Les Poissons et les Animaux à fourrure du Canada/Chapitre 7

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CHAPITRE VII

LA PELLETERIE


Les animaux à fourrure proprement dits du Canada, ceux auxquels on fait une chasse régulière et qui alimentent le commerce de pelleterie, se bornent ordinairement à ceux dont les noms suivent : Ours, renard, carcajou, loup-cervier, pékan, martre, loutre, castor, vison, rat-musqué.

On pourrait et on devrait même ajouter à cette liste la belette, l’écureuil, le putois et le polatouche, qui appartiennent en réalité, par la beauté de leur pelage d’hiver, aux animaux à fourrure, mais qui n’apportent pas au commerce de la pelleterie un appoint assez considérable pour qu’on en tienne compte dans un aperçu sommaire.

Il en est de même du loup, auquel on ne fait pas de chasse régulière, quoique cependant sa fourrure soit des plus soyeuses et des plus chaudes.

Nous en dirons autant des animaux à panaches, tels que l’orignal et le caribou principalement, dont la chair est excellente et dont la peau sert à de nombreux usages ; mais ces usages sont purement domestiques et ne s’étendent guère en dehors de la province de Québec, et de quelques parties des provinces maritimes.


L’Ours


L’ours du Canada est brun ou noir et a le museau orange. Il est absolument omnivore, comme l’homme, avec cette différence qu’il se passe de sauce et de condiments. Il mange de tout : de la viande, du poisson, des fruits et même de l’herbe. L’hiver, il se choisit une retraite dans des creux de terrain, au milieu des roches, ou dans des troncs d’arbres creux, et y passe toute la saison froide dans un complet engourdissement.

L’ours arrive assez souvent à un degré d’embonpoint qui attendrit sa chair et la rend succulente. On en a tué qui avaient sous la peau une couche de cinq pouces de lard.


Les opinions sont très différentes au sujet de son tempérament ; on ne saurait donner là-dessus des notions bien précises. Les uns disent que l’ours est généralement doux, aimable même ; d’autres le croient féroce, parce qu’il n’éprouve aucun scrupule à se nourrir d’agneaux, de jeunes veaux, de rats-musqués, et même de castors, quand il a la chance d’en prendre. Mais quant à ses mœurs domestiques, c’est une autre affaire. L’ours est un vrai pacha ; il répugne visiblement à la monogamie et, s’il avait le don de prêcher, il entrerait bien certainement dans la confrérie des Mormons.

De son côté, l’ourse est bonne mère. Son instinct maternel l’avertit qu’elle ne peut entourer ses petits de trop de précautions et, pendant toute la durée de la gestation, elle se cache au plus profond des bois avec un soin extrême. Elle met bas tout au plus deux ou trois petits par année.

L’ours canadien ne devient jamais un animal de forte taille ; il est rare que son poids dépasse trois ou quatre cents livres.


Le Renard


La faune canadienne compte quatre espèces de renards : le bleu, l’argenté, le croisé, le fauve. La première espèce seule se distingue nettement des autres par sa taille et par la couleur blanche que revêt son pelage, pendant une courte durée de l’hiver. Quant aux trois dernières espèces, rien ne les distingue si ce n’est la différence de couleur du poil.

Cette diversité dans les espèces, si toutefois espèces il y a, n’empêche pas un croisement général. Assez souvent, dans une même portée, on trouve des renardeaux dont l’un est argenté, un autre fauve, un troisième croisé, etc., etc., ce qui atteste chez la mère une lamentable licence de mœurs. Cependant, le bleu ne se rencontre pas dans cette promiscuité de pelages ; c’est que le renard bleu est un renard « à principes, » comme l’est le candidat bleu dans la politique canadienne.


Le renard bleu est le plus grand des renards d’Amérique. Il est d’une extrême rareté, tandis que le renard blanc, ou isatis, est assez commun. On se rendra compte de ce dernier fait en jetant les yeux sur la statistique suivante. Un facteur de la compagnie de la Baie d’Hudson a reçu, dans l’espace de quatorze années, cinq mille peaux de renard se décomposant ainsi :

Renards blancs 
  
4,000
Ren!rds argentés et croisés 
  
655
Ren!rds rouges 
  
300
Ren!rds noirs 
  
30
Ren!rds bleus 
  
15

5,000

Le renard du Canada n’a pas de demeure fixe. Il parcourt le pays en tous sens, semant en maint endroit la terreur ou les fruits de son vagabondage licencieux. Il est aussi gourmand que coureur et vagabond, contrairement à son cousin d’Europe qui, lui, s’il a un égal penchant pour le lapin et le poulet, a, du moins, des terriers attitrés. Quand le renard canadien consent à s’établir pour un temps, c’est toujours dans le voisinage de quelque bonne ferme où il y a ripaille à faire avec les jeunes poulets.

