Les Précoces/Chapitre 4

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IV


Kolia n’écoutait déjà plus. Enfin il pouvait partir. En passant la porte cochère, il regarda autour de lui en frissonnant et en murmurant : « Il gèle bien » ; puis marcha droit dans la rue et prit à droite par une ruelle qui menait à la place du Marché.

Avant d’arriver à la dernière maison de la place, il s’arrêta, prit un sifflet dans sa poche et siffla tant qu’il put, comme pour donner un signal.

Il n’eut pas plus d’une minute à attendre. Un gamin joufflu sortit de la porte. Il avait une douzaine d’années et portait un paletot bien chaud et bien propre, de tournure élégante. C’était le camarade Smourov, de la classe préparatoire, c’est-à-dire de deux classes au-dessous de celle de Krasotkine. Son père était un fonctionnaire aisé, et ses parents ne lui permettaient pas de fréquenter Krasotkine en raison de la renommée de grande espièglerie de ce dernier.

Il était évident que Smourov venait en cachette.

— Il y a déjà une heure que je vous attends, Krasotkine, dit Smourov d’un air dégagé.

Les deux gamins se dirigèrent vers la place.

— C’est vrai, je suis en retard, répondit Krasotkine, il y avait des empêchements. Mais est-ce qu’on ne te fouettera pas si on te voit avec moi ?

— Allons, est-ce qu’on me fouette ! Et Pérezvon est-il avec vous ?

— Pérezvon est là.

— Vous l’emmenez aussi là-bas ?

— Il viendra aussi.

— Ah ! si c’était Joutchka ?

— Impossible, Joutchka. Il n’y a plus de Joutchka ; elle est disparue dans la nuit de l’inconnu.

— Est-ce qu’on ne pourrait pas y faire quelque chose, fit Smourov en s’arrêtant tout à coup. Puisque Ilioucha nous a dit que Joutchka était aussi poilue et gris fer comme Pérezvon, ne pourrait-on pas lui dire que c’est Joutchka ? Peut-être il le croirait.

— Écolier, fuis le mensonge, et d’un ; même pour faire une bonne action, et de deux… Mais je compte bien que tu n’as rien dit là bas de ma visite.

— Que Dieu m’en garde. Je comprends bien. D’ailleurs, Pérezvon ne le consolerait pas, dit Smourov avec un soupir. Ne sais-tu pas que son père, le capitaine, lui a promis de lui apporter aujourd’hui un jeune chien, un chien de race à museau noir. Il pense que cela consolera Ilioucha, mais je n’en crois rien.

— Et comment va-t-il Ilioucha ?

— Il va mal, très mal. Je crois que c’est la phtisie. Il a bien toute sa raison, mais c’est la respiration ; il respire mal.

— Il a demandé l’autre jour qu’on le fît un peu marcher. On lui a mis ses bottines, et il a marché, mais il fléchissait à chaque pas. — Je te l’ai bien dit, papa, que mes bottines sont mauvaises. Déjà avant, j’y étais mal à l’aise. — Il croyait que c’étaient les bottines, mais c’était bien la faiblesse qui le faisait tomber. Il n’ira pas plus de huit jours. Le docteur Herzenschtubé le soigne en personne. Ils sont riches maintenant ; ils ont beaucoup d’argent.

— Les coquins !

— Qui cela ?

— Les médecins parbleu ! et toute cette clique médicale en général comme en particulier. Moi, je nie la médecine. C’est une instruction inutile. J’approfondirai d’ailleurs tout cela. Au fait, qu’est-ce que cette sentimentalité ? Il paraît que toute la classe vient le voir.

— Pas toute la classe, mais une dizaine des nôtres y vont tous les jours. Il n’y a pas de mal à cela.

— Ce qui m’étonne surtout dans cette affaire, c’est le rôle d’Alexey Chestomazov. On va juger demain ou après son frère pour un assassinat, et il trouve du temps pour faire de la sentimentalité avec des gamins.

— Il n’y a point de sentimentalité là dedans. Ne vas-tu pas toi-même te réconcilier avec Ilioucha ?

