Les Principes des moteurs thermiques/03

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Gauthier-Villars, éditeurs (p. 28-41).

CHAPITRE III.

ÉNERGIE INTERNE DU FLUIDE.


15. Énergie thermique et énergie de cohésion. — L’énergie interne du fluide reprend sa valeur initiale à la fin du cycle fermé. Elle n’intervient donc pas dans la détermination de l’effet global de l’évolution. Mais, si l’on veut étudier les diverses phases de cette évolution, il faut savoir évaluer les variations corrélatives de l’énergie interne.

Considérons le cas d’un fluide que nous appellerons stable dont les molécules restent constamment identiques à elles-mêmes. C’est-à-dire que nous écartons l’hypothèse de transformations chimiques[1], et de transformations allotropiques[2] ou de dissociations[3], qui en sont des cas particuliers. La partie variable de l’énergie interne du fluide comporte alors seulement l’énergie thermique d’agitation moléculaire et l’énergie de cohésion liée aux attractions mutuelles des molécules.

L’énergie thermique ne se réduit pas à la seule énergie cinétique de translation des molécules comme dans le cas du gaz parfait théorique constitué de points matériels au sens de la mécanique rationnelle. Il s’y ajoute l’énergie cinétique de rotation des molécules (T. 19), dont la valeur varierait proportionnellement à celle de s’il ne s’introduisait pas des anomalies dues au caractère discontinu des échanges d’énergie (théorie des quanta) ; cette énergie reste néanmoins, comme ui est de beaucoup le plus fréquent, des molécules polyatomiques, l’étude de l’influence de la température sur les réactions chimiques et sur les dissociations conduit de plus à envisager l’existence d’une énergie cinétique de vibration des atomes à l’intérieur de la molécule (T. 28), liée, elle aussi, à [4].

Cette dernière forme d’énergie cinétique intramoléculaire, qui tend à gonfler les molécules contre les forces qui lient les atomes les uns aux autres, ou forces chimiques, s’accompagne par cela même d’une augmentation corrélative de l’énergie potentielle correspondante. Il y a donc, en réalité, variation d’énergie potentielle chimique ; mais cette énergie potentielle reste dans un rapport invariable avec l’énergie cinétique de vibration atomique qui la maintient[5], elle est donc aussi une fonction déterminée de la température.

Par conséquent, sous réserve des anomalies que peut introduire une dissociation notable[6], ces divers termes d’énergie interne sont tous déterminés par  ; ils forment, avec lui-même, un ensemble de la forme , que nous groupons sous la désignation ainsi élargie d’énergie thermique. Elle est caractérisée globalement par la chaleur spécifique à volume constant on a, en effet, à volume constant (échange de travail nul), pour l’unité de masse

[7]          et          [8]


et n’est autre chose qu’une mesure de .

L’énergie potentielle de cohésion ne dépend, pour un fluide stable, que de l’écartement moyen des molécules, c’est-à-dire du volume spécifique du fluide.

Si le fluide reste, dans toute son évolution, à l’état gazeux et à des densités faibles, les variations de son énergie de cohésion sont très petites. Elles correspondent au troisième terme de la formule

(1)                                         


de l’énergie des gaz de van der Waals (T. 19). On pourra pratiquement les négliger, ce qui revient à utiliser, en faisant rentrer le terme constant a dans la constante additive arbitraire, la formule de l’énergie interne des gaz parfaits[9]

Cette approximation ne serait plus légitime dans le cas de gaz ou vapeurs qui seraient amenés, au cours de leur évolution, à des volumes spécifiques petits par des compressions très élevées. Elle n’est, d’autre part, acceptable que dans des intervalles de température où pourra être considéré comme pratiquement constant ; dans le cas contraire, elle serait à remplacer par un développement en dont serait le premier terme.

Elle ne peut pas être envisagée, en tout cas, pour les fluides qui subissent, au cours de leur évolution, une liquéfaction. Celle-ci est en effet accompagnée d’une brusque diminution d’énergie potentielle


ou approximativement

L’énergie potentielle de cohésion du liquide dépend de la température. Elle dépend même d’elle seule lorsque le liquide est en équilibre avec sa vapeur saturante : les molécules sont, en effet, maintenues à la densité élevée de la phase liquide par les attractions de cohésion elles-mêmes, et seule l’agitation thermique maintient une valeur non nulle à l’énergie potentielle correspondante. D’après les indications données plus haut, doit même être, s’il n’y a pas de modifications allotropiques et si le principe de l’équipartition de l’énergie n’est pas mis en faute par la théorie des quanta, proportionnel à c’est-à-dire aussi à

La chaleur latente de vaporisation. d’un liquide n’est pas autre chose que la somme de ce terme et de l’équivalent calorifique du travail effectué contre l’extérieur lorsque l’unité de masses du fluide passe, à température et pression constantes, du volume spécifique de la phase liquide au volume spécifique beaucoup plus grand de la phase gazeuse.

