Les Poètes du terroir T I/Théodore Maurer

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 321-322).

THEODORE MAURER

(1844)


Selon l’expression chère à M. Maurice Barrès, M. Théodore Maurer est un « déraciné ». Il naquit à Bitche (Lorraine), en 1844, d’un père alsacien et d’une mère lorraine. Peut-être aurait-on lieu d’être surpris de le voir figurer parmi les poètes bourguignons, s’il n’avait célébré les coins les plus pittoresques du Morvan. Sa biographie tient en quelques lignes. Engagé à dix-sept ans, en qualité de musicien, à l’École impériale de cavalerie de Saumur, il fut envoyé au Conservatoire de Paris, et remporta un premier prix d’harmonie et d’orchestration. Il ambitionnait de devenir chef de musique dans l’armée, lorsque le licenciement des musiques de cavalerie l’obligea à changer de carrière. Il entra alors dans l’administration des télégraphes, et se fit titulariser en 1874. Doué d’un goût très vif pour les lettres, il occupa les loisirs que lui laissèrent et l’administration et la composition musicale — à laquelle il n’avait point renoncé — en publiant des articles d’art et des poèmes qui furent remarqués. De 1877 à nos jours, il collabora à bon nombre de périodiques et fit paraître divers recueils de poésies : La Comédie italienne (Paris, Lemerre, 1889, in-18) ; Les Femmes de Shakespeare (Paris, « Maison des poètes », 1901, in-16) ; Plaisir d’amour (ibid., 1902, in-18) ; Princesse Avril (ibid., 1904, in-18), et Les Fleurs morvandelles (ibid., 1906, in-8o), où se trouvent exprimées les tendresses familiales et les « retours » au terroir d’adoption.

« La muse de Théodore Maurer, a-t-on écrit, est parnassienne, c’est-à-dire simple, élégante et pure, gaie, sentimentale et fantasque. Aux bruits de la ville elle préfère le murmure discret des ruisseaux, le frais gazouillis des oiseaux. Elle aime le printemps qui ouvra les roses et l’automne qui mûrit les grappes. »

Depuis ses débuts, le poète caresse le rève de se retirer, quand sonnera l’heure de la retraite, à Chissey, en Morvan, cette patrie d’élection qu’il revoit avec un plaisir toujours nouveau et qu’il a chantée avec une éloquence émue.



LE TERNIN
À François Fabié.


Le Ternin chuchote et chantonne.
Je crois ouïr, plein de douceur,
Un chant de nourrice, berceur,
Sempiternel et monotone.

Monotone et délicieux :
Un de ces chants de vieille femme
Qui font, en dorlotant notre âme,
Monter des larmes dans nos yeux.
 
Cependant qu’attentif j’écoute,
Tout remué d’émoi profond,
Les minutes, sans hâte, vont,
Que filtre l’heure goutte à goutte.
 
Chuchoté, chevroté, mouillé,
Le lent refrain, repris sans trêve,
Est comme une chanson de rêve
Que l’on entendrait éveillé.

On dirait une voix d’aïeule,
Sous le vergne et sous le bouleau.
Dans ce coin de nature, l’eau
Semble bruire et chanter seule.

Au creux du val, sur le chemin,
Plus rien qui trouble le silence :
Pas un rameau ne se balance.
Le vent se tait, nul pas humain !

Rien, — tandis que je me recueille,
Gardé du souvenir dolent, —
Sinon, comme un baiser tremblant.
Une aile frôlant une feuille.

Et mon cœur, qui vient de souffrir,
Par un charme qui l’en délivre,
Oublie, en oubliant de vivre,
D’aimer l’amour et d’en mourir.

(Fleurs morvandelles.)