— Me réconcilier ! Quelle expression ridicule. Je ne permets du reste à personne de chercher le mobile de mes actes.

— Comme Ilioucha va être content de te voir ! Il ne s’imagine même pas que tu puisses venir. Pourquoi donc es-tu resté si longtemps sans vouloir venir ? s’écria tout à coup Smourov avec chaleur.

— Mon cher ami, c’est mon affaire et non la tienne. J’y vais parce que cela me plaît, tandis que vous c’est Alexey Chestomazov qui vous y a menés. Il y a donc une différence. D’ailleurs, qu’est-ce qui te dit que j’y vais pour me réconcilier, expression stupide s’il en fut ?

— Mais ce n’est pas du tout Chestomazov qui nous a amenés. Nos camarades y ont été d’eux-mêmes, en compagnie de Chestomazov il est vrai, et cela n’avait rien d’extraordinaire. Il en est d’abord venu un, puis un autre. Son père en était très content. Il deviendra fou sûrement si Ilioucha meurt, et malheureusement cela arrivera. Il était bien joyeux de voir notre classe réconciliée avec son fils. Ilioucha t’a demandé aussi, mais sans dire autre chose. Il te demande et ne dit plus rien. Pour le père, il deviendra fou comme je te dis, ou bien il se pendra. Déjà il avait un peu l’air d’un fou. C’est un bien honnête homme après tout, et nous nous sommes trompés sur son compte. Tout cela est la faute du frère d’Alexey ; ce parricide l’a battu.

— Pour moi, c’est un problème que cet Alexey Chestomazov. J’aurais pu faire depuis longtemps sa connaissance, mais en certaine occasion j’aime bien être fier. J’ai d’ailleurs à son sujet une certaine opinion que je dois contrôler et expliquer.

Kolia prit un air important et se tut.

Smourov fit de même.

Il va sans dire que Smourov avait pour Kolia Krasotkine une sorte de vénération et n’avait même pas l’idée de pouvoir être son égal. Sa curiosité, en ce moment, était extrême, d’autant plus que Kolia lui avait dit qu’il venait de sa « propre volonté », et qu’il y avait un mystère dans sa résolution subite de faire cette visite.

Les deux garçons traversaient la place du Marché, où se trouvaient alors beaucoup de charrettes et de volailles apportées pour la vente. Les marchandes de la ville étaient sous leur auvent avec les petits pains, le fil, etc. Ce marché du dimanche s’appelait naïvement la foire dans notre petite ville, et il y en avait bon nombre dans l’année.

Pérezvon courait tout à fait dispos, flairant quelque chose à droite ou à gauche. Quand il rencontrait d’autres petits chiens, il les flairait très volontiers et dans toutes les règles usitées chez les chiens.

— J’aime bien le réalisme, Smourov, dit Kolia tout à coup. As-tu remarqué comment les chiens se rencontrent et se flairent ? Il y a là une sorte de loi générale de la nature.

— Oui, un peu ridicule.

— C’est-à-dire pas ridicule. Ce n’est pas le mot. Il n’y a rien de ridicule dans la nature, quoi qu’il puisse en paraître aux hommes remplis de préjugés. Si les chiens pouvaient raisonner et critiquer, ils auraient trouvé autant de ridicule, sinon plus, dans les rapports sociaux de leurs maîtres. Je dis si ce n’est plus, car je suis fermement convaincu qu’il y a chez nous bien plus de choses ridicules. C’est d’ailleurs la pensée de mon ami Nikitine, et une pensée remarquable. Je suis socialiste, Smourov.

— Et qu’est-ce que c’est qu’un socialiste ? demanda Smourov.

— C’est celui qui veut que tous soient égaux, que tous aient la même propriété, qu’il n’y ait pas de mariage, et quant à la religion et aux lois, que ce soit comme chacun voudra, etc. Tu n’as pas encore l’âge pour que j’en parle avec toi… Il fait froid aujourd’hui.

— Oui, douze degrés, mon père l’a vu tout à l’heure au thermomètre.

