Les Présences invisibles/21

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Librairie académique Perrin (p. 138-144).

XXI

L’ÉGLISE MILITANTE
ET L’ÉGLISE TRIOMPHANTE

Saint Jean, l’apôtre bien-aimé, déclare dès le début de sa première épître qu’il annonce la Vie éternelle, c’est-à-dire le Christ, et qu’il écrit « afin que notre joie soit parfaite ». (I, Jean, i, 3, 4.) « Nous savons, dit-il, que nous avons passé de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères » (Jean, iii, 14), et sans cesse il exhorte à l’amour fraternel, résumant, comme le Seigneur Jésus, toute la loi morale en ce commandement : Aimer Dieu et les frères.

Aimer d’un amour immortel ce qui ne meurt pas, c’est bien en effet la joie parfaite, et quand nous arrivons à le faire et le croire, la vie éternelle et son bonheur infini commencent en nous, malgré toutes les misères et toutes les obscurités de ce monde.

Dans l’Apocalypse, la Révélation de saint Jean, livre symbolique et prophétique, les exhortations aux chrétiens persécutes se mêlent aux pressentiments des siècles à venir. Des visions frappantes résument les douleurs, les catastrophes, les combats futurs, nous font apparaître le triomphe final de la justice, le jugement dernier, le bonheur des élus… Mais ce n’est pas dans un avenir plus ou moins éloigné, c’est tout de suite que ceux-ci jouissent de la béatitude éternelle : « Heureux dès à présent les morts qui meurent dans le Seigneur. » (Apoc., xiv, 12.)

Il ne s’agit encore que d’un commencement de joie : « Ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent. » Les bonnes semences qu’ils ont laissées sur leur passage, qu’ils ont répandues, souvent arrosées de leurs larmes et de leur sang, dans les sillons terrestres, continuent après leur départ à se développer, à fructifier… Les semeurs ont disparu ; peut-être nul ici-bas ne se souvient-il plus d’eux ; cependant au dur et noir hiver succèdent le printemps fleuri d’espérances, puis le magnifique, le lumineux été… voici la moisson toute dorée qui attend la faucille… Les moissonneurs arrivent ; ils récoltent en chantant ce qui fut semé en pleurant… mais a leurs chants, d’autres hymnes se mêlent mystérieusement… un écho du ciel répond à leur joie. En amassant des fruits pour la vie éternelle, semeurs et moissonneurs, église militante, église triomphante, se réjouissent ensemble, suivant la parole du Maître. (Jean., iv, 36-38.)

Ensemble, toujours ensemble ! Ne craignez pas d’être séparés dans l’au-delà de vos bien-aimés ; ne vous imaginez pas, malgré les apparences, malgré votre faiblesse, que votre union de cœur et d’âme avec eux soit brisée. Sans cesse, dans la Révélation de saint Jean, comme dans l’Evangile, cette union des frères en Christ nous apparaît.

Les rachetés de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, de toute nation, ne forment plus qu’un royaume de Dieu (v. 9) et l’immense, l’innombrable foule de ceux qui sont venus de la grande tribulation est rassemblée devant le trône de Dieu et devant l’Agneau. Ils portent les memes robes candides, blanchies dans le sang de l’Agneau, les mêmes palmes de victoire ; ils chantent le même cantique sous la même tente et participent au même bonheur. Les prières de tous les saints montent vers Dieu dans le même encensoir d’or. (Apoc., vii, 9-17, xv, 2-4, xix, 1-8, viii, 3, 4.)

Les élus nous sont représentés comme s’intéressant à ce qui se passe sur la terre, se réjouissant quand tombe la grande Babylone, symbole et résumé de toutes les puissances iniques. Une vision terrible et touchante nous montre les martyrs réunis sous l’autel comme un holocauste agréable à Dieu, eux qui furent immolés à cause de la parole divine et du témoignage qu’ils lui avaient rendu. Leur cri redoutable ressemble à celui du sang d’Abel, le premier innocent assassiné ; car, dans l’Évangile, la miséricorde ne fait pas tort à la justice, ne la supprime pas : « Jusques à quand, Maître saint et véritable, tardes-tu à juger et à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la terre ? » (vi, 9, 10.)

Il ne s’agit pas là évidemment d’une rancune et d’une inimitié personnelles : « Non pas à nous, Éternel, non pas à nous, mais à ton nom donne gloire », pourraient, comme le psalmiste, chanter ces confesseurs, « à cause de ta bonté, à cause de ta fidélité ! Pourquoi les nations diraient-elles : Où donc est leur Dieu ? » (Ps. cxv, 1, 2.) En effet ils se sont immolés afin que la justice triomphât et il faut que cette justice soit victorieuse. Alors seulement paraîtront ce nouveau ciel et cette nouvelle terre où la justice habitera. (II, Pierre, iii, 13.)

Tant que la conversion du pécheur peut être espérée, ses fautes réparées, la miséricorde de Dieu l’invite au repentir ainsi que la magnanimité des saints ; les victimes, à l’exemple de leur Maître, peuvent et doivent prier pour leurs bourreaux. Mais pour ceux qui méprisent le pardon et refusent l’expiation, le jour de la rétribution viendra inévitablement et les martyrs attendent avec impatience cette aurore terrible et bienfaisante où la victoire du bien sur le mal s’accomplira enfin tout entière.

« Une robe blanche, raconte saint Jean, fut donnée à chacun d’eux et il leur fut dit de se tenir on repos jusqu’à çe que fût complet le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères qui devaient être mis à mort comme eux. » (Apoc., vi, 11,)

Pour eux déjà la tunique de pureté, le vêtement de fête remplace les vêtements ensanglantés où ils combattirent ; le souvenir si douloureux de leurs tourments n’est plus que joie candide ; la paix leur est accordée, imposée… Mais ils doivent attendre encore et accueillir parmi eux tous ceux qui, au cours des âges, souffriront les mêmes épreuves, accompliront les mêmes sacrifices, rendront au prix de leur sang le même témoignage… Car la vie future n’est qu’union, harmonie, fraternité complète et bienheureuse. Notre Christ rassemble dans son grand cœur tous ses rachetés, tous ses fidèles… il ne les sépare pas, il ne les éloigne pas les uns des autres, comme ils le furent quelquefois par les incertitudes, les contradictions, les désaccords et les malentendus terrestres.


VERS L’AUBE

Vous que le regret ronge et le désir consume,
À votre foyer sombre où vient gémir le vent,
Vous qui cherchez en vain votre trésor vivant
Sans qu’à ne plus le voir votre amour s’accoutume,

Un espoir vous demeure, étoile qui s’allume
Dans le ciel imploré par votre cœur fervent ;
Longue et lourde est la nuit, mais le soleil levant
Aussitôt qu’il a lui, change en pourpre la brume.

Comme cette nuée errante qui paraît
Un monstre formidable à votre effroi secret,
À l’aube la douleur s’épanouit en gloire.

Courage, ô délaissés qui souffrez en ce îieu,
Car vous serez plus tôt que vous n’osez le croire,
Ensemble pour jamais, ensemble auprès de Dieu !