On ne sait encore si les renards canadiens obéissent à des lois régulières d’émigration, mais ce qui est constant, c’est leur extrême abondance sur la côte nord du golfe Saint-Laurent et de l’Atlantique, en certaines années privilégiées. Comme tous les autres animaux à fourrure, du reste, le renard cherche à fuir les trop grandes agglomérations de neige.


La peau du renard donne la plus précieuse des pelleteries. Celle du renard noir et du renard argenté atteint quelquefois un prix très élevé ; on a vu une peau de renard noir se vendre jusqu’à six cents francs. Chose singulière, c’est que la peau du renard bleu, la plus rare de toutes, atteint à peine le prix d’une peau de renard double croisé.

Voici, du reste, un tableau qui donne le minimum et le maximum des prix accordés sur la côte nord aux peaux de renards de toutes les couleurs :

Renards. Minimum. Maximum.
Jaune 
  
6 f. 50c. 12 f. 50c.
Rouge 
  
7 f. 50c. 15 f. 50c.
Croisé 
  
20 f. 50c. 40 f. 50c.
Double croisé 
  
30 f. 50c. 70 f. 50c.
Argenté 
  
140 f. 50c. 175 f. 50c.
Noir argenté 
  
175 f. 50c. 240 f. 50c.
Noir 
  
275 f. 50c. 600 f. 50c.
Blanc 
  
12 f. 50c. 17 f. 50c.

Le Carcajou


Le carcajou est le plus intelligent et le plus rusé des animaux à fourrure. Les sauvages montagnais l’appellent quâ-quâ-sut (le diable des bois). Il passe sa vie à faire du mal aux autres animaux toutes les fois qu’il le peut, mais surtout au chasseur, dont il rend tous les pièges inutiles et qu’il oblige souvent à changer de territoire de chasse. Son odorat est prodigieux et lui fait découvrir jusqu’aux pièges tendus l’automne, que l’hiver a ensuite recouverts de deux ou trois pieds de neige.

Outre qu’il est le plus pervers et le plus malfaisant des animaux, il en est aussi le plus intelligent. Ses manières de procéder dénotent des facultés véritables, bien au-dessus de l’instinct. Elles font voir en lui une incroyable sagacité, servie par une sorte d’entraînement, de calcul et de raisonnement qui déconcerte les chasseurs. Il a une prédilection marquée pour tout ce qui est propriété humaine ; non seulement il détruit tous les pièges qu’il découvre, mais encore il pille et dévaste les camps, et emporte au loin les vêtements qu’on y a laissés.

* * * *

Le carcajou est suffisamment courageux et possède un profond instinct d’ironie ; il semble n’avoir peur de rien, mais, en revanche, rire de tout. Il est d’une force peu commune, quoique sa taille atteigne à peine celle d’un chien de moyenne grosseur. Il est terriblement armé pour la lutte et pour le carnage ; il a trente-huit dents, dont douze incisives, quatre canines et le reste en molaires. Selon monsieur Henry de Puyjalon, grand chasseur devant Dieu et non moins grand naturaliste devant les hommes, le carcajou perfore les cabanes des castors, détruit leurs digues pour faire assécher leur demeure et s’emparer de leur personne. Il s’attaque aussi aux animaux de forte taille, et il est incontestable qu’il sait arrêter, tuer et manger les jeunes caribous.

Cet incomparable animal se défie tout aussi bien du poison que des pièges et du fusil, et il est rare qu’on l’amène à avaler des boulettes empoisonnées. Quand cela arrive néanmoins, il se débarrasse aussitôt des effets de l’intoxication en restituant tout ce qu’il a avalé, ce qui démontre qu’il est en outre doué pour cela d’une faculté spéciale. Il y a de plus ceci : tous les carcajous de la région, avertis sans doute par leur camarade, ne se montreront plus, pendant plusieurs années de suite, sur le lieu où celui-ci a failli être victime de la perfidie du chasseur. C’est en grande partie grâce à cette instruction réciproque que les carcajous en sont arrivés à occuper un degré très élevé dans l’échelle animale, et à posséder nombre de « connaissances utiles ».