Si le liquide, au lieu d’être en équilibre avec sa vapeur, remplit entièrement une enceinte solide, on peut concevoir d’exercer sur lui, au moyen de celle-ci, des pressions élevées capables d’abaisser son volume spécifique au-dessous de la valeur correspondant au cas de l’équilibre des deux phases (où seules les attractions de cohésion contribuent à maintenir les molécules liquides au voisinage les unes des autres). À ce volume plus faible, réalisé par une augmentation de pression, correspondra donc une énergie potentielle de cohésion plus faible. Il en résulte que, à température maintenue constante, contrairement à ce que donnerait à penser une analogie incorrecte avec le cas d’un ensemble de balles élastiques pressées les unes contre les autres), à une pression plus élevée doit correspondre une énergie interne plus faible, du moins si l’on assimile les molécules à des petits solides parfaits, indéformables et impénétrables.

À vrai dire, cette conception de première approximation paraît incompatible avec la conception des vibrations intramoléculaires. Il y aura alors à faire intervenir, outre l’énergie potentielle des attractions de cohésion, celle des répulsions d’écrasement, qui vient encore compliquer les choses[10].

Nous éviterons toutefois les difficultés qui pourraient en résulter, en nous limitant aux cas où le liquide n’est jamais soumis à une pression supérieure à sa tension maxima de vapeur[11]. Alors c’est l’agitation thermique seule qui crée et qui règle cette énergie d’écrasement aussi bien que l’énergie de cohésion : comme pour celle-ci, le terme correspondant sera encore une fonction de susceptible d’être incluse comme les autres dans l’énergie thermique.


16. Grandeurs macroscopiques — Nous nous bornerons à ces quelques remarques sur les mécanismes possibles des diverses formes de l’énergie interne. Elles sont intéressantes pour contribuer à enlever à cette grandeur toute apparence mystérieuse ; mais elles ne nous sont pas nécessaires et nous éviterons l’incertitude qu’introduirait leur caractère hypothétique, en considérant simplement dans la suite l’énergie interne de l’unité de masse comme une fonction déterminée (à la constante additive près) des grandeurs directement accessibles et mesurables qui définissent les divers états d’équilibre du fluide considéré.

Ces grandeurs, dites macroscopiques, sont le volume spécifique la pression et la température

La signification du volume spécifique est immédiate[12]. Dans le cas des gaz (ou vapeurs), sa valeur est celle que l’on impose arbitrairement au moyen du récipient qui limite le gaz et que celui-ci remplit de manière homogène[13]. Dans le cas des liquides, sa valeur est celle qu’imposent les liens de cohésion, et qui varie très peu en fonction de la pression et de la température.

L’étude des machines à vapeur conduit à envisager aussi le cas où le fluide est en partie liquide et en partie gazeux. Il est alors hétérogène et la grandeur c semble, à première vue, n’avoir plus de signification. Cette objection disparaît lorsque le mélange est constitué par un brouillard homogène à notre échelle d’observation. Il reste toutefois une difficulté : l’énergie potentielle de cohésion de la partie liquide dépend de l’état de division plus ou moins grande du liquide. En toute rigueur, pour définir l’énergie interne, il faudrait définir les dimensions des gouttelettes liquides qui constituent le brouillard. Les variations corrélatives correspondent à ce que l’on peut appeler l’énergie capillaire (T. 27). Elles sont assez petites pour que nous puissions pratiquement les négliger. Alors suffit, avec et à définir l’état du fluide mixte.

Si la partie liquide est séparée, en masse compacte, de la partie gazeuse, on a deux phases fluides distinctes, en contact mutuel, de volumes spécifiques (pour le liquide) et (pour la vapeur saturante), qui sont en équilibre, donc à la même pression et à la même température. Pour définir l’ensemble[14], et étant supposés connus, il faut indiquer dans quel rapport la masse totale est séparée entre les deux phases. C’est ce que l’on fait quand on indique la fraction de la masse totale qui est à l’état de vapeur : nous l’appellerons le titre du mélange.

