Les Poissons et les Animaux à fourrure du Canada/Chapitre 6

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CHAPITRE VI

POISSONS D’EAU DOUCE COMMERCIAUX


Le Saumon


I


Le saumon est le roi des poissons, et le roi des saumons est celui de la Ristigouche, rivière qui coule entre la province de Québec et celle du Nouveau-Brunswick, et va se jeter dans les eaux de la Baie-des-Chaleurs. Au point de vue commercial, le saumon de la Colombie anglaise domine majestueusement tous les autres poissons d’eau douce ; mais le salmo salar de l’Atlantique lui est supérieur, tant pour l’excellence de sa chair que pour ses qualités sportives.

C’est, du reste, un roi très démocrate que le saumon ; il fraie indifféremment dans tous les rapides qui lui conviennent, et sur les bancs de gravier où il dépose et féconde ses œufs. Il n’a pas de sujets, mais seulement des tributaires, et ces tributaires-là, il se les met dans le ventre. Il ne reconnaît pas d’autres distinctions que celle du poids, et quand il pèse quarante livres, il n’a pas d’autre idée ni d’autre désir que de figurer dans les grandes expositions internationales.


II


On a vu dans les pages précédentes que la quantité de saumon prise en 1898, dans la Colombie anglaise, représentait la somme de trente millions de francs environ. Quant au saumon pris dans les nombreuses rivières des provinces maritimes, et surtout de la province de Québec, il est impossible d’en établir la valeur ; les statistiques manquent à ce sujet ; il n’y a guère, du reste, que deux ou trois maisons qui fassent le commerce du saumon de l’Est et qui l’expédient, soit aux États-Unis, soit sur les marchés de l’intérieur, pour la consommation locale, qui est considérable.

Cependant, le commerce du saumon frais entre le Canada et l’Europe ne tardera pas à prendre un grand développement, grâce à l’emploi des chambres frigorifiques dans les wagons de chemin de fer, de même que dans les steamers transatlantiques.

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Les rivières à saumon de la province de Québec jouissent, à l’endroit de ce produit, d’une supériorité incontestable et d’une renommée bien méritée. En premier lieu, la grande Cascapédia, qui est affermée par le gouverneur général du Canada. Elle a vu plus d’une altesse royale, les plus grands pairs de la Grande-Bretagne et des millionnaires pêcher dans ses eaux avec des hameçons d’or. Des clubs américains, installés luxueusement sur ses rives, ont loué des fosses, pour une saison, dans la partie basse de la rivière, et les propriétaires riverains louent leur fragment de rive à des prix fabuleux. Un riche commerçant de New-York a payé plus de cinquante mille francs pour deux fosses ; un club de Boston paye vingt mille francs le loyer du cottage de la princesse Louise d’Angleterre, et des deux fosses contiguës à cette propriété. Un spéculateur, qui a acheté plusieurs fosses, les loue à raison de 250, et parfois de 750 francs par ligne, et par été.

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Après la Cascapédia, mentionnons la Ristigouche, qui est une des plus riches rivières à saumon du monde entier. Sur les bords de la Ristigouche, les droits de pêche appartiennent presque tous à des particuliers. La Ristigouche est affermée par divisions, au nombre de cinq, qui sont louées pour des prix variant de 125 à 1,000 francs chacune. Un club de pêcheurs américains est locataire de deux de ces divisions ; il a aussi loué la rivière Patapédia, l’affluent principal de la Ristigouche, et construit un hôtel d’une remarquable élégance au confluent de la Ristigouche et de la Métapédia.


Le gouvernement fédéral entretient un établissement de pisciculture sur la Ristigouche, à deux milles environ de son confluent avec la rivière Métapédia. La côte nord du fleuve Saint-Laurent contient aussi d’excellentes rivières à saumon. Telles sont les rivières Godbout, Sainte-Marguerite, au nord-ouest des Sept-Îles, la Moisie, qui fournit à la compagnie d’exploitation des frères Holiday environ cent mille livres de saumon par année, la rivière Saint-Jean, la rivière Mingan, la Romaine, la Natashquan, et enfin la rivière Saint-Augustin.

Sur la rive sud du Saint-Laurent, on trouve, à partir de Gaspé, les rivières York, Sainte-Anne-des-Monts, Cap-Chatte, Matane et Rimouski, qui, toutes, sont fréquentées régulièrement, chaque année, par de nombreux amateurs et pêcheurs à la mouche.