Pour le carcajou, plus que pour tout autre animal, c’est le cas de dire qu’il ne faut pas vendre sa peau avant de l’avoir tué. Mais on le prend pourtant tout de même, au piège, ou on le tue au fusil, puisque sa peau se vend.


Le Loup-cervier


Voici un animal fort laid, à la figure très désagréable, repoussant dans toute sa personne ; il a de la ressemblance avec l’hyène, des pattes très fortes en comparaison du corps, des griffes énormes, formidables appréhenseurs, et une toute petite queue, à peine indiquée, ébauche presque invisible, qui ferait triste figure dans un potage, à côté de la queue de bœuf.

Carnassier autant qu’on peut l’être, le loup-cervier mange de préférence les lièvres, les rats-musqués et les perdrix. Comme il a des yeux de chat, il grimpe dans les arbres, la nuit, pour y faire sa proie des oiseaux plongés dans un sommeil trompeur.

Cet animal détestable est excellent à manger, sa chair ayant le goût de celle de l’agneau ; sa fourrure est remarquablement belle et abondante en hiver. Il n’a, heureusement pour nous, et c’est ce qui fait en partie son excuse pour vivre, aucune répugnance à en donner la preuve et se laisse prendre, aussi aisément qu’on peut le désirer, au piège, à l’attrape ou au collet.

La femelle du loup-cervier met bas de quatre à six petits. La peau de ce vilain se vend de douze à vingt francs. Elle est extrêmement en usage au Canada pour vêtements.


Le Pékan


Le pékan, très voisin de la martre, mais ayant le corps plus gros et le poil plus gris, possédant une très belle fourrure, dont le prix varie de trente à quarante francs, rapace et destructeur comme le renard et le loup-cervier, est devenu extrêmement rare dans les forêts de la province de Québec ; il s’éloigne de plus en plus et gagne les plus lointaines retraites du nord.

On trouve néanmoins quelquefois des pékans au pelage fort noir. Alors il est d’un prix beaucoup plus élevé.


La Martre


La martre, charmante petite bête, souple, gracieuse, ondulante, semble être une réduction très réussie du pékan. Comme lui elle se nourrit de lièvres, de perdrix, d’écureuils et de beaucoup de poisson, d’airelles et de baies de sorbier.

Sa fourrure est célèbre pour sa richesse et son lustre. Elle est un des plus constants habitants des bois, et mérite de ce fait toutes les prédilections du chasseur. Trop jolie pour être très fûtée, elle se laisse prendre aisément au collet.

Au point de vue du pelage, on distingue la martre jaune, la martre brune et la martre noire. La première se voit peu dans les forêts au nord du 47e degré, tandis que l’habitat de la martre noire, la plus belle de toutes, est précisément au sein des forêts les plus septentrionales ; elle possède une ressemblance que l’on peut qualifier de parfaite avec la zibeline. Quant à la martre brune, c’est celle que l’on rencontre le plus communément dans la province de Québec, patrie par excellence des belles bêtes à fourrure.

En de certaines années elle est très abondante, parce qu’elle a des affections périodiques pour certains territoires, et alors, c’est au chasseur d’en profiter.

La femelle met bas par année trois ou quatre petits, qu’elle « aime tendrement ».

Le prix de la peau de martre est très variable ; il va de huit à quarante francs.


La Loutre


La loutre est un animal aquatique ayant quelque ressemblance avec le phoque, et dont la fourrure luxueuse, à tons intenses, sévèrement nuancés, est fort estimée à bon droit et très portée en Amérique. Elle se vend, généralement, de 40 à 50 francs.

La loutre est douce d’un appétit sans égal ; elle fait des repas prodigieux de saumons, de truites ou d’anguilles ; ce qui ne l’empêche pas d’engloutir des couleuvres et jusqu’à des crapauds, voire d’horribles barbots, lorsqu’elle n’a pas autre chose à se mettre sous la dent.

Son corps a toutes les apparences de la vigueur et de l’agilité. Elle habite le bord des rivières et des lacs, dans des retraites cachées à tous les regards, au milieu des roches et des racines, dont l’accès est toujours sous l’eau et l’intérieur au-dessus.

Ses pieds de derrière sont palmés, ce qui la rend éminemment propre à la nage et à la poursuite des poissons les plus agiles, qui ne réussissent que pour un temps à lui échapper. Sur terre, elle manque relativement de souplesse, mais pas autant qu’on serait porté à le croire, et parcourt régulièrement des sentiers, souvent longs et abruptes, qu’elle a su dégager au préalable des embarras les plus incommodants.