On peut toutefois étendre à ce cas l’emploi de la variable qui représente alors le volume spécifique moyen, et caractérise, aussi bien que le mélange. On a, en effet,


d’où


relation linéaire qui relie et l’un à l’autre de façon univoque. Elle a une traduction géométrique très simple : dans le diagramme de coordonnées où l’ensemble des mélanges à une température donnée est représenté par un palier horizontal le point figuratif de l’un quelconque de ces mélanges sépare ce palier en deux segments inversement proportionnels aux masses des deux phases.

La pression est définie expérimentalement comme l’effort exercé par le fluide sur l’unité de surface d’une paroi solide, de courbure négligeable, par rapport à laquelle il est en équilibre macroscopique.

L’expérience a montré que cet effort a, en un point d’une masse fluide en équilibre, une valeur indépendante de l’orientation donnée au petit élément solide, et qu’elle lui reste perpendiculaire. Ce double résultat apparaît d’ailleurs évident, par des considérations élémentaires de symétrie, lorsque l’on interprète la pression (T. 16) comme la manifestation des chocs des molécules dans leur agitation thermique décoordonnée. On le démontre, a priori, par le raisonnement classique basé sur les équations d’équilibre d’un petit tétraèdre dont on fait tendre les dimensions vers zéro : les forces de volume (telles que la pesanteur) étant des infiniment petits du troisième ordre, en fonction des dimensions linéaires, deviennent négligeables devant les forces de pression sur les faces (du second ordre), qui seules subsistent dans l’équation limite. Ce raisonnement exige que les forces de volume deviennent effectivement négligeables pour un volume du tétraèdre contenant encore un très grand nombre de molécules, suffisant pour que la notion de pression reste légitime : cette condition est très amplement satisfaite par les forces de pesanteur.

La pression dans un fluide en équilibre est donc une grandeur scalaire.

Dans une masse gazeuse en équilibre, remplissant un récipient de dimensions habituelles dans les machines, sa valeur est, en première approximation, partout la même. On en déduit, par un calcul géométrique très simple, que la résultante globale des pressions sur l’ensemble des parois d’un récipient complètement clos est nulle, quelle que soit la forme de ce récipient. Ce double résultat apparaît comme une conséquence évidente de l’absence de toute direction privilégiée dans l’agitation thermique des molécules qui les amène à occuper uniformément tout le volume disponible.

Cette conclusion ne subsiste pas si les molécules sont soumises à un champ de forces, capable de créer une direction privilégiée pour les mouvements, et de provoquer dans cette direction un tassement relatif des molécules donnant naissance à des pressions locales plus élevées et corrélativement à un effort résultant non nul sur les parois du vase.

C’est ce qui se produit dans le champ de la pesanteur. En pratique, dans un récipient de dimensions industrielles courantes contenant un gaz ou une vapeur aux très faibles densités où ils sont habituellement utilisés, les gradients verticaux de pression dus à la pesanteur sont pratiquement négligeables. Ils donnent toutefois naissance à une résultante globale des pressions sur les parois, dirigée verticalement vers le bas, et qui est identique au poids qu’aurait le petit solide produit par la solidification globale de toute la masse gazeuse : on l’appelle le poids de cette masse gazeuse[15].

En écrivant l’équilibre d’un petit parallélépipède sous l’action simultanée des forces de pression et des forces de volume, on établit immédiatement que le gradient de la pression, dans une direction quelconque, est égal au gradient changé de signe de la fonction potentielle (évaluée par unité de volume) du champ des forces de volume.

Dans les liquides, où la densité est beaucoup plus élevée, les gradients verticaux de la pression, et les résultantes verticales qu’ils provoquent sur les parois des récipients, deviennent beaucoup plus importants. La notion de poids d’une masse liquide nous est d’ailleurs beaucoup plus familière parce qu’elle est plus voisine de la notion simple du poids d’un solide. Les molécules de liquide restent en effet a des distances mutuelles assez faibles pour qu’interviennent en permanence non seulement leurs attractions mutuelles de cohésion, mais aussi les forces qui s’opposent à leur pénétration mutuelle. Chaque couche, qui supporte ainsi le poids propre des couches situées au-dessus d’elle, transmet simultanément l’effort correspondant aux couches situées au-dessous, et, par leur intermédiaire, aux parois inférieures du récipient. Ce mécanisme de transmission directe nous paraît assez voisin de celui que comporte la conception du solide théorique où toutes les forces élémentaires ont une résultante et se transmettent au plateau de la balance par les points d’appui. Au contraire, dans un gaz, on ne peut pas concevoir de transmission directe du poids total aux parois : il y a un processus indirect dans lequel la pesanteur provoque un accroissement de la densité vers les parties basses, et l’augmentation corrélative de la pression est liée à l’augmentation du nombre de chocs par unité de temps, la vitesse moyenne de ces chocs restant la même si l’équilibre thermique a eu le temps de se réaliser par conduction.