— C’est étrange. N’as-tu pas remarqué, Smourov, que lorsque l’on est au milieu de l’hiver et que le thermomètre marque quinze ou dix-huit degrés, il ne paraît pas faire aussi froid que lorsque au commencement de l’hiver il fait, comme aujourd’hui, douze degrés et qu’il y a peu de neige. Cela s’explique parce qu’on n’est pas encore habitué au froid. Tout est habitude chez les hommes, même dans leurs rapports politiques et sociaux. L’habitude est notre principal facteur… Que ce moujik est donc ridicule.

— Et Kolia désigna un grand moujik en touloupe, à l’air bon enfant, qui frappait l’une contre l’autre, pour chasser le froid, ses mains emmitouflées. Sa longue barbe était couverte de glaçons.

— La barbe du moujik est gelée, cria à haute voix et d’un air gouailleur Kolia en passant devant le paysan.

— Elle est gelée pour bien des gens, fit d’un air sentencieux le moujik sans plus s’émouvoir.

— Laisse-le tranquille, dit Smourov.

— Cela ne fait rien. Il ne se fâchera pas. Tu vois bien que c’est un bon garçon. — Adieu, Mathieu !

— Adieu !

— Tu t’appelles donc Mathieu ?

— Mais oui ; tu ne savais pas ?

— Non, je ne savais pas, j’ai dit cela comme autre chose.

— Vraiment. Tu es un écolier, n’est-ce pas ?

— Écolier.

— Eh bien, est-ce qu’on te fouette ?

— Non, pas tout à fait, mais comme cela.

— Et cela te fait mal ?

— Ce n’est pas pour dire.

— Ah quelle vie ! dit le moujik avec un soupir qui partait du cœur.

— Adieu ! tu es un bon garçon, voilà ce que je te dis.

Les gamins continuèrent leur route.

— C’est un bon moujik, dit Kolia. J’aime à parler avec le peuple, et je suis toujours bien aise de lui rendre justice.

— Pourquoi lui as-tu fait croire qu’on nous fouette ? demanda Smourov.

— Mais c’était pour lui faire plaisir.

— Comment cela ?

— Vois-tu, Smourov, je n’aime pas qu’on me fasse des questions si on ne me comprend pas au premier mot. Il y a certaines choses qui s’expliquent difficilement, qu’on ne peut même pas expliquer. Pour les moujiks, on fouette un écolier, et il faut le fouetter. Qu’est-ce que ce serait qu’un écolier qu’on ne fouetterait pas ? Et j’irais lui dire que chez nous on ne le fait pas ? Mais cela le chagrinerait. Tu ne comprends d’ailleurs rien à cela. Il faut savoir parler au peuple.

— Seulement ne les taquine pas, je t’en prie, car il arriverait une histoire comme l’autre jour avec cette oie.

— Toi, tu as peur !

— N’en ris pas, Kolia. Certainement que j’ai peur. Mon père aura une grande colère. Tu sais qu’on me défend de sortir avec toi.

—  Ne t’inquiètes pas, il n’arrivera rien aujourd’hui… Bonjour, Natacha, cria-t-il à une marchande sous un auvent.

— Quelle Natacha suis-je pour toi ? Je suis Maria, s’écria d’une voix aigre la marchande, qui était encore assez jeune.

— C’est bien à toi d’être Maria. Adieu.

— Ah ! petits vauriens. Ils ne sortent pas seulement de terre qu’ils s’en mêlent aussi.

— Je n’ai pas le temps, je n’ai pas le temps aujourd’hui de causer avec toi, fit Kolia ; tu me diras cela dimanche prochain.

Et il gesticulait comme si c’était elle et non lui qui eût engagé la conversation.

— Et qu’est-ce que j’ai à te raconter dimanche prochain ? C’est toi qui m’as cherchée et non pas moi, effronté que tu es, se mit à crier Maria. On devrait te fouetter ; voilà ce qu’il te faudrait. Tu es déjà bien connu pour venir insulter les gens. Voilà !

Les autres marchandes qui avaient leurs boutiques auprès de Maria se mirent à rire. À ce moment sortit de dessous les arcades des magasins de la ville un jeune homme qui avait l’air d’un commis, mais qui n’était pas de l’endroit. Il portait un long caftan bleu et une casquette. Son visage pâle était long et un peu grêlé et ses cheveux étaient bruns. Il avait l’air agité par quelque stupide émotion, et il menaça Kolia du poing.

