Les Poètes du terroir T I/Pierre de Nolhac

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 117-119).

PIERRE DE NOLHAC

(1859)


Erudit, critique d’art, historien et poète, M. Pierre dw Nolhac est né à Ambert le 15 décembre 1859. Membre de l’Ecole francaise de Rome, il entra en 1885 à la Bibliothèque nationale, fut nommé en 1886 professeur, puis directeur d’études, pour l’histoire et la philologie classique, à l’École des Hautes Études, et devint en 1892 conservateur du Musée de Versailles, fonction qu’il ne cessé d’exercer depuis cette époque, avec la compétence et l’autorité qu’on lui connait. M. Pierre de Nolhac est une des plus lumineuses intelligences de ce temps. Ses recherches sur la Renaissance, en Italie et en France, de Pétrarque à Ronsard et à Joachim du Bellay, ses admirables travaux sur le xviie siècle, et en particulier sur la cour de Versailles, lui ont acquis une réputation quasi universelle. Travailleur inlassable, épris de découvertes, il n’a pas laissé néanmoins de sacrifier à la rêverie et de décrire en vers harmonieux, au souffle âpre, au rythme puissant, quelques-uns des sites où se complut son adolescence. Il a débuté, en 1888, par un petit recueil de poèmes : Paysages d’Auvergne (Paris, Lemerre, 1888, in-18), destiné à quelques amis, et voici qu’au bout de vingt années de labeur, alors que la liste de ses ouvrages est copieuse, il se plait à réunir de nouveau pour ses intimes les quelques pièces conçues aux heures de loisir et transcrites en marge de ses savantes publications. Aprés la réimpression augmentée de ses premiers vers (Cf. Paysages de France et d’Italie, Paris, 1894, in-18, et Poèmes de France et d’Italie, Paris, Calmana-Lévy, 1905, in-18), il nous donne une série de Sonnets nouvellement recueillis pour quelques lettrés (à Paris, chez le libraire Floury, MDCCCCVII, imprimé à XCV exemplaires par l’Imprimerie Nationale, avec les caractères gravés par Claude Garamond).

Ainsi donc, M. Pierre de Nolhac est mieux qu’un commentateur d’anciens textes, puisque, empruntant le luth des « vieux maistres françois », il a su en tirer, pour nous ravir, quelques accents nouveaux.

Dans les Poèmes de France et d’Italie, où se trouve le texte définitif de ses « Juvenilia », M. Pierre de Nolhac a chanté la basse Auvergne, ses rivières, ses montagnes, ses forêts et ses volcans éteints.

De son œuvre d’érudit si nous détachons les titres suivants, nous aurons une idée succincte, mais précise : Le Dernier Amour de Ronsard, Hélène de Surgères ; Paris, Bouillon, 1882, in-8o ; Le Canzonière autographe de Pétrarque ; Paris, 1886, in-16 ; La Bibliothèque de Fulvio Orsini ; Paris, Bouillon, 1887, in-8o ; Les Correspondants d’Alde Manuce ; Rome, 1888, in-4o ; Le De Viris Illustribus de Pétrarque ; Paris, Klincksieck, 1890, in-4o ; Il Viaggio in Italia di Enrico III, re di Francia (en collaboration avec E. Solerti), Turin, 1890, in-8o ; Boccace et Tacite, Rome, 1892, in-8o ; Pietro Bembo et Lazare de Baïf ; Bergame, 1894, in-8o ; Le Virgile du Vatican et ses peintures ; Paris, 1897, in-4o ; Erasme en Italie ; Paris, Klincksieck, 1898, in-18 ; Pétrarque et l’Humanisme, nouvelle édition, Paris, Champion, 1907, 2 2 vol. in-8o, etc. ; La Reine Marie-Antoinette ; Paris, Calmann-Lévy, 1890, in-18 ; Le Musée national de Versailles (avec A. Pératé) ; Paris, Braun, 1896, in-8o ; Le Château de Versailles sous Louis XV ; Paris, Champion, 1898, in-8o ; Marie-Antoinette, Dauphine ; Paris, Calmann-Lévy, 1898, in-18 ; La Création de Versailles ; Versailles, 1901, in-4o ; Louis XV et Marie Leczinska ; Paris, Calmann-Lévy, 1902, in-18 ; Tableaux de Paris pendant la Révolution, 1789-1792 ; Paris, Braun, 1902, in-folio ; Louis XV et Mme de Pompadour ; Paris, Calmann-Lévy, 1904, in-18 ; Les Jardins de Versailles ; Paris, Manzi, 1905, in-4o ; J.-M. Nattier, peintre de la cour de Louis XV ; ibid., 1905, in-4o ; J.-H. Fragonard, etc. ; ibid., 1907, in-4o ; François Boucher, etc. ; ibid., 1907, in-4o, etc.

Bibliographie. — Pierre de Bouchaud, Pierre de Nolhac et ses travaux ; Paris, Bouillon, 1896, in-8o. — Georges Vicaire, Manuel de l’amateur de livres au dix-neuvième siècle (t. VI, col. 202 et suiv.).


MARCHE DE NUIT
Montagne d’ambert


Je viens de traverser des plaines de bruyère.
J’ai marché, sans repos, une journée entière
Dans la sèche fougère et le rude genêt ;
Les pins et les bouleaux, les bois et la forêt
M’ont prêté tour à tour leur paix et leur ombrage ;
Mais, bien avant l’instant où finit mon voyage,
Voici que le soleil a quitté l’horizon.

Point de village autour de moi, point de maison ;
L’hiver, la neige est haute et le vent s’y lamente :
Pour les morts ignorés perdus dans la tourmente,
Des crucifix de bois, leurs bras blancs dans les airs,
Çà et là sont dressés sur les plateaux déserts.

La nuit tombe, la nuit fraiche, la nuit paisible.
Guidé par l’angélus d’un clocher invisible,
Je prends, déjà lassé du trajet fait en vain,
La route qui descend aux pentes du ravin.
Comme un drap noir le ciel vient de tendre ses voiles :
Je vais, le cœur serré du regret des étoiles
Qui ne me suivront pas de leur regard léger.
Là-bas, sur la hauteur, brille un feu de berger ;
11 s’éteint, se rallume et disparait encore.
L’écho, doublant mon pas sur la terre sonore,
Me fait sans cesse entendre un pas qui me poursuit.
Les minces peupliers frissonnant dans la nuit,
Aux tournants escarpés où s’enroule la route,
M’apparaissent géants, et par moments j’écoute,
En faisant halte au bord des noirs bouquets de bois,
Un filet d’eau caché qui gémit à mi-voix :
Tandis que sort des champs, des gorges et des roches,
Des lointaines forêts et des bruyères proches,
Où l’insecte et l’oiseau chantent en liberté,
Le chœur intermittent des belles nuits d’été.

Et voici qu’au détour d’un grand rocher de mousse,
Je me sens caressé d’une brise plus douce
Et je te reconnais, air pur, air parfumé,
Qui me viens du pays natal, du sol aimé.
Et j’aperçois alors, par le brouillard voilée,
La ville calme assise au fond de la vallée,
Où dans l’obscurité se pressent les points d’or.
Vers la chère maison mon rêve prend l’essor :
Qu’importent la fatigue et la route nocturne,
Et la marche sans fin sous le ciel taciturne !
J’entends, j’entends chanter dans mon cœur triomphant
Les rustiques chansons qui me berçaient enfant.

(Poèmes de France et d’Italie.)