Les Poètes du terroir T I/J. et G. Pasturel

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 90-93).

JOSEPH ET GABRIEL PASTUREL

(xviie siècle)


Ils appartenaient tous doux à une même et nombreuse famille. Leur père, Gabriel Pasturel, était lieutenant particulier de l’ancien bailliage de Montferrand. En mourant, il laissa sa charge à son fils aîné.

Joseph Pasturel, natif de Montferrand (vers 1625), fut chantre et chanoine du chapitre de sa ville natale. Il traduisit en vers burlesques auvergnats une partie de l’Enéide de Virgile et composa d’autres poésies dans la langue du pays, lesquelles parurent en 1733 et furent justement estimées en leur temps. (Voyez Poésies auvergnates de M. Joseph Pasturel, etc. ; Riom, imprim. E. Thomas, 1733, in-8o.) C’était, a-t-on écrit, un homme fort respectable, mais naturellement gai et de goûts cultivés ; il mourut le 3 novembre 1676. Son frère Gabriel, plus jeune que lui de quelques années et qui ne lui ressemblait que par l’esprit, « eut l’honneur d’être connu de Mme Royale de Savoye, Christine de France, qui l’attira à la cour de Turin par une pension de cinq cents écus et lui fit donner par la suite une charge de gentilhomme ordinaire de S. A. R. M. le duc de Savoye. Il régala cette cour, pendant plusieurs années, d’une quantité de vers fort jolis, qui y furent très goûtés. Comme il aimait uniquement le plaisir, il ne songea jamais à s’établir une fortune solide ; d’où il est aisé de conclure qu’il était fort peu accommodé lorsqu’il mourut à Turin, sur la fin du xviie siècle[1].

Il écrivit aussi quelques poésies patoises, entre autres des chansons qu’on peut lire dans le recueil de son frère. Rien n’est plus rare que ce livre ; nous n’en avons vu jusqu’ici qu’un seul exemplaire. Il se trouve à la Bibliothèque Nationale et porte cette cote : Réserve Ye 3294.

Bibliographie. — Aigueperse, Biogr. ou Dict. hist. des personnages d’Auvergne ; Clermont-Ferrand, Berthier, 1836, II, in-8o. — J.-B. Bouillet, Album auvergnat ; Moulins, P.-A. Desroziers, 1848, in-8o.


L’HOMME CONTENT, PAR JOSEPH PASTUREL
fragment


Que celui-là est heureux, qui de rien ne se mêle — Qui est content de tenir la queue de sa poêle — Et qui, ne s’inquiétant pas de ce qui se passe chez lui, — Ne mord pas son pain sec.

Qui attend pour se lever la gazouillante aubade — Que fait tous les matins sa petite maisonnée, — Qui entend chanter son coq, et voit de son seuil — Le bien de son douaire.

Qui ne craint ni sergent, ni procureur, ni juge, — Qui ne s’émeut pas quel que soit qui le juge, — Qui n’a nul papier pour tracasser chacun, — Et n’en reçoit d’aucun.

Qui est fort de son grenier, ainsi que de sa cave, — Qui sont si bien tenus que rien ne s’y perd, — Qui se sent un garçon, et deux ou trois valets — Qui n’aiment pas le lit.


Qui ne souhaite jamais ni bure ni sandales, — Qui est content des habits que sa femme lui file, — Enfin ne souhaite rien de tout ce qu’il lui faut, — Hors le fars[2] et le sel…

(Traduction de M. de Beaurepaire-Froment.)

L’HOME COUNTEN

Qu’aqué-ti-z-ei heirou, que de eo ne se melo !
Qu’ei counten de teni la quoua de sa padelo,
£t sen s’endardina mà de ce qu’ei cha-se,
Ne mor pas souu po se.
 
Qu’aten par se leva la geugoüillante aubado
Que foüé tou lau mati sa petito monenado,
Qu’augi chanta soun jau, et vé de soun chabe
Soun doueire que bûbe.

Que ne creu ni Sargean, ni Parcureur, ni Juge ;
Que ne s’emaïo pà quoque chio que le juge ;
Que n’a gi de papé par jagoussa chacun,
Et ne té re d’aucun.
 
Qu’ei for de soun granei, et dau ran de sa cavo.
Que son chi-be tengu, que re ne l’é s’embavo.
Que se chin un garçou, et dou ou trei valei,
Que n’amou pas le lei.


Que ne chatte jamoüé ni bure ni chandealo :
Qu’ei counten dau habi que sa fenno li fialo,
Anfin ne chatte re de tou ce que li fau,
Ma le fear et la sau…


CHANSONS DE GABRIEL PASTUREL
I

Tes deux yeux, ma gente cousine, — Comme deux larrons d’accord, — Ont ouvert l’arche de ma poitrine, — Et m’ont dérobé le cœur ; — Mais jamais moi je ne m’en plaindrai, — Car cela s’est fait si bien en tapinois, — Que ma raison qui a mal gardé — Ne s’en est pas avisée.

II

Vive la liberté ; — N’ayez pas peur que moi je m’engage. Un contrat de mariage — En ôte la moitié. — Le verre et la bouteille — La retiennent pour quelques jours : — Mais s’engager avec une fille, — C’est la perdre pour toujours !

(Traduction de M. de Beaurepaire-Froment.)




CHANSONS
I

Tau dou-z-eu, ma gento cugino,
Coumo dou leirou d’accor.
On daubri l’archou de ma poüeitreeno.
Et m’on deirauba le cor ;
Ma jamoüé ïau ne m’en plendré :
Car quou se foüé chi de ratado,
Que ma razou que gardo mau dré,
Ne s’en ei pas vizado.

II


Vivo la liberta :
N’agei pa pau qu ïau mengage :

Un countra de mariago
M’en dauto la moita.
Le Veire et la bouteillo
La retenon par queque jour :
Ma s’engagea bei no figluio,
Quou ei la peardre par toujour ?

(Poésies auvergnates de Joseph et Gabriel Pasturel, 1733)



  1. Notice publiée en tête de l’édition des Poésies auvergnates de J. Pasturel, etc.
  2. Le mot du texte est douteux. Il peut s’agir du fars. Lou fars, la farce en français, est un mets national du Midi celtique : Auvergne, Rouergue, Limousin, Caorsin, etc.