— Je te connais ! criai-t-il d’une voix courroucée, je te connais !

Kolia le regarda sans broncher. Il n’avait pas souvenir d’avoir jamais eu maille à partir avec cet homme, mais il avait tant de colloques dans les rues qu’il ne pouvait en être bien sûr.

— Tu me connais ? demanda-t-il ironiquement.

— Je te connais ! je te connais ! répétait stupidement le commis.

— Alors tant mieux pour toi, mais je n’ai pas de temps à perdre ici. Adieu.

— Pourquoi cherches-tu querelle aux gens ? répliqua l’employé. Oh ! je te connais. Tu veux encore nous quereller !

— Cela, mon bon, ne te regarde pas si je cherche querelle à quelqu’un, fit Kolia en s’arrêtant et en le regardant encore.

— Comment cela ne me regarde pas ?

— Mais oui, ne te regarde pas.

— Et bien ! qui est-ce que cela regarde ?

— Cela, mon frère, cela regarde Trifon Nikititch, et pas toi.

— Quel Trifon Nikititch ? demanda le commis stupéfié, mais toujours plus irrité.

Kolia l’examina de la tête aux pieds d’un air d’importance.

—  Es-tu allé à Voznésénié ? demanda Kolia d’un ton sévère et impératif.

— Quel Voznésénié ? Et qu’y faire ? Non, je n’y suis pas allé, fit le commis interloqué.

— Connais-tu Sabanéiev ? répliqua Kolia d’un ton plus impératif encore.

— Quel Sabanéiev ?… Non, je ne le connais pas.

— Eh bien ! alors, va te moucher, conclut Kolia, et tournant les talons il continua son chemin comme s’il en avait assez de parler avec un pareil nigaud qui ne connaissait même pas Sabanéiev.

— Arrête donc un peu, eh ! De quel Sabanéiev parles-tu ? s’écria le jeune commis revenu de sa stupéfaction et tout hors de lui.

— De quoi parle-t-il donc ? demanda-t-il aux marchandes d’un air tout stupide.

Celles-ci se mirent à rire.

— Quel malin que ce gamin-là ! fit une d’elles.

— Mais enfin de quel Sabanéiev parlait-il ? répétait toujours le commis, criant à tue-tête et le bras levé.

— C’est probablement de ce Sabanéiev qui était en service chez Kouzmitchev. C’est de celui-là, fit une marchande, comme si elle avait deviné.

Le commis la regarda fixement.

— Kousmitchev ! dit une autre, mais ce n’est pas un Trifon. Son nom est Kousma et non Trifon, et le gars l’appelait Trifon Nikititch. Ce n’est donc pas celui-là.

— Vois-tu bien, ce n’est ni Trifon ni Sabanéiev, c’est Tchijov, ajouta alors une troisième marchande qui s’était tue jusque-là, se contentant d’écouter gravement. — C’est un Alexey Ivanovitch Tchijov, Alexey Ivanovitch.

— C’est cela. C’est bien ce Tchijov, confirma une quatrième marchande.

— Le commis abasourdi regardait tantôt l’une, tantôt l’autre.

— Mais pourquoi m’a-t-il demandé ça ? Pourquoi me l’a-t-il demandé, bonnes gens, criait-il, au comble du désespoir : — « Connais-tu Sabanéiev ? » Le diable sait quel Sabanéiev.

— Voyons, étourdi que tu fais, n’entends-tu pas que ce n’est pas de Sabanéiev, mais de Tchijov qu’il s’agit, de Tchijov, Alexey Ivanovitch, lui criait aux oreilles une des marchandes d’un ton tout à fait persuasif.

— Eh bien, quel Tchijov ? Dis donc un peu si tu le sais.

— Mais ce grand avec sa barbe qui venait au marché cet été.

— Mais qu’est-ce que cela me fait votre Tchijov, bonnes gens ?

— Comment sais-je, moi, ce qu’il te fait ?

