Les Propos d’Alain (1920)/Tome 2/017

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Editions de la Nouvelle Revue Française (2p. 28-29).
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XVII

Quand on avale de travers, il se produit un grand tumulte dans le corps, comme si un danger imminent était annoncé à toutes les parties ; chacun des muscles tire comme il peut, le cœur s’en mêle, c’est une espèce de convulsion. Mais qu’y faire ? Pouvons-nous ne pas suivre et ne pas subir toutes ces réactions ? Voilà ce que dira le philosophe, parce que c’est un homme sans expérience. Mais un professeur de gymnastique ou d’escrime rirait bien si l’élève disait : « C’est plus fort que moi ; je ne puis m’empêcher de me raidir et de tirer de tous mes muscles en même temps. » J’ai même connu un homme dur qui, après avoir demandé si l’on permettait, vous fouettait vivement de son fleuret, afin d’ouvrir les chemins à la raison. C’est un fait assez connu que les muscles suivent naturellement la pensée comme des chiens dociles ; je pense à allonger le bras et je l’allonge en même temps. La cause principale de ces crispations ou séditions point ce qu’il faudrait faire. Et, dans notre exemple, ce qu’il faut faire, auxquelles je pensais tout à l’heure, c’est justement qu’on ne sait c’est justement assouplir tout le corps, et notamment, au lieu d’aspirer avec force, ce qui aggrave le désordre, expulser au contraire la petite parcelle de liquide qui s’est introduite dans la mauvaise voie. Cela revient, en d’autres mots, à chasser la peur, qui, dans ce cas-là comme dans les autres, est entièrement nuisible.

Pour la toux, dans le rhume, il existe une discipline du même genre, trop peu pratiquée. La plupart des gens toussent comme ils se grattent, avec une espèce de fureur dont ils sont les victimes. De là des crises qui fatiguent et irritent. Si l’on restait souple et imperturbable au commencement, la première irritation serait bientôt passée.

Ce mot, irritation, doit faire réfléchir. Par la sagesse du langage, il convient aussi pour désigner la plus violente des passions. Et je ne vois pas beaucoup de différence entre un homme qui s’abandonne à la colère et un homme qui se livre à une quinte de toux. De même la peur est une angoisse du corps contre laquelle on ne sait point lutter par gymnastique. La faute, dans tous ces cas-là, c’est de mettre sa pensée au service des passions, et de se jeter dans la peur ou dans la colère avec une espèce d’enthousiasme farouche. En somme nous aggravons la maladie par les passions ; telle est la destinée de ceux qui n’ont pas appris la vraie gymnastique. Et la vraie gymnastique, comme les Grecs l’avaient compris, c’est l’empire de la droite raison sur les mouvements du corps. Non pas sur tous, c’est bien entendu. Mais il s’agit seulement de ne pas gêner les réactions naturelles par des mouvements de fureur. Et, selon mon opinion, voilà ce qu’il faudrait apprendre aux enfants, en leur proposant toujours pour modèles les plus belles statues, objets véritables du culte humain.