Le Poisson Blanc


Le poisson blanc le dispute au saumon pour l’excellence et la fermeté de sa chair, pour ses qualités nutritives et pour sa valeur commerciale. Il se vend sur tous les marchés d’Amérique et l’on en fait une consommation prodigieuse. Cependant, il ne mord jamais à l’hameçon, pour la bonne raison qu’il n’a pas de dents. Il a la tête toute petite et le corps très gros. En le voyant, on reconnaît tout de suite qu’il est fait pour être mangé. Lui, au contraire, ne dispute jamais sa proie ; il habite paisiblement au fond des lacs, où il trouve à gagner sa nourriture sans se battre, sans mordre et sans faire de tapage chez ses voisins.

On pêche le poisson blanc principalement dans les cinq grands lacs de l’Amérique du nord ; celui du lac Supérieur, entre autres, est le meilleur et le plus beau ; il pèse en moyenne de quatre à cinq livres ; on en a vu cependant qui pesaient jusqu’à quinze livres, mais ce sont là des phénomènes.

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Le poisson blanc doit probablement son nom à la blancheur exquise de sa chair qui, toute délicate qu’elle est déjà, est encore pourvue d’une substance gélatineuse qui fait les délices des gourmets. On dit que la chair de ce poisson ne produit jamais la satiété, mais au contraire excite même l’appétit et ne provoque jamais le besoin de l’accompagner de pain, en la mangeant.

En général, on prend le poisson blanc au moyen de rets à mailles que l’on descend dans les endroits profonds des lacs ; mais, à l’automne, on en prend de grandes quantités, avec des seines ordinaires, à proximité des rivages, où il vient en troupes nombreuses pour frayer.

Il n’y a pas bien longtemps encore, des tribus entières d’Indiens et diverses populations rurales n’avaient d’autre nourriture que le poisson blanc.

Ce poisson constitue une des plus grandes richesses des pêcheries d’eau douce, la production annuelle ne s’élevant jamais à moins de 9,000 ou 10,000 tonnes, c’est-à-dire, le cinquième de la production de la morue. En valeur commerciale, elle représente une somme de 7,500,000 francs.


La Truite


La truite abonde dans presque tous les lacs et rivières du Canada. On en trouve de toutes les variétés. Elle sert principalement à la consommation intérieure, quoiqu’une quantité considérable soit expédiée tous les ans aux États-Unis. Dans les provinces maritimes et dans celle de Québec, on la consomme surtout sur place, et elle constitue un des aliments ordinaires de la classe des nouveaux colons.

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Sur les lacs de la province d’Ontario, on fait à la truite, de même qu’au poisson blanc, une pêche régulière et méthodique, en vue du commerce.

La plus belle truite des lacs que l’on puisse voir est celle que l’on prend dans le grand lac Népigon, au nord du lac Supérieur. Ce lac est le plus grand de toute la région d’Algoma. Il a deux cents kilomètres de longueur sur cent de largeur ; sa surface est semée d’îles nombreuses et ses eaux, extrêmement claires et limpides, entretiennent des quantités fabuleuses de poisson. Il en est de même de la rivière qui porte son nom et qui, prenant naissance dans le lac Népigon, court à travers plusieurs autres lacs plus petits et va se jeter dans le lac Supérieur, à l’entrée de la baie de Népigon. La truite mouchetée foisonne dans les eaux transparentes de cette rivière ; elle est la plus belle et la plus grande de toutes les truites de cette catégorie ; elle pèse assez communément de neuf à dix livres et en atteint même douze, dans certaines années.


On pêche aussi de magnifiques truites dans plusieurs des cours d’eau qui se jettent dans la Baie-des-Chaleurs : telles sont les rivières Nouvelle, Escuminac, Bonaventure, la petite Cascapédia et la Grande-Rivière.

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Nous pourrions mentionner également à ce sujet plusieurs des rivières qui coulent sur le versant nord du bas Saint-Laurent.

Cette pêche se fait, le plus généralement, sur de petits bateaux à vapeur appelés fishing tugs, qui ont en moyenne 50 pieds de long sur 12 de large et sont munis de réfrigérants. Aussitôt les filets levés hors de l’eau, on se rend à toute vapeur à la gare de chemin de fer la plus voisine ; les boîtes contenant le poisson entouré de glace sont mises dans le train prêt à partir et le poisson expédié frais, sans transbordement ni manipulation, aux marchés des États-Unis et du Canada.

Dans l’une des années de la dernière décade on a évalué la quantité de truite et de poisson blanc, expédiés frais par les pêcheurs d’Ontario, à quatre millions cinq cent mille livres. Ceux-ci avaient en outre mis en saumure 5,079 barils de poisson blanc, 9,758 barils de truites et 41,360 barils de brochets, esturgeons, maskinongés, perches et autres poissons.