La femelle, mère très attachée à sa progéniture, donne naissance à deux ou trois petits par portée.


Le Castor


Voici le modèle des animaux. Intelligent, vertueux, laborieux, économe et prévoyant, il a toutes les qualités et tous les dons, excepté celui de la musique ; c’est que son ouïe n’est malheureusement pas suffisamment développée, quoique son odorat le soit à un degré extraordinaire.

On a bâti sur le castor toute espèce de légendes, et ceux qui ont le plus donné dans ces légendes sont les naturalistes en chambre et les lexicographes, dont le penchant à la description fantaisiste est si marqué et si dangereux pour ceux qui contemplent un dogme dans chaque substantif de dictionnaire.

Ainsi, le castor n’est point du tout cet animal éminemment sociable dont on a si souvent parlé ; il ne fréquente pas ses congénères au point de s’associer avec eux et de former des « villages » sur le bord des lacs habités en commun, mais il vit généralement seul, avec sa petite famille le long du lac qu’il a choisi ; et si d’autres familles de castors viennent l’y rejoindre, c’est que ce lac est très étendu, très éloigné et très isolé.


Le castor est un nageur et un rongeur incomparable ; ses pieds de derrière sont palmés et sa bouche contient vingt-deux dents, quatre incisives en forme de croissant et seize molaires composées. Avec un pareil arsenal dans l’orifice supérieur, il est difficile de ne pas ronger avec entrain et efficacité. Aussi, c’est grâce à ses dents, et à ses pattes qui leur servent d’auxiliaires, que le castor endigue les rivières et les lacs pour y maintenir le niveau de l’eau, et construit sa demeure à deux étages, l’un immergé, l’autre au-dessus de l’eau, que l’on appelle communément cabane.

À part sa cabane, le castor se construit une « cache, » le long des rivières, pour s’y réfugier lorsqu’un danger le menace. Les chasseurs donnent le nom de « ouaches » à ces retraites salutaires.

Les deux étages de la cabane du castor communiquent ensemble, mais l’animal sort toujours par la porte de l’étage inférieur. Le compartiment supérieur est divisé en loges où chaque membre de la famille se fait un lit de mousse. Généralement, une famille se compose du père, de la mère et de trois rejetons ; souvent, il y a cinq rejetons, deux de l’année précédente, auxquels les chasseurs donnent le nom de « moyens, » puis trois jeunes de la dernière portée ; enfin, il n’est pas absolument rare de trouver des cabanes de huit ou dix castors, mais presque introuvables sont celles qui en contiennent davantage.

Si le castor était aussi abondant que la morue, il jouerait, dans le domaine de l’utilité et de l’économie domestique, un rôle aussi important que celui de ce poisson précieux à tous les points de vue. Sa chair est très estimée des chasseurs ; sa queue est un morceau délicat, paraît-il, ce qu’on ne croirait pas à la vue de cet appendice imbriqué, squameux, plat et horizontal, qui ressemble à une truelle de maçon recouverte d’une peau d’alligator. Son foie, affirme M. de Puyjalon, gastronome distingué, sauté au beurre, est un mets fort agréable.

Enfin, le castor possède quatre glandes, dont deux, connues sous le nom de « rognons tondreux, » ont des propriétés médicinales particulières. On les applique, sous forme d’emplâtres, pour guérir les contusions ; d’autre part, on en fait des infusions dans du whisky et de l’eau tiède pour combattre certaines affections des bronches et de l’estomac.

* * * *

La chasse au castor est une des plus fructueuses et des plus goûtées par les Indiens. Ils en tirent partie de toutes les façons ; la chair de cet animal leur est une précieuse ressource dans leurs longues courses à travers les bois.

La peau du castor se vend à la livre ; on la paie, en moyenne, de dix-huit à vingt francs la livre ; les plus fortes peaux, séchées, ne dépassent pas le poids de trois livres.


Quoiqu’on lui fasse une guerre d’extermination, le castor n’a pas encore diminué autant qu’on serait porté à le croire. On peut encore, dans une saison de chasse, trouver plusieurs cabanes de cet animal digne de tant d’égards et pour qui l’on en a si peu.


Le Vison


Le vison, ou sautereau, grand mangeur de poisson, est un gentil petit animal, d’apparence vive et fine, peu défiant, et dont la fourrure, pour manchon et coiffure d’hiver, était naguère recherchée plus que toute autre, et était l’indice de revenus substantiels et de goûts distingués chez ceux qui la portaient.

