, et leur brûlante lave
Se répandait comme un torrent ;

Et tous, sans se lasser, effrayant l’étendue.
Recommençaient toujours leur attaque éperdue
Aux pieds du cône indifférent.

Pareils à des Titans armés de catapultes,
Bien longtemps ces lutteurs vomirent leurs insultes,
Incendiant le ciel vermeil ;

Et lorsque fut éteint le feu qui les dévore.
Bien longtemps leur fumée obscurcissait encore
L’azur céleste et le soleil.

Un jour tout s’apaisa. La funèbre nuée
Se dissipa. La terre affreuse, bossuée.
Referma ses flancs entr’ouverts,

Froids sous le dur granit et les rouges scories ;
Et les volcans éteints, ces mamelles taries.
Blanchirent par les longs hivers.

La plaine se couvrit de frondaisons superbes.
Mais du sol calciné les arbres ni les herbes
N’osaient parer la nudité ;

Et le Puy, dont le front portait plus d’une entaille,
Muet contemplateur de ce champ de bataille,
Se dressait dans sa majesté.

(Poèmes d’Auvergne, 1882.)