Les Poètes du terroir T I/J.-B. Veyre

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 98-99).

(1798-1876)


Fils d’un sabotier, Jean-Baptiste Veyre naquit en 1798 à Aurillac. Il fut instituteur à Vic-sur-Cère, puis à Saint-Simonin, où il mourut en 1876. On lui doit un unique volume de poèmes fort populaires dans son pays : Lés Piaoulats d’un reïpetit (Les Piaoulats d’un roitelet), recueil de poésies patoises (Aurillac, imprimerie L. Bonnet-Picut, 1860, in-8o). Veyre est digne de sa réputation qu’il s’est acquise et du souvenir que lui gardent ses compatriotes. Sa muse, a-t-on écrit substantiellement, a eu le bon goût de ne point quitter ses sabots ; elle avait promis, comme toutes les muses patoises, de chanter uniquement pour le peuple, et elle a tenu sa parole. Aussi les pâtres ont-ils compris Veyre, et depuis de longues années le chantent-ils aux Teillées. Il n’est point de pauvre gardeur de bestiaux, dans sa hutte roulante, qui ne se souvienne du vieil instituteur et ne fredonne ses vers sur la montagne.

« Bien des traits de la race, que l’on retrouvera dans Vermenouze, observe M. Ajalbert, s’accusent en ces moindres pages (scènes de la vie montagnarde, fables et contes, avec et quelquefois sans morale, épîtres, pièces de circonstance), remarquables par un talent de décrire net, précis, vigoureux, un esprit mordant, une ironie plaisante, un bon sens solide, le seul souci de la réalité. Là aucune tendance à la rêverie, nul penchant à la mélancolie, mais une exubérance, une rondeur qui plaît, entraîne son auditoire et va droit au but que l’auteur s’est proposé d’atteindre. »

Bibliographie. — Jean Ajalbert, Veillées d’Auvergne ; Paris, Librairie universelle, s. d., in-18.



LE BON SENS DU PAYSAN


Quand un arbre est tombé, tout le monde le coupe en morceaux ; — Empereur, roi, ministre, oh ! pas un seul n’échappe ! — Du peuple mécontent gare la hache[1] ; — Hier, tel valait six francs qui aujourd’hui ne vaut pas un sou. — Toi-même, République, immortelle, si sainte, — Toi de notre bonheur depuis longtemps grosse[2], — Maintenant qu’une fois encore tu viens d’enfanter — La Liberté, — L’Egalité — Et la Fraternité, — Trois sœurs qui devraient toujours ne faire qu’une, — Nées comme elles le sont d’une mère commune, — Eh bien, je ne t’en donne pas seulement pour… trois ans — Sans être bannie [3], un jour, par tes enfants[4]


LOU BON SENS DEL PAYSON
proberbés bertodiés

Quond un soubré es tumbat, tout lou moundo lou clapo ;
Empérur, rey, ministre, oh ! pas un soul n’escapo !
Del poplé maoucoutent garo lou cobeïssaou :
Hier taou bolio sieï froncs qu’ohuey baou pas un saou.
Tu mêmo, Républico, immourtèlo, to sènto,
Tu dé nostré bounhur dempiey loutens enceinto,
Aro qu’un aoutré cop tu bénés d’enfonta

Lo Libertat,
L’Egalitat
Et lo Froternitat,

Très sores que diouriaou toujiour n’en faïré qu’uno,

Noscudos coumo sou d’uno mairé coumuno,
Hé bé ! t’en doné pas soulomén per… très ons
Sons estré estobousido un jiour per tous érons…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Les Piaoulats d’un reïpetit.
)
  1. Littéralement : l’herminette.
  2. Ibid., enceinte.
  3. Ibid., ahurie
  4. La traduction de ce fragment est due à M. de Beaurepaire-Froment.