— Qui peut savoir pourquoi tu as besoin de lui, ajouta une autre ; tu dois le savoir toi-même pour crier ainsi à tue-tête. C’est à toi et pas à nous que le gamin a parlé, nigaud ? Tu ne le connais pas, c’est bien vrai  ?

— Qui ?

— Tchijov !

— Que le diable emporte le Tchijov et toi avec. Je veux le battre, ce gamin, voilà ! Il s’est moqué de moi.

—  C’est Tchijov que tu veux battre ? C’est peut-être lui qui te battra. Tu es un imbécile, c’est moi qui te le dis.

— Pas Tchijov, mauvaise femme, c’est le gamin. Que je l’attrape ! Il s’est moqué de moi.

Les marchandes furent prises d’un fou rire. Pendant ce temps Kolia était parti d’un air vainqueur et se trouvait déjà loin. Smourov marchait près de lui, se retournant à chaque instant du côté du groupe qui criait en arrière.

Smourov était toujours de bonne humeur, mais il craignait aussi d’avoir avec Kolia quelque mauvaise affaire.

— Quel est ce Sabanéiev dont tu lui as parlé ? demanda-t-il en se doutant toutefois de la réponse.

— Je n’en sais pas plus que toi. Maintenant ils vont crier avec cela jusqu’au soir… J’aime bien exciter les imbéciles dans toutes les classes de la société. En voilà justement encore un, ce moujik qui est là-bas… Imagine-toi qu’on dit que rien n’est plus bête qu’un Français bête. La physionomie russe en dit pourtant assez. N’est-il pas écrit sur le nez de ce moujik qu’il est un imbécile ?

— Laisse-le, Kolia, et passons notre chemin.

— Pour rien au monde je ne le laisserais. Je suis parti, vois-tu, maintenant.

— Eh ! bonjour, moujik !

Un fort moujik marchait lentement, et l’on voyait facilement qu’il avait déjà bu un coup. Son visage était rond et simple, sa barbe grisonnante.

Il leva la tête et regarda le gamin :

— Eh bien ! bonjour, si ce n’est pas pour te moquer, répondit-il sans se presser.

— Et si c’est pour plaisanter ? fit Kolia en riant.

— Si tu plaisantes, eh bien ! c’est comme tu voudras. C’est permis. Cela ne fait pas de mal de rire.

— Pardon, frère, je plaisantais.

— Alors que Dieu te pardonne.

— Mais toi, me pardonnes-tu ?

— Je te pardonne de bon coeur, va ton chemin.

— Voyez-vous celui-là ! Mais tu es peut-être un moujik qui ne serait pas bête.

— Plus intelligent que toi, répondit le moujik d’un ton grave.

— Ça, je n’en suis pas sûr, répliqua Kolia interloqué de la réponse.

— Je te le dis, tu peux le croire.

— C’est possible, après tout.

— À la bonne heure, frère.

— Adieu, moujik.

— Adieu !

— Il y a toutes sortes de moujiks, dit Kolia à Smourov après un long silence. Comment pouvais-je penser que je tomberais sur un qui n’est pas bête. Je suis, d’ailleurs, toujours prêt à reconnaître l’esprit qu’il y a dans le peuple.

L’horloge de la cathédrale sonnait onze heures et demie dans le lointain.

Les jeunes garçons allongèrent le pas, et le reste du chemin jusqu’à la maison du capitaine Sneguirev, père d’Ilioucha, fut bientôt parcouru, sans qu’ils eussent ajouté une parole.

Vingt pas avant d’arriver à la maison, Kolia s’arrêta et dit à Smourov d’aller en avant et de demander à Chestomazov de venir le rejoindre.

— Il faut nous sonder d’abord, dit-il à Smourov.

— Pourquoi lui dire de venir ici ? demanda Smourov, tu peux bien entrer comme cela et l’on sera très content, et sans qu’il faille faire connaissance ici sur la neige.

— C’est à moi de savoir s’il faut la faire ici sur la neige, répondit Kolia d’un ton sec et despotique.

Il aimait beaucoup à traiter ainsi ses « petits ».

Smourov courut donc exécuter son ordre.