Plus tard, le vison étant passé de mode, avait perdu de son attrait ; il perdait aussi malheureusement de son prix en même temps ; de quinze à vingt francs qu’il valait à son heure de célébrité, il était tombé à 3 ou 4 francs.


Mais il a gagné du terrain depuis quelques années ; peut-être le perdra-t-il encore :

Souvent mode varie
Bien fol est qui s’y fie.

Le vison fait sa demeure dans les interstices des roches accumulées sur les bords des lacs et des rivières. L’odeur particulière qu’il répand trahit sa présence.

La femelle met bas 4 à 5 petits par année.


Le Rat-musqué


Le rat-musqué a tellement d’affinités avec le castor qu’on le croirait un diminutif de ce dernier, tout simplement, si sa queue n’était pas beaucoup plus étroite, son corps beaucoup plus petit, et s’il n’était pas nanti de vésicules odorants qui dégagent cette odeur particulière de musc qui lui a valu l’épithète accolée à son nom.

Le rat-musqué a les mêmes habitudes que le castor, dont il possède ou imite en même temps les vertus. Souvent il partage la cabane de celui-ci, lui sert d’éclaireur, dès que le crépuscule descend sur les eaux, et l’aide à manger les provisions accumulées par lui pour passer agréablement l’hiver.

Le rat-musqué se nourrit surtout de plantes aquatiques, qu’il va chercher au fond de l’eau et qu’il transporte ensuite sur le rivage pour les manger à loisir.

Il est en grande abondance, sa femelle lui donnant tous les ans deux, même trois portées de onze petits, dans ce qu’on appelle les « bonnes années. » Quelquefois, dans les années bissextiles probablement, le nombre des portées va jusqu’à quatre, disent les chasseurs. Pareil abus ne saurait être toléré, et, cependant, la loi protège le rat-musqué d’une façon toute spéciale.


Près des lacs bien pourvus de plantes aquatiques on est donc toujours sûr de trouver les rats-musqués en nombre, et, alors, on peut leur faire une chasse des plus fructueuses.

Le goût du rat-musqué pour les plantes aquatiques ne l’empêche pas d’adorer le foin des prairies fraîches et de se vautrer avec ivresse dans l’avoine verte. Heureusement que foin et avoine n’abondent pas dans les territoires de chasse ; autrement on aurait une raison de plus pour protéger davantage ce vaillant petit quadrupède qui joint à ses rares qualités le courage, et qui possède, comme le castor, un odorat extrêmement raffiné, quoique son ouïe soit au-dessous de la moyenne et sa peau cotée au prix absolument dédaigneux d’un franc à 1 franc 25 centimes.


La Bête-puante (Moufette)


Il faut espérer que l’humanité, quelque degré de perversité qu’elle ait atteint, ne commettra jamais assez de forfaits pour être condamnée à les expier par l’immersion dans l’infecte liquide que projette la bête-puante, en se défendant contre ceux qui l’attaquent.

Un pareil moyen de défense donne sérieusement à réfléchir sur les étrangetés de la création et sur l’imperfection des perfectionnements de l’artillerie moderne.

La bête-puante ne se débat pas, elle ne mord pas, ne déchire pas, mais elle empeste son ennemi en l’arrosant. Pour cela elle n’a qu’à lever la queue et à éjaculer, à deux ou trois mètres de distance, s’il est nécessaire, un liquide indigne qu’elle tient précieusement en réserve dans deux viscères placés, comme il leur convient, en arrière de l’anus.

Avec cela qu’on trouve la bête-puante partout, dans les bois, dans les granges, jusqu’auprès des habitations, en plein village même parfois. Elle a le sans-gêne de tous les êtres incommodants et distribue, lorsqu’on la serre de trop près, une sorte d’asphyxie concentrée qui ne tue pas, mais qui rend enragé.

* * * *

Pour adoucir l’horreur qu’elle nous inspire, hâtons-nous de l’appeler « moufette. » Cette bête indigne de vivre se nourrit surtout de fruits et, quelquefois, de viande morte. La vie de famille semble lui être agréable, puisqu’on trouve cinq ou six moufettes dans un même terrier.

Elle passe l’été à vagabonder dans les bois, courant d’une femelle à l’autre, et, l’hiver, elle se cantonne dans des terriers ou dans des excavations naturelles, qu’elle ne quitte jamais de loin jusqu’au retour du printemps.


La taille de la moufette est à peu près celle d’un chat domestique. Sa fourrure, d’un noir assez luisant, est depuis longtemps en vogue. On en fait des « boas » et des pèlerines. Son prix varie de cinq à six francs, 25 centimes.