Pratiquement, même dans une grande chaudière de machine à vapeur, les gradients de pression dans l’eau dus à la pesanteur sont assez faibles, auprès de la pression de la vapeur qui la surmonte, pour que nous puissions, sans difficultés pratiques, considérer simplement que la pression de toute la masse d’eau a cette même valeur

Les manomètres métalliques à déformations élastiques fournissent une mesure de la pression d’un fluide, qui applique immédiatement la définition même que nous avons donnée de cette grandeur. La mesure suppose que le fluide soit en équilibre macroscopique par rapport au manomètre.

La troisième grandeur caractéristique de l’état du fluide est sa température. Nous utiliserons les températures absolues thermodynamiques. Leur définition théorique est basée sur les rendements de cycles de Carnot (T. 23) ; mais leur définition pratique expérimentale est donnée, en même temps que leur mesure, par la pression d’une masse de gaz quasi parfait maintenue à volume constant, en équilibre thermique avec le fluide étudié (T. 23). La théorie des gaz parfaits interprète la température ainsi définie comme la mesure de l’énergie cinétique moyenne des molécules du thermomètre à gaz (T. 17), donc aussi, par application de la théorie de l’équilibre thermique (T. 10), comme la mesure de l’énergie cinétique moyenne des molécules du fluide lui-même.

Pratiquement, les mesures de température sont effectuées indirectement au moyen de thermomètres plus maniables (thermomètres à mercure, couples thermo-électriques, etc.), étalonnés par comparaison avec le thermomètre à gaz parfait. La mesure suppose que le fluide soit en équilibre macroscopique par rapport au thermomètre.


17. Équation d’état. Diagramme de Clapeyron. — L’interprétation cinétique de la pression entraîne que, pour un fluide donné en équilibre, elle est déterminée lorsque l’on définit la vitesse moyenne d’agitation par la température et la fréquence des chocs par l’ensemble des deux données et

Effectivement, chaque fluide physique donné est caractérisé par une certaine relation

(3)                                              

qu’on appelle son équation d’état, et qui définit tous ses états d’équilibre possibles.

On peut expliciter l’équation d’état sous la forme

(4)                                                 

qui permet alors d’utiliser, pour caractériser tous les états d’équilibre, les deux seules variables et On peut donc représenter l’un quelconque de ces états, dans un graphique plan, par le point M de coordonnées égales à et portées sur deux axes rectangulaires dans ce plan. Une succession continue d’états d’équilibre est représentée par une ligne continue tracée dans ce plan : on obtient ainsi ce que l’on appelle un diagramme de Clapeyron.

Si, en chaque point M du plan on élève une perpendiculaire MN à ce plan, de longueur égale à la valeur de donnée par l’équation (4), le point N engendre une surface qui définit tous les états d’équilibre possibles : c’est la surface caractéristique du fluide.

Le diagramme de Clapeyron représente la surface caractéristique, comme une carte topographique représente le sol. Aux courbes de niveau de la carte topographique correspondent les courbes isothermes du diagramme de Clapeyron. Chaque courbe isotherme réunit tous les points M pour lesquels les valeurs de et correspondent à une même valeur de elle est la projection sur le plan de la section de la surface caractéristique par un plan parallèle, de cote égale à T.

Nous envisagerons seulement des fluides que nous appellerons normaux, dans lesquels les isothermes du diagramme de Clapeyron ne se coupent jamais mutuellement. Cela veut dire qu’à un point M du diagramme ne peuvent jamais correspondre plusieurs valeurs distinctes de c’est d’ailleurs la condition pour que l’on puisse remplacer l’équation d’état (3) par l’équation (4).

À cette condition, nous ajouterons de plus, dans la définition des fluides normaux, la condition qu’une isotherme ne rencontre jamais en plus d’un point une perpendiculaire à l’axe Ov, c’est-à-dire qu’un état d’équilibre quelconque peut être défini sans ambiguïté par les deux données et [16].