La meilleure et la plus grosse de toutes les truites est la truite saumonée, que l’on rencontre surtout dans les rivières qui se jettent dans le golfe Saint-Laurent. C’est un des plus magnifiques poissons que l’on puisse voir. Il atteint assez souvent une longueur de deux pieds et pèse de 18 à 20 livres. Elle ressemble tellement au saumon, non seulement par ses formes, mais encore par ses mœurs et ses habitudes, que celui-ci commet souvent des méprises et se prend à faire des mésalliances qui, du reste, tournent suffisamment au profit du consommateur, car les produits hybrides, nés de ces unions, possèdent toutes les qualités gastronomiques désirables.


L’Esturgeon


L’esturgeon, dernier survivant des sept cents espèces de ganoïdes qui peuplaient les mers, lors de la période crétacée, parcourt aujourd’hui le fleuve Saint-Laurent, depuis le cap Tourmente, point de réunion de l’eau douce et de l’eau saumâtre, jusqu’à la tête du lac Supérieur.

C’est un poisson très estimé, dont la chair constitue un aliment des plus substantiels et des plus nutritifs, et qui réunit les qualités comestibles du lard et du veau. On sait aussi que ce poisson fournit la matière de diverses industries domestiques assez importantes, l’ichtyocolle et le caviar entre autres. La colle à bouche, la plus fine de toutes les colles, la colle à timbres, la colle à enveloppes, proviennent de la vessie natatoire de l’esturgeon.

Jadis, en Canada, on dédaignait la chair de l’esturgeon, sans qu’on sût pourquoi ; il ne valait pas plus de cinq à vingt-cinq sous, dans les ports américains ; mais aujourd’hui, justice, quoique tardive, lui a été rendue ; le même poisson rapporte, prix moyen, aux mêmes endroits, sur les mêmes marchés, de sept francs 50c. à douze francs 50c. la pièce. La chair se paie 50 centimes la livre, et le caviar, fait avec les œufs de l’esturgeon, obtient de 80 centimes à un franc la livre.

L’esturgeon des lacs, ainsi appelé parce qu’il ne descend pas à la mer comme ses congénères, pèse en moyenne de cinquante à deux cents livres. Il est bien inférieur en taille au transmontanus, esturgeon géant de la Colombie britannique, qui atteint parfois le poids de huit cent à mille livres.

La valeur commerciale de l’esturgeon n’est pas encore considérable, mais uniquement parce qu’on s’en est guère occupé jusqu’aujourd’hui, dans un pays où les richesses ichtyologiques abondent.


Autres Espèces


Mentionnons encore le brochet, requin d’eau douce, dont la taille dépasse quelquefois quatre pieds ; ce poisson, terriblement vorace et carnassier, mord à toutes les proies. Sa chair est en grand honneur sur les tables canadiennes.

Le maskinongé, proche parent du brochet, qui a à peu près la même taille et le même goût que celui-ci, mais dont l’espèce est moins répandue. Peu de poissons ont la réputation du maskinongé pour le plaisir et l’excitation que donne sa pêche, dans bon nombre de nos lacs.

On peut en dire autant de l’achigan, poisson qui a des affinités avec le bar. Il est très estimé et très recherché ; c’est une véritable jouissance pour les sportsmen du Canada et des États-Unis quand ils peuvent faire une partie de pêche à l’achigan. Des tentatives nombreuses sont faites pour acclimater ce poisson vraiment délicieux dans les rivières du Canada qu’il n’a pas encore fréquentées, et même en Europe et aux États-Unis, où il est l’objet d’une véritable sollicitude et d’une culture très soignée.

Le bar et l’alose, poissons exquis, mais coûteux.

Le huananiche, saumon discret et pétulant tout à la fois, qu’on ne voyait pas jadis ailleurs que dans les eaux du lac Saint-Jean, et qui ne se laisse prendre que par les pêcheurs de génie. Il constitue la pêche sportive par excellence des Canadiens et des Américains.

Il y a encore l’éperlan et la petite morue, poissons qui fréquentent également l’eau douce et l’eau salée. Dans les provinces maritimes, les Acadiens donnent à la petite morue le nom de « poulamond ». On prend des quantités énormes de ces deux petits poissons dans les provinces maritimes et dans le fleuve Saint-Laurent. Tous deux, mais plus spécialement l’éperlan, donnent lieu à un commerce assez fructueux entre les différentes provinces de la Confédération.