Les Poètes du terroir T I/P. G. de Montfort

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 358-359).

LE P. GRIGNION DE MONTFORT

(1673-1716)


Contrairement à celle de la plupart des vieux poètes bretons, la vie du Père Grignion de Montfort est très connue. Aussi bien n’en dirons-nous que quelques mots. Il naquit à Montfort-sur-Meu, le 23 janvier 1673. En 1706, il partit à pied pour Rome, afin de solliciter du pape Clément XIV l’autorisation d’aller porter la parole sainte chez les infidèles ; mais, ce dernier lui ayant représenté qu’il aurait assez l’occasion d’employer son zèle sans quitter la France, il revint en Bretagne et exerça ses prédications, avec la qualité de missionnaire apostolique que le pontife lui avait conférée. Il mourut à Saint-Laurent-sur-Sèvres, diocèse de la Rochelle, le 28 avril 1716. Le Père Grignion de Montfort a écrit un grand nombre de cantiques spirituels. Quelques-uns de ceux-ci, édités à Saint-Brieuc, en 1790, renferment de curieux tableaux satiriques des mœurs de sa province, à la fin du dix-septième siècle. Rien n’est plus plaisant que ces vers rimés sans grand souci de prosodie, mais où l’esprit populaire s’exerce en toute simplicité. Son style a de la vigueur et un pittoresque cru ; ses moindres productions nous font l’effet de ces images édifiantes, naïvement coloriées, qu’on vendait jadis dans les foires et les pardons de la Haute Bretagne.

Bibliographie. — Abbé Pauvert, Vie du P. Grignion de Montfort, Paris, Oudin, 1876, in-8o. — Olivier de Gourcuff, Le P. Grignion de Montfort, notice insérée dans l’Anthologie des poètes bretons du dix-septième siècle, 1884, in-4o. — A. Laveille, Le bienheureux L. M. Grignion de Montfort, etc., d’après des doc. inèd. ; Paris, Poussielgue, in-18. — P. Hervelin, Un Saint : Le Bienheureux G. de M. ; L’Hermine, 1908.


MES ADIEUX À RENNES


Adieu, Rennes, Rennes, Rennes,
On déplore ton destin ;
On t’annonce mille peines,

Tu périras à la fin,
Si tu ne romps pas les chaînes
Que tu caches dans ton sein.

Tout est en réjouissance :
Monsieur est au cabaret,
Mademoiselle à la danse,
Et Madame au lansquenet :
Un chacun fait sa bombance,
Et sans croire avoir mal fait…

Que de femmes malheureuses
Sous leur mine de gaîté !
Que de filles scandaleuses
Sous leur air de sainteté !
Que de tètes orgueilleuses
Sous un habit emprunté !

Que voit-on en tes églises ?
Souvent des badins, des chiens,
Des causeuses des mieux mises,
Des libertins, des païens,
Qui tiennent là leurs assises,
Parmi très peu de chrétiens.

Tu réponds à qui t’aborde
Pour démontrer ton erreur :
Dieu fera miséricorde,
Il est bon, n’ayons pas peur ;
Quand on le veut, il l’accorde,
Et puis tout homme est pécheur !

Adieu, Rennes, Rennes, Rennes,
On déplore ton malheur.

(Recueil de cantiques spirituels ; 1790.)