La Belette


L’hermine, que les chasseurs canadiens appellent « belette, » est dédaignée par eux. Ils ne cherchent pas à la prendre au collet ni à la tirer au fusil. Le bas prix de sa dépouille en est la cause.

Néanmoins on voit assez souvent des manteaux doublés en hermine ; mais c’est à peu près le seul usage qu’on fasse de cette peau en Canada.

La belette ne se trouve pas, du reste, sur les territoires de chasse.


L’Écureuil


Il y a trois espèces d’écureuils : l’écureuil voyageur, l’écureuil noir et l’écureuil de la baie d’Hudson.

Le « Suisse » est un écureuil qui se distingue des autres en ce qu’il ne grimpe pas dans les arbres et en ce que son dos, de couleur fauve, est rayé de quatre bandes blanches.

Le « polatouche, » ou écureuil volant, a les membres réunis par une membrane qui l’aide à bondir d’arbre en arbre.

On ne fait pas la chasse à l’écureuil, quoique sa fourrure serve souvent, de même que celle de l’hermine, à doubler des manteaux de femme. Cependant, cette fourrure est souvent très jolie.

Inutile de rappeler ici que l’écureuil est un petit animal d’une rare prévoyance. Il ramasse, l’automne, de nombreuses provisions végétales pour passer son hiver. Plus la quantité en est grande, plus on peut être certain que l’hiver sera long.


Oiseaux Aquatiques


C’est un spectacle à la fois intéressant et émouvant que le passage des troupes d’oiseaux aquatiques traversant la province de Québec, à deux époques précises de l’année, le printemps, en route vers leur habitat d’été, dans le nord de la province, et l’automne, lors de leur retour vers les pays méridionaux.

Leur nombre est tellement grand, leurs rangs si serrés que l’on dirait des nuages chassés par le vent et obscurcissant pendant une heure la lumière du jour. Ils ne se pressent pas cependant. Le fleuve Saint-Laurent est encore couvert de glaces qui descendent lentement, avec les reflux successifs, vers les abîmes de l’Atlantique où elles s’engloutissent dans le Gulf-Stream ; et, sur ces glaces, il y a abondance de toutes sortes de provisions provenant des eaux congelées et du passage de l’homme. Les troupes d’outardes s’y arrêtent, y passent de longues heures pour se reposer et se repaître, se laissant aller à la dérive ou sommeillant, pendant que leurs gardiens veillent ; puis elles repartent et s’enfoncent de plus en plus vers les solitudes du nord où les mères vont bientôt déposer leurs œufs et élever leur couvée.

* * * *

L’automne venu, pères, mères, petits déploieront leurs ailes et retourneront en hâte vers les pays du soleil et de la lumière.

L’homme fait la chasse à ces intéressantes bêtes pour avoir leur plumage et leur chair. C’est un sport qui a ses difficultés et quelquefois même ses périls que celui de la chasse à l’outarde, ce robuste gibier qui tient le milieu entre le cygne et l’oie sauvage. C’est un gibier qui ne se laisse pas approcher aisément, étant toujours sur ses gardes et fuyant au moindre signe de danger. Quand la troupe entière se lève, c’est comme si le tonnerre s’abattait sur les eaux, et l’on croit sentir trembler la terre jusques au loin.

* * * *

La chasse sur les glaces est très aventureuse, et, l’automne, le chasseur, dissimulé dans des gourbis élevés sur les longues battures laissées à découvert par le reflux, peut attendre de longues heures avant d’avoir une chance favorable. Mais quand elle se présente, il est bien récompensé de son attente et de ses persistants efforts.

L’outarde n’est toutefois l’objet d’aucun commerce ; elle offre seulement un exercice sportif de premier ordre.


Au sujet de l’eider, appelé « moniac » en Canada, le lecteur a vu ce qui en est dans le chapitre « Territoires de chasse », au commencement de cet opuscule.

Les canards de toutes les variétés abondent dans toutes les provinces.

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La Perdrix. — Le seul gibier à plumes des bois, qui fasse l’objet d’un commerce très étendu dans les différentes provinces est la perdrix. Cet oiseau exquis, que l’on apprête de vingt manières, est prodigieusement abondant sur tout le territoire canadien, et, en particulier, sur celui de la province de Québec. Aussi s’en fait-il une consommation extraordinaire, qui tend à augmenter tous les ans et que le prix encore modique de ce gibier contribue à répandre d’une façon des plus louables.

Arthur Buies