Le diagramme de Clapeyron est d’un grand intérêt dans l’étude des machines thermiques, parce qu’il donne immédiatement la valeur du travail élémentaire fourni par l’unité de masse du fluide aux dépens de son énergie interne[17] dans une petite transformation élémentaire quelconque MM’. Ce travail est représenté par la surface du petit trapèze dont les côtés sont : la droite élémentaire MM’, sa projection mm’ sur l’axe Op, et les deux perpendiculaires Mm et M’m’ menées de M et M’ sur cet axe Op. Il en résulte que, pour un cycle fermé, le travail algébrique total fourni par le fluide est égal à la surface qu’enferme ce cycle : il est positif si l’observateur qui regarde le diagramme voit le point figuratif M circuler dans le sens où il voit circuler l’extrémité de l’aiguille d’une montre, et négatif dans le cas opposé.

18. Caractéristique énergétique . Diagramme entropique. — La surface caractéristique du fluide, qui représente son équation d’état, suffit donc à faire connaître, par la lecture du diagramme de Clapeyron, le terme [18] de l’augmentation d’énergie interne qui correspond à une transformation élémentaire quelconque ; mais elle ne détermine pas le second terme de cette variation par conséquent, elle ne définit pas l’énergie interne (par unité de masse) du fluide.

C’est évident d’ailleurs, puisqu’elle ne donne aucun renseignement, sur la constitution des molécules et sur les mécanismes des diverses formes d’énergie potentielle interne qui y peuvent exister.

Pour définir de proche en proche l’énergie interne de l’unité de masse du fluide, il faut donc, après lui avoir attribué une valeur arbitraire pour un état particulier arbitrairement choisi, faire connaître de plus le second terme de sa variation élémentaire au voisinage de tous les états N (ou M) possibles.

Cette quantité de chaleur qu’il est nécessaire de fournir à l’unité de masse du fluide pour réaliser une transformation élémentaire donnée, peut s’expliciter, en fonction des deux variables de Clapeyron, sous la forme

(5)                                              

Elle est donc définie par deux fonctions et de l’état du système. Mais, puisque nous admettons que les diverses isothermes ne se coupent jamais, et que chacune d’elles rencontre en un seul point les droites à volume constant qu’elle coupe, le point d’arrivée M’ peut aussi bien être défini par son abscisse et par l’isotherme parfaitement déterminée sur laquelle il se trouve. Cela nous permet donc d’écrire aussi sous la forme, plus commode en pratique,

(5)                                              


elle introduit deux autres fonctions et dont la première est, évidemment, la grandeur que l’on appelle couramment chaleur spécifique à volume constant.

On démontre facilement, en écrivant que et sont des différentielles totales exactes (T. 15 et 24) de fonctions (énergie interne et entropie) exprimées au moyen des variables et et en éliminant entre ces deux relations, que la fonction est complètement définie par la donnée de l’équation d’état (formule de Clapeyron).

Il suffit donc, pour achever de déterminer l’énergie interne, de faire connaître la valeur de la chaleur spécifique sous volume constant au voisinage de chaque état possible.

Ayant ainsi déterminé nous avons défini du même coup, outre l’énergie interne, l’entropie (T. 24) par la relation applicable aux transformations réversibles. Elle détermine de proche en proche l’entropie de l’unité de masse du fluide dans n’importe lequel de ses états d’équilibre possibles, défini par un point N quelconque de sa surface caractéristique, dès que l’on a attribué une valeur arbitraire à l’entropie de l’état défini par un point de départ N0 arbitrairement choisi sur cette même surface.

Lorsqu’un fluide est défini par sa surface caractéristique et par sa caractéristique énergétique en tous les points de cette surface, à tout point M, de coordonnées quelconques et de son diagramme de Clapeyron, correspondent alors une valeur de et une valeur de On peut caractériser l’état M par le point correspondant d’un autre graphique plan ayant pour coordonnées rectangulaires ces valeurs et ce graphique, que l’on appelle diagramme entropique [19], définit la chaleur élémentaire reçue de l’extérieur par le fluide, exactement comme le diagramme mécanique de Clapeyron définit le travail élémentaire qu’il fournit à l’extérieur. Il est donc, lui aussi, d’un grand intérêt pour l’étude des machines thermiques.

Il ne faut pas oublier toutefois, dans ces applications, que la relation suppose essentiellement la transformation réversible. Cette réserve semble d’abord sans portée, puisque tout tracé continu, réalisé sur l’un ou l’autre graphique, représente une suite continue d’états d’équilibres, réalisable par conséquent par une évolution réversible. Il peut arriver toutefois qu’une évolution irréversible fasse passer une masse gazeuse par une succession d’états pratiquement assimilables à une suite continue d’états d’équilibre représentés par des graphiques continus M1M2 et sur l’un et l’autre diagramme[20] : alors ne sera plus égal à la surface (on sait qu’il sera plus petit), tandis que sera encore égal à la surface


  1. Nous avons d’ailleurs vu (§ 13) qu’une transformation chimique d’un gaz, si elle ne modifie pas sensiblement le nombre des molécules présentes, peut être considérée comme pratiquement équivalente à un apport de chaleur extérieure sans modification du gaz.
  2. Nous rencontrons ici une difficulté dans le cas de l’eau, dont les anomalies de dilatation au voisinage de 4° C. sont manifestement liées à des transformations allotropiques partielles. Les perturbations énergétiques corrélatives sont assez faibles pour que nous puissions pratiquement les négliger.
  3. Elles introduisent, en fait, des perturbations notables dans les cycles à combustion interne.
  4. Cette conception paraît d’ailleurs indispensable pour expliquer la transformation de l’énergie potentielle chimique en énergie thermique. Le travail des forces d’attraction chimique doit fournir d’abord un supplément d’énergie cinétique aux atomes à l’intérieur des molécules. Les chocs ultérieurs transmettent une partie de cette énergie cinétique aux molécules elles-mêmes, jusqu’à réalisation de la répartition statistique la plus probable.
  5. C’est analogue à ce qui se produit dans un pendule élastique, où les valeurs moyennes de l’énergie cinétique et de l’énergie potentielle élastique sont égales. Mais ceci n’est vrai que tant que les atomes constitutifs restent effectivement liés les uns aux autres, c’est-à-dire tant qu’il ne se produit pas de dissociation notable.
  6. En fait, dans les moteurs à combustion interne, on a, aux températures élevées, une dissociation importante : c’est elle — bien plus que la réaction chimique, approximativement équimoléculaire — qui introduit des anomalies notables.
  7. qui est de la forme dans un système d’unités rationnel où l’unité de chaleur est équivalente à l’unité de travail, peut, dans les systèmes d’unités couramment utilisés, s’exprimer soit en unités de travail (on écrira alors comme nous l’avons fait dans la définition initiale (T. 14), soit en unités de chaleur (on écrira alors comme nous l’avons fait dans la suite (T. 18). C’est cette deuxième forme que nous continuerons à utiliser.
  8. serait une constante s’il n’y avait ni anomalies liées à la théorie des quanta, ni modifications moléculaires, ni changements d’état.
  9. Ou du moins une formule de même nature, mais avec un coefficient c plus élevé que celui des gaz parfaits théoriques, dans le cas des gaz polyatomiques.
  10. Elle réagira sur l’équilibre intramoléculaire, comme réagit, sur l’équilibre intermoléculaire, une compression exercée par les parois sur la masse liquide.
  11. Cette restriction est respectée dans la machine à vapeur. Elle ne le serait pas dans le cas de la presse hydraulique, qui est en dehors de notre sujet.
  12. Du moins si l’on écarte la difficulté que présente la définition expérimentale de la masse du gaz. On peut d’ailleurs imaginer qu’on la détermine en solidifiant ce gaz, ou qu’on l’évalue par la perte de masse de réactifs chimiques solides qui lui ont donné naissance.
  13. A condition que les variations d’énergie potentielle de gravité soient négligeables, à l’intérieur du récipient, auprès de l’énergie cinétique d’agitation thermique.
  14. Nous admettons que la différence d’énergie capillaire peut être négligée, non seulement entre brouillards plus ou moins fins, mais aussi entre ces brouillards et une masse compacte.
  15. Dans les grands volumes des aérostats, cette résultante acquiert des valeurs importantes.
  16. Nous n’exigerons pas que les deux coordonnées et suffisent : elles laissent en fait une indétermination dans le cas des paliers de vaporisation des liquides.
  17. Laquelle peut d’ailleurs, être restituée simultanément par un apport de chaleur de l’extérieur.
  18. Nous représenterons les quantités élémentaires de chaleur et de travail reçus par l’unité de masse par les notations et (et non et ) pour rappeler qu’elles ne sont pas des différentielles de fonctions définies de et
  19. Pour plus de détails, on consultera l’étude systématique des. diagrammes thermodynamiques qui sera donnée dans un fascicule ultérieur consacré au rendement des machines thermiques.
  20. C’est ce que l’on rencontre dans l’étude des décoordinations d’